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Chapitre 9 : Equation à trois inconnues

4747 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/02/2021 15:24

Chapitre 9 – Equation à trois inconnues


Lorsque le capitaine Kirk, sur le ton d’un homme habitué à commander et à être obéi, leur avait ordonné de se réunir dans un endroit plus approprié à la discussion qu’une salle de bains, tout le monde avait migré vers le salon. Sheldon Cooper s’était jeté sur l’extrémité gauche du canapé sans aucune considération pour personne, tandis que Leonard Hofstadter, plus civil mais incapable d’articuler un seul mot tant la situation l’émouvait, avait respectueusement indiqué à Kirk l’unique fauteuil et avancé des chaises pour ses autres « invités ».

Pendant ce temps, Leonard Nimoy sentit un bras se glisser sous le sien et le soutenir légèrement.

– Vous vous sentez bien ? demanda brusquement, mais non sans sollicitude, une voix rocailleuse, à l’accent du Sud fortement prononcé.

Le vieil acteur se tourna vers le docteur McCoy, la gorge étreinte par une émotion indescriptible. Il ne ressemblait pas à l’homme qui lui avait donné la réplique durant trois saisons et six films, et qui, au fil des ans, était devenu son ami – pas plus que le « vrai » Kirk ne ressemblait réellement à William Shatner. Et pourtant… pourtant… quelque chose d’indéfinissable…

– Asseyez-vous, intima le médecin en le guidant fermement vers le canapé.

Leonard Nimoy ne protesta pas et se laissa tomber le plus loin possible de Sheldon Cooper, qui le regardait d’une façon étrange.

– Si vous vous sentez mal, vous devez prendre une boisson chaude, affirma péremptoirement le jeune homme. Leonard, fais du thé pour M. Nimoy ! [1]

Il voulut protester, mais aucun son ne sortit de sa bouche. En face de lui, debout, à côté du fauteuil où s’était installé le capitaine, Spock le fixait de son regard perçant, et il lui semblait se revoir, lui-même, de quarante ans plus jeune, raide et compassé, sur le plateau de tournage, en train de se demander s’il rendait ou non justice à l’original qu’il était alors bien certain de ne jamais rencontrer…

Bien certain, vraiment ?

Il lui semblait à présent que sa vie toute entière avait été dirigée vers cet instant précis, au terme de cette journée surréaliste durant laquelle il n’avait été capable d’anticiper aucun événement – comme si, d’une certaine façon, il avait toujours su qu’il se retrouverait un jour dans ce salon, en face de son double vulcain, et qu’il devrait rendre des comptes et enfin, enfin, passer à quelqu’un d’autre le fardeau qui pesait lourd sur ses épaules depuis plus de quarante ans.

40,39 ans, aurait probablement corrigé Spock. Mais, il l’avait assez répété, il n’était pas Spock.

Quelqu’un lui glissa une tasse fumante dans la main, et la fragrance épicée du thé le ramena à la réalité. Il releva la tête pour constater que tous les regards étaient concentrés sur lui. Assis sur le canapé, comme un rempart entre le vieil homme et le jeune physicien, le docteur McCoy avait sorti son tricordeur et en examinait le petit écran, les sourcils froncés.

– Vous vous ressemblez tellement que c’est presque perturbant de voir des constantes normales apparaître sur cet appareil, marmonna-t-il.

Le premier officier saisit la balle au bond :

– Vraiment, docteur, votre conception anthropocentrique de la normalité demeure extrêmement limitée.

– Pas aussi limitée que votre compréhension de l’âme humaine, répondit le médecin en levant les yeux au ciel. Buvez un peu de thé, ajouta-t-il plus gentiment à l’intention de son voisin.

Leonard obéit machinalement, tout en notant les regards éperdus des quatre geeks face à l’interaction purement Star Trekkienne dont ils venaient d’être les témoins. Il devait lui-même avouer qu’entendre le dialogue entre le médecin et son propre double était particulièrement déstabilisant. La boisson chaude et sucrée acheva de lui faire recouvrer ses esprits.

– Monsieur, déclara le capitaine avec une courtoisie qui n’était pas exempte d’autorité, si vous vous sentez assez bien pour nous faire le récit de la façon dont vous êtes arrivé en possession de cette… chose (il désignait le PADD que l’un des trois jeunes hommes devait lui avoir donné ; Howard fixait l’objet avec des yeux exorbités, tandis que Rajesh, au contraire, détournait ostensiblement le regard avec si peu de discrétion que le vieil homme eut envie de s’arracher les cheveux), je vous serai très reconnaissant d’éclairer notre lanterne. Il me semble que vous êtes, dans cette assemblée, le mieux à même de nous renseigner sur ce qui a permis d’envoyer Monsieur Cooper dans le futur. D’après notre… invité surprise, ce PADD vous appartient ?

