Les enfants de Bordeciel

Chapitre 8 : Vendeaume

3024 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/06/2023 16:50

Chapitre 8 - Vendeaume


L'atmosphère plaisante des alentours de Faillaise avait cédé le pas à un froid mordant. La carriole, malmenée par les irrégularités des pavés, s'immobilisa brusquement, arrachant Hunfen à sa somnolence. Les rares moments de sommeil dont il avait pu profiter pendant le voyage, entre deux réminiscences des événements de la veille, ne lui avaient offert qu’un bien maigre repos. En outre, après son départ précipité et les longues heures du voyage, son ventre criait désormais famine. L’attelage s’était arrêté au pied du majestueux pont fortifié de Vendeaume, une construction imposante qui enjambait la rivière figée par la glace. À l'autre bout du pont, les murailles massives de la ville se dressaient fantomatiquement , à peine discernables à travers le brouillard de neige. Les flocons fins et acérés fouettaient sans pitié le visage du jeune Nordique, et le vent glacial s’infiltrait à travers les interstices de son armure de cuir.

Les pieds engourdis par le froid, Hunfen suivit les autres passagers et avança en direction de la ville, laissant des empreintes peu profondes dans la neige fraîche. Les rafales de vent se faisaient plus fortes et, malgré les murs qui bordaient le pont, balayaient des nuages de poudreuse, forçant l’enfant à se pencher en avant pour résister à leurs assauts. Ses yeux piquaient, ses mains tremblaient, et il sentait ses forces diminuer à chaque pas. Enfin, après ce qui lui parut être une éternité, il atteignit l'autre extrémité du pont. Hunfen s'arrêta un instant, le souffle court, ses joues rougies par le froid et l'effort. Il jeta un dernier regard en arrière, contemplant le chemin parcouru ; les traces de pas avaient déjà disparu. Avec appréhension, il entra dans la ville, passant sous le grand portail de pierre qui marquait l'entrée de Vendeaume.

La vue familière raviva le souvenir de sa dernière visite au jeune Nordique, mémoire d’un temps qui lui paraissait si ancien, lorsqu’il y avait fait escale avec son père. Désormais seul, la ville dont il avait gardé une image majestueuse lui apparaissait maintenant oppressante, les hauts bâtiments de pierre noyés dans le vent enneigé rendant le paysage monochrome. Pour couronner le tout, ses entrailles se tordant de faim rivalisaient avec ses paupières pesant de sommeil, clamant chacune à une satisfaction immédiate. Face à lui, une grande bâtisse tout en longueur, rendue plus accueillante par la présence d’un large brasero à côté de la porte, attira son attention. S’approchant afin de profiter de la chaleur du feu, il put lire sur l’enseigne : « Auberge du Candélâtre ».

Attiré par la promesse d'un abri et d’une soupe chaude, Hunfen s’engouffra dans la taverne. Contrairement à la robustesse de son extérieur quasi tout en pierre, l'intérieur de l'auberge était chaleureusement habillé de bois. Les poutres sombres, sculptées avec soin, traversaient le plafond, donnant un sentiment de robustesse et d'accueil. La chaleur de la grande cheminée centrale l'accueillit, chassant le froid de ses joues rougies et réchauffant ses doigts engourdis. Les flammes dansaient joyeusement, jetant des ombres mouvantes sur les murs en pierre et illuminant l'espace d'une lueur chaleureuse. Derrière le comptoir, une aubergiste souriante servait des plats mijotés et des chopes de bière avec une générosité joyeuse. L'odeur du ragoût épicé, du pain chaud et de l’Eidar, fromage typique de Bordeciel, titilla le nez de l’enfant et fit gronder son estomac de plus belle. Un escalier de bois rudimentaire menait à un étage en mezzanine où trônait une seconde cheminée tout aussi accueillante, entourée de chaises et de fauteuils confortables. La douce mélodie d'un barde résonnait depuis ce niveau, jouant un air à la gloire des sombrages et promettant de chasser la légion impériale hors du pays. Hunfen s’approcha du comptoir et tendit quelques septims en demandant timidement : « Je voudrais une part de ragoût, s’il vous plaît ». La tenancière lui adressa un sourire bienveillant et lui servit un bol fumant. Il emporta son repas près de la cheminée, s'installant confortablement dans un fauteuil pour se réchauffer.

