De l'autre côté de la frontière

Chapitre 4 : Chapitre IV — Premiers pas à Astera

4046 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/04/2022 21:03

Chapitre IV

Premiers pas à Astera

 

 

Voler avait longtemps été le rêve des Mens et des Mers. Arpenter les cieux tel un faucon ou un dragon, observer la vie grouillant en bas, les arbres surplombant les collines et l’étendue salée de la mer jusqu’à l’horizon – tant de choses qui faisaient rêver.

Une fois le ciel dégagé au-dessus de leurs têtes, les cimes des arbres n’obstruant plus leur vue sur le ciel immensément bleuté, Randall avait sifflé en plaçant son index et son pouce entre ses lèvres. Un cri semblable à un grognement leur parvint, et après une courte attente vint par les cieux une créature étrange, qu’Elenaril ne connaissait aucunement.

Au début, elle avait cru à un dragon, mais la taille de la bête ailée lui indiquait le contraire. Le corps recouvert d’écailles allant du bleu au gris, en passant par des teintes de vert et de jaune selon l’endroit, la créature était dotée d’un harnais auquel s’était accroché Randall à l’aide d’un grappin fixé sur son avant-bras gauche. Une fois l’appui sécurisé, il avait tendu sa main en direction de l’Altmer, qui l’avait saisie sans trop réfléchir. Il lui avait gentiment ordonné de glisser son pied dans l’étrier du harnais, et de se serrer contre lui, avant de conclure qu’elle ne devait le lâcher sous aucun prétexte. Faisant fi de la promiscuité de ses passagers, la créature s’était alors envolée sans difficulté malgré le poids des deux individus, et sans craindre les cris de surprise d’Elenaril tandis qu’ils quittaient la terre ferme. L’homme la serra un peu plus contre lui, probablement par crainte qu’elle ne se débattît et fit une chute qui lui serait fatale.

Lors du voyage, qui dura de très longues minutes à ses yeux, il lui expliqua que l’espèce de ce moyen de transport vivant s’appelait « mernos », et que ce petit monstre avait été domestiqué par l’Homme, qui s’en servait notamment pour voyager sur de longues distances. Chaque chasseur était propriétaire d’un individu de cette espèce, qui répondait à son sifflement et, pour les plus chanceux, à un surnom.

« Comment s’appelle-t-il, le vôtre ? demanda-t-elle finalement sans lever ses yeux rivés vers le sol qui s’éloignait de plus en plus.

— Henry. Me demandez pas pourquoi ce nom-là, c’est venu tout seul et il n’a pas l’air de le détester.

— Vous avez de drôles de noms, pour des gens de Cyrodiil, fit-elle en riant. Randall, Henry, ce ne sont pas des noms courants. Ce doit même être la première fois que je les entends.

— Cyrodiil ? »

Randall répéta le nom de la province comme s’il ne l’avait jamais entendu auparavant. Elenaril soupira.

« J’oubliais que nous ne sommes plus en Tamriel, ni peut-être même sur Nirn. J’imagine donc que vous n’êtes pas non plus un Impérial comme je l’aurais cru ?

— Oh non, nous ne sommes pas sous la gouverne d’un empereur. La région de Schrade était bien un royaume autrefois, mais aujourd’hui c’est la Guilde qui gouverne, depuis Dundorma.

— Tous ces noms barbares me sont inconnus.

— Tout comme les vôtres. Nous aurons plus de temps une fois à Astera. Au calme, nous pourrons communiquer plus facilement que dans le brouhaha de la forêt ancienne.

— Je la trouve calme, pourtant, cette forêt, sourit Elenaril. À part le vent dans les arbres, il n’y avait aucun bruit là où nous étions. »

Randall ne répondit pas. Concentré sur ses prises, il semblait ne pas avoir entendu ses paroles. Tant pis.

Rapidement, l’ombre d’une simili-ville se détacha des arbres. La première chose que nota l’Altmer fut un immense bateau, plutôt intact, dans les hauteurs de la cité. Le mernos – pardon, Henry – descendit doucement, jusqu’à survoler le sol ; Randall invita l’Altmer à sauter de l’étrier, avant de faire de même. Jamais le sol n’avait été si agréable à fouler – pour une première expérience, l’elfe ne souhaitait en rien la réitérer. Ils venaient de parvenir, ainsi, dans l’enceinte de la « ville » d’Astera. L’homme, qui ôta prestement son casque pour mieux respirer, le gardant sous le coude, expliqua plus en détail qu’il s’agissait des « quartiers généraux de la Commission », pour reprendre ses mots, et que ce fourmillement humain avait été bâti une cinquantaine d’années plus tôt, à l’endroit même où la Première Flotte parvenue sur le continent s’était échoué.

