De l'autre côté de la frontière

Chapitre 1 : Chapitre I — Une Altmer nommée Elenaril

3951 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/01/2022 11:46

Chapitre I

Une Altmer nommée Elenaril

 


Emmitouflée sous les énormes couvertures qui laissaient à peine entrevoir son visage rond, l’enfant attira l’attention de l’adulte qui veillait sur elle.

« Dis, Octavia, tu me lis une histoire ? »

L’employée de maison – femme à tout faire était un terme plus approprié puisqu’elle s’occupait aussi bien du ménage et de la cuisine que de la garde de la petite – tira jusqu’au bord du lit une chaise de bois qui attendait là dans un coin de la pièce seulement éclairée par quelques bougies, et s’y installa.

« S’il te plaît… » supplia la petite fille en écarquillant ses yeux verts, convaincue que cela aurait raison de l’adulte.

Et en effet, il ne fallut que quelques secondes de plus pour que l’Impériale entre deux âges ne se penchât davantage vers elle, et ne lui demandât d’une voix douce, maternelle, quelle histoire elle voulait entendre.

« Celle de la magicienne !

— Encore ? Mais tu la connais déjà par cœur !

— Mais elle est si bien… S’il te plaît… »

Décidément. Comment refuser à la fille de la maîtresse de maison son histoire préférée ?

Quoi qu’il en fût, quand bien même la petite savait déjà lire et pouvait réciter de mémoire les moindres mots du livre tant elle l’avait dévoré, la femme à tout faire attrapa l’épais ouvrage qui reposait sur la table de nuit. Une couverture de cuir soigneusement reliée, des pages faites du papier le plus cher qui se trouvait sur le marché, l’ouvrage transpirait la richesse et le luxe – tout comme la demeure dans laquelle il se trouvait. Voilà un livre qu’elle ne pourrait jamais se procurer avec son petit salaire d’employée de maison.

« Et puis c’est toujours mieux quand c’est toi qui lis ! Tu sais mettre le ton et faire les voix des personnages ! »

La dénommée Octavia soupira. Le sourire quelque peu édenté – en avait-elle perdu une nouvelle alors qu’elle ne la regardait pas ? – de la petite Impériale, héritière de toute une lignée dont la mère se vantait de la pureté du sang, ne pouvait que la faire céder. Et si elle refusait, elle était bonne pour essuyer à la fois un caprice de l’enfant et un blâme de l’employeur. Dans tous les cas, l’issue était la même, qu’elle le voulût ou non.

« Alors installe-toi bien, et tends l’oreille. Je vais te raconter une histoire fantastique, avec des magiciens et des créatures étranges. »

L’enfant se blottit un peu plus contre les édredons, et fit savoir à sa narratrice qu’elle était prête à se plonger, une fois de plus, dans son conte préféré.

 

 

L’histoire que je m’apprête à vous relater, dans ce journal, n’est que la pure vérité. Tous ces événements ont eu lieu, et m’ont été narrés par le fantôme de ma défunte mentor.

Moi, Myrdin, héritier de la grande Elenaril Danelis, grande mage reconnue de la Guilde, me dois de vous relater les prouesses dont elle a été capable, et les découvertes majeures qu’elle a ainsi faites.

Le Thalmor a de nombreuses fois tenté d’étouffer ses recherches, et de lui dérober ses connaissances, il est de mon devoir de les partager afin de faire perdurer la mémoire de mon ancêtre.

 

— Un nouveau monde au bout des doigts, introduction ; Myrdin Torven – 3E 338.

 

 

Les rayons du soleil perçaient à travers les fins rideaux tirés, baignant la chambre d’une douce lueur d’aurore. Le calme apaisant du début de matinée, doux mélange d’effluves de rosée et de chants d’oiseaux, contrastait nettement avec le désordre qui régnait dans la pièce. Des robes disséminées aux quatre coins, jetées là sur des meubles ou bien à-même le sol, une quantité affolante de livres placés les uns sur les autres formant une pile à l’équilibre précaire, ou encore le doux ronflement de l’occupante des lieux, affalée sur son bureau, la bougie qui l’avait éclairée pendant ses lectures nocturnes ne formant plus qu’un maigre tas de cire fondue au creux de la coupelle. La mèche s’éteignit dans un faible bruit de protestation lorsqu’elle fut submergée du liquide gras, et laissa pour seule trace de sa combustion un mince filet de fumée noirâtre, ainsi qu’une légère odeur de brûlé.

