"Je t'attendrai"

Chapitre 17 : Chapitre dix-septième

2681 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 21:37

Chapitre dix-septième,

 

 

Il faisait beau, le soleil était au plus haut dans les Cieux, où les oiseaux dansaient avec gaieté. Il n'y avait aucun trouble au-dessus de cette grande île du Nouveau Monde, si ce n'était cet unique et solitaire nuage qui vagabondait seul dans le ciel.

La petite fille se redressa et essuya d'un revers de la main le léger filet écarlate qui glissait le long de sa bouche. D'un regard glacial, elle considéra les deux corps inertes qui gisaient sur le sol, devant elle. Ils avaient tout de même réussi à lui mettre quelques coups, ces bâtards. Mais elle était plus forte. Bien plus forte, songea-t-elle avant de récupérer le peu d'argent qu'ils avaient sur eux, ainsi que le manteau du premier des trentenaires qu'elle venait de tabasser. Les pavés étaient recouverts du sang de ces deux hommes, comme les mains de la petite fille, qu'elle frotta contre son vulgaire pantalon beige tâché de toutes parts. Elle n'avait jamais aimé les jupes. Ce n'était pas pratique pour se battre. Et puis, de toute façon, c'était le seul bas qu'elle avait à sa disposition.

La petite fille tapota la veste kaki qu'elle venait de ramasser pour en retirer la poussière, avant de la passer sur son dos. Il avait beau faire une chaleur inouïe en ce jour ensoleillé, son corps restait comme frigorifié, sa personne même était gelée. Elle écarta légèrement le rideau de cheveux ébènes qui tombait sur son visage et considéra l'allée dans laquelle elle se trouvait. C'était une large rue commerçante, peuplée de nombreux villageois, pour la plupart effrayés. Tous ces hommes et femmes se tenaient bien loin d'elle, prenant soin de lui tourner le dos. Mais malgré tous leurs subterfuges, elle parvint quand même à intercepter les nombreux murmures qu'ils émettaient.

« Elle a encore recommencé... Jusque quand cela va-t-il durer ? » Disaient-ils.

« Qui sait ce qu'elle pourrait faire, en grandissant ? Murmura un homme. Elle finira par tous nous tuer... », « Que quelqu'un s'occupe d'elle ! N'y-a-t-il personne pour nous débarrasser d'elle ? Pour nous protéger ? », « Cette enfant est le Diable même... Elle n'aurait jamais dû voir le jour. ».

La petite fille jeta un regard en coin dans son dos et trouva celui de la femme qui venait d'ouvrir la bouche. En croisant ses yeux dorés pénétrants, celle dernière eut un sursaut et détourna aussitôt les siens, figée, pétrifiée, terrorisée. L'enfant eut un sourire sombre. Le Diable ? Pourquoi pas ? Cette appellation lui plaisait. Tout le monde avait peur du Diable, alors ils avaient peur d'elle. Oui, c’était bien.

Un ricanement méprisant s’échappa de ses lèvres. Si être considérée comme tel était le prix pour les détruire un par un, alors elle endosserait avec joie ce rôle de Démon suprême. Elle ne leur laisserait aucun instant de répit tant qu'elle serait en vie. Elle les traquerait jusque dans leurs derniers instants, leur arracherait leurs cœurs, comme ils avaient procédé avec le sien. Elle les blesserait, elle les ferait souffrir. Et elle leur ferait regretter, tous autant qu'ils étaient, l'Enfer qu'ils lui faisaient vivre depuis sa naissance. Ils paieraient tous pour ce qu'ils lui infligeaient et bientôt, ils comparaîtraient devant le tribunal de sa volonté. Elle s'en fit la promesse.

Sans un regard pour aucun d'entre eux, l'enfant continua son chemin et remonta l'allée. Elle marcha quelques minutes, les mains dans les poches, la mine sombre, ses courts cheveux noirs bouclant sur son visage sale, ignorant les regards combinant crainte, dégoût et terreur que chacun des villageois lui adressait. Elle s'avançait tranquillement, éjectant chaque malheureux caillou qui croisait sa route. Puis, alors qu'elle évoluait lentement, une femme parmi tant d'autres attira son attention, et pas seulement la sienne. Elle était très grande, élancée et avait de fins yeux ambrés qui frôlaient le doré. Elle était très belle, et de première vue, semblait jeune. Cependant, son visage était orné de légères rides et ses courts cheveux qui contrastaient avec sa peau bronzée étaient tous blanchis par l'âge. Une peau mate, encore plus foncée que la sienne... L’enfant s’arrêta l’espace d’un instant. Qu'est-ce qu'elle foutait ici, elle ? Si les gens de la ville la voyaient, ils l'étriperaient. La petite fille fronça les sourcils et se força à penser à autre chose. Ce n'était pas son problème, ce n’était plus son problème. Par contre, ce joli collier qui pendait à son cou l'intéressait beaucoup. Un sourire las étira ses lèvres. Elle n’avait rien d’autre à faire, alors elle allait en faire son affaire.