« C’est celui qui est perché là-haut, au-dessus de la cascade, expliqua-t-il en montrant l’immense navire fendu en deux, reliant les deux bords d’une gigantesque falaise, qu’Elenaril avait remarqué dès leur arrivée.

— Comment ont-ils fait pour le percher tout en haut de votre cité ?

— Ah, ça, c’est une folle histoire. L’Amiral Cornell raconte que le kushala daora qu’ils poursuivaient jusqu’ici s’est enragé, et a fait naître tant de bourrasques de vent qu’il était difficile de naviguer. Sorti d’on ne sait où, un mystérieux dragon ancien a fendu leur navire, et l’a hissé là-haut. Il s’y est retrouvé perché pour ne plus en redescendre. Ça a été le point de départ de leurs recherches, surtout passées à consolider la coque brisée les premiers mois et premières années. Puis Astera s’est développée. Et maintenant, c’est le Grand-Pont qui s’y trouve, je vous y emmènerai si vous le voulez. »

Tant de noms qui ne lui parlaient pas, et ce lieu ne finissait de la surprendre. Grâce aux explications avancées par Randall, elle commençait à mieux comprendre. Ce continent avait été pendant de longs siècles inconnus des Hommes – il semblait n’y avoir aucun distinction entre Mens et Mers ici – qui, suite à un développement de leur flotte maritime, étaient parvenus à y accoster. L’équipage envoyé à bord de ce premier navire était appelé « Première Flotte » – il y en avait eu cinq en tout, et Randall appartenait à la dernière, arrivée là quelques mois plus tôt à peine – et avait bâti un poste de recherche, et une base d’opérations, à partir des restes de leur bateau échoué. D’autres avaient servi, une fois démontés, à construire et développer la ville.

Baptisée Astera d’après les étoiles qui avaient guidé les marins, cinq générations de chasseurs, techniciens et chercheurs avaient contribué à son expansion. C’était la seule ville du continent nommé « Nouveau Monde », en opposition à celui d’où étaient originaires les colons. On y trouvait au rez-de-chaussée une place du marché, où chacun pouvait se procurer diverses marchandises. Produits alimentaires importés de l’autre côté de la mer, munitions et autres armements étaient les plus prisés des chasseurs, qui pouvaient ainsi se préparer pour leurs affrontements. Contre quoi ils se battaient restait cependant un mystère aux yeux de l’Altmer. Il semblait qu’ils s’opposaient aux gigantesques créatures tel que le tobi-kadachi face auquel elle s’était retrouvée, mais Randall avait aussi parlé de « monstres », et ce terme ne définissait pas assez précisément l’objet qu’il désignait pour que cela lui évoquât une image claire et nette.

« Vous devez avoir faim, non ? Venez, je vous fais visiter rapidement, et nous irons déjeuner. »

Non-loin de la place du marché trouvait-on un petit coin de verdure, où s’affairaient quelques individus semblables, de loin, à des Mers. Elenaril distinguait leurs oreilles pointues, à peine cachées par les chevelures ou les chapeaux qu’ils pouvaient porter. Mais la taille minuscule de certains la fit douter. Jamais elle n’avait entendu parler de si petits Mers – même les Dwemers, pourtant surnommés les « Nains », n’étaient pas si petits, d’après les encyclopédies.

Depuis la falaise où était perché le Grand-Pont s’écoulait une immense cascade. Son flot alimentait une roue, semblable à celle des moulins, dont la force mécanique permettait à la ville de vivre. Une forge, située à une bonne centaine de marches de bois plus haut, voyait notamment toutes ses mécaniques internes êtres entretenues par ce flot perpétuel qui s’écrasait sur les palettes de la roue. La chaleur qui émanait de la pièce – l’une des rares structures de la ville à être faite de métal, et non de bois – brûla les joues d’Elenaril, qui ne pouvait détacher son regard des volutes de fumée qui s’élevaient des cheminées.

« Si jamais vous avez besoin d’une arme, c’est ici que vous devrez vous rendre. Mais rien n’est gratuit. Il faudra payer la main d’œuvre, et amener les matériaux requis pour que le forgeron vous fasse le travail.

— Votre manière de faire est intéressante. Mais je n’aurai besoin d’aucune arme, j’ai déjà ce qu’il me faut.