L’Altmer qui sommeillait là, dans cette position tout sauf confortable, s’était assoupie sur un exemplaire d’un ouvrage signé Midara Salvaticus, historienne sortie de l’université de Gwylim, et qui avait traversé les âges et les contrées pour atterrir entre ses mains. Empruntés à la bibliothèque de la Guilde des Mages qui se situait sur l’île d’Eyévéa, les nombreux livres qui jonchaient son bureau et son sol, faisant blêmir de jalousie le tapis qui décorait moins bien le parquet que leurs couvertures reliées, traitaient tous, sans exception d’histoire. Archipel de l’Automne, de Cyrodiil ou encore du Marais Noir, chaque province peuplée par les Mers et les Mens avait droit à son ouvrage dédié – ou à une série en plusieurs tomes, tant l’Histoire était dense – et, si cela avait été possible, d’autres continents que celui de Tamriel se retrouvaient disséqués à travers ces pages recouvertes d’encre.

Elenaril Danelis était reconnue par ses pairs pour être à la fois une grande mage et une passionnée d’histoire en tout genre. Nul n’avait autant lu de livres qu’elle, et il n’y avait que peu de sujets qui l’intéressaient autant que de retracer l’évolution des peuples et des contrées, des civilisations et domaines bâtis à travers les âges et les ères. L’elfe fêterait bientôt ses cent douze ans – c’était à peine un tiers de l’espérance de vie moyenne des représentants de sa race – et avait dédié la moitié de sa vie déjà écoulée à l’apprentissage et la perfection des arts des arcanes. Illusion, conjuration et mysticisme étaient ses principales disciplines, et ses pairs l’admiraient pour la qualité des sorts divers qu’elle jetait. L’autre avait été tournée vers celui de l’Histoire, dont elle arrivait à son terme : il n’y aurait bientôt plus aucun livre qu’elle ne connaîtrait pas, plus aucun pan du passé écrit qui lui serait inconnu.

Que ferait-elle alors des deux siècles qu’il lui resterait encore à vivre ? La question ne s’était jusqu’alors jamais posée, et ce fut dans un sursaut à cette réalisation inconsciente qu’elle s’éveilla, non sans bousculer du bout du coude le petit carnet qu’elle gardait afin de noter les mystères qu’il lui restait encore à élucider, qui vint s’écraser au sol dans un léger bruit.

Passé l’instant de brouillard hantant son esprit, réalisant petit à petit où elle se trouvait, l’heure qu’il devait être – elle n’apercevait pas son horloge enchantée, où avait-elle bien pu disparaître encore ? – et dans quelle position désagréable elle avait passé sa nuit, elle finit par se lever de son fidèle fauteuil de bureau, et de s’étirer de tout son long. Le gargouillement de son estomac vide acheva son éveil, et elle dut lutter contre elle-même pour ne pas descendre au réfectoire du collège dans l’état débraillé qu’elle affichait. Troquant sa tenue confortable contre quelque chose de plus noble, plus habillé – et à la hauteur de la réputation qu’elle avait –, elle n’eut pas tellement le choix que de démêler activement les longs cheveux châtain et raides qu’elle avait oublié de tresser la veille pour s’épargner cette agaçante tâche. Un dernier coup d’œil dans le miroir fixé au mur de pierre lui renvoya un portrait fatigué, mais néanmoins présentable.

Pour une Altmer, elle remplissait tous les critères habituellement attribués à ce peuple. Fière, douée en magie, d’une stature haute mais néanmoins fine, elle ne se considérait pour autant guère hautaine – peut-être était-ce dû à sa trop grande curiosité envers le vivant et l’inanimé – et trouvait même qu’elle était très ouverte ; peu lui importait si son interlocuteur était l’Empereur de Tamriel, un chef orque ou bien un Bosmer quelconque, tant qu’elle pouvait en apprendre plus sur autrui grâce à ces échanges, elle en était ravie. Ce n’étant pourtant pas le cas de tout le monde autour d’elle. Combien de fois avait-elle été raillée dans sa jeunesse lorsqu’elle était vue plongée dans les livres d’histoire de l’Empire ? Les Altmers s’y opposaient, voulaient retrouver pour la plupart la domination altmeri du continent perdue au profit de celle des Mens. Si c’était pour détruire toutes traces des populations humaines qui avaient vécu en ces terres une fois celles-ci entre leurs mains, elle préférait de loin que la situation ne restât telle quelle.

