De l'autre côté de la frontière

Chapitre 2 : Chapitre II — Seconde tentative

4257 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/02/2022 21:11

Chapitre II

Seconde tentative

 

 

Le sort ne tint que quelques secondes tant son excitation rendait son esprit instable. « Hystérique » aurait pu être un qualificatif adapté à son état. Elenaril se mit à hurler de joie, son corps éthéré virevoltant à travers la pièce, se détachant du sol et traversant les murs à la découverte de l’extérieur de sa chambre. Puis, après quelques secondes exaltantes durant lesquelles elle n’était plus capable de réfléchir tant l’allégresse la prenait, son corps redevint pesant, lourd, sensible. Elle sentit de nouveau la chaise de bois sous ses fesses. Elle était de retour dans son présent, la magie s’était dissipée.

Épuisée par toutes ces émotions, elle dut se retenir de retenter le coup. Son sort avant tant consommé de ressources qu’elle en était physiquement incapable, même si son esprit le réclamait. Quelle sensation grisante était-ce ! Elle avait accompli une prouesse magique, recensée dans aucun des livres qu’elle avait lus, et était peut-être même la pionnière dans le domaine de l’observation historique éthérée.

L’Altmer se releva, titubant légèrement, avant de s’affaisser au bout de quelques secondes sur son lit, les yeux rivés sur le plafond. Par les Dieux, il était difficile d’exprimer combien elle était fière de ce qu’elle venait d’accomplir.

Cela avait été bref – trop bref à son goût – mais tant enrichissant ! Ce n’était pas une bête plongée dans de quelconques souvenirs, puisqu’elle avait aperçu l’un de ses voisins de palier sortant de sa chambre peu avant d’être ramenée de force à son présent. Et puisqu’elle dormait à cette heure-là, elle n’avait aucunement pu savoir ce qui se passait de l’autre côté de sa porte.

Ses poumons se gonflèrent d’oxygène. Une longue inspiration qui la fit trembler de la cime de son corps jusqu’à ses racines. Elle sentait le flux magique se régénérer en elle, l’énergie première de son sang d’Altmer se remettre d’aplomb. Pour un si petit sort, elle avait tant consommé, c’en était déstabilisant. Peut-être avait-ce été parce qu’elle était trop hésitante au moment de jeter son sort, de libérer sa magie ? Elle devrait regarder ça de plus près pour la fois suivante.

Son corps fébrile cessait peu à peu de trembler, et elle put se relever. La faim tiraillait son estomac, et elle dut se résoudre à descendre au réfectoire pour trouver quelque chose à grignoter – un fruit, une tisane, quoi que ce fût tant que cela lui tiendrait au corps. La vue des escaliers à franchir pour rejoindre la cantine lui donna le vertige, et elle resta quelques instants sur le palier, yeux fermés et index massant les tempes, avant de trouver le courage de s’agripper à la rambarde et de poser le talon sur la première marche.

Calindil s’y trouvait déjà lorsqu’elle y parvint. S’il n’était pas en classe pour dispenser ses cours aux premières années, il ne pouvait être qu’à la bibliothèque ou au réfectoire. Cette fois-ci, il couplait ses deux passions, lecture et nourriture, et dévorait un livre tout en sirotant une soupe de légumes de saison. Un potage en milieu de printemps, voilà qui était original, mais c’était un adjectif qui qualifiait bien le personnage.

Elle s’assit, pâtisserie à la cannelle et au sucre et thé noir aux givreboises sur son plateau de bois, en face de lui. Le reste du réfectoire était faiblement animé, quelques dîneurs tardifs au rendez-vous, toujours dans un silence à peine entrecoupé par le bruit des couverts, de mastication, et des pages que tournait Calindil.

Elenaril se racla légèrement la gorge afin d’attirer son attention. C’était à peine s’il leva le nez de l’ouvrage lorsqu’il lui répondit.

« C’est à cette heure-là que tu sors de ta chambre ? Masser et Secunda sont levées depuis bien longtemps.

