The Genesis of the Libra

Chapitre 2 : Je me nomme Dohko

3994 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/11/2025 12:23

CHAPITRE DEUX

JE ME NOMME DOHKO

 

―  Je m’appelle Dohko.

Le nom, puissant et féroce, se perd un instant dans la rumeur de la cascade avant de retomber dans le silence du bassin. Le dragon d’obsidienne incline lentement la tête pendant que son corps ondulé derrière lui, comme pour goûter le poids de ces syllabes. Son regard d’émeraude se fixe sur l’enfant, plus pénétrant encore, et l’air alentour se charge d’une étrange gravité.

Sous la lumière vacillante du soir, Dohko rejoint lentement la berge. Au sec, il se retourne rapidement vers son interlocuteur, suit son regard perçant qui lui indique le promontoire rocheux, y prend le chemin avant de s'y asseoir. Suspendu entre deux mondes, il se sent minuscule. Sur sa peau, il sent encore l'eau glisser sur ses épaules, ses vêtements alourdis s'y collant en globalité, et pourtant, rien ne semble le troubler intérieurement. Il soutient le regard du dragon, son souffle calme, ses yeux sombres emplis d’un éclat indéchiffrable.

Le colosse finit par parler. Sa voix résonne comme un séisme contenu, comme venant des enfers de l'Asura, chaque mot vibrant dans l’air avant de se dissoudre dans la brume.

―  Enfant du Tigre… qu’est-ce qui t’amène ici ? Ta chair est trop jeune pour porter le poids des cieux. Ce lieu n’appartient qu’à ceux que le monde a oubliés.

Dohko ne répond pas tout de suite. Ses lèvres tremblent à peine, son regard se détourne. Il sent son cœur battre, non de peur, mais de cette impression étrange d’être déjà venu ici, dans un rêve ou un souvenir.

Le temps s’étire durant son silence.

La cascade gronde, régulière, comme un battement.

Alors, lentement, il baisse les yeux vers l’eau et, dans le reflet tremblant de la surface, les images de sa journée reviennent, doucement, confuses, avant de devenir plus clair, plus précise.

 

 

 

Le vent souffle à travers les cimes du monde, emportant avec lui le parfum âpre des pins millénaires et la brume des hauteurs. Dans cet espace suspendu entre le ciel et la terre, la nature semble retenir son souffle. La lumière du jour glisse sur les aiguilles vert sombre, s’attarde sur la mousse humide qui tapisse l’écorce des vieux troncs, avant de se perdre dans les abîmes de nuages en contrebas.

―  Dohko ! Dohko !

Ici, le monde est double : les rivières montent vers le ciel autant qu’elles redescendent vers la vallée, et même quand le firmament s’éclaircit, les étoiles demeurent visibles, comme si l’univers tout entier reposait dans un rêve qui n’appartient qu’à cette contrée.

Tout en haut d’un pin millénaire, il se voit encore, assis, le dos contre le tronc large et rugueux.

De là où il se trouvait, il était sûr que personne n'arriverait à le trouver. Même pas la jeune fillette qui criait son nom à tue-tête, le cherchant sans relâche.

Le matin, le soleil dorait les flancs du domaine qu'était la Contrée Mystique. Les cigales chantaient dans les pins et le vent portait l’odeur des pierres chaudes. Il se souvient du sentier qu’il suivait, étroit et sinueux, qui serpentait entre les rochers. De la rivière qu’il avait longée, l’eau claire où se reflétaient les nuages. Il se rappelle avoir gravi une corniche d’où l’on voyait le monde entier se déployer sous les nuées : les forêts, les vallées, les cascades lointaines. L'inversion même du courant qui s'élevait vers le domaine céleste.

Et pourtant, ce qu'il voyait actuellement était le moment qu'il appréciait le plus. Le coucher de l'astre divin. Le moment où les esprits de la nature décidaient de se taire, de rejoindre le monde Onirique.

Le moment où ils ne faisaient plus d'un dans cette vaste étendue qu'était le monde.

―  Dohko ! Dohko !

―  Quelle plaie ! Pensa le jeune homme qu'il était. Jamais elle ne me laissera en paix !

Ses cheveux bruns, sombres et souples, sont agités par la brise. Ses yeux — aussi profonds que la terre avant l’aube — scrutent le monde qui était voué au silence quelques instants auparavant. Entre ses doigts, une brindille danse, frôle son genou, avant d’être jetée dans le vide.

En dessous, une voix enfantine continue à déchirer la sérénité du lieu.

―  Dohko !

Le cri résonne, vif, éclatant comme une flèche. Il soupire.