Leonard hocha la tête et prit une profonde inspiration. Le moment était enfin venu, et il s’en sentait incroyablement soulagé.

– En 1965, Gene Roddenberry, qui était alors un scénariste relativement connu dans le petit monde d’Hollywood, mais totalement inconnu du grand public, est venu me trouver chez moi pour me proposer un projet de série de science-fiction qui l’enthousiasmait. Bien évidemment, moi qui courais les cachets et ne travaillais jamais plus d’une semaine pour la même personne, j’étais ravi à l’idée d’avoir un travail assuré pour plusieurs mois, mais l’homme, que je ne connaissais pas, me semblait étrangement insistant et me regardait avec un enthousiasme qui m’a rendu méfiant. Je n’étais ni connu, ni très doué… (protestation immédiate, unanime et véhémente de la part des quatre geeks, qui, contre toute attente, lui fit chaud au cœur), je n’avais aucune relation dans le milieu, bref, je ne comprenais pas pour quelle raison il voulait absolument m’avoir, moi, pour un rôle aussi majeur que celui du commandant Spock. Plus je l’interrogeais, plus il se dérobait, plus je trouvais l’affaire étrange. Pour finir, voyant que j’avais flairé quelque chose de louche, il a haussé les épaules et a tiré d’un large sac l’objet que vous tenez entre les mains.

Kirk baissa les yeux vers l’appareil. De nouveau, les trois jeunes gens se tendirent dans leurs sièges respectifs. L’acteur ignorait s’ils avaient déjà effectué l’échange et redoutaient que le capitaine ne s’aperçoive de la supercherie, ou bien s’ils n’avaient pas encore osé et appréhendaient le moment où ils devraient remplacer le PADD par son substitut (au demeurant étonnamment bien réalisé par le jeune Wolowitz).

– Qu’est-ce qui lui est arrivé ? demanda le capitaine en désignant l’écran brisé.

– Euh… j’ai… marché dessus en rentrant à l’appartement hier soir, avoua piteusement Leonard Hofstadter, et comme quatre paires d’yeux se tournaient vers lui (celles de Sheldon Cooper exprimaient l’horreur la plus absolue), il poursuivit pour se justifier : Sheldon l’avait laissé au beau milieu du salon, sous un tas de feuilles volantes ! Je ne l’ai pas vu !

Kirk lui fit un signe signifiant « c’est sans importance » et, délaissant le PADD (Howard poussa un soupir parfaitement audible), se tourna de nouveau vers Leonard Nimoy.

– Que s’est-il passé ensuite ?

– Il l’a allumé, répondit le vieil homme, et m’a dit de regarder.

Il se souvenait encore, avec une précision que les années n’avaient pas émoussée, de ce qu’il avait ressenti à cet instant, lorsqu’il avait pour la première fois saisi cet objet fait d’une matière inconnue, lisse et légèrement tiède au toucher, et aperçu son propre visage sur l’écran noir, sur la photo d’une qualité parfaite, bien au-delà des capacités techniques de son époque.

– « Je veux que ce soit vous parce que vous êtes son portrait craché », m’a dit Gene en riant. Et, de fait, le visage que je voyais sur l’écran était bel et bien le mien, si l’on faisait exception des oreilles et des sourcils… et de la coiffure, ajouta Leonard après une hésitation, en regardant presque timidement vers Spock.

Ce dernier se contenta d’un signe de tête poli, et l’acteur reprit :

– Il m’a fallu du temps pour admettre que ce que je voyais n’étais pas un habile trucage – d’ailleurs impossible à réaliser, à cette époque où nous n’avions pas Photoshop ni aucun autre moyen de retoucher efficacement des images. J’ai bien évidemment réclamé des explications, et ces dernières m’ont laissé stupéfait : Gene affirmait avoir été contacté par un peuple extra-terrestre, les Vulcains, qui lui avaient confié une mission capitale pour l’avenir de la Terre.

.

