Les enfants de Bordeciel

Chapitre 6 : Fidèle chasseur implacable

3142 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/05/2023 21:47

Chapitre 6 - Fidèle chasseur implacable


La tour de guet Ouest se situait à un peu plus de deux kilomètres de l'entrée de Blancherive. Le chemin qui y menait s'étendait à travers la plaine, ne laissant que quelques rochers et buissons épars comme seuls abris. Ces maigres cachettes rendaient la tâche ardue pour Hunfen qui cherchait à suivre le groupe sans être vu. Il se déplaçait aussi discrètement que possible, maintenant une distance prudente avec les gardes en évitant toutefois de les perdre de vue. Son cœur battait la chamade sous l’effet des courses effrénées entre deux cachettes, ajouté à l’anticipation de ce qui les attendait.

Une fois arrivé sur les lieux, Hunfen se dissimula derrière un rocher, se rapprochant autant que possible de la tour sans risquer d'être repéré. L'édifice arborait déjà des marques de dégâts, indiquant que le dragon ne s’était finalement pas contenté de simplement survoler les environs. Peu après, le jeune nordique vit un garde sortir de la tour pour accueillir les renforts. L'enfant était trop loin pour saisir les paroles de l’homme, mais ses gestes trahissaient une panique évidente. Soudain, une rafale de vent souleva sable et poussière, et une ombre passa sur lui. Levant la tête, Hunfen vit le dragon survoler sa cachette, fonçant droit vers la tour de guet.

Cette créature semblait légèrement plus petite que celle qui avait ravagé Helgen. Ses cornes paraissaient également plus courtes et, contrairement à son congénère, les écailles qui recouvraient son corps étaient d'une teinte claire, presque blanche. L’enfant n'en était pas sûr, mais il lui semblait aussi que ses yeux n'étaient pas rouges. Manifestement, il s'agissait d'un autre dragon.

Hunfen observa, terrifié mais fasciné, l’affrontement débuter entre le dragon et les gardes. Les flèches se mirent à siffler dans les airs tandis que les guerriers brandissaient leurs armes, prêts à frapper la créature dès qu’elle serait à portée. Le dragon, imperturbable, semblait prendre plaisir à les combattre. Il sembla prendre une inspiration, et le jeune Nordique se redressa légèrement, s’attendant à assister à une autre de ces attaques formidables, déclenchées d’un cri.

« Thuri du hin sil ko Sovngarde! » rugit le dragon, sa voix résonnant à travers les cieux. Hunfen n’avait saisi que le mot Sovngarde, l’endroit où les âmes des Nordiques qui avaient vécu avec honneur étaient accueillies. L’espace d’un instant, il imagina le grand dragon noir semer la terreur dans ce lieu mythique. Néanmoins, les paroles de la créature n’avaient été suivies d’aucun effet. De toute évidence, ces êtres pouvaient également parler sans attaquer.

Les gardes redoublèrent d'efforts, portant des coups de plus en plus puissants. Le dragon, en réponse, battit des ailes, gagnant une dizaine de mètres d’altitude. « Krif krin. Pruzah! » lança-t-il avec un grondement amusé, là encore sans que cela ne produise un quelconque effet. Hunfen reporta son attention sur les hommes en armes, prenant la mesure du courage dont ils faisaient preuve en combattant. L’instant d’après, le dragon inspira à nouveau profondément et s’exclama : « Yol Toor Shul ! » Cette fois, un jet de flammes se déversa sur les gardiens de Blancherive.

Comme pour les narguer, la bête se posa à nouveau devant les hommes. Les combattants tentaient tant bien que mal de lui tenir tête, assenant de violents coups d’épée accompagnés de quelques sorts de flammes et d’éclairs que Itileth semblait également maîtriser. Armures et boucliers constituaient une bien maigre défense contre les griffes et crocs acérées et les jets de flammes. Dans cette mêlée chaotique, certains gardes tombaient sous les assauts du dragon, tandis que d'autres se relevaient pour continuer le combat.

« Brit grah ! » s'exclama le dragon, appréciant visiblement le spectacle.

Les gardes, malgré la peur et l'épuisement, persistaient dans leur lutte contre le monstre ailé. Le dragon s'éleva soudain à nouveau dans les airs, observant la scène d'un œil satisfait.