Quand il eut vidé son bol, la chaleur du feu et la satiété le plongèrent dans la somnolence. Cependant, son esprit était trop agité pour lui permettre de s’endormir totalement. Qu’allait-il faire, désormais ? Lui restait-il assez d’argent pour louer une chambre, au moins pour la nuit ? Comment trouver où habitait Aventus ? Que faire s’il n’y parvenait pas ? Ulfric Sombrage était-il à nouveau en ville ? Le jarl ne le reconnaîtrait sans doute pas, de toutes façons. Il resta dans son fauteuil, observant l’allée et venue des gens qui ne prêtaient guère attention à lui.

Parmi les conversations qu’il écoutait d’une oreille distraite, le mot « dragon » capta son attention à plusieurs reprises. Les gens parlaient non seulement du retour des dragons en Bordeciel, mais il était également question de l’apparition d’un « enfant de dragon », que les Grises-Barbes avaient appelé. L’enfant savait que ces derniers étaient de vieux ermites qui vivaient reclus sur la plus haute montagne de Bordeciel, mais ne saisissait pas en quoi avait pu consister leur appel. Avaient-ils envoyé des messagers ? Quant à l’Enfant-de-dragon, il n’en avait entendu parler que dans les vieilles légendes. Un être capable de terrasser des dragons, d’absorber leurs âmes et d’utiliser leurs pouvoirs. L’image d’Irileth apparut dans son esprit : c’était elle qui avait achevé le dragon de la tour Ouest. Était-elle vraiment une Enfant-de-dragon ?

Hunfen resta là jusqu'à la tombée de la nuit, enveloppé dans la douce chaleur de la cheminée. À plusieurs reprises, le sommeil s'insinua dans ses yeux, lui offrant de courts moments de répit dans son inquiétude incessante. Cependant, chaque fois qu'il s'endormait, son sommeil se révélait trop léger, trop éphémère, pour lui offrir le repos profond dont il avait tant besoin. Il se réveillait toujours, son esprit agité par des questions sans réponse et une inquiétude qui le rongeait. Il ne pouvait s'empêcher de penser à son père, à la présence rassurante qu'il aurait représentée dans une telle situation. Olfand, l'aventurier robuste qui prenait la vie comme elle venait, qui n'hésitait pas à aller de village en village pour travailler, chasser et pêcher, avait toujours su trouver des réponses, même aux questions les plus déroutantes. Il savait calmer les peurs de Hunfen, apaiser ses inquiétudes, et lui donner la force de continuer, quelles que soient les circonstances.

La solitude lui pesait lourdement. Il se sentait perdu sans la figure paternelle familière pour le guider. Bien sûr, il avait toujours aimé l'idée de parcourir Bordeciel, de découvrir de nouveaux endroits et de vivre de nouvelles aventures. Mais maintenant qu'il se retrouvait seul, il réalisait à quel point c'était beaucoup plus amusant avec son père à ses côtés. Ils partageaient les joies et les défis du voyage, appréciaient la beauté des paysages ensemble, et c'était la présence de son père qui donnait un sens à tout cela.

La porte de l'auberge s'ouvrit à la volée, faisant pénétrer une bourrasque de vent froid qui tira l’enfant de ses pensées inquiètes. Un homme en uniforme de sombrage entra, balayant la pièce du regard avant que son regard ne croise celui de Hunfen. C’était Ralof. À la vue de l’homme, toute lassitude quitta soudainement l’enfant et il se précipita à sa rencontre. Le sombrage sembla un instant surpris, puis un sourire éclaira son visage. Il ébouriffa affectueusement les cheveux du jeune garçon.

« Hunfen? Par les Neuf, mais qu'est-ce que tu fais ici tout seul ? » demanda-t-il, sa voix remplie d'inquiétude. L’enfant hésita, ne sachant pas par où commencer. Puis, au bout de quelques secondes, tout se déversa. Il raconta son arrivée à Blancherive, sa rencontre avec les Compagnons, l'attaque du dragon, son séjour à l'orphelinat Honorem, le cri qui avait jailli de lui, la chute mortelle de Grelod, sa fuite à Vendeaume, sa mission pour retrouver Aventus. Sa voix tremblait tandis qu'il décrivait ses peurs et ses inquiétudes, ses mots se bousculant comme s'il craignait qu'ils ne suffisent pas à exprimer l'ampleur de ce qu'il avait vécu.

