Honneur et Amertume

Chapitre 7 : Les Sans-Tresses II : La Conspiration des Sans-Tresses

4694 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/02/2021 23:28

L'air vibrait au passage des flèches sur le terrain d'entrainement. Le bruit mou des impacts sur les cibles résonnait à intervalle régulier, le long du talus où elles étaient installées. Shaiélaè tirait pour se détendre et pour vider son esprit. Elle aimait s'y rendre le soir venu lorsqu'aucune corvée ne la retenait. L'entrainement réglementaire des bataillons d'archers achevé, elle y était généralement seule. Le terrain n'accueillait qu'une poignée de tireurs comme elle des plus acharnés.


Tchoc. Au terme de sa course, le trait s'enfonça au centre de la cible,.


Tchoc. Le second suivi le même chemin et se planta un peu plus loin loin.


Elle ne pensait plus à Ioreck. Leur dispute datait de la veille, elle ne l'avais plus revu depuis. Elle savait de source sûr qu'il était venu ce matin au cantonnement de son unité. Ses compagnons avaient informé le nordique de son absence pour cause de corvée, mais de toute manière, elle aurait refusé de le voir. Ça lui fera les pieds un moment.


Tchoc. Un peu haut. La flèche se ficha en vibrant juste au bord de la cible.


Shaiélaè visait la cible la plus lointaine, 550 pieds plus loin. Ses efforts pour améliorer sa précision à très longue portée portaient leurs fruits. Jamais a Val-Boisé l'occasion de tirer en situation réelle à une telle distance ne s'était présentée à elle. Une occurrence pourtant quotidienne dans les vastes étendues nues de Martelfell. Le style de la petite elfe évoluait vite pour s'adapter à cette nécessitée. Il lui restait encore du chemin atteindre la perfection qu'elle s'imposait, mais elle pouvait à présent décocher trois flèches en une seconde et demi dans une cible à 500 pieds.


" Pas mal. Quel arc utilises-tu ? "


Shaiélaè se retourna. Nora Loune l'observait, assise sur la barrière délimitant le stand de tir. Noués à l'écharpe ceinturant sa taille pendait son tanto et son fameux katana.


" Merci," dit Shaiélaè en piochant trois nouvelles flèches garnissant carquois à sa hanche. " Mais ce n'est pas vrai : je n'ai pas touché le centre... L'arc, c'est celui que m'a offert Matudi. Il est en os de serpent des sables encollé sur des lames d'orichalque. J'ai fais moi-même la corde, avec des boyaux de chameau. Je n'aime pas celles des Rougegardes, ni celles de la Légion. Elles sont trop rigides."


Elle regrettait encore la perte dans son vieil arc. Le dernier souvenir qu'elle possédait encore de son adolescence à Val-Boisé... Une charge de cavalerie avait eu raison de l'objet si cher à son cœur, son arme si fidèle. Mais la petite elfe avait perdu bien assez d'êtres qui lui soit bien plus cher. Pleurer pour un arc était ridicule. Et puis, se consolait-elle, sa courte portée l'aurait rendu peu efficace pour les combats dans le désert. Après sa perte,Shaiélaè s'était dès lors rabattue sur un arc long breton, jusqu'à ce qu'un chef de clan rougegarde ne lui fasse présent d'un arc de méharis alik'r.


Shaiélaè cru encore un moment que la raison de la présence de sa supérieure n'avait d'autre dessein que de parler d'arc et d'évaluer ses compétences. Nora avait la veille résumé à son escouade les conclusions de sa réunion avec le général Decianus. Elle leur avait expliqué qu'ils retourneraient dans le désert, cette fois pour coordonner la guérilla des alik'r contre les ressources du Domaine. Mais pas avant un mois, le temps de s'organiser. Shaiélaè trouvait trop long ce délais interminable. Elle se languissait de boire encore du thé aux épices et de contempler les étoiles du désert depuis le dos d'un chameau.

La présence de Nora répondait pourtantà un tout autre objectif, Shaiélaè s'en rendit bientôt compte. L'agent des Lames déclara d'un ton autoritaire :


" Réunion ce soir dans ma tente, deux heures après la tombée de la nuit. "


" C'est pour préparer la prochaine mission ? ", s'étonna Shaiélaè. La dernière discussion à ce sujet datait précisément de la veille...