« J'avais oublié à quel point vous, mortels, pouvez offrir un divertissement de choix ! » lança la créature. Hunfen se redressa, émerveillé. Ainsi, ces dragons parlaient la langue commune ?! « Vous êtes braves. Bahlaan hokoron ! poursuivit le dragon en tournant autour des guerriers. Votre défaite me fera honneur ! »

La bataille atteignait son paroxysme, les gardes et le dragon se livrant à un combat sans merci. Les flèches fusaient, les épées s'entrechoquaient et les sorts éclairaient le champ de bataille. Le dragon, déterminé à éliminer ses adversaires, redoublait de férocité. Soudain, le dragon happa un garde et, d’un mouvement de tête rapide, le projeta dans les airs. Le corps déjà sans vie et désarticulé vola par-dessus Hunfen, qui ne put retenir un cri d'effroi. L’enfant se ratatina à nouveau derrière le rocher. Ce dragon allait-il tous les avoir, jusqu’au dernier ?

Mais les gardes ne renonçaient pas, et leurs attaques conjuguées semblaient enfin blesser la créature légendaire. Le dragon, épuisé par l'acharnement de ses ennemis, vacillait, ses mouvements devenant plus lents et moins précis. Il atterrit une dernière fois maladroitement, son poids faisant trembler le sol, et entreprit d’attaquer ses ennemis au corps-à-corps. Finalement, un ultime coup d'épée porté par Irileth parvint à terrasser la créature. Dans un hurlement déchirant, la bête s'écroula, faisant à nouveau trembler la terre sous son poids colossal. Le dragon tomba sur le rocher derrière lequel Hunfen s'était caché, faisant voler en éclats sa couverture de fortune. Le choc assomma instantanément l'enfant, qui s'effondra, inconscient.

oOo

Hunfen flottait, dérivant dans un étrange espace sombre et indéfini. Il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait, mais étrangement, il n’en ressentait pas d’inquiétude. Face à lui, une douce lueur apparut, d’abord vacillante, puis de plus en plus forte. Une entité mystérieuse, sans forme définie, émergea, brillante comme un soleil. Cette présence paraissait incroyablement ancienne, presque éternelle. Elle rayonnait de sagesse et de puissance, éblouissant Hunfen qui ne pouvait pourtant s'empêcher de la regarder, subjugué par cette entité qui donnait l’impression d’abriter une source de savoir incommensurable, si vaste et si profonde qu'elle en devenait presque terrifiante. Il ne pouvait détacher son regard de cette figure mystérieuse, captivé par l'irrésistible désir de la connaissance qu'elle détenait.

Hunfen repensa à la façon dont il avait été assommé par la simple chute du dragon, et cela le rendit honteux. Il se sentait faible et insignifiant face à la puissance de cette entité. Il ressentit alors un désir ardent de devenir plus fort, de ne plus être une victime de circonstances incontrôlables. Soudain, tel un jet de lumière, l’entité déversa sur lui tout son savoir, souvenirs d’autres temps, images extraordinaires, notions insaisissables.

Totalement incapable de saisir la moindre information du torrent qui le traversait, Hunfen ne pouvait que subir la succession de sensations qui s’imposait à lui. Mais, dans ce flot ininterrompu, il commença à distinguer une notion particulière, un mot d’abord lointain et pratiquement indiscernable, comme un appel à travers une foule. L’enfant se concentra sur cette perception ténue, s’efforçant de la séparer du reste pour en saisir le sens. Il en entendit d’abord le son : « Fus ». Une marque étrange lui apparut, comme une écriture inconnue, mais il comprit instinctivement qu’elle signifiait la même chose.

Plus Hunfen se concentrait sur "Fus", plus il en saisissait la signification. Ce terme représentait la force. Quoique le mot "force" des mortels était bien faible pour désigner cette notion dont le sens profond et les nuances subtiles lui apparaissait désormais de plus en plus clairement. Alors qu’il cherchait à encore approfondir sa compréhension de "Fus", à le relier à d’autres termes, le flot de connaissances se tarit, et l’entité mystérieuse commença à s'éteindre, s’évanouissant lentement dans l'obscurité du rêve. Hunfen tenta de la retenir, désireux d'en apprendre davantage, mais, il n’avait aucun moyen de se déplacer.

Lorsque l'entité eut complètement disparu, Hunfen se réveilla en sursaut, secoué par une main impatiente.

oOo

Hunfen ouvrit les yeux sur Irileth qui lui faisait face, un air sévère sur le visage. Il réalisa rapidement qu'il était allongé sur une couchette au temple de Kynareth. Lucia était à ses côtés, souriant timidement.

« Enfin réveillé, espèce de petit imprudent ? gronda la guerrière. Tu n'aurais jamais dû nous suivre jusqu'à la tour de guet. C'était extrêmement dangereux ! »

Hunfen bafouilla, cherchant ses mots. « Je... Je voulais juste voir le dragon de plus près, je suis désolé.