Ralof l'écoutait avec une expression sérieuse, hochant la tête de temps en temps. Quand Hunfen eut fini de raconter son histoire, le sombrage se tourna vers la tenancière de l'auberge. « Elda, tu aurais une chambre pour le garçon ici? Pas trop chère si possible, je ne roule pas sur l’or en ce moment. »

Elda acquiesça, un sourire doux sur son visage. « Bien sûr, Ralof. Le garçon peut prendre la petite chambre du fond. C'est la moins chère que j'ai, mais elle est chaude et confortable. »

Ralof se tourna à nouveau vers Hunfen, posant une main rassurante sur son épaule. « Tu as eu une longue journée, Hunfen. » lui dit-il en le guidant au fond de l’auberge, vers la chambre. « Tu vas déjà passer une bonne nuit. Je viendrai te voir demain matin et on avisera... »

Arrivé à la porte de la chambre, Ralof se figea soudainement. Hunfen se retourna brusquement et vit une silhouette qui était apparue juste derrière l’homme. Une main gantée pointait une dague contre sa gorge. « Qui êtes vous, et que comptez-vous faire à cet enfant ? » questionna une voix féminine sur un ton glacial. Ralof leva les mains en signe de paix, surpris par l'apparition soudaine et totalement à la merci de son assaillant.

« Lydia ?! » s'exclama Hunfen, reconnaissant la guerrière.

Ralof, se retourna lentement, s'efforçant de ne pas provoquer un geste malencontreux. « Je lui fournis un endroit où se reposer » répondit-il, sa voix calme et assurée contrastant avec la menace de la dague. « Et vous, on peut savoir qui vous êtes ? »

Hunfen fit un pas en avant. « Lydia, c'est Ralof ! Il m'a aidé à m’échapper à Helgen ! » expliqua-t-il rapidement, espérant calmer la situation. « C’est Lydia, la guerrière qui m’a emmené à Faillaise ! » ajouta-t-il à l’attention du sombrage.

Lydia abaissa lentement sa dague sans quitter Ralof des yeux. Après un moment de silence, elle rangea son arme et porta sn regard sur Hunfen. « Le Jarl Balgruuf m'a chargée de te retrouver et de te protéger, dit-elle. Honorem nous a averti par message de ta disparition. J’ai chevauché jusqu’à Faillaise, puis tes camarades m’ont dit que tu étais à Vendeaume. »

L’enfant sentit ses inquiétudes de l’après-midi s’envoler totalement. Elles furent vite remplacées par de nouvelles, bien moins angoissantes cependant : Lydia allait-elle l’autoriser à rechercher Aventus le lendemain ? À quel point était-elle au courant du plan d’évasion ?

« Je vais te laisser te reposer, Hunfen, ajouta-t-elle après quelques instants. Nous parlerons de tout cela demain. »

Les deux adultes sortirent de la chambre, laissant le jeune Nordique seul avec ses pensées. Il regarda la porte se refermer derrière eux, le silence de la chambre lui donnant l'impression d'être isolé du reste du monde. Il poussa un soupir profond, la fatigue de la journée pesant lourdement. Il se déshabilla rapidement et se glissa sous les couvertures épaisses du lit.

oOo

L’heure avançant, la salle principale de l’auberge se vidait peu à peu de ses clients. Lydia avait pris place à une table au fond de la pièce, proche des chambres, mais déjà à son goût bien trop loin du jeune garçon dont elle avait la charge de la protection. Assis face à elle, Ralof tenait en main une choppe d’hydromel de laquelle il tirait une gorgée de temps à autre. Elle l’examinait attentivement, cherchant à discerner toute trace de mensonge ou de tromperie dans ses paroles et ses actions.

« Dis-moi, Ralof, commença la guerrière d’une voix basse mais ferme. Que t'a dit Hunfen de son passage à l'orphelinat Honorem? »

Ralof hésita, la choppe à mi-chemin vers ses lèvres. Il la reposa lentement, son regard sombre dérivant vers le nœud de bois dans le coin de la table. « Il m'a parlé de la maltraitance que cette Grelod lui a fait subir, dit-il enfin. Il m'a dit qu'elle l'a attaché, qu'elle voulait lui faire du mal. De ce que j’ai compris, il a crié, ça a du surprendre la vieille, elle a trébuché et s'est cognée la tête.

— Crié, tu dis ? Demanda Lydia en s’efforçant de garder un ton neutre.