— Bonsoir à toi aussi, répliqua-t-elle dans un petit rire. Je suis contente de te voir aussi.

— Je ne t’ai pas vue de la journée. Tu t’étais enfermée dans la bibliothèque ? »

Elle pouffa. Bientôt, il lui serait possible de répondre que oui, elle s’y trouvait, sans y avoir été présente physiquement. Peut-être commencerait-elle alors par visiter la bibliothèque impériale, dans la Tour d’or blanc de Cyrodiil, où étaient jalousement gardés de nombreux exemplaires uniques qu’il était impossible de faire venir dans l’Archipel de l’Automne. Et au fil des connaissances ainsi acquises, elle pourrait explorer toutes ces immenses bâtisses où avait été accumulé tout le savoir tamrielien. Il était difficile de quantifier les précieuses informations qu’elle pourrait recueillir aux quatre coins du continent – voire même de la planète ! – et durant les milliers d’années durant lesquelles Nirn avait été construite, et où la vie s’était développée peu à peu.

La Cassure du Roi d'Alinor durant l’Ère Méréthique, le Bannissement d'Alduin pendant le Méréthique tardif, ou encore l’Aube Intermédiaire qui dura près de mille ans pendant l’Ère Première… Tous ces événements où le temps s’était figé, distordu, réuni, faisant converger plusieurs réalités alternatives d’après diverses sources, elle pourrait voir ce qu’il en était réellement ! La séparation des Ehlnofeys, donnant ainsi naissance aux races humaines et elfiques, ou encore la scission entre les Chimers, ancêtres des elfes noirs,  et les Aldmers, race universelle elfique avant que n’apparussent les divergences opposant Bosmers, Altmers, Falmers, Maormers, Dwemers ou encore Ayléides – sans oublier le peuple peu documenté des elfes senestres. Devait-on aussi considérer dans la grande « famille » elfique les Orsimers, plus connus sous le nom d’Orques ? Ces individus parias auraient pacté avec des Daedras, créatures immortelles aux desseins variés, et étaient réputés pour leurs armes excellentes, mais aussi pour leur force bien supérieure à celles des autres races, et leur insatiable soif de combat.

Finalement, Elenaril se demanda si elle aurait assez d’une vie d’Altmer pour découvrir tout ce que son sort lui permettait de voir.

« À ton avis, finit-elle par demander à un Calindil toujours plongé dans sa lecture, quel a été l’événement le plus intéressant des guerres tiberiennes ? Quand le roi Cuhlecain a marché sur la Cité Impériale et s’est fait couronner Empereur ? Ou bien quand les Aïeux ont capturé Sentinelle, la capitale de Martelfell ? Ou encore, je sais, quand Tiber Septim a éveillé le Numidium pour asseoir sa domination et achever d’unifier le continent ? »

L’Altmer leva finalement les yeux, les sourcils froncés et un air renfrogné tirant ses traits.

« Tu n’es pas sans savoir que c’est une honte que notre peuple et ses alliances aient été vaincus par ces vulgaires humains. Le pire est qu’ils vénèrent ce Nordique, maintenant.

Talos, c’est bien comme ça qu’ils le nomment ?

— Leur « neuvième divin » n’est qu’une arnaque, une marionnette afin d’étendre leur propagande au-delà de leurs frontières. Il n’y a toujours eu que huit divins, à la création du monde. »