— Ne t'inquiète pas, Hunfen, tes blessures étaient légères, intervint Lucia en souriant. Ça fait deux fois aujourd’hui. Tu me fais un bon entraînement ! »

Le jeune nordique lui sourit en retour, reconnaissant. Autour de lui, il remarqua la présence des gardes blessés lors de l’opération. À leurs chevets, les prêtresses s’affairaient, le visage marqué par la concentration. La magie qu’elles déployaient semblait infiniment plus complexe que le sort de Lucia, témoignant de la grande expertise des praticiennes. Un grand nombre de fioles de potions aux formes diverses avaient également été apportées. Irileth soupira et annonça à Hunfen : « Je dois aller faire mon rapport au jarl Balgruuf. Tu viens avec moi, jeune homme. Il sera informé de ton escapade. »

Hunfen avala difficilement sa salive à cette annonce. Il se leva péniblement de la couchette et remercia Lucia avant d’emboîter le pas à Irileth hors du temple, puis à travers la place du Vermidor, franchissant enfin l’escalier de Fort-Dragon. Tout le long du chemin, il pouvait sentir le regard sévère de la huscarl peser sur lui.

Honteux et anxieux, Hunfen suivit Irileth à travers le hall de Fort-Dragon. Il sentit un poids sur sa poitrine en voyant l'expression sévère et préoccupée du Jarl, assis sur son trône. Les mains de l’enfant tremblaient légèrement et il essayait de ne pas laisser transparaître sa nervosité.

Irileth s'approcha de Balgruuf et commença à faire son rapport. « Mon jarl, la tour de guet Ouest a été détruite, mais nous avons réussi à vaincre le dragon. Malheureusement, cinq gardes sont tombés au combat, et nous avons également plusieurs blessés. Néanmoins, nous savons désormais que ces dragons peuvent être combattus et détruits ! »

Balgruuf hocha la tête. Hunfen remarqua un léger relâchement dans ses traits, mais son regard restait sévère lorsqu'il se tourna vers lui. Le jeune garçon se sentit comme pris au piège, incapable d'échapper au jugement du Jarl.

« Beau travail, Irileth ! Y a-t-il autre chose à signaler ?

— Oui, mon jarl. Quand le dragon est mort, ses chairs se sont immédiatement entièrement consumées. Il ne reste désormais de lui que son squelette. Je n’avais jamais vu rien de tel auparavant. »

Farengar intervint, intrigué : « C'est effectivement très curieux ! Je n’ai lu aucune référence à ce phénomène dans les anciens récits. C’est fascinant ! Cela pourrait bien constituer un indice sur la nature même de ces dragons ! »

Hunfen partageait l’étonnement du mage, et regretta de n’avoir pas été en mesure de voir cela de ses yeux, alors qu’il avait été aussi proche de la bête. Il fut cependant interrompu dans son fil de pensées quand Irileth poursuivit : « De plus, nous avons retrouvé Hunfen inconscient à côté du cadavre du dragon. Je ne comprends toujours pas comment il n'a pas brûlé avec le corps ! »

Balgruuf se tourna vers l’enfant, visiblement agacé par l'escapade du jeune garçon. « Je t’avais dit de rester à l’intérieur des murs. Ne va pas t’imaginer que le chemin de ronde ne t’a vas vu, mais les gardes n’allaient pas quitter leur poste pour te courir après ! »

L’évidence frappa Hunfen de plein fouet, ajoutant à la honte qui l’étreignait déjà. Trop concentré sur l’escouade qui se dirigeait vers la tour de guet, il avait totalement oublié la présence des gardes sur les murs. Il baissa la tête, tandis que Balgruuf poursuivait son sermon :

« Tu as fait preuve d'une grande imprudence en te rendant seul sur le champ de bataille. Crois-tu que nous serions ravis de te compter parmi les blessés ou les morts ? Tu as encore eu une chance stupéfiante cette fois-ci, mais je n’ai aucune envie de mener ton père à un cadavre lorsqu'il viendra te chercher ! »

Les mots du Jarl claquèrent dans l'esprit de Hunfen. Ses joues s'enflammèrent, et il trouva soudainement un intérêt particulier à la pointe de ses chaussures. Farengar, qui n’avait rien perdu de son excitation, demanda : « Peux-tu nous donner des détails supplémentaires sur le dragon ? As-tu remarqué d’autres choses ? » Balgruuf leva la main pour tempérer l'enthousiasme du mage. « Farengar, ce n'est pas le moment ! »

Malgré la réprimande, Hunfen releva la tête et regarda le mage, prenant soin de ne pas croiser le regard du Jarl. Il prit un moment pour rassembler ses penser et assurer tant bien que mal sa voix.