Étant donné que la femme marchait dans le sens inverse, il lui suffit d'attendre d'être à son niveau pour se mettre en action. Sans aucun effort apparent, l'enfant fit un bond incroyable, à une vitesse ahurissante, pour s'emparer de l'objet convoité. Mais alors qu'en plein élan, elle tendait les doigts vers la chaîne dorée, à sa plus grande surprise, une main vint fermement empoigner son avant-bras lorsqu’elle se trouvait en l’air. Elle ouvrit ses yeux de stupeur en sentant le sol s’écraser contre son dos et l'instant d'après, elle se retrouvait maintenue à terre par le pied de cette vieille femme typée. Du bas, elle lui semblait encore plus grande et imposante, c'en était rageant. Elle la toisait de son regard glacial aussi dur que de la pierre, dans lequel on pouvait lire le plus intransigeant des jugements. Mais malgré son attitude hautaine, la petite fille ne put s'empêcher d'admirer, comme l'enfant normale qu'elle n'était pas, cette figure de force majestueuse.

Elle tenta de se défaire de son emprise, mais à cet instant précis, la femme en question écarta son manteau, dévoilant les deux fourreaux dissimulés qui trônaient à sa large ceinture. Putain, mais c'était qui, cette vieille ridée ? Et lorsque celle-ci dégaina un long et brillant sabre, la petite fille ouvrit grand ses yeux. Cette lame aussi rouge que le sang, ornée de différents motifs incrustés dans sa garde... Elle était... magnifique.

« On peut savoir ce que tu allais faire, morveuse ? » S'enquit-elle avec un ton méprisant.

Un temps s'écoula sans qu'elle n'obtienne de réponse. Elle vint placer la pointe de son arme sur le cou de la petite fille, et fut d'ailleurs surprise que cette dernière ne cille même pas sous la menace. Intéressant. Puis, elle écrasa un peu plus son pied sur le corps bien robuste de cette petite fille un peu trop musclée à son goût – Elle avait quoi ? Douze ans ? - et se pencha sur elle.

« Tu avais l'intention de me voler, je crois ? Reprit-elle avec un sourire carnassier. C'est ça, gamine ? »

Quelques secondes s’écoulèrent. Mais alors qu'elle se penchait de plus en plus sous les yeux effarés des villageois qui guettaient discrètement, elle se figea et fronça les sourcils. Elle se plia davantage avec brusquerie, jusqu'à frôler le cou de l'enfant, renifla et plissa les yeux.

« Oi... Tu... Commença-t-elle. Tu sens Hallan. »

A la mention de ce prénom, elle vit nettement les yeux de la petite s'illuminer d'une émotion qu'elle ne parvint pas à décrypter à temps. Et pour la première fois, l'enfant ouvrit la bouche :

« C’est possible. Et alors ? »

La dame rengaina son sabre presque aussitôt et s'accroupit au près de la petite qui se redressa sans la moindre hâte, ni frayeur. Cette dernière fut d'ailleurs étonnée de voir que la lueur qui brillait dans le regard de la femme avait changée. Elle était soudainement devenue beaucoup plus sérieuse et n'avait plus ce même sourire sauvage. Elle ne rigolait plus. Elle semblait même... Inquiète.

  • Comment tu le connais ? Demanda-t-elle en la soulevant par le col.
  • Je me le demande, rétorqua la fille, sur le même ton implacable.

Elles se défièrent du regard silencieusement. La petite fille vit les yeux de la dame s’assombrir et l’espace d’un instant, elle crut se trouver face à un animal sauvage prêt à lui sauter à la gorge. Elle ouvrit grand ses yeux. Non, pas un animal... Elle déglutit. Un Diable.

« Mène-moi à lui. » Ordonna-t-elle d'un ton sans appel.