La vie au collège de magie d’Eyévéa était si rigide, chaque jour étant rythmé par tant d’activités qu’il était surprenant de ne pas mourir d’épuisement, que même les moments comme celui du repas étaient pressants. Il fallait se rendre au réfectoire, se servir parmi les plats présentés, et se hâter de s’installer à une place sans perturber l’harmonie du lieu, que cela fût celle du silence ou celle de la symétrie des places occupées et vacantes. Ce n’était guère surprenant que certains Altmers préférassent quitter l’Archipel de l’Automne pour vivre plus « librement », mais il était difficile d’être autant reconnu en tant que mage si l’on n’appartenait pas à la Guilde de Magie, et si l’on quittait la terre natale des meilleurs parmi les meilleurs.

« Bonjour Elenaril, salua dans un murmure un ancien camarade de promotion, désormais enseignant dans les arts de la conjuration. Bien dormi ? Ou plutôt, bien lu toute la nuit ? »

Calindil avait été le compagnon de route de l’Altmer durant tout son apprentissage de la magie. Un Altmer parmi tant d’autres, étudiant au sein de la Guilde, au physique aussi banal que le sien, au futur probablement aussi classique que le sien. Ses yeux foncés semblaient percer les tréfonds de l’âme afin de la sonder et de découvrir toutes les pensées de son interlocuteur, mais à force de le côtoyer, Elenaril en avait l’habitude, et ne prêtait plus attention aux iris bruns qui la scrutaient.

« J’imagine que j’ai encore des traces des pages sur la joue, je me trompe ? fit-elle en massant ses pommettes pointues. C’est pas de ma faute, c’était si prenant que j’en ai oublié d’aller me coucher avant de m’endormir.

— Combien de livres te reste-t-il à lire avant d’avoir vidé la bibliothèque ?

— Celui-là est le dernier. Encore quelques pages et je n’aurai plus rien à me mettre sous la dent – enfin, l’œil, plutôt. »

Il sourit de plus belle, étirant ses fines lèvres de part et d’autre de son visage. Son nez, aussi pointu que ses oreilles et son menton, se fronça dans le même temps, et ses yeux se plissèrent. Une expression de joie habituelle, chez Calindil.

« Et qu’est-ce que tu vas faire après ça ? C’est pas comme si tu pouvais en apprendre plus par les livres, si tu les as tous lus.

— La meilleure des solutions serait de pouvoir me rendre moi-même sur place, soupira Elenaril en portant un petit pain croustillant à ses lèvres. Mais comment découvrir le passé s’il n’a pas été écrit ?

— N’y avait-il pas un mage banni de la Guilde parce qu’il avait tenté d’outrepasser les lois de la magie en tentant de voyager dans le temps ? À moins qu’à l’époque le Thalmor ne l’ait arrêté pour utiliser sa magie à son avantage et écraser les Mens… »

Calindil se plongea dans ses souvenirs, tentant de se remémorer correctement les rumeurs qui dataient de plusieurs siècles, mais qui parcouraient toujours les couloirs du collège avec autant de ferveur de la part des élèves qui la propageaient. En face de lui, Elenaril se figea, une idée aberrante lui traversant l’esprit.

Le mysticisme permettait la téléportation jusqu’à un point marqué d’un sort. Elle le savait, elle avait déjà profité de cet usage à quelques occasions. Mais le voyage dans le temps n’était-il pas une forme de téléportation d’un point à un autre, même si ces derniers ne se trouvaient pas sur la même temporalité, en opposition aux téléportations ? Ce ne devait être que quelques calculs à revoir, et un peu de magie supplémentaire à consommer pour lancer ce genre de sort. Mais si elle pouvait s’envoyer elle-même à travers les flots du temps, sous la forme éthérée d’un fantôme encore vivant, pour n’être que simple observatrice… Ne pourrait-elle pas ainsi découvrir des pans entiers de l’histoire passés sous silence, et en rédiger plus d’un livre ? Ainsi, sa soif de connaissances serait toujours un peu plus assouvie, et la bibliothèque de la Guilde n’en serait que plus remplie.