« Le dragon qui a attaqué la tour, commença-t-il, les mots sortant péniblement de sa bouche, ses écailles étaient plus claires, presque blanches, et il était un peu plus petit que celui d'Helgen. C'était un dragon différent, j'en suis sûr ! » Son cœur battait à tout rompre, mais il tenait à ce que sa désobéissance restât utile. S’efforçant de faire le tri parmi les informations qui lui paraissaient pertinentes, il poursuivit :« Il a dit plusieurs phrases dans sa langue, mais j’ai cru entendre 'Sovngarde' dans l'une d'elles, dit-il avec hésitation. Et après, il a parlé dans notre langue ! Il a dit que les mortels étaient divertissants ! Et puis "Vous êtes braves, votre défaite me fera honneur" ! »

Farengar, subjugué, prenait frénétiquement des notes. Balgruuf soupira. Son visage s’adoucit, et il finit par reprendre la parole, d’un ton plus posé : « Écoute, Hunfen, Jorrvaskr n'est sans doute pas le meilleur endroit pour calmer ta témérité, et je ne veux pas te voir risquer ta vie à nouveau. »

Hunfen sentit son cœur se serrer et sa gorge se nouer à ces mots, réalisant que le Jarl allait le retirer de l'environnement qu'il avait commencé à apprécier. Il s’efforça de conserver un visage neutre en attendant d’entendre la décision du Jarl. Ce dernier, après une pause, poursuivit : « Il y a un endroit, à Faillaise, qui accueille les orphelins. Je vais t’y envoyer, le temps que l’on retrouve ton père. Ils sauront bien mieux s’occuper de toi sans te mettre en danger là bas. »

La nouvelle frappa Hunfen comme un coup de poing. On le renvoyait de Blancherive. Son estomac se tordit et il sentit un goût amer envahir sa bouche. Cependant, il se tint droit et acquiesça humblement à la décision du Jarl, luttant pour ne rien laisser paraître de sa détresse.

« Lydia t’escortera jusqu'à Faillaise, » ajouta Balgruuf. « C'est une jeune guerrière talentueuse, experte dans l'art de protéger et de veiller sur autrui. Elle assurera ta sécurité durant le voyage. » Hunfen hocha la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

oOo

Lydia attendait patiemment Hunfen à la sortie de Fort-Dragon. C’était une jeune Nordique brune aux traits fins, qui contrastaient avec ses yeux noirs qui, derrière une expression stoïque, semblaient capter le moindre mouvement. Elle portait une armure faite de cuir renforcé de plaques acier, complétée par des gantelets et bottes de confection similaire. Une épée était accrochée à sa taille, tandis que son bras gauche arborait un bouclier de bois et de métal. Elle s'approcha de l’enfant, affichant un air sérieux qui ne laissait guère de place aux sentiments.

« Bonjour, Hunfen, je m'appelle Lydia, dit-elle en se présentant d'une voix ferme. Le Jarl Balgruuf m'a chargée de t'accompagner jusqu'à l'orphelinat Honorem à Faillaise. »

Hunfen hocha la tête, essayant de cacher sa tristesse. « Merci, Lydia », réussit-il à murmurer.

Les deux compagnons de route se hâtèrent en direction des portes de la ville. Seules deux carrioles quotidiennes se rendaient à Faillaise, et Lydia tenait à emprunter celle du soir, qui était sur le point de partir. Hunfen, qui portait sa dague à la ceinture, n'avait rien laissé derrière lui à Jorrvaskr. L'enfant aurait souhaité adresser un dernier au revoir aux Compagnons qui l'avaient chaleureusement accueilli, mais n’eut pas le courage d’exprimer cette demande à la guerrière. Le soleil avait déjà disparu derrière l'horizon, et les autres enfants étaient rentrés chez eux depuis bien longtemps. Ainsi, Hunfen ne put pas non plus les saluer une dernière fois.

En passant sous l'arche des portes de Blancherive, Hunfen fut incapable de contenir davantage ses émotions. Les larmes commencèrent à couler le long de ses joues tandis que des sanglots secouaient son corps. Lydia, qui marchait à ses côtés, le regarda, son expression habituellement stoïque trahissant une pointe d'incertitude. Elle n'avait jamais été douée pour gérer les émotions des autres, et encore moins celles d'un enfant en détresse. Malgré cela, elle tenta du mieux qu'elle pouvait de réconforter le jeune garçon. Gauchement, elle tendit la main et la posa sur l'épaule de Hunfen, offrant une sorte de réconfort silencieux. Hunfen, touché par ce geste, essaya de maîtriser ses larmes et de reprendre son souffle.

Ils arrivèrent finalement à la carriole qui les attendait. Le cocher, un homme d'âge mûr, les regarda monter avec curiosité, mais ne posa pas de questions. Hunfen et Lydia s'installèrent sur les bancs de bois, et la carriole s'ébranla, quittant lentement la ville.



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