The runabout intruder

Chapitre 3 : Espace chaotique

2575 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/07/2019 17:04

La première chose dont elle eut conscience, c'était qu'elle se sentait bien et qu'elle avait chaud. Il lui semblait sentir le drap fin d'une couverture de survie sur elle. Lentement, elle opéra un check-up interne. Son flanc était engourdi (parce qu'elle avait dû s'effondrer à même le sol métallique), ses paupières étaient lourdes, sa nuque affreusement raide, et elle mourait de faim. Mais à part cela, il lui semblait que tout allait bien.

Il y avait juste… une odeur qu'elle ne s'attendait pas à trouver là. Elle mit quelques autres secondes à individuer qu'il s'agissait d'une odeur épicée incongrue, du bois de santal peut-être… Il y avait aussi tout près d'elle une source de chaleur. Lorsqu'elle tenta de dessiller les paupières, elle sentit qu'un flou rouge irradiait devant son visage et son nez se fronça sous l'odeur de métal fondu.

Que s'était-il passé ?

Tournant la tête, elle vit qu'elle avait été placée près de l'une des parois où se trouvait auparavant la rangée de sièges. Cette dernière avait été démontée et empilée sur l'autre. Tout un panneau de cloison derrière elle avait également été retiré, semblait-il pour laisser un meilleur accès à certains conduits qui dégageaient toujours un peu de chaleur. La mauvaise nouvelle était que ce qui circulait dans les tubes était en général un peu radioactif...

— Lieutenant ! appela-t-elle légèrement irritée à présent de ne pas avoir voulu connaître son nom.

Le jeune homme aux fins cheveux châtains clair n'était pas loin. Il occupait l'un des fauteuils libres, plus "étalé" que réellement assis et les yeux clos, il ne répondit pas tout de suite. L'un de ses bras reposait sur le casque qu'il avait retiré mais il avait conservé sa combinaison. L'état d'abandon confiant où il se trouvait lui laissait tout le loisir d'étudier la jeunesse de son visage aux traits lisses qui lui paraissaient, en toute honnêteté, assez globalement fades… Mais dès que leur propriétaire ouvrait les yeux, leur teinte gris vert ne masquait ni leur acuité, ni les sentiments vifs qui ouvraient sur son âme d'une trempe inattendue.

— Hey, vous ! Réveillez-vous ! appela-t-elle.

Sa poitrine se souleva un peu plus amplement et il ne répondit toujours pas. Elle lui flanqua un coup dans les tibias et il sursauta en fronçant les sourcils, comme surpris de découvrir qu'il s'était finalement assoupi.

— Dites… Vous savez que ces conduits sont radioactifs, au moins ? Je serais vous, j'éviterais une exposition trop longue.

Il poussa un profond soupir en ouvrant une paupière incrédule sur elle. Dans le creuset de son orbite, le magma métallique de ses iris étincela un bref instant avant que son expression ne s'adoucisse inexplicablement. Puis toujours au radar, il sortit du manchon de son gant un petit phaseur pour effectuer un bref tir à moyenne puissance sur le tas de métal fondu rougeoyant situé entre eux deux.

— Un merci aurait suffi... Et, juste pour savoir, vous êtes toujours aussi grognon au réveil ?

Elle n'était vraiment pas sûre d'apprécier la façon dont il lui parlait, sans déférence, sur un pied d'égalité. Elle s'y attendait des gardiens de prison ou de ses codétenus… Mais elle n'avait jamais envisagé qu'un membre de Starfleet puisse la traiter comme une civile qu'il ne trouvait ni reconnaissante ni polie... Pas chevaleresque au point de lui donner sa douillette combinaison, il avait cependant eu effectivement quelques idées pour empêcher qu'elle ne meure de froid, entre les conduits de plasma et ce petit radiateur improvisé… La question qui la taraudait était : comment pouvaient-ils avoir encore de l'oxygène ? Pour cinq ?