— Alors que votre dos est nu ? Vous avez dû vous cogner la tête pour pouvoir sortir de telles inepties, je ne vois que ça. »

Elle ne releva pas. Cet homme était libre de penser ce qu’il voulait, elle ne s’en sentait pas concernée, car elle savait ce qu’elle avait fait, et ce qui s’était passé. Sa magie lui avait fait défaut, pour la première fois de toute son existence, et l’avait menée sur ce continent inconnu de Nirn, où les Mens n’utilisaient aucun terme afin de se différencier des Mers, où les Mers pouvaient être hauts comme un enfant de six ans ou grand comme un Altmer, et où le nom même de Nirn n’était connu de personne. Les Divins avaient-ils délaissé cette terre ? Et quel était cet « Ancien Monde » dont provenaient tous ces individus, ou au moins la majeure partie d’entre eux ? Elle avait beau réfléchir, repenser à son globe nirnien et aux terres dessinées sur la surface d’eau immense qui composait la majeure partie de la planète, elle ne pouvait croire que deux continents supplémentaires inconnus des siens s’y trouvaient. En tant de siècles et de millénaires, il était impossible que Mens et Mers eussent ignoré une nouvelle terre – habitée, de surcroît.

Il y avait forcément une solution qui permettait d’expliquer tout cela. Et Elenaril comptait bien la trouver, et répondre d’elle-même à ses questions si l’homme ne le pouvait.

Depuis la forge, Randall la mena, via un énième escalier, au point le plus élevé de la ville, si l’on ne comptait pas le Grand Pont, auquel on ne pouvait accéder que grâce à un monte-charge. Plusieurs individus se trouvaient autour de grandes tables de pierre, assis sur autant de rochers qu’il n’en fallait en guise de sièges, et dévoraient de copieux repas aux effluves qu’Elenaril ignorait jusqu’alors. Viandes, légumes et épices formaient une douce symphonie inconnue, qui lui mit l’eau à la bouche. Ce fut ce moment que son estomac choisit pour gargouiller bruyamment, et faire savoir qu’il lui fallait rapidement ingurgiter quelque chose. À quand remontait son dernier repas ? Elle ne parvenait à s’en souvenir.

« Miaousse Cuistot ! appela Randall en s’approchant des fours fumants. Servez-nous deux beaux plateaux, surprise du chef ! »

Il tendit quelques pièces à la main griffue et velue qui sortait de la volute de fumée. Elenaril réalisa alors qu’elle ne disposait d’aucune monnaie. Elle était venue avec pour seules possessions ses vêtements, son calepin et fusain, et sa magie. Si cette ville reposait sur une forme d’économie, comment survivrait-elle ? Elle n’avait pas même de quoi payer une chambre à l’auberge – enfin, ce qui s’en rapprocherait le plus, se corrigea-t-elle intérieurement en se remémorant les paroles moqueuses de Randall – ni même de quoi se rassasier. Que deviendrait-elle, alors ?

L’homme la guida jusqu’à une table, où il la fit s’asseoir, avant de s’installer face à elle, avant de poser son casque à ses côtés sur la pierre, las de l’avoir tenu dans ses mains pendant tout ce temps. Il s’étira longuement, faisant craquer bon nombre des muscles de son dos, et lâcha un soupir de soulagement. Avant même qu’il n’entrouvrît les lèvres et reprit la conversation, une petite créature s’approcha de leur table, plateaux en main. Elenaril la scruta, déconcertée.

Elle avait lu dans plusieurs ouvrages traitant de l’histoire d’Elsweyr et de son peuple, les Khajiits, que ces derniers nourrissaient un lien très étroit avec les phases lunaires. Selon la forme revêtue par Masser et Secunda, les deux astres nocturnes de Nirn, à leur naissance, le fœtus khajiit subissait une impulsion magique, qui changeait radicalement sa forme. D’un être humanoïde recouvert de poils, doté d’une queue et de griffes – un Suthay-rath – à un quadrupède dont l’épaisse crinière fournie et la queue en pinceau rappelait celle des lions aujourd’hui disparus, jusqu’à une forme rappelant grandement celle des chats domestiques, à l’exception près que ceux-ci étaient capables de magie… Pas moins de dix-sept variantes avaient été répertoriées, certaines plus humaines et d’autres plus bestiales.

