Les enfants de Bordeciel

Chapitre 2 : La fuite

2073 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/04/2023 15:08

Chapitre 2 – La fuite

Pénétrant dans le fort à la suite de Ralof, Hunfen prit quelques instants pour s'adapter à l'obscurité soudaine. La pièce circulaire était presque vide, à l’exception d’un soldat sombrage, affalé contre le mur. La traînée de sang menant au corps révéla à Hunfen que, bien qu'il ait trouvé un abri, ses blessures étaient trop importantes pour survivre.

« Gunjar… » murmura Ralof, les yeux emplis de tristesse. « Repose en paix, frère. »

Il se tourna vers Hunfen et trancha ses liens. Puis, il saisit la hache de guerre de Gunjar et la tendit au jeune Nordique. « Tiens, garde-la. Elle te sera utile. » Hunfen l'empoigna, mais l'arme était bien trop lourde pour lui. Il tenta de la soulever tant bien que mal, mais dut se rendre à l'évidence : il était bien incapable manier une telle arme.

Soudain, des voix en approche depuis la caserne interrompirent leur moment. Ralof fit signe à Hunfen de se mettre à couvert, avant de faire de même.

« Le reste des hommes tentent encore de repousser la créature. Ne devrions-nous pas leur prêter main forte, Capitaine ? » demanda une voix ferme, mais respectueuse. Une voix féminine répondit sèchement : « Nous avons des prisonniers en fuite, et c'est notre priorité ! Comment ces maudits rebelles ont-ils réussi un tel tour de force ? Nous devons tous les retrouver et en finir ! »

Hunfen se blottit dans un coin sombre, le cœur battant. C'était la capitaine impériale ! Et elle voulait toujours les éliminer, y compris lui ! Il ferma les yeux, tentant de calmer sa respiration et se concentra sur sa magie, comme s'il s'apprêtait à allumer un feu. Peut-être cette fois-ci pourrait-il utiliser ses flammes pour se défendre si les choses tournaient mal ?

La capitaine fit irruption dans la pièce, accompagnée d'Hadvar. Ce dernier, silencieux, laissait transparaître une certaine désapprobation. En apercevant Ralof, elle dégaina son épée et se précipita vers lui. « Avec moi, soldat ! » cria-t-elle en attaquant. Le sombrage para et tenta de répliquer, mais son coup fut absorbé par la solide armure de la capitaine. Leurs armes s'entrechoquèrent à plusieurs reprises, créant un ballet étincelant, tandis qu'Hadvar tirait également son épée, intervenant avec moins d'ardeur.

Après un moment, la capitaine remarqua Hunfen, dissimulé dans l'ombre. « Mais qui voilà ! On n'en avait pas fini ! » lui lança-t-elle en esquissant un sourire cruel, tout en se dirigeant vers lui, laissant Hadvar affronter seul Ralof. Elle leva son épée, prête à porter un coup puissant. Hunfen, paniqué, poussa un cri de terreur et tendit ses mains pour se protéger. La lame s'abattit, mais fut repoussée in extremis par la hache de Ralof. Le choc des armes fut suivi par le fracas de l'épée atteignant le mur à quelques centimètres du visage d'Hunfen. Par réflexe, l'enfant ferma les yeux avec force, cherchant à repousser la menace. Il n'entendit presque pas le flot d'insultes que Ralof déversa sur l'impériale, car un grondement menaçant envahit ses oreilles. Comme précédemment dans la tour, une lumière vive traversa ses paupières closes. Entrouvrant les yeux, il vit à travers ses doigts la capitaine protéger son visage d'un bras contre un jet de flammes. Ce fut à cet instant qu'il réalisa qu'il avait involontairement déchaîné sa magie.

Déstabilisée par l'assaut inattendu, la capitaine avait laissé une brèche dans sa défense. Ralof, le visage crispé de rage, enchaîna avec une attaque puissante qui la toucha. Laissant échapper son épée, la capitaine fléchit un genou et s'appuya d'une main contre le mur, tandis que l'autre pressait son flanc endolori. Hunfen, assis contre le mur, tentait fébrilement de s'éloigner en poussant sur ses pieds. Finalement, il s'écria, paniqué :

« Elle… elle a essayé… encore… de me tuer ! Là… là, juste maintenant ! Et… et avant… pendant l'exécution ! J'ai… Le général… il a dit… Elle… elle m'a emmené… à l'écart… Elle… elle a sorti… une dague… J'ai… j'ai eu peur… Et puis… le dragon… le dragon est arrivé ! Je… je me suis échappé… Mais… mais elle… elle était là… Et… et j'ai eu… j’ai eu… si peur ! »