Calindil faisait partie de ces Altmers partisans de la domination de Tamriel par leur race. Il était évident qu’il s’opposât à la culture humaine – bien que ce fût un terme très large, puisqu’il y avait autant de différences entre un Bréton et un Nordique qu’entre un Bosmer et un Dunmer – et rejetât tout ce qui en provenait. Peut-être avait-ce aussi été trop brusque que d’aborder le sujet des guerres ayant mené à la fin de l’Ère Seconde. Après tout, les Hommes avaient la mainmise sur le continent à cette époque, régnant sur toutes les provinces, tous les peuples, sous l’identité d’un Empire unifié et unificateur. Elenaril n’avait qu’une poignée d’années lors du passage à l’Ère Troisième, mais Calindil, lui, avait déjà connu plus que ses premiers pas dans l’ancienne ère. Peut-être avait-il vécu, d’une manière ou d’une autre, la défaite des Elfes face aux Hommes ? En tant qu’Altmer, surtout s’il avait baigné dans les idéologies du Thalmor, il ne pouvait que haïr ceux qui avaient réduit à néant l’avènement de l’idéologie thalmorienne basée sur Aldmeris.

« Je te parlais d’un point de vue historique. Quels événements récents sont, à ton sens, les plus marquants ?

— Si tu divagues encore sur tes idées de voyage dans le temps, oublie tout ça, Elenaril. À moins que tu ne décides de renverser la donne et d’empêcher cet hérétique de gagner du pouvoir. C’est toi qui vois. »

L’elfe se leva de table, engloutissant d’une traite sa boisson, et enfournant les dernières miettes de pâtisserie dans sa bouche, avant de quitter l’endroit d’un pas courroucé. Pourquoi fallait-il que son seul « ami », partenaire d’études, eût tant été borné par ses idées politiques ? Ne voyait-il pas combien l’Histoire pouvait leur apporter ? Et s’il était tant obsédé par la domination altmeri, ne pouvait-il pas un seul instant s’imaginer que l’on pouvait apprendre du passé afin d’influencer l’avenir ? Elle soupira.

Tant pis, elle déciderait d’elle-même, quelle serait sa prochaine destination. Le Numidium l’avait toujours fascinée – un légendaire golem construit par les Dwemers, ces elfes souterrains extrêmement avancés technologiquement, et dont la seule activation causait des cassures du dragon –, si bien qu’elle se laissait de plus en plus tentée par cette perspective. C’était, après tout, lui, la cause de l'effondrement du second Domaine Aldmeri et de la fondation du Troisième Empire de Cyrodiil, à peine une centaine d’années auparavant. Les livres n’en parlaient pas assez à son goût, il n’y avait que trop peu d’informations.

Un bond de cent ans en arrière sous la forme d’un fantôme pourrait consommer plus de magie, mais que craignait-elle ? Une fois là-bas, il lui suffirait de rompre le charme pour se réveiller de nouveau dans sa chambre, chez elle. Et son apparence éthérée la rendrait invisible aux yeux d’autrui, intangible et invincible. Son plan était infaillible.

La porte fermée à double tour, son parchemin étendu sur son bureau afin de le relire une énième fois, l’Altmer s’apprêtait pour sa seconde tentative. En remontant de plus en plus loin dans le temps, et à une destination de plus en plus éloignée, peut-être parviendrait-elle ainsi, à terme, à retourner aux premiers jours de la planète, lorsque l’univers n’était que chaos sans nom, et que les Divins commencèrent à façonner Nirn et ses environs. Elle serait ainsi probablement la première et dernière créature vivante et consciente à avoir vu de ses propres yeux les Et'Ada, les esprits originels, avant qu’ils ne cédassent leurs pouvoirs pour bâtir le plan de Mundus. Voilà qu’elle trépignait d’impatience comme une petite elfe de vingt ans.

Elle prépara, avant son grand saut, un carnet, une plume et de l’encre. Il lui faudrait noter à son retour tout ce qu’elle aurait appris. Peut-être pourrait-elle en plus de cela perfectionner un sort qui lui permettrait de mémoriser à la perfection tout ce qu’elle aura lu, vu ou entendu lors de ses bonds dans le temps. Un des recueils de sortilèges de la bibliothèque saurait assurément lui être utile.