En contrebas, la fillette d’à peine cinq ans, les joues rondes et les cheveux noués à la va-vite, agite les bras.

―  Dohko ! Descends !

―  … Si seulement le vent pouvait l’emporter, souffle-t-il entre ses dents.

Mais avant même qu’il ne songe à bouger, deux silhouettes apparaissent derrière la petite.

Les cheveux roux hérissés, les yeux aussi bleus que le ciel après la pluie, Hui est torse nu malgré la fraîcheur. Il porte sur son dos le tatouage d’un renard des plaines, jeune et fier, son pelage dessiné par des traits fins et précis.

Dohko voit que, derrière lui, un autre garçon marche lentement, presque avec gravité. Feiyan. Ses longs cheveux noirs tombent en rideau sur ses épaules, et ses yeux cobalt ont la profondeur d’un lac calme avant l’orage.

―  Mudan, arrête de crier, dit-il d’une voix calme, presque lasse.

―  Mais je veux jouer avec Dohko, moi !

Feiyan esquisse un sourire moqueur.

―  Dohko, jouer ? Bonne chance pour le convaincre.

Mais Hui reprend, sérieux :

―  Nous avons autre chose à faire. Le maître nous attend.

Le nom du maître semble suspendre la fillette. Ses yeux s’agrandissent.

―  Le grand Hakuryû vous a demandés ?

―  Oui, répond Feiyan simplement, avec ce détachement tranquille qu’ont ceux qui savent leur importance.

Mudan plisse les lèvres, puis déclare avec la plus grande assurance :

―  Alors je viens aussi.

―  Non, dit froidement Hui. Ce n’est pas un endroit pour une gamine envahissante.

Elle gonfle les joues, furieuse :

―  Hui, tu es méchant !

Hui ne répond pas, détournant la tête pour ne plus faire face à l’enfant turbulent qu’était Mudan. Feiyan, lui, sourit malgré tout. La prenant dans ses bras, il finit par la serrer contre lui, avant de lui ébouriffer tendrement les cheveux.

―  Retourne à la maison, Mudan. Et sois sage.

La petite tourne les talons, vexée, mais son regard cherche encore Dohko au sommet du pin.

Là-haut, le jeune garçon l’observe en silence. Lorsqu’elle disparaît enfin dans les herbes hautes, il se laisse glisser de sa branche. Son corps se plie, se détend, bondit : il chute, tourne sur lui-même, attrape une autre branche d’une main, s’y balance, puis retombe avec la grâce d’un singe. Ses pieds touchent la terre sans bruit, juste à côté de Hui.

―  Ta sœur est une véritable plaie, dit-il à Feiyan en rejetant ses cheveux en arrière d’un geste las.

―  Il n’y est pour rien si elle est amoureuse de toi, rétorque Hui, un éclat rieur dans la voix.

―  Je m’en passerais bien. J’ai mieux à faire que de jouer à la nourrice.

Feiyan ricane.

―  Peut-être. Mais avoue que ça flatte un peu ton ego.

―  Pas le moins du monde, réplique Dohko avec un sérieux presque comique.

Hui, d’un ton plus grave, les interrompt :

―  Trêve de bavardages. Le Maître nous attend. Et tu sais, Dohko, qu’il n’aime pas qu’on le fasse attendre.

Les trois garçons échangent un regard entendu avant de prendre la route.

Leur ascension est silencieuse. Autour d’eux, le monde vibre d’une énergie que seul un cœur éveillé peut percevoir : les ruisseaux montent en tourbillons vers les nuages, les arbres frémissent à l’envers, comme si les racines cherchaient la lumière. Dans cette contrée mystique, tout obéit à d’autres lois — celles de la vie pure, sans la main des hommes.

Au sommet, le Temple de Jade s’élève, drapé de lumière. Ses colonnes semblent sculptées dans la clarté même, et un dragon immense, translucide, reposes-en son sein. Ses écailles reflètent chaque rayon, le transformant en mille éclats de cristal et d'étoiles.

Sa présence impose le silence.

Les trois enfants s’agenouillent d’instinct.

―  Maître Hakuryû, clamèrent les trois enfants.

Sa voix, quand elle s’élève, n’est pas un son : c’est une vibration, un frémissement dans la poitrine, une onde qui traverse la pierre, une simple résonnance dans leur esprit.

―  Mes chers Sennins. Comme vous le savez, vous portez en vous les marques du ciel et de la terre. Ce que vous appelez tatouage n’est qu’un reflet, un écho des esprits anciens. Un jour, ces signes seront plus que des dessins sur votre peau. Ils deviendront votre chair, votre sang, votre vie. D'eux naîtront vos armures, la manifestation même de votre essence véritable.