Quoi qu’il en fût, cette créature rappelait grandement à l’Altmer les Khajiits bipèdes tirant plus du félin que de l’humain. Le corps recouvert de fourrure, elle ressemblait plus à un chat domestique se mouvant sur les membres postérieurs et capables de saisir divers objets entre leurs coussinets ou griffes. La taille était cependant différente ; à vue de nez, la tête de l’animal devait être aussi grosse que celle d’un humain, et sa stature faisait qu’il atteignait sans s’étirer les hanches des humains adultes aux alentours. Maintenant qu’elle le remarquait, ce n’était pas le seul représentant de son espèce – la cuisine toute entière était dirigée par des félins bipèdes tel que celui qu’elle avait sous les yeux, et semblait sous les ordres d’un individu plus imposant encore, éborgné et gardant à portée de main une grande épée brisée avec laquelle il retournait les steaks de viande qui cuisaient sur la pierre chauffée par un feu de bois en-dessous de celle-ci.

« Merci beaucoup, fit Randall lorsque le chat bipède fit glisser devant chacun d’eux un plateau débordant de nourriture et de boisson. Chat nous sauve la vie ! »

Le félin afficha un large sourire, dévoilant ses babines et ses crocs pointus, avant de répondre dans un miaulement rauque, et de tourner les talons, rejoignant ses camarades de cuisine, tous de tabliers, maniques et toques vêtus – bien que ces dernières ne ressemblassent plus à des bandanas dans lesquels des trous pour laisser passer la pointe des oreilles avaient été faits.

« Vous devez avoir des questions. Posez-les, et j’y répondrai du mieux que je pourrai.

— Merci bien, souffla Elenaril en se redressant. Première chose : qu’est-ce que c’est que ces créatures ? »

Elle pointa du doigt celle qui les avait servis, et qui repartait déjà avec un autre plateau à apporter à une autre table où déjeunait une jeune femme feuilletant un si gros livre qu’il était étonnant qu’elle pût le porter.

« On les appelle des felyns. On les trouve à l’état sauvage, ceux-ci ont sympathisé avec les hommes dans une relation donnant-donnant. Ils nous aident, et nous les aidons en retour. Certains viennent même accompagner les chasseurs ; on les appelle alors palicos.

— On dirait une nouvelle variante de Khajiits, murmura l’Altmer en griffonnant au plus vite ces nouvelles informations dans son calepin. C’est curieux que ces continents se développent de manières similaires à l’autre bout de la planète. »

Randall se redressa légèrement, baissant les yeux et inclinant la tête de sorte à apercevoir ses nombreuses notes. Il fronça cependant les sourcils lorsqu’il constata qu’elle les rédigeait en altmeri, et se rassit, avant d’attraper par l’anse la chope de bière moussant sur son plateau.

« À la vôtre, fit-il en la cognant contre celle qu’avait maladroitement saisie Elenaril, peu encline à goûter à cette boisson qu’elle ne connaissait pas. En espérant que vous retrouviez le chemin de votre maison, où qu’elle soit.

— C’est… une gentille attention, grimaça-t-elle en fronçant le nez ; décidément, cette boisson ne lui inspirait rien, trop amère, trop fraîche, trop pétillante. J’espère pouvoir vite reprendre des forces.

— Qu’est-ce que vous notez dans votre carnet, avec vos symboles étranges ? J’espère que vous n’êtes pas une espionne ! rit-il gaiement. Même si je ne vois pas quel gouvernement souhaiterait nous espionner, puisque seule la Guilde gouverne les terres connues.

— Mais oui, la Guilde ! »

Elenaril s’exclama soudainement, et se releva avec fracas, manquant de renverser le plateau et tous les plats posés dessus dans le même temps.

« Avez-vous une instance de la Guilde ici, à… Astera ? demanda-t-elle en vérifiant ses notes, afin d’être sûre de ne pas écorcher le nom de la ville-colonie. Peut-être pourrais-je y faire mon rapport et trouver de l’aide pour rentrer à Eyévéa !

— Une instance ? Bien sûr. Le commandant Gareth représente la Guilde à Astera, il est l’un des seuls en contact avec elle afin de transmettre toutes les découvertes et les avancées de la résolution du mystère de la Traversée des Anciens.

— Il faut que j’aille le voir ! Conduisez-moi à lui !

— Vous ne voulez pas finir votre plateau avant ? Vous n’y avez même pas touché, et je m’en voudrais d’avoir payé pour rien un si succulent repas. »

Il était vrai que c’était à peine si elle avait touché audit plateau de nourriture. Elle avait bien remarqué la surabondance de plats, mais s’était surtout contentée de prendre en main la boisson afin d’imiter son vis-à-vis, avant de la reposer tant l’odeur la répugnait. Une fois rassise à sa place, elle prit un peu plus le temps d’observer et de renifler les fumets qui lui parvenaient depuis les assiettes.