Combien de sorts oubliés pourrait-elle retrouver ? Combien de batailles pourrait-elle retracer ? L’exaltation d’une telle perspective lui en coupait presque l’appétit. Elle poursuivrait le travail qu’avaient entamé bon nombre d’historiens et de chercheurs avant elle. Elle pourrait marquer à son tour l’Histoire, grâce à son sort d’observation du passé. Voilà qu’elle en avait le vertige à cette simple idée.

« Eh, Elenaril ? Tu m’entends ? »

L’air irrité de Calindil lui fit clairement comprendre qu’en divaguant ainsi, elle l’avait complètement ignoré pendant plusieurs secondes.

« Excuse-moi, j’étais perdue dans mes pensées, fit-elle en avalant une gorgée d’eau fraîche. Tu disais ?

— Le mage Ehlark, fit-il en baissant le ton comme s’il craignait qu’on l’entendît. Il travaillait apparemment autrefois sur un projet de sort de voyage dans le temps, va savoir pourquoi. C’était à l’époque du premier domaine Aldmeri, vers l’an 600 de l’Ère Seconde, je crois bien. Quand le Thalmor l’a su, ils sont allés le chercher et on ne l’a plus jamais revu. On dit qu’ils ont tenté de changer le cours de l’histoire grâce à ses sorts, pour détruire l’Héritage Voilé qui leur avait causé du tort quelques années plus tôt. Crois-moi, tu devrais oublier cette histoire tout de suite et te trouver une nouvelle passion si tu ne veux pas devenir au mieux ennemie du royaume, au pire esclave à la solde du Thalmor. »

Elenaril ne craignait pas le parti politique qui avait longtemps été à la tête du royaume, mais elle devait admettre que cette perspective ne l’enchantait guère. La situation était tendue depuis plusieurs siècles désormais, et même si le gouvernement n’était officiellement plus lié au Thalmor, tous savaient que ses agents s’étaient glissés à travers tout le continent, ici et là, à l’affût du meilleur moment où frapper afin d’atteindre leur but. L’idéologie d’Aldmeris, une nation-état où les elfes domineraient tout le bas peuple comme aux premiers jours du monde, les animait, et l’Altmer craignait les conséquences qu’une telle domination de son peuple pouvait avoir sur la culture.

« Ne va pas t’imaginer que je suis assez folle pour faire ça, rit-elle doucement en terminant de déguster les morceaux de viande baignant dans une sauce relevée au fond de son assiette. Je me trouverai bien assez tôt une nouvelle passion pour occuper mes siècles encore à vivre. Voyager dans le temps n’est que rêverie d’enfants, j’ai passé l’âge, tu le sais bien. »

Croyait-il à ses mensonges ? Elle l’ignorait. Mais sitôt eut-elle fini son repas qu’elle se hâta de retourner dans ses quartiers privés. Une fois l’environnement nettoyé et rangé, les livres remis sur les étagères, classés par genre – histoire elfique, humaine, bestiale – puis par ordre alphabétique d’auteur et de titre, elle tira de son armoire de travail plusieurs parchemins, ainsi qu’une plume et un encrier.

La magie était une affaire de chiffres et de sensations. Le contrôle de l’esprit sur la puissance qui coulait naturellement dans ses veines ainsi que dans les artères de la planète ne pouvait s’opérer sans savoir un minimum ce que l’on s’apprêtait à faire. Lancer des boules de feu ou ériger une barrière magique pour se protéger des sorts relevait d’un niveau de novice : il suffisait de parvenir à modeler l’invocation de son choix – flammes, étincelles, pics glacés pouvant transpercer l’ennemi – et à maintenir cette forme suffisamment longtemps pour que cela fût efficace. Les invocations de familiers, d’esprits ou d’armes, étaient un peu plus retors, et consommaient plus d’énergie. Non seulement fallait-il avoir une idée précise de ce que l’on appelait – entre un atronach de feu et un simple chien fantomatique, il y avait une réelle différence de niveau – mais aussi l’invocateur devait-il pouvoir mobiliser assez de magie pour maintenir la présence physique ou éthérée de la créature assez longtemps pour qu’elle fût « utile ».

Dans son cas, Elenaril devait calculer avant de s’arrêter sur ses sensations. Voyager dans le temps, là où elle ne disposait d’aucun marqueur, n’était pas une mince affaire. Il fallait savoir où se rendre – en termes de lieux et temps, en prenant gare aux cassures du dragon qui pouvaient fausser les perceptions – et sous quelle forme. Le plus simple était de rester observateur du vivant, adopter une apparence de fantôme de l’esprit tandis que le corps resterait au point de départ. Les plus ambitieux, comme devait l’avoir été cet Ehlark, espéraient pouvoir envoyer aussi bien leurs corps que leur esprit au point d’arrivée, et Elenaril doutait que cela fût seulement possible.