Les larmes dévalaient à présent librement sur les joues de l’enfant, et il se sentait honteux de pleurer ainsi devant ces adultes, alors qu'il avait réussi à se défendre avec sa magie. Cependant, un sentiment de soulagement l'envahissait, car la menace pesant sur lui s'était temporairement dissipée.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, Hunfen vit la capitaine étendue sur le côté, ne s'appuyant plus que sur son coude. Elle fixait Hadvar avec mépris, alors que celui-ci avait rangé son épée. « Battez-vous… Traître ! » articula-t-elle avec difficulté. Hadvar se redressa, reprenant son maintien impeccable. Néanmoins, une colère glaciale se lisait sur son visage. « Ne m'appelez pas traître ! Vous avez désobéi à un ordre direct du Général. Vous avez abandonné vos hommes ! Et maintenant, ça ? »

Hadvar serra fermement le pommeau de son épée, laissant transparaître sa fureur croissante malgré sa posture parfaite. Hunfen écarquilla les yeux, sentant l'intensité de la tension qui emplissait la pièce.

Le souffle de la femme se faisait de plus en plus saccadé, mais la rage brillait toujours dans ses yeux. « Qu'importe ! Ces chiens de sombrages méritent de… »

Soudain, une secousse violente ébranla le sol, fissurant les murs autour d'eux. Ralof, empoignant Hunfen, s'écria : « Au fond ! » et se précipita plus profondément dans le fort. Ils venaient à peine de quitter la pièce lorsqu'un fracas assourdissant retentit. L'entrée du bâtiment n'existait plus.

« Bon sang ! Ce dragon n’arrête donc jamais ?! » s'exclama le sombrage en reposant l'enfant. Il scruta l'entrée du fort, désormais obstruée par un amas de pierres et de débris. Leurs visages étaient tendus, mais soulagés d'avoir échappé de justesse à un sort funeste. La capitaine impériale, quant à elle, gisait ensevelie sous les décombres.

Les deux guerriers s'étaient adossés à un mur, reprenant leur souffle. Ralof lança un regard à Hadvar, un sourire en coin se dessinant sur son visage. « Ça faisait un bail, hein, Hadvar ? Jamais j'aurais cru te revoir dans de telles circonstances. »

Hadvar esquissa un sourire en retour. « En effet, Ralof. Il semblerait que le destin possède un sens de l'humour particulier. »

Ralof se mit à rire doucement. « Toujours aussi guindé et soigné, hein ? Enfin, sauf maintenant ! »

Hadvar haussa les sourcils en jetant un coup d'œil à son armure, désormais souillée et endommagée par l’attaque de la ville. « Toi, en revanche, ça ne change pas grand-chose, rétorqua-t-il en riant à son tour. Tu as toujours ce côté négligé et sale qui te caractérise si bien. Bien que je doive admettre que notre aventure n'a pas arrangé mon apparence non plus. »

Hunfen, épuisé et déboussolé, observait les deux hommes en se demandant comment ils pouvaient plaisanter en pareilles circonstances. Il comprit alors que ces deux guerriers se connaissaient probablement depuis longtemps et partageaient des souvenirs d'enfance. Il les écouta se taquiner, un peu rassuré par cette atmosphère plus légère.

« Le gamin a un sacré don pour la magie, surtout pour un Nordique de son âge », remarqua soudainement Ralof, en jetant un coup d'œil à Hunfen.

Hadvar acquiesça. « C'est vrai, le sort de flammes qu’il a lancé est remarquable pour un enfant qui n'a sans doute jamais été formé par un mage. Quel est ton nom au fait, garçon ? »

Hunfen, malgré l'angoisse qui persistait, sentit une pointe de fierté à l'entente de ces compliments. Il se rappela comment il utilisait régulièrement ce sort pour allumer le feu de camp lorsqu'il voyageait avec son père. Mais il n’avait jamais pensé que cela puisse être considéré comme un talent. L'idée d'utiliser ce sort directement comme une arme offensive ne lui était jamais venue à l'esprit non plus. « Merci ! dit-il d’une voix timide. Je m’appelle Hunfen. »

Ralof reprit la parole, sur un ton plus sérieux : « Maintenant que nous sommes coincés ici, nous devons trouver un moyen de sortir. Hadvar, tu connais un autre passage ? »

Hadvar hocha la tête : « Oui, le fort comporte une sortie annexe qui mène à une grotte. Je pense que c'est notre meilleure option pour nous échapper. »

Ralof approuva : « Je te suis, alors. Tu crois que d'autres ont réussi à se mettre à l'abri ici ?