Feiyan, de par son statut de benjamin, avait pris place au milieu du groupe et avait baissé la tête, impressionné comme à chaque fois qu'il avait eu l'occasion de se présenter devant lui.

Depuis qu'il était arrivé, il y a de ça bientôt cinq ans, à la suite du sauvetage que son maître avait réalisé en le sauvant lui et sa jeune sœur récemment née, il n'avait pu rien faire d'autre que de se joindre à la glorification que les autres habitants de la contrée vouaient pour cet être divin. Afin de lui rendre hommage, il avait étudié les lois de la nature dès qu'il avait pu intégrer l'académie Taonienne. Avec force et rigueur, il avait fini par ressentir la grande beauté et la force qui en émanaient. Partout où il posait son regard, il y ressentait la puissance des esprits, tout cela à travers la variété d'arbres, le flot de l'eau des rivières, l'air vivifiant des montagnes et des plaines.

Oui, il ressentait toute cette force de vie, la base même de la puissance qui faisait des Taonias les êtres les plus puissant de la contrée. 

À côté de lui, sur sa gauche, Hui, impassible, hoche simplement la tête. Il savait tout cela. Et comme Feiyan, il voyait la même chose. De par son animal-totem, il pouvait ressentir tous les courants harmonieux qui parcourraient le monde, et qui savaient tout aussi bien se mettre en colère quand il le fallait. Il voyait parfaitement l'impartialité qu'était les esprits de la nature et l'évolution qu’elle pouvait avoir. 

Et à sa droite, il y avait Dohko qui, lui, garde le regard levé, absorbant chaque mot comme on respire l’air avant l’orage. Son regard, d'un brun sombre, brillait d'un éclat modéré quand un fin rayon de soleil venait s'y refléter.

―  Les lois de la nature, poursuit Hakuryû, ne se brisent pas. Elles fluent et se plient, comme l’eau. Celui qui veut les comprendre doit d’abord apprendre à se taire. Les esprits qui gouvernent ces terres vous observent : soyez dignes d’eux.

Puis ses yeux — deux lacs de lumière — se posent sur Dohko pendant qu'il continue à parler.

―  A vous trois, vous faites parties de ceux ayant le plus de chance de rejoindre l'élite des Taonias. Ne perdez jamais de vue ces paroles.

Le silence s'installe et aucun des trois enfants n'osent relever la tête, attendant l'ordre de la divinité qu’il respectait.

―  Feiyan, Hui, sortez et continuez l’entraînement. Toi, reste.

La parole du dragon tomba comme un couperet. Levant tous les trois la tête, ils virent sur qui était posé le regard brillant. Feiyan et Hui s’inclinent, puis se retirent sans un mot.

Le temple s’apaise.

Seuls demeurent le dragon et l’enfant.

Hakuryû baisse lentement la tête vers lui, son souffle venait pratiquement couler sur le corps de l'enfant, faisant vibrer quelques mèches de cheveux.

―  Dis-moi, Dohko… que vois-tu, dans tes songes ?

Le garçon détourne le regard, feignant l’ignorance.

―  Mais… Comment…

―  Ton esprit ne peut rien me cacher, mon cher élève.

―  Eh bien… Je ne sais pas, maître. Ce ne sont que des rêves.

―  Ne me mens pas, coupe la voix grave et douce du dragon. Les rêves sont les reflets de ce que l’âme n’ose pas dire. Ils sont la fenêtre sur la vérité.

Le silence retombe, lourd.

Alors Dohko parle, à mi-voix.

―  Je vois… un homme. Il marche sous une pluie froide, dans un manteau élimé. Mais la pluie change. Elle devient d’or. Et dans cette lumière, je vous vois, maître, descendre des cieux… Votre corps étincelle sous l’or et la pluie.

Hakuryû écoute sans l’interrompre.

―  Continue.

―  L’homme vous parle. Il vous demande de prendre soin d’un enfant. Il dit que cet enfant est né trop tôt. Que son destin viendra, mais dans un autre âge. Que son héritage doit-être transmis quand… quand il ne sera plus là.

Sa voix tremble légèrement.

―  À chaque fois que je suis sur le point de voir son visage, une ombre surgit. Plus sombre que la nuit. Comme si la pureté était avalée par le néant.

Le dragon ferme les yeux. Le souffle du vent se fait plus grave, plus lourd.

―  Je n’en ai aucune certitude, murmure-t-il enfin. Mais si tu veux connaître la vérité, tu devras suivre ta propre voie.