Kirk avait l’habitude des situations étonnantes et même incroyables. Cependant, abasourdi par l’énormité de ce qu’il venait d’entendre, il se figea. Une sorte de cri étranglé provenant de l’endroit où se trouvait Bones lui prouva qu’il n’était pas le seul à être stupéfait. Machinalement, Jim leva les yeux vers Spock, qui n’avait pas bronché, et se demanda, l’espace d’un instant, ce que pouvait bien ressentir le premier officier à l’idée que son probable ancêtre, assis sur un canapé à moins de deux mètres de lui, avait peut-être été choisi par son peuple pour une obscure raison. Mais ce que Spock ressentait demeurait, comme toujours, soigneusement dissimulé sous une impassible façade.

– Les Vulcains lui auraient donné ce machin ? s’écria le médecin sur un ton incrédule. En 1965 ? Ça ne tient pas debout ! Le Premier Contact a eu lieu cent ans plus tard !

– En 2063, précisèrent dans un bel unisson les quatre jeunes humains.

Kirk demeura un instant bouche bée, tandis que le regard de Bones allait de l’un à l’autre avec une incrédulité un peu hagarde. Décidément, il fallait qu’ils mettent la main sur cette fichue série, pour évaluer l’ampleur des dégâts.

Leonard Nimoy reprit calmement la parole sans se formaliser de cette interruption.

– Je me contente de vous expliquer ce qui m’est arrivé. Il vous appartient d’en juger la véracité. Bien évidemment, je n’ai pas cru Gene immédiatement, je me suis dit qu’il était fou, ou bien qu’il me faisait une blague. Mais au fur et à mesure, il m’a expliqué comment fonctionnait le PADD, et j’ai bien été obligé de constater qu’il ne me mentait pas sur un point : cet objet permettait d’accéder à un certain nombre de données pour le moins troublantes. J’aurais certes pu croire à un canular particulièrement bien agencé, mais…

Le vieil homme secoua la tête, visiblement perdu dans des souvenirs intenses.

– Vous l’avez cru, conclut doucement McCoy.

– Oui, je l’ai cru et je lui ai demandé des précisions. Il semblait soulagé de pouvoir partager avec moi ce qui avait été, pendant des mois, un secret bien difficile à garder. Il avait été abordé, l’année précédente, par trois « hommes » qui lui avaient révélé être des extra-terrestres venus incognito sur Terre pour… disons préparer les humains à un prochain contact.

Kirk écarquilla encore davantage les yeux. Toute cette histoire lui semblait passablement saugrenue, et plus encore le fait qu’il s’agisse de Vulcains. Depuis quand l’espèce la plus logique de l’univers s’amusait-elle à intervenir, au mépris le plus élémentaire de la Première Directive qu’ils avaient eux-mêmes théorisée, dans les civilisations moins avancées que la leur ?

– Ca ne ressemble pas vraiment aux Vulcains de faire ça, fit alors remarquer assez innocemment le dénommé Leonard Hofstadter.

– Je ne manquerai pas de le leur dire la prochaine fois que j’en croiserai, rétorqua sèchement l’acteur. Peut-être décideront-ils alors d’agir de manière plus logique.

Le jeune homme se recroquevilla sous le regard sévère de son interlocuteur, qui n’avait rien à envier à celui de Spock les jours où il avait décidé d’effrayer l’équipage. (Parce que oui, ça arrivait.)

– Je peux continuer, ou bien peut-être voudriez-vous raconter à ma place ?

Pendant que le vieil homme leur résumait la façon dont les Vulcains avaient présenté les choses à Gene Roddenberry (ils avaient argué de la nécessité de véhiculer un message de paix et d’harmonie sur une planète ravagée par des luttes internes raciales et sociales parfaitement illogiques), le capitaine leva les yeux vers son premier officier. Ce dernier, qui écoutait avec attention le récit de son probable ancêtre, esquissa un léger mouvement de tête, imperceptible pour quiconque ne le guettait pas. Spock était pour le moins dubitatif, mais il était clair que Leonard Nimoy ne mentait pas. L’émotion qu’il avait probablement ressentie près de quarante années plus tôt était encore parfaitement audible dans sa voix. De plus, la présence du PADD semblait attester d’un contact entre une civilisation extra-terrestre et la Terre des années 60.

– De fait, Star Trek se voulait être un plaidoyer pour l’égalité des hommes et des femmes et celle des peuples, la tolérance, l’ouverture d’esprit, reprit l’acteur. Nous nous sommes heurtés à d’immenses difficultés dès le début du projet, mais je pense que notre travail a pu… peut-être… contribuer à diffuser un message positif. Si vous saviez le nombre de lettres que nous avons reçues à l’époque, le nombre de gens qui, stigmatisés pour mille raisons dans leur quotidien, nous ont dit avoir repris courage grâce à nous…

Les quatre jeunes hommes acquiescèrent avec vigueur. Jim hocha la tête.