Elenaril se releva. Debout au milieu de sa chambre, elle jeta un dernier coup d’œil au bureau, au lit, à la porte. Prise d’un doute, elle verrouilla celle-ci, et fouilla le premier à la recherche d’un de ses nombreux calepins – un qui serait encore vierge. Dans un tiroir, perdu entre des dizaines d’autres objets hasardeux, elle tira un de ces vieux crayons de fusain qu’elle utilisait à l’époque où elle dessinait quelques brouillons timides dans les coins de page de ses cahiers de cours. Glissant ses deux trouvailles dans une petite sacoche qu’elle vint nouer à sa taille, elle secoua la tête. Tout était fin prêt.

Sa destination serait la Cité Impériale, cent ans auparavant, lorsque les révoltes étaient à leur apogée. Elle n’y resterait pas bien longtemps, quelques heures tout au plus, juste assez pour observer et mettre son sort à l’épreuve. Oh, elle frémissait d’impatience !

Profonde inspiration, douce expiration. L’Altmer se concentra sur le flux magique qui s’excitait au bout de ses doigts, prenant garde à ne pas se laisser dépasser par celui-ci. Elle ne pouvait se représenter la Cité Impériale que par le biais des illustrations et gravures trouvées dans les livres, mais elle se souvenait qu’un des sanctuaires de divin avait été marqué par un autre mage adepte du mysticisme et de la téléportation. Le sort devait sûrement être encore actif, et elle pouvait s’appuyer sur ce dernier pour quitter l’Archipel sous forme éthérée.

Elenaril ferma les yeux, laissant l’air entrer dans ses narines et gonfler ses poumons, oxygéner son cerveau, son cœur, son corps. Elle sentait l’aura de ce lieu marqué, là-bas, ailleurs. Cyrodiil n’était-elle pas autrefois une jungle tropicale infranchissable ? C’était ce qui émanait de ce point qu’elle se représentait. Une épaisse forêt, aux hauts arbres assombrissant le ciel… Le marqueur devait dater, la Cité Impériale ne ressemblait plus à cela désormais.

La sphère lumineuse produite par son sort grossissait, se gonflait un peu plus que la première. Pourtant, elle sentait que la consommation de sa magie était moindre – elle parvenait à maîtriser un peu plus ses mouvements, elle en sortirait bien moins fatiguée. Il n’y avait plus de place pour l’hésitation qui commençait à la gagner, se mêlant à l’excitation des découvertes qu’il lui restait à faire. Elle lança son sort, attendant de voir où elle rouvrirait les yeux.

Le premier sens qui lui revint, avant même qu’elle ne relevât les paupières ou ne tendît l’oreille, fut l’odorat. Une forte odeur humide de pétrichor et de bois lui parvint de toutes parts. Le temps que ses autres sens ne lui répondirent, elle parvint à la douloureuse réalisation qu’elle avait raté son sort.

Premièrement, elle sentait, aussi agréable que cela pût être, le souffle de la légère brise glissant sur son visage, ainsi que l’irrégularité des mousses, roches et racines sous la semelle de ses bottes. Certes, l’excitation de la réussite de sa première tentative avait pu lui faire oublier de relever ses sensations de corps éthéré – elle se souvenait avoir crié, mais sa voix s’était-elle seulement faite entendre ? –, mais force était de constater qu’elle n’avait là rien d’un fantôme. Bien au contraire, c’était une Altmer toute de chair et d’os qui se trouvait là, au cœur d’une forêt épaisse et dense qui lui évoquait les anciens domaines de Cyrodiil des Ères Première et Seconde, comme renseigné dans les ouvrages. À moins qu’elle ne se trouvât dans une des jungles tropicales d’Elsweyr ? Elle espérait seulement ne pas s’être trompée d’époque, et que sa présence physique en ces lieux ne changeât pas le cours de l’histoire telle qu’elle la connaissait.

Comment, dans un premier temps, avait-elle bien pu se tromper, et rater son sort ? Elle ne pouvait pas tout remettre sur le compte de l’excitation, voyons ! Elle avait une réputation de mage, elle devait être à la hauteur – une Altmer digne de ce nom, avec un si bon héritage, ne pouvait faire une bête erreur de calcul comme cela !