Nora ne répondit pas :


" Deux heures après la tombée de la nuit, dans ma tente, " répéta-t-elle seulement. " C'est confidentiel, n'avertit personne d'autre. "


Nora jouissait d'un place prédominante au sein de l'armée impériale. En réalité, elle ne rendait de comptes en tant que Lame qu'à l'Empereur et à la hiérarchie interne de son ordre. Même le général Decianus, commandant en chef de la Légion en Martelfell n'avait sur elle nulle autorité. Dans les faits, Nora se rangeait tout de même sous ses ordres et s'en remettait à son jugement de stratège éclairé. De bonnes relations entres les Lames et la Légion étaient nécessaires pour la coopération. Elle pouvait ainsi bénéficier du secret absolu autour de ses activités et demenus privilèges dûs à son rang . Comme une tente personnelle, située juste à proximité du pavillon de l'état-major.


Quand Shaiélaè poussa la tenture masquant l'entrée de cette tente, deux heures après le crépuscule, ce qu'elle y vit à l'intérieur de fît qu'attiser sa curiosité. Nora ne l'avait pas invitée seule. Du monde patientait à l'intérieur. Pas l'escouade que commandait Nora mais des gens que Shaiélaè ne connaissait pas pour la plupart. Elle s'étonna pourtant de voir Suzanna, appuyée au poteau de tente comme une sentinelle appuyée sur sa lance. Shaiélaè ne voyait pas ce que la guerrière pouvait faire bien là, invitée par une agent des Lames en mission secrète pour l'Empire. Puis Shaiélaè remarqua; quand elle eu finis de toute les dévisager, que convives étaient toutes des femmes. Elle en compta quatre, de grade et d'unités différentes. L'une portait une armure de légat, une autre un tablier brodé du lys bleu des services de santé... Nora acheva sa discutions avec une autre invitée pour accueillir la petite elfe qui ne comprenait décidément rien à ce qui se tramait là. Elles étaient donc six sous la tente. Sept lorsqu'une autre membre des services de santés de l'Empire entra à son tour, quelques instant après Shaiélaè.


"Ah nous sommes donc au complet ! " annonça Nora lorsque la dernière venue pointa le bout de son nez. " Prenez place, asseyez-vous. Ma tente n'est pas très confortable je le crains, mais n'hésitez pas à vous installer sur le lit de camps."


Shaiélaè obtempéra et s'assit en tailleur entre le lit et la cantine de Nora, cernée d'un côté par l'une des guérisseuses, de l'autre par le légat assise toute deux respectivement sur chacun des meubles. Ce n'est pas pour autant qu'elle saisissait mieux la raison de tout ceci...


" Ceci, " lança Nora, " est une réunion parfaitement officieuse. La sécurité de l'Empire n'est pas en jeu, je vous rassure. Aussi les grades n'ont nulle espèce d'importance ce soir sous cette tente. Je ne m'adresse pas à vous comme une agent des Lames délégué par l'Empereur pour opérer dans la province. C'est en tant que femme que je vous parle. Ceci étant dit, n'excluons pas la courtoisie. Procédons aux présentations. Nous passerons ensuite au cœur du sujet. Je vois des visages incompréhensif parmi celles qui ont reçu mon invitation sans savoir de quoi il retournait."


Nora désigna Suzanna juste à sa gauche, toujours debout contre le poteau.


" Voici Suzanna Honrich, IXème légion, XIème cohorte auxiliaire d'infanterie de choc. C'est une camarade d'arme de Ioreck Halfurson. Elle a assisté au forfait et pourra décrire l'incident pour vous. L'idée de cette réunion vient d'elle, en partie. "


Suzanna hocha la tête pour saluer chacune. A sa gauche venait ensuite une femme de peau matte, grande et fine. Un chignon compact retenait ses cheveux derrière son crâne. Elle état assise sur un des bouts du lit de camps, à côté du légat.


" Cneia Publia, XXIIème légion, Ière cohorte affiliée aux services administratifs du bureau de l'état-major. Ses activités de liaison avec le commandement de la milice princière de Skaven la conduisent à se rendre en ville régulièrement. J'expliquerais plus par la suite quelle importance joue ce détail.


Au l'autre bout du lit, voilà le légat Primevera