– Votre projet était certainement parfaitement louable, déclara-t-il, et je ne doute pas qu’il ait été une réussite, mais l’idée même que des Vulcains aient pu vous contacter me semble… inconcevable.

– Je le comprends, répondit gravement le vieil homme. Je n’en sais pas plus que ce que je vous ai dit. A moi aussi, toute cette histoire m’a semblé invraisemblable, et pourtant… Les Vulcains nous ont donné un accès, certes limité mais parfaitement réel, au futur. Ce PADD (il désigna l’appareil que Kirk avait posé devant lui, sur la petite table basse) fonctionne comme une fenêtre sur l’avenir, un tunnel permettant d’avoir accès aux journaux de bord d’un seul et unique vaisseau de la Fédération…

– … l’Enterprise, compléta Jim à mi-voix. Mais que…

– Oh mon Dieu, l’interrompit alors le jeune Indien en portant ses mains à sa bouche. Vous imaginez que sans cet objet, nous n’aurions jamais pu voir aucun Star Trek ?

Une triple inspiration horrifiée indiqua ce qu’en pensaient ses acolytes. Jim, qui n’était pas loin de penser que tout ce petit monde, à l’exception du vieil homme, était complètement fou, ne releva pas et reprit :

– Mais que cherchaient-ils en vous montrant l’avenir ? A vous prouver que l’union est préférable à la mésentente ?

M. Nimoy haussa les épaules.

– Je n’en sais rien. Nos instructions étaient les suivantes : montrer le futur de la Terre à nos contemporains afin de les préparer à un premier contact plus ou moins lointain, par le biais de la fiction.

– Cela ne ressemble pas vraiment aux Vulcains, marmonna McCoy.

Le médecin se passait distraitement le pouce sur les lèvres, signe chez lui d’incompréhension totale.

– Mais pourquoi n’avez-vous pas clamé la vérité sur tous les toits ? demanda le jeune Wolowitz. Si demain on me donnait un artefact venant du futur, je serais bien incapable de le garder secret !

La question était pertinente, ce qui étonna Kirk. Peut-être, après tout, étaient-ils capables d’éclairs de lucidité.

– Cela n’a pas été facile, répondit l’acteur avec un sourire. Nous avons passé en revue toutes les options, et avons décidé de nous en tenir à la stricte fiction. Imaginez ce qui se serait passé si le gouvernement américain avait eu connaissance de l’existence des Vulcains à cette époque ! Les humains ne sont pas une espèce très logique, ajouta-t-il avec un humour un peu amer. Il y a fort à parier qu’ils se seraient disputés cette nouvelle technologie, que chaque peuple aurait cherché à devenir l’interlocuteur privilégié d’hypothétiques aliens bienveillants. Les Vulcains avaient raison d’agir avec discrétion : nous n’étions pas prêts à les rencontrer. Nous ne le sommes d’ailleurs toujours pas. Je ne suis pas certain que de réels progrès aient été réalisés depuis les années 60…

Un silence pesant suivit cette déclaration peu réjouissante.

– Lorsque Gene est mort, reprit Nimoy avec un effort visible, il m’a légué ce PADD avec pour mission de le dissimuler. Je n’ai pas pu m’empêcher de le ressortir de temps en temps.

– Vous voulez dire que tout ce qui se passe dans les films est vrai aussi ? hurla Sheldon Cooper d’une manière quasiment hystérique.

Le vieil homme hocha la tête avec résignation. Kirk ignorait quelle était sa relation exacte avec cette maison de fous, mais il semblait s’être habitué à l’atmosphère… particulière qui régnait ici.

– Oh mon Dieu, répéta l’Indien.

– Vous avez eu accès à tous les journaux de bord ? demanda Jim avec hésitation.

– Oui, depuis les débuts du vaisseau jusqu’à…

Il s’interrompit brusquement.

– Il ne m’appartient pas de vous révéler votre avenir, se reprit-il.

Les quatre autres humains du XXIème siècle s’agitèrent alors nerveusement sur leurs sièges, et le capitaine eut la désagréable certitude que ces cinq-là connaissaient sur l’Enterprise et ses occupants beaucoup de vérités dérangeantes. Il crut percevoir dans le murmure qui suivit quelque chose qui sonnait comme « Genesis ». [2] Spock avait probablement mieux entendu que lui, et il se fit une note mentale de lui poser la question par la suite.