Quatre plats trônaient sur le plateau circulaire de bois, chacun aussi appétissant – voire même plus – que ceux à ses côtés. Sur une planche de bois, accompagnés de miches de pain qui s’annonçaient particulièrement savoureuses, plusieurs morceaux de fromage attendaient d’être coupés et dévorés ; un à pâte molle, à partir de fromage de chèvre, et un autre à pâte dure, à base de lait de vache. Avec eux, une pièce de charcuterie, et trois brochettes – crevettes, viande de bœuf et viande de volaille – fumaient, leur pic de métal fièrement planté dans la planche. La simple vue de cette assiette-ci la faisait saliver. Dans celle d’à côté, quelques poireaux grillés servaient de lit pour des pommes de terre cuites à la vapeur, encore entourées de leur peau dorée, ainsi qu’à deux saucisses et des tranches de jambon finement coupées, que l’on devinait tendres à souhait. Non loin d’eux, un bol de soupe de poisson imposait son fumet, où baignaient quelques morceaux de maquereau, à en croire l’odeur, imprégnés de la saveur du roux et de la tomate qui accompagnaient le tout. Et pour finir, un poulet rôti, à la peau brillante et craquelée, étendait ses ailes grillées comme pour l’inciter à débuter son repas par ce plat-là.

Sur le tissu qui protégeait le plateau de bois, un emblème avait été teint ; un blason à l’image d’un bouclier au-dessus duquel deux silhouettes de dragon crachaient du feu, et au cœur duquel brillait une étoile, plus que les autres. Randall sembla remarquer qu’elle observait attentivement ce dernier, car il prit la parole, après avoir bruyamment avalé une bouchée.

« C’est l’emblème de la Commission de Recherche, notre organisme envoyé ici. Chaque Flotte dispose en plus du sien. L’étoile que tu vois là, au milieu, c’est l’Étoile de Saphir, celle que l’on a suivie pour atteindre le nouveau monde. Elle brille plus fort que les autres dans le ciel nocturne, d’un azur si étincelant qu’elle en éclipse les autres. Les trois que tu vois là, à sa droite, symbolisent notre traversée. Celle du milieu, c’est le dragon ancien qui nous dirige jusqu’à cette terre. Les deux autres, c’est d’une part les Hommes, de l’autre les Wyvériens, qui ont pris le large pour le suivre et percer le mystère de cette traversée. Et à la gauche de l’Étoile de Saphir, ce petit symbole, là, il représente l’union de toutes les créatures vivantes dans la régulation de l’écosystème. Humains, Wyvériens, monstres et végétaux coexistent, cohabitent, afin de faire perdurer la vie dans notre monde.

— Autant de symbolique dans un seul blason ? C’est incroyable. »

Elenaril ne pouvait détacher son regard de l’emblème. Ceux qui le portaient devaient le faire avec fierté ; leur cause lui semblait parfaitement noble et, pour la première fois, elle en vint à penser qu’elle n’avait jamais eu de tâche si importante à remplir pour les siens. Elle n’avait fait qu’étudier la magie, et l’histoire. Elle savait qu’elle ne sauverait pas le monde à l’aide de ses sorts, en partie car la politique entre les Mens et Mers, même au sein de la même race, était bien trop compliquée, mais elle réalisait que sa seule participation dont on pourrait se souvenir, la seule trace de son passage qui perdurerait à travers les âges, serait potentiellement cette contribution à l’Histoire qu’elle souhaitait faire. Elle voulait accumuler les savoirs perdus, les histoires qui n’avaient pu être notées, parfois même rédiger les autres versions, celles des perdants, celles des vaincus, écrasées par le poids des vainqueurs, mais voilà qu’elle s’était perdue sur un autre continent de Nirn, un dont tous ignoraient l’existence, à une époque tout aussi inconnue, entourée d’individus qui ignoraient tout de Nirn et du monde connu des Mens et Mers.

Les gargouillis de son estomac la rappelèrent à la réalité. Bruyants au possible. Randall releva le nez de son assiette, alors qu’il venait de dévorer l’entièreté de sa brochette de bœuf d’une traite – de la sauce coulait même de ses lèvres –, et afficha un large sourire, suivi d’un petit rire léger.

« Allez, cessez de réfléchir, je vois que vous bouillez. Rassasiez-vous, et nous irons voir le commandant Gareth dès que possible. »

Elle ne se fit pas prier. Dès la première bouchée enfournée, elle regretta d’avoir mis autant de temps à déguster le délicieux repas que l’homme lui avait commandé.

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