Sa contemplation et ses divagations internes furent interrompues par le bruissement des feuilles non-loin de là. Comme si une créature se faufilait à travers les cimes, bondissant de tronc en tronc, au-dessus de sa tête. Même si elle leva le nez et plissa les yeux, à la recherche d’une quelconque bête arboricole, rien ne lui parvint, si ce n’était une ou deux feuilles vertes fraîchement tombées, se laissant porter par le doux souffle du vent, avant de s’écraser sur la mousse et les racines qui formaient le tapis moelleux de la forêt. Cette dernière restait silencieuse, son murmure seulement gêné par les bonds de la bête, là-haut. Puis, aussi rapidement qu’elle ne s’était faite savoir, la créature disparut, permettant à la sérénité forestière de reprendre sa place.

Elenaril songea faire un pas ou deux, débuter son exploration des lieux afin de mieux identifier où elle avait bien pu atterrir. Elle sentait que le sort n’avait pas consommé toute sa magie, mais il ne lui en restait pas assez pour pouvoir le lancer de nouveau, et espérer retourner dans sa chambre – il lui faudrait donc attendre que Nirn lui rendît naturellement sa puissance. L’Altmer espérait seulement que cela ne prendrait pas trop de temps. La régénération de la magie variait selon l’environnement, et l’état du sujet. Elle n’était pas encore fatiguée, et avait déjà connu des situations où pas une goutte d’essence ne lui restait, mais l’inquiétude la gagnant était capable de lui nuire plus qu’on n’aurait pu le croire. Un sujet stressé était un sujet dont la régénération pouvait complètement s’annuler – un individu ne reposant que sur ses capacités de mage se retrouverait alors démuni, à la merci de tout assaillant. Et c’était alors son cas.

Mis à part l’illusion, la conjuration et le mysticisme, il n’y avait que peu de domaines dans lesquels elle se sentait à l’aise. L’archerie en était un, et le seul. Ses compétences s’arrêtaient là – elle était une elfe de lettres, pas d’armes ! Et bien évidemment, aucun carquois ni arc ne venait peser sur son dos. Si elle voulait se défendre, elle n’avait nul autre choix que de puiser dans ses réserves de magie, qui ne semblaient pas se rétablir décemment.

Son oreille droite frémit, et son instinct ne la trompait jamais. Un assaillant s’approchait discrètement, sournoisement. Il était déjà trop tard lorsqu’elle tourna la tête dans sa direction, et un cri de surprise s’étouffa dans sa gorge.

La bête était semblable à nulle autre à sa connaissance. La lumière qui filtrait par-delà la cime des arbres se reflétait timidement sur les écailles d’un bleu argenté qui parsemaient son corps élancé. Ce devait être un lointain parent des Argoniens, ce peuple d’hommes-lézards vivant majoritairement dans la province du Marais Noir, car il ne ressemblait à rien d’autre qu’à un reptile à ses yeux. Ses quatre membres, fléchis et dotés de griffes visiblement acérées, s’enfonçaient discrètement dans le sol mou du bois tandis que la créature avançait pas à pas dans sa direction. Sa queue large, épaisse et dotée d’écailles plus pointues que les autres, fouettait l’air. Une langue fourchue siffla entre ses crocs pointus, et les yeux rouge sang à la si petite rétine ovale la fixaient en ne clignant qu’à de très rares occasions. Elenaril se tenait prête à réagir, préparant un petit sort de conjuration au cas où le besoin s’en ferait sentir.