— J'imagine que vous ne saurez jamais, répondit-elle avec un temps de retard. Et sinon, comment avez-vous fait pour l'oxygène ?

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D'accord. Ce n'était pas exactement la question qu'elle avait envie de lui poser, mais c'était la plus intelligente. La vraie question aurait plutôt été : pourquoi êtes-vous encore là ?

Il se redressa mieux et se frotta brièvement la figure d'une main dans un effort manifeste pour chasser les derniers reliefs du sommeil.

Mais quand il releva la tête vers elle, leurs regards si différents se croisèrent à nouveau à bout portant, avec le même embarras emprunté que deux étrangers se croisant dans un tube de Jefferies trop étroit, les obligeant à se frôler avec un manque total de dignité… Elle eut l'impression qu'il pouvait lire cela dans son esprit parce qu'il esquissa vague petit rictus approbateur. Quelles chances y avait-il pour qu'il soit télépathe ? Une sur quelques millions ? En même temps, elle ne lui avait laissé aucune occasion de dire s'il avait des origines betazoïdiennes. La couleur de ses yeux ne plaidait pas pour, en tous cas...[1]

— Comment j'ai fait ? Mais comme d'habitude : j'ai improvisé, répondit-il avec un infime clin d'œil qui l'exaspéra aussitôt.

Puis il déclara qu'il allait lui trouver quelque chose à manger et à boire, ayant l'intelligence de la laisser tranquille un petit moment.

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Pour avoir eu deux frères télépathes, Michael n'était pas spécifiquement décontenancée par ce genre de situation, surtout avec des études universitaires ethnologiques poussées sur les autres espèces du quadrant Alpha. Mais soupçonner même illogiquement que le spécimen en face d'elle puisse faire partie d'un rare pourcentage d'humains concernés, la replaçait aussitôt dans sa peau d'anthropologue et rehaussait un peu l'intérêt de son "sujet d'observation".

Qu'avait-il dit d'autre encore qu'elle n'avait pas jugé bon d'écouter, pendant qu'elle le sous-estimait parce qu'il n'était qu'un jeune terrien ambitieux ?

Avoir fait ses études sur Vulcain lui avait plus ou moins épargné la fréquentation exclusive des jeunes gens de sa race, pour le dire crûment, les humains n'étaient qu'un chapitre guère épais au programme de son cursus. Il y en avait bien sûr sur chaque vaisseau de Starfleet mais les rapports y étaient très standardisés selon un protocole à la fois militaire et professionnel qui laissait peu de place aux interactions spontanées. Dans son cas, s'étant trouvée au milieu d'étranges étrangers durant presque toute sa vie, elle allait plutôt spontanément vers les espèces lui paraissant exotiques.

Dans l'espoir de trouver un terrain favorable à sa soif de connaissances, elle avait posé sa candidature à Starfleet, dont l'académie s'avérait être sur Terre. Mais les cadets terriens de San Francisco ne l'avaient guère impressionnée. Plus âgée qu'eux, plus contrôlée (elle avait beau ne pas être Vulcaine, elle avait bien appris à donner le change), elle s'était sentie soulagée quand elle avait compris qu'ils cherchaient des partenaires plus faciles à impressionner.

Le jeune lieutenant, qui avait tout l'air pourtant d'un pur produit de l'Académie, semblait étrangement curieux d'elle. Etrangement parce qu'elle aurait parié un mois de solde qu'il était du genre à sortir avec trois ou quatre blondes idiotes en même temps, et une Orionne pour faire bonne mesure.

Mais peut-être la considérait-il comme telle parce qu'elle avait ruiné toute sa carrière en moins de dix ans de service ?