– Je ne vous le demande pas, répondit Jim. En admettant que vous m’ayez dit la vérité, il nous reste cependant deux problèmes à régler : pour quelle raison les Vulcains ont-ils procédé à ce contact totalement irrégulier, et comment cette « fenêtre » sur l’avenir s’est-elle miraculeusement transformée en porte ?

Les regards convergèrent vers Sheldon Cooper, qui eut le bon goût de paraître légèrement gêné.

.

En toute autre circonstance, Spock eût été fortement intéressé par la manière dont le jeune physicien, futur prix Nobel, s’y était pris pour transformer un objet dont il ignorait tout de la composition en un portail temporel parfaitement viable (ce qui était en soi un exploit jamais égalé), mais son esprit demeurait préoccupé par ce qu’il venait d’apprendre. Il n’était pas dans les coutumes de son peuple de s’immiscer dans les affaires d’autrui, et ce de manière aussi étrange et dangereuse qu’en dévoilant à une civilisation moins avancée que la leur une partie de leur avenir.

A côté de lui, le capitaine, devenu tout rouge, essayait d’extorquer une réponse à Sheldon Cooper à propos de son bond dans le temps. Le jeune homme, les bras croisés sur son torse, refusait catégoriquement d’expliquer comment il était venu en possession du PADD et comment il l’avait transformé. La situation, comme si souvent avec cet impossible humain, semblait totalement bloquée, mais c’est alors que Leonard Nimoy intervint posément dans la conversation :

– Monsieur Cooper, si vous ne nous expliquez pas immédiatement ce que vous avez fait, je porte plainte contre vous pour vol (un regard au jeune physicien suffisait à prouver qu’il se moquait totalement de cette menace) et je vous fais exclure de toutes les comic-cons des Etats-Unis. Vous imaginez bien que j’ai la possibilité de le faire sans que cela me coûte le moindre effort.

Le regard hautain du jeune homme prit soudain, inexplicablement (Spock n’avait même pas compris ce dont il était question), une expression de profonde angoisse, tandis que ses trois amis ouvraient la bouche dans un même geste horrifié.

– Vous… Vous n’oseriez pas, balbutia-t-il.

Le vieil homme se contenta de lever un sourcil, et Sheldon Cooper déglutit péniblement, les yeux exorbités. Quelle que fût la menace, et pour incompréhensible qu’elle parût aux visiteurs du futur, elle était efficace.

– Commencez donc par nous raconter comment vous avez dérobé chez moi un artefact d’une grande valeur, poursuivit l’acteur sans sourciller. Comment avez-vous pu savoir où chercher ?

Un sourire presque enfantin apparut sur les lèvres du physicien. Spock s’émerveilla, pas pour la première fois, de la complexité de l’esprit humain.

– J’ai trouvé sur Internet la vidéo – de très mauvaise qualité – d’une conférence où vous-même et de DeForest Kelley avez parlé de Star Trek en 1986. A un moment, quelqu’un dans le public a demandé à DeForest Kelley si vous étiez plus humain ou plus Vulcain dans la vie. Il a répondu en riant qu’il était certain que vous aviez un véritable contact avec les Vulcains et que vous conserviez jalousement un PADD dans le secrétaire de votre salon, un PADD qui vous permettait de communiquer avec les Vulcains et de vous inspirer de leurs inflexions de voix et de leurs moindres gestes. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’une tentative d’humour, mais vous avez alors paru très mal à l’aise et vous vous êtes empressé de détourner la conversation. J’en ai déduit que cette déclaration n’était pas si anodine et j’ai voulu vérifier cette hypothèse.

– Que s’est-il passé ensuite ? demanda Kirk.

Spock était certain qu’il n’avait pas compris un mot de la conversation. Lui-même n’était pas sûr d’en avoir saisi la moitié.

– M. Cooper s’est introduit chez moi sous un prétexte fallacieux, et, pendant que je m’étais absenté, a fouillé le fameux secrétaire où je dissimulais en effet ce PADD légué par Gene Roddenberry, répondit Leonard Nimoy, les lèvres serrées.

Kirk décida de ne pas chercher à creuser la manière dont le physicien avait dérobé l’artefact – ce qui, selon le premier officier, était une sage décision, car une demande d’explication, faute d’un point de références communes, était nécessairement vouée à l’échec – et se concentra sur ce qui était advenu par la suite :

– Donc, vous avez pris le PADD et… et après ?

– Je suis rentré chez moi, répliqua Sheldon, et j’ai examiné l’objet.