— Oui, il m’a dit qu’il avait crié très fort, par peur sans doute, répondit le sombrage. Je l’ai déjà entendu crier comme ça, quand on a fui Helgen. Une impériale avait essayé de le tuer ». Un sourire crispé se dessina sur ses lèvres à l’évocation du souvenir. Après quelques instants, il ajouta : « Cette fois là, il avait libéré sa magie pour se protéger, un sort de flammes pas piqué des vers ! Dans un sens, il a de la chance que ça ne soit pas arrivé à l’orphelinat. Ç’aurait rendu la situation encore pire pour lui. »

Lydia hocha la tête, un soupir de soulagement lui échappant. Ralof, apparemment, ne soupçonnait rien, ce qui signifiait qu'il ne risquait pas de compromettre sa mission. L’appel des Grises-Barbes avait retenti à travers Bordeciel sous la forme d’un grand cri « Dovahkiin ! », semant rumeurs et spéculation à travers la province : pour la première fois depuis Tiber Septim, un Enfant-de-Dragon avait été révélé, et tout le monde s'interrogeait sur son identité. Dans le message que Balgruuf avait reçu de Honorem, relatant les détails de la fuite de Hunfen, il avait été mentionné qu'un puissant cri avait secoué tout l'orphelinat. Le Jarl avait aussitôt fait le rapprochement avec le Thu’um . L'étrange incident à la tour Ouest de Blancherive, où le dragon avait inexplicablement pris feu, avait renforcé ses soupçons : selon la légende, l’Enfant-de-Dragon était capable d’absorber l’âme des dragons, lui conférant une capacité instnctive pour apprendre les Mots de Pouvoir draconiques. Ainsi, il était possible, aussi aberrant que cela parût, que Hunfen fût celui que les Grises-Barbes avaient appelé, et que même inconscient, il ait été capable d’absorber les pouvoirs du dragon. Lydia avait alors reçu des instructions claires et précises : retrouver l'enfant et le protéger à tout prix, surtout des deux camps en conflit qui chercheraient certainement à l'exploiter pour leur cause. Une fois que la sécurité de Hunfen serait assurée, elle devrait confirmer ou infirmer les capacités qu'on lui supposait, et en fonction de cela, soit le conduire vers les Grises-Barbes, soit le ramener à Honorem.

« Et t’a-t-il parlé d’un certain Aventus Aretino ? » demanda-t-elle, changeant de sujet pour détourner l’attention du sombrage.

Ralof soupira. « Oui, apparemment c’est pour le chercher qu’il était venu à Vendeaume.

— Et qu’est-ce qu’il sait de ce gamin ? »

Ralof haussa les épaules. « Pas grand-chose, je suppose. À ce qu’il m’a dit, c’est un des enfants de l’orphelinat, mais il a réussi à s'échapper il y a peu de temps. Hunfen est persuadé qu’il est rentré à Vendeaume. Il veut le retrouver et le ramener à l'orphelinat, maintenant que Grelod n’est plus là pour le maltraiter. Apparemment, ce sont les autres gosses qui lui ont confié cette mission, mais il a l’air de beaucoup y tenir.

— Parfait ! grogna Lydia. Encore une chose à gérer... »

Ralof éclata de rire, mais son sourire disparut rapidement quand il remarqua l'expression grave de Lydia. « Je suis désolé, dit-il sincèrement, je me doute que ça ne doit pas être ton plan initial. Mais si j'ai un conseil à te donner, c’est de chercher plutôt dans les beaux quartiers de la ville, pas loin du Palais des Rois. Si ce gosse a été conduit à l'orphelinat et pas laissé à la rue, c'est que sa famille devait être au moins connue du jarl. »

Lydia acquiesça, prenant en compte le conseil de Ralof. La meule de foin dans laquelle chercher l’aiguille Aventus s’amenuisait déjà un peu : Ils n’auraient à parcourir ni le Quartier Gris, ni le port. D’un autre coté, se retrouver à proximité du Palais des Rois, et donc d’Ulfric Sombrage, ne lui plaisait pas particulièrement.

« Je dois aller rejoindre un camp sombrage demain, poursuivit Ralof avec une expression douce-amère. Je ne serai plus là pour veiller sur Hunfen. Je te le confie, Lydia ! »

Lydia le regarda longuement. Ralof semblait réellement tenir à Hunfen. Elle fut un instant tentée d’en dire plus sur la situation, mais se ravisa immédiatement. De par son allégeance, moins l’homme en savait, mieux ça valait. Il suffisait d’un mot de trop pour que les soupçons du jarl de Vendeaume ne s’éveillent, et le régicide n’aurait alors de cesse de pourchasser l’enfant. Même sans cela, plus vite ils auraient quitté les lieux, mieux ce serait. Et cette quête pour retrouver le jeune Aretino allait déjà trop retarder leur départ de la ville.

« Ne t'inquiète pas, Ralof, dit-elle finalement. On m’a chargée de veiller sur lui, et c’est ce que je vais faire. »


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