La gamine, ayant récupérée ses esprits, eut un sourire mauvais. Ravie de pouvoir le lui envoyer en pleine tronche, elle lâcha violemment :

« Ça risque d'être compliqué, kusobaba*. Il est mort. »

À ces mots, ladite kusobaba se figea et son teint sembla soudainement virer au vert. L'enfant eut un sourire satisfait intérieur, fière de son effet. Ça lui apprendrait.

« Et toi, t'es qui, d'abord ? » Reprit l'enfant, tentant de la mépriser autant que cette dernière le lui faisait ressentir.

La dame eut un temps d'arrêt mais sembla se reprendre aussitôt, plaquant soudainement sur son visage un masque d'insensibilité inébranlable.

« C'est plutôt à moi de te demander ça, rétorqua-t-elle de sa voix plutôt grave. Quel lien as-tu avec Hallan, microbe ? »

La petite fille aurait aimé rire, si elle en avait été capable. C'était qu'elle lui tendait des perches, cette vieille ! Ne pouvant résister à la tentation, elle lâcha avec autant de violence que la première fois :

« Moi ? Je suis sa fille. »

Cette fois-ci, sa figure se décomposa sous l'effet de la surprise, provoquant la jubilation silencieuse de son interlocutrice. Cette dernière commençait d’ailleurs à se demander si elle n’avait pas rêvé, concernant la vision de cet être effrayant qui avait manqué de la clouer sur place. La femme ouvrit grand ses yeux et se passa une main sur le visage. Elle se releva, se mit à marcher, s'arrêta, avant de pousser un long soupir.

« Bordel... Je m'absente quelques années, et voilà ce qui arrive. »

La petite fille plissa les yeux et se leva à son tour. Qu'est-ce qu'elle racontait, cette folle ? Et puis déjà, comment connaissait-elle son père ? Pourquoi ne savait-elle pas qu'il était mort ? À cette pensée, l'enfant ne put s'empêcher d'avoir un pincement au cœur, et se sentit faiblir l'espace d'un instant, mais elle se gifla mentalement. Non. Elle devait respecter sa dernière volonté, et être forte.

  • C'est quoi, ton prénom ? Reprit la femme en se postant devant elle, une émotion indescriptible dans ses prunelles ambrées.
  • Pourquoi je te le dirais ? Cracha la petite fille.

Surprise par l'audace de cette pouilleuse à la peau foncée, la la femme ne put s'empêcher d'avoir un sourire amusé. Cependant, elle se reprit bien vite.

« Réponds à cette question, et je répondrais à toutes les tiennes. Je sais que tu en as plein, mentir ne te servirait à rien. »

L'enfant riva ses yeux aux siens, et soutint son regard sans la moindre difficulté. Elle n'avait aucune idée de qui était cette foutue mamie, mais elle était forte et imposante, c'était certain. Elle était la première personne à lui avoir adressé la parole depuis des mois – voir peut-être des années, elle ne savait plus – ce qui signifiait qu'elle n'était pas d'ici. Et surtout, elle n'avait pas l'intention de lâcher le morceau, cela se lisait dans ses prunelles. Elle était sérieuse. Extrêmement sérieuse. Et elle avait quelque chose... Maintenant, elle en était sûre. Ce pouvoir effroyablement terrifiant qu’elle avait... Elle le voulait aussi.

Après un temps d'attente et de défi silencieux, sans même prêter attention à la troupe de bourgeois qui s'était amassée non loin d'elles, sans toutefois franchir la « limite » fixée, la petite fille lâcha :

« Elena. Elena Cewall. »

La dame plongea dans les yeux de ladite Elena et les siens vrillèrent. Elle ne mentait pas, elle le voyait, elle le lisait. En à peine quelques secondes, toute l'histoire de la petite fille lui apparût presque involontairement et elle crut s'effondrer au sol. Ses yeux s'écarquillèrent, et elle dut faire un effort surhumain pour ne laisser rien paraître de ce qu'elle pensait. Cette fille... Elena Cewall...

La femme se redressa fièrement, dans toute sa splendeur, dominant la petite tout aussi fière qu'elle, et finit par répondre du ton le plus neutre qu'elle avait en réserve, tentant de maîtriser ses émotions :

« Bien, Elena. Je suis Marisa Cewall, ta grand-mère. Et à partir d'aujourd'hui, je suis ton shishô. * »

 

 

*kusobaba : vieille mégère, foutue mamie.

*shishô : maître, mentor.

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