— C'est possible, admit Hadvar, pensif. Écoute, pour ne pas éveiller les soupçons, si on rencontre des sombrages, je te donnerai mon épée et je me ferai passer pour ton prisonnier. Et si on tombe sur des impériaux…

— On inverse les rôles ! » compléta Ralof, amusé. « Bonne idée ! À mon avis tout le monde va chercher à fuir, mais on ne sait jamais… »

Hunfen, malgré l'angoisse qui continuait de le tenailler, sentit ses paupières s'alourdir. Il luttait pour rester éveillé, mais la fatigue eut raison de lui. Bercé par les voix des deux adultes qui peaufinaient leur plan, il s'endormit profondément, épuisé par les épreuves qu'il venait de traverser.

oOo

Lorsque Hunfen rouvrit les yeux, il vit la lumière vive du jour émaner à seulement quelques mètres, provenant de la sortie de la grotte. Reprenant ses esprits, il se rendit compte qu'il était sur le dos de Ralof. Un peu honteux, il réalisa qu'il avait été porté tout au long du trajet.

« Je suis désolé, balbutia l’enfant, gêné. Je n'ai pas voulu m'endormir…

— T'inquiète pas, p'tit gars ! le rassura Ralof en le reposant au sol. T'as vécu une sacrée journée. C'est normal que tu sois crevé. »

Hadvar acquiesça, un sourire bienveillant aux lèvres. « Repose-toi lorsque tu en as besoin, Hunfen. Il nous reste encore du chemin à parcourir. »

Alors qu'ils sortaient de la grotte, Hunfen leva les yeux et vit le dragon traverser le ciel, se dirigeant vers le nord-est. Ralof et Hadvar échangèrent un regard inquiet.

« Il va vers Rivebois… murmura Ralof, l'anxiété perceptible dans sa voix.

— C'est notre village d'enfance, expliqua Hadvar à l’enfant, les yeux rivés sur le dragon qui s'éloignait. Nos familles sont là-bas, nous devons les prévenir ! »

Hunfen hocha la tête, comprenant l'urgence de la situation. Il se demanda ce que son propre père faisait en ce moment. Le cherchait-il désespérément, ou était-il reparti, abandonnant tout espoir de le retrouver ? Ces questions torturaient l'esprit du jeune garçon, mais il savait qu'il devait se concentrer sur le présent. Pour l'instant, il n'avait nulle part où aller et il était préférable de suivre Hadvar et Ralof.

« Je viens avec vous, dit-il, déterminé. Peut-être que mon père est passé par là en me cherchant… »

Ralof posa une main réconfortante sur l'épaule du garçon. « Bien sûr, Hunfen. On t'aidera à retrouver ton père. Mais d'abord, allons prévenir les habitants de Rivebois et veillons à ce qu'ils soient en sécurité. »

Hadvar regarda la vallée en contrebas, où la petite rivière serpentait paisiblement. « Il nous faudra descendre et traverser la forêt pour rejoindre Rivebois. Nous devons nous hâter. Espérons que le dragon ne passera pas à l'attaque immédiatement. »

Hunfen sentit la peur et l'appréhension monter en lui, mais il savait qu'il ne pouvait pas se laisser dominer par ses émotions. Il devait être fort, pour lui-même et pour les autres. Il inspira profondément, essayant de calmer son cœur qui battait la chamade.

« D'accord, dit-il d'une voix tremblante mais déterminée. Allons-y. »

Ralof et Hadvar échangèrent un regard empreint d'amusement, admirant ce jeune garçon qui, en dépit de son âge, faisait preuve d'un courage indéniable. « Très bien, Hunfen. Suis-nous et sois prudent », déclara Ralof, avant de s'engager sur le sentier qui les conduirait vers la vallée. Hadvar suivit, jetant un dernier regard encourageant à Hunfen. Le jeune garçon, bien que terrifié à l'idée des défis qui l'attendaient, se prépara à accompagner ses nouveaux compagnons, résolu à retrouver son père et à apporter son aide du mieux qu’il le pourrait.

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