– ET ? insista Jim, qui commençait à perdre patience. Vous avez immédiatement compris ce qu’il permettait de faire, étant donné votre intellect supérieur ?

– Oui.

La réponse manquait certes d’humilité (le sarcasme du capitaine était passé totalement inaperçu aux yeux du jeune humain, alors que même le Vulcain l’avait nettement perçu) mais avait le mérite d’être claire.

– Pourriez-vous nous apporter quelques précisions ? demanda Spock, voyant que son supérieur était au bord de la crise d’apoplexie.

Il avait remarqué que le docteur Cooper était généralement moins réticent à lui répondre, à lui, plutôt qu’à aucun autre membre de l’équipage.

– J’ai écouté plusieurs journaux de bord avant de réaliser que, si le transfert d’informations était possible dans un sens, il l’était nécessairement dans l’autre. Il suffisait, d’une certaine façon, d’inverser les flux.

– Vous savez aussi bien que moi qu’une telle chose est impossible, répondit le Vulcain, toujours impassible. Cela signifierait que vous ayez inventé, avec cent ans d’avance, la théorie de la téléportation, couplée avec celle du voyage dans le temps, qui n’est possible à mettre en pratique qu’à l’aide de l’énergie d’une étoile.

Sheldon ouvrit la bouche, prit une inspiration, souffla par le nez, et lança finalement :

– La vérité, c’est que… que je ne sais pas ce qui s’est passé !

– Qu’est-ce que tu veux dire ? s’écrièrent en chœur ses trois amis.

– J’étais tellement excité par ma découverte que j’ai trébuché en allant à la salle de bains et que je me suis cogné la tête contre la cuvette des toilettes, avoua le jeune homme à voix basse. [3]

Tout le monde était suspendu à ses lèvres, mais personne ne s’attendait à une telle chute (dans tous les sens du terme et sans mauvais jeu de mots).

Eeeeet ? demanda McCoy, qui avait depuis longtemps franchi la ligne rouge de sa patience (oui, Spock savait faire des métaphores, dans un coin bien dissimulé de son esprit).

– Et j’ai vu… j’ai compris… la formule s’est matérialisée devant moi et j’ai su ce que je devais faire, conclut piteusement le jeune génie.

– Vous seriez capable de le refaire ? demanda prudemment Kirk.

– … Non.

L’aveu lui en coûtait, mais il était évident qu’il ne mentait pas : la déception était inscrite sur chacun des traits de son visage.

– Laissez-moi résumer, reprit Leonard Nimoy : vous vous êtes introduit chez moi dans le but de me voler un PADD dont vous n’étiez pas certain de connaître l’existence, puis vous l’avez transformé suite à une vision que vous avez eue en vous cognant la tête, et vous avez ainsi réussi à vous téléporter deux cents cinquante ans dans le futur ?

– … Oui.

Le vieil homme leva les yeux au ciel avec un soupir, résumant l’opinion de toutes les personnes sensées présentes dans cette pièce. (Les trois jeunes gens, quant à eux, regardaient leur ami avec une admiration incrédule.)

– Ce n’est pas plus stupide que le début de Retour vers le futur, fit remarquer le dénommé Rajesh. Après tout, Emmet Brown découvre le connecteur temporel en se cognant la tête contre sa chasse d’eau.

Les trois autres opinèrent du chef, pendant que le docteur McCoy et le capitaine échangeaient des regards navrés et emplis d’incompréhension et que l’acteur se prenait la tête dans les mains avec un gémissement.

Spock, quant à lui, avait relégué l’information au second plan. La seule chose importante – dont il faudrait s’assurer, bien évidemment – était que Sheldon Cooper fût à présent incapable de voyager de nouveau dans le temps. Ils avaient résolu les deux tiers de leur équation, mais une inconnue demeurait toujours, et le premier officier se demandait combien de temps il faudrait à son supérieur pour comprendre qu’ils devraient aller en chercher la réponse sur Vulcain.



[1] La mère de Sheldon lui a appris que quand quelqu’un est triste ou ne va pas bien, il faut lui apporter « une boisson chaude ». Coup de chance cette fois-ci, c’est du thé, mais parfois, c’est un bouillon de poulet.


[2] Genesis est la planète créée à la fin de The Wrath of Khan, 2ème film de la franchise et traumatisme pour les fans hardcore qui l’ont vu sur grand écran à l’époque puisque Spock meurt à la fin en se sacrifiant pour le vaisseau.


[3] Je n’ai pas pu résister à cette petite référence à Retour vers le futur

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