Dohko relève la tête, interloqué.

―  Ma voie ?

Le regard du dragon s’enflamme d’un éclat presque solaire.

―  Ta destinée n’est pas de devenir un soldat Taonia. Ta voie se trouve sur Terre.

Il incline la tête, la lumière s’intensifie autour de lui.

―  Tu vas aller y retrouver un ami.

―  Un ami ? Demande Dohko.

―  Un homme tant consumé par la haine qu’il s’est transformé en dragon. Mon… meilleur ami.

La clarté inonde le temple. L’air vibre d’une puissance qui déforme les contours du monde.

―  Je suis certain qu’il saura te guider sur une voie juste.

Près du dragon, la haute double Porte Dorée ciselée qui faisait partie intégrante de la gigantesque salle, s'ouvrit doucement, projetant un fin filet de lumière encore plus pure que ne l'était le dragon lui-même.

―  Va, Dohko.

Le garçon recule d’un pas, submergé.

Le ciel s’ouvre : un tourbillon de lumière déchire la voûte. Le vent se lève, hurle à travers les colonnes.

Hakuryû, sa silhouette auréolée de lumière, souffle dans un murmure qui emplit l’univers :

―  C’est à toi.

Et alors, la lumière l’enveloppe.

Le vent, la montagne, le temple tout entier disparaissent dans un éclat blanc.

L’espace tremble, se replie sur lui-même.

Le monde se tait.

Le vide n’a ni début, ni fin.

Il respire, pulse, s’étire.

Quand la lumière l’engloutit, ce n’est pas une chute. C’est une naissance inversée — un cri silencieux dans la matrice du monde.

Le vortex s’ouvre, immense, où le haut devient le bas, où le feu épouse la glace, où chaque étoile semble une larme figée dans le temps.

Il pensait disparaître dans un éclat de lumière mais, malgré la blancheur immaculée, il arrive à ressentir tout cela, il voit tout au travers, comme s’il ne faisait qu’un avec cet univers.

Dohko se sent dériver, suspendu entre les deux plans de la création. Ses bras cherchent un appui dans le néant, mais il ne touche que l’écho de sa propre existence.

Des formes indistinctes passent autour de lui, toutes faites de lumière, d’air et d’eau. Leurs cris se mêlent à un grondement venu des profondeurs.

Et au milieu du chaos, une voix résonne, douce, impérieuse, éternelle :

―  Ne crains pas la chute, Dohko. Elle est la première des épreuves.

Alors la lumière se déchire.

Une force le saisit.

Il tombe.

La sensation du vent, brutale, lui fouette le visage. L’air se densifie. Les sons reprennent : le rugissement du tonnerre, le sifflement de l’air, et plus bas, le grondement d’une montagne.

Et ensuite… lui… l’ami auprès de qui il était envoyé.

 

 

 

Oui. Dohko se souvenait de tout. La lumière l’avait attiré, sans qu’il sache pourquoi. Il avait marché, lentement, vers l'ouverture de la porte puis, une fois dans l'embrasure, le souffle court, le cœur battant d’une excitation inconnue, il s'était sentit tomber. L’air s’était fait plus dense, la lumière plus blanche, presque aveuglante. Une traversée. Puis il avait vu le sol se fendre — et le dragon noir surgir.

Dohko redresse la tête.

Ses yeux rencontrent à nouveau ceux du dragon noir.

―  Je ne sais pas… murmure-t-il.

Sa voix est douce, mais chaque mot semble peser lourd dans le silence.

―  Hakuryû m'a dit de suivre ma voie. Qu'elle n'était pas parmi eux mais ici, sur Terre.

Le dragon le contemple longuement. Ses paupières se plissent, son souffle s’approfondit. On dirait qu’il cherche, derrière ces mots, une vérité que même l’enfant ignore encore. Puis un grondement discret parcourt son corps, semblable à un rire ancien ou à un soupir venu des profondeurs du monde.

―  Alors, fils du Tigre, dit-il enfin, le destin t’a conduit jusqu’ici. Et la montagne elle-même a entendu ton nom.

Autour d’eux, la brume se remet à danser, portée par un vent doux. Les pins frémissent, et les rayons du soleil couchant, brisés par la cascade, se dispersent en arcs colorés sur la surface du bassin.

Le dragon se redresse en hauteur, son corps glissant sur la surface rocheuse du lieu. Il incline lentement la tête vers lui, jusqu’à ce que son museau touche presque son visage, tout près de lui.