Soudain, la chose s’étendit de tout son long, hérissant chacune de ses écailles sur son dos, qui vint briller d’une petite lueur électrique semblable à celle qui éclairait la paume des mages férus d’étincelles. Sa gorge se déploya, révélant une membrane reliant les mâchoires supérieure et inférieure, et un cri strident vint vriller les tympans de l’Altmer, qui ne put que se boucher les oreilles en espérant pouvoir préserver un tant fût peu son audition. Mais ce fut tout ce qu’il fallut pour son assaillant – il était clair qu’elle était la proie, et lui le chasseur – qui ne tarda pas à fondre sur elle, préparant un bond puissant à l’aide de ses membres postérieurs aux muscles gonflés. Dans un réflexe, elle conjura un arc d’âme lié, qu’elle brandit en direction de la créature. Une flèche éthérée décochée vint se loger dans l’œil gauche, et lui permit d’esquiver la lourde chute du lézard à tête de serpent qui ne retint pas de crier une nouvelle fois, de douleur.

Elle alla se rapprocher d’un arbre, évitant les racines qui s’étiraient dans le seul but de se nouer à ses chevilles et la faire chuter. La forêt entière semblait être devenue son ennemie, vouloir aider cet horrible monstre sorti de nulle part à la dévorer. Quand même les végétaux s’opposaient aux Mers ou Mens, la monde allait mal, rit-elle intérieurement, bien que le cœur n’y fût pas.

Derrière elle, la bête se remettait sur pied, et clignait de l’œil afin d’en chasser la flèche plantée dans la cornée – le sort se rompit, et elle disparut aussi naturellement qu’elle n’était apparue lorsque l’elfe l’avait invoquée. Les armes d’âme liées, d’un naturel éthéré, intangible et inoffensif, avaient cette particularité de n’obéir qu’à l’invocateur, et de réagir à son commandement interne, via la magie. Si Elenaril souhaitait que la pointe de sa flèche fût tranchante et perçante, sa volonté était faite. Mais elle avait agi dans la panique, consommant plus de ressources qu’à raison. Elle n’aurait plus beaucoup de possibilités si la chose tentait un nouvel assaut. L’Altmer prépara de nouveau son arc, sentant le corps de l’arme d’un matériau insondable dans sa paume droite, et la corde tendue, raide, entre son index, majeur et pouce. Elle était bien heureuse d’avoir maîtrisé ce sort – elle qui avait toujours cru qu’il ne lui servirait jamais ! Elle pria pour ne pas avoir à le réutiliser de sitôt.

Le monstre approchait, elle le vit grimper le long d’un arbre, ses griffes se fichant dans l’écorce, laissant de petits morceaux tomber derrière lui et rejoindre le parterre végétal déjà bien fourni. Il la regarda, fixant de son œil encore valide sa silhouette, probablement évaluant les distances et la position de sa cible qui se tenait prête à décocher une seconde flèche, dans l’autre œil, et quitta son perchoir dans un nouveau bond. Déployant entre ses membres ce qui devait à coup sûr être un patagium comme celui des écureuils volants, il plana quelques instants dans les airs, et s’apprêtait à fondre sur elle à tout moment.

Une voix d’homme parvint à l’Altmer, dans une langue qu’elle ne comprenait pas – ni du tamrielique, ni de l’aldmeri qu’elle maîtrisait – et, l’instant d’après, un immense flash lumineux éclata sous ses yeux. Elle eut à peine le temps de voir le lézard volant tomber, déstabilisé dans son saut pourtant si bien calculé, et l’entendit s’enfoncer dans la mousse du sous-bois en poussant quelques gémissements de douleur. Elle-même n’en menait pas large : privée de ses yeux, l’ouïe encore quelque peu embrumée par le hurlement de la créature, elle était incapable de survivre en ces lieux, à la merci de tout prédateur. Si le quadrupède à écailles se remettait sur pied avant elle, il ne pourrait plus la rater…

La voix l’appela de nouveau, plus proche cette fois-ci. Et elle sentit une poigne ferme agripper son poignet et l’entraîner. Son corps réagit d’instinct, convaincu que les probabilités de survie étaient plus élevées si elle suivait cet inconnu. Aveuglée par la lumière, même si ses yeux se remettaient progressivement, elle se laissa entraîner à travers la forêt, sans savoir où on la menait si ce n’était qu’elle y serait en sécurité.

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