Que se passerait-il si un voyageur du futur changeait le passé ? Si un individu tuait ses parents, cesserait-il d’exister sur l’instant ? Mais dans ce cas, il ne pourrait tuer ses parents. Ces sorts pouvaient-ils engendrer de tels paradoxes ? Elle espérait que non. Elle devait seulement s’assurer qu’il n’y aurait aucune embûche sur son chemin, et tout irait bien. Et en tant que simple observatrice du passé, elle ne craignait rien.

Trempant le bout de sa plume finement taillée dans l’encre noire, elle commença à griffonner sur son parchemin, notant schémas et calculs. Elle ne prêta nullement attention au soleil atteignant son zénith, haut dans le ciel de ce mois de plantaisons, ni à sa lente descente. Lorsque les lunes se hissèrent à leur tour dans la voûte céleste, brillant parmi les étoiles, elle avait déjà recouvert le sol de sa chambre de nombreux parchemins raturés, et venait d’achever le dernier qu’il lui restait. Dans un cri de victoire, elle se félicita d’être parvenue à une ébauche prometteuse de sort.

Impatiente de le tester, elle dut cependant se rendre à l’évidence : elle ne pouvait pas faire de suite un saut conséquent dans le temps. Elle aurait adoré assister à la révolte alessienne, menée par une esclave nédique, peuple à l’origine des ethnies brétonnes et impériales actuelles, mais cela s’était déroulé au troisième siècle de l’Ère Première, près de trente-six siècles auparavant. Il ne fallait pas être trop ambitieux – que lui arriverait-il si ses calculs s’avéraient erronés, et qu’elle débarquait physiquement de nulle part en pleine révolte, alors que les anciens Mens éradiquaient les anciens Mers ? Son corps serait ajouté à la pile de cadavres, et il en serait fini dElenaril Danelis. Non, elle devait commencer petit, et simple.

Assise à son bureau, elle visualisa sa chambre, dans l’état dans lequel elle se trouvait le matin-même à son réveil. Les lunes flottant dans l’obscurité de la nuit étaient un bon repère pour savoir si son sort marcherait ou non. Son sablier enchanté, indiquant grâce à un boulier les heures et la date du jour – le dix de plantaisons de l’an 103 de l’Ère Troisième – lui confirmerait la réussite ou non du sort.

« Allez, souffla-t-elle à haute voix en guise d’encouragement. Tu as su invoquer un atronach de chaque type en même temps, tu peux lancer ce minuscule sort. »

Elle relut une dernière fois son parchemin, ne pouvant se refuser une ultime vérification des calculs, de son angle d’approche. Envoyer son esprit dans le passé sous la forme d’un observateur éthéré n’était pas si compliqué, lorsque l’on maîtrisait la magie comme elle le faisait.

Elenaril ferma ses paupières. Elle sentit la magie inonder son corps, se glissant dans chaque artère, figée à chaque cellule qui composait son être, et les fourmillements au bout de ses doigts la rassurèrent. Elle visualisa sa chambre, le bazar, les livres. Le petit carnet à côté de son coude droit tandis qu’elle somnolait, juste avant qu’elle ne le fît tomber en se réveillant en sursaut. Oui, à l’aube, lorsque le soleil inondait la pièce de sa chaleur, et teintait le ciel d’ocre et de pourpre, tant de couleurs qui attiraient l’œil autant qu’il ne le repoussait.

La boule d’énergie qui s’accumulait entre ses mains grossissait, elle le sentait du bout des phalanges. Lorsque sa concentration fut à son comble, elle la relâcha, et sentit son esprit s’envoler, libéré de la contrainte du corps.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux – ou plutôt, lorsqu’elle eut la sensation de pouvoir les rouvrir – elle constata le résultat. Une pièce éclairée par l’aurore, le désordre régnant ici et là. Et son corps, recouvert des vêtements de la veille, confortablement froissés par sa position avachie à son bureau.

Le sort avait fonctionné.

Elenaril Danelis était capable de voyager dans le temps sous la forme d’un fantôme.

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