―  Ce que tu cherches ne t’appartient pas encore, jeune Dohko. Mais la montagne choisit toujours ceux qui savent écouter.

Ses écailles, luisantes comme la nuit humide, semblent absorber toute lumière. Ses yeux, deux flammes émeraude sombre, brillent d’une intelligence farouche.

Sa voix tonne dans son esprit plutôt qu’à travers l’air.

―  Tu n’es pas d’ici. Pourtant… la férocité qui est ancré dans ton cœur ne demande qu’à devenir plus puissant et indomptable.

Il se laisse glisser vers la surface cristalline, son corps suivant le même chemin. Chaque écaille qui passaient devant le regard de Dohko luisait d’une lumière si sombre que la lumière elle-même semblait s’y perdre.

―  Que sais-tu de moi, jeune Tigre.

―  Que vous êtes un ami de maître Hakuryû. Son meilleur ami même.

―  Fadaise, crache le dragon en oscillant sur place. Il n’y a que lui qui peut penser ça.

―  Même si vous étiez un ancien homme, je ne vous permets pas d’être insultant envers celui qui m’a tout appris !

Le dragon penche légèrement la tête, amusé.

―  C’est toi qui pénètres mon domaine, par son biais certes, et c’est à moi que tu donnes des ordres ?

―  Pas des ordres, une recommandation.

Le dragon s’arrête net.

Un long silence s’installe.

Puis, dans un souffle rauque, un rire, sec, presque douloureux, se parlant plus à lui-même qu’au nouveau arrivant.

―  Hakuryû… Ce vieux fou… Il n’a donc jamais renoncé.

Son regard se fait plus doux, presque mélancolique quand il se penche à nouveau sur Dohko.

―  Tu portes son empreinte, en effet. Mais tu n’es pas prêt. Pas encore.

Le vent se lève. Des éclairs serpentent sur la cime de Rozan.

Le dragon se tourne vers la montagne, comme s’il l’écoutait.

―  Saches que je n’aime pas les humains. Monde réel ou monde mystique, cela m’importe peu. Sous ma houle, tu apprendras ici ce que ton maître n’a pas réussi à t’enseigner : La violence du monde, la fatigue du corps, la patience du cœur. Avec moi, tu apprendras ce qu’est le cœur de l’humain. 

Dohko serre les poings. Son regard était toujours autant déterminé. Et dans sa voix, le dragon l’entendit.

―  Je ne ploierai pas. Faite moi endurer tout ce que vous voulez, jamais je n’abdiquerai !

―  Plier ? souffle le dragon. Peu d’hommes ont eu la volonté d’y résister. Ceux qui ont essayé sont devenus poussière, pierre ou, encore… festin.

Le garçon ne baisse pas les yeux.

―  Si la maître Hakuryû m’a envoyé ici pour m’éprouver, je tiendrai. J’ai une vérité à découvrir, en plus de connaître mon destin. Et si je suis ici, c’est qu’il y a une raison.

―  Une raison ?

―  Oui, une raison. Que lui seul connaît. Et je me dois de la trouver ! Et ce n’est pas vous qui m’en empêcherez !

Tournoyant plusieurs fois dans le nid provoqué par le temps, il termina à nouveau sa course en se mettant à hauteur du jeune homme. Fondant son regard émeraude dans celui farouche du jeune homme, il ne le quitta pas des yeux durant de longues secondes.

Puis, dans un grondement sourd, la voix du dragon s’élève, grave et solennelle :

―  Alors soit. Je te jugerai digne ou non de respirer sous mon ciel.

Sans qu’il ne s’y attende, Dohko vit le vent se déchaîner. Des éclats de lumière frappent les falaises. Le dragon s’évanouit dans un torrent de ténèbres qui se mêle au tonnerre, engloutissant tout autour.

Et la lumière du soleil couchant revint, laissant bientôt la place à celle de la nuit, les premières étoiles montrant leur brillance dans le début du ciel nocturne.

Sur un rocher suspendus situé plus haut devant lui, un homme, tout de noir vêtu, le regarde. Le visage anguleux du jeune homme est encadré par une longue chevelure d’ébène et est divisé par un regard sombre, triste, et vert. Vert comme l’étais celui du dragon. Ce regard le croise sans sourciller.

―  Je suis Hei-Dong, le gardien millénaire des secrets de ce lieu.

Dohko n’arrive pas à prononcer un seul mot, tellement la prestance de ce nouvel être en imposait.

―  Et toi, enfant du Tigre, tu apprendras ici à écouter la voix du monde, sous la houle du dragon noir que j’ai été et que je suis toujours, même sous cette forme.

 


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