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JIM

Il franchit le sas resté ouvert qui communiquait avec sa propre navette en leur permettant de partager l'atmosphère. Bien sûr, cela ne tiendrait pas longtemps, mais les secours étaient en route et seraient très bientôt là. Le Farragut était alerté et avait détourné son cap pour passer le reprendre et il ne doutait pas que son capitaine avait fait plus que le nécessaire pour demander à la colonie pénitentiaire de faire envoyer un nouveau transport…

Il vérifia ses messages et sut ainsi qu'il n'avait plus qu'une heure ou deux à patienter. Il fouilla dans un petit compartiment pour attraper un pack de gel liquide hydratant et des rations pour la prisonnière dont il connaissait désormais l'identité...

Le commentaire du capitaine Garrovick à son sujet avait été des plus laconiques, mais sa fermeture inhabituelle transpirait le jugement. Il s'était contenté pourtant de signaler qu'elle était tombée sous le triple chef d'accusation de mutinerie, haute trahison, et homicide involontaire sur la personne de son capitaine – ce qui aurait dû générer un mouvement de dégoût et de recul instinctif chez tout jeune officier normalement constitué.

Et en vérité, l'information l'avait bien sonné et lui avait laissé une forme de malaise indéfinissable mais dont il n'arrivait pas à cerner exactement l'origine. Il ne pouvait pas s'empêcher de la trouver assez fascinante (un mot qu'il aimait tant) ni d'être mystérieusement, si ce n'était attiré, du moins retenu par elle.

Elle avait raison sur un point : il aurait pu partir depuis longtemps. Mais au fond de lui, une sorte de sentiment d'urgence et d'impatience le clouait là, comme si elle détenait la réponse à quelque question fondamentale et secrète qui pouvait changer toute sa vie. Étaient-ils voués à se rencontrer ? Sans doute pas. Mais James Kirk croyait au pouvoir des rencontres sur une vie, quelles que fussent les relations qui en résultent (ou n'en résultent pas, d'ailleurs).

Cette impatience s'intensifia quand il revint auprès d'elle en lui tendant du bout des doigts de quoi se restaurer un peu. Elle accepta en remerciant, les yeux baissés, regardant les deux sachets comme s'ils étaient des protubérances inconvenantes.

— Et les autres ? demanda-t-elle après un instant d'hésitation. Les autres prisonniers, je veux dire. Ils sont encore en vie ?

Ah, c'était ça ! Définitivement, cette fille était compliquée. La première chose qu'elle avait faite, c'était de l'avertir contre eux, et maintenant elle voulait savoir comment lui les avait traités ?… Il se demanda fugitivement si elle craignait pour son propre sort pour qu'elle réagisse ainsi envers lui comme s'il n'était qu'un suspicieux vaisseau romulien. Alerte rouge, levez les boucliers, torpilles à photons parées… Allons, comment ces larges yeux fendus en amande qui le fixaient au point d'en être intimidants ne pouvaient-ils pas deviner qu'il n'était pas – et ne serait fondamentalement jamais – un danger pour le beau sexe ? Pensait-elle qu'il pourrait vouloir abuser d'elle ? C'était grotesque. Mais peut-être avait-elle eu des difficultés de cet ordre en milieu carcéral ? Il réalisa subitement qu'elle attendait sa réponse, avec une certaine anxiété.

— Pas sûr, soupira-t-il, déstabilisé à l'idée d'être pris pour un prédateur sans foi ni loi. Hier, après votre hypothermie, j'ai connecté les deux sas pour partager l'oxygène de ma navette et limiter la chute de température. Il fait environ douze degrés, pas plus mais c'est mieux que rien. J'ai aussi ramené quelques rations comme celles-là, mais quand j'ai voulu en donner aux prisonniers, ils se sont montrés effectivement très déraisonnables et j'ai dû leur tirer dessus pour me défendre…

— Vous les avez tués ?

— Non pas du tout, protesta-t-il avec surprise en voyant que ses questions ne lui accordaient pas grand crédit. Mon phaseur était réglé au minimum… J'ai jeté les rations sur eux et refermé la porte vite fait. Mais je ne suis pas certain qu'ils aient eu assez chaud, derrière cette cloison.

— Quand la nouvelle navette à destination du pénitencier est-elle censée arriver ?

— On n'a pas su me dire mieux que "dans quelques heures". Êtes-vous donc si pressée de vous débarrasser de moi ?

La jeune femme ne répondit pas tout de suite, ce qui lui laissa le loisir d'imaginer qu'il se trouvait face à un cas très sévère de faillite complète de son offensive de charme. Elle le considéra calmement et répondit :

— Non, une prison en vaut bien une autre...

— J'ose pourtant croire que la compagnie sera meilleure, répondit-il avec un sourire éclatant.

Elle ne livra aucune confirmation polie, s'assit en tailleur, le dos exceptionnellement droit (ce qui lui conférait une sorte de port de danseuse classique), ouvrit la ration protéinée et commença à la mâcher par petites bouchées délicates et presque appliquées. Il ne savait pas que son estomac était noué et déjà habitué à des nutriments moins riches.

Et alors qu'il pensait qu'elle allait se réfugier dans un mutisme complet, elle le surprit en demandant entre deux mastications :

— Puisque vous n'avez manifestement aucune intention de partir, puis-je savoir comment vous avez l'intention de passer le temps ?

— Oui ! Discutons ! s'exclama-t-il en s'asseyant à son tour.

— Je préférerais méditer...

— Méditez tout haut avec moi alors.

Elle lui jeta un regard de biais en avalant un peu de gel hydratant.

Insensiblement, elle avait adopté une position plus tendue et ne le quittait plus des yeux. Son air de fauve prêt à bondir empêchait le jeune homme d'en tirer les satisfactions égotiques habituelles. Puis elle inclina la tête de côté, comme si elle prévoyait de lui laisser une dernière chance avant de demander d'une voix glaciale :

— Qu'est-ce que vous attendez de moi, lieutenant ?

Malgré lui, cette question très directe le fit rougir, il s'invectiva en silence car cela lui donnait l'air coupable, en plus de jeune et idiot. Bien sûr qu'il voulait quelque chose d'elle mais pas ce qu'elle craignait.

— Ok, cela va sans doute vous paraître déplacé, parce qu'en fait, je n'y ai pas vraiment réfléchi. Et je comprendrais si vous m'envoyiez sur les roses, mais je voudrais, enfin… j'aimerais... que vous me parliez de votre expérience, si vous voulez...

Pas certaine de pouvoir être soulagée, elle secoua la tête en le regardant avec une expression à la fois lasse et perdue.

— Mon expérience ? Mon expérience de quoi ?

— De capitaine… temporaire ?

Le beau pli de sa bouche pleine prit une forme indubitablement amère, choquée et peut-être méprisante. Cela ne dura qu'un instant avant qu'elle ne se recompose un masque incroyablement dur. Il sut ainsi qu'il avait été mal compris et qu'il venait de la blesser dans des proportions qu'il ne savait pas évaluer, lorsqu'elle siffla d'un ton venimeux :

— Est-ce que vous êtes donc comme ces requins qui flairent le sang sur des kilomètres ? C'est ça que vous voulez, vous repaître de mon malheur et de ma défaite ?

Écarquillant les yeux, le jeune homme désolé ouvrit la bouche et réagit de façon totalement imprévue (et non vulcaine) : il se rapprocha d'elle d'un bref mouvement et s'assit sur ses talons, tout près, dans une posture légèrement implorante. Son premier réflexe, peut-être plus équivoque encore que sa question, fut d'initier un contact avec la paume qui la fit se raidir instantanément. Il la retira presque immédiatement en réalisant que l'intention derrière son geste pouvait également être sujette à interprétation et il grimaça d'impatience.

— Non, non, non ! Je suis navré. Je suis… très maladroit avec vous. Ce n'est pas du tout ça… Je voulais…

La suite, il ne la vit pas venir.

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Note de l'auteur

[1] D'apparence humaine, les Betazoïdes ont le plus souvent des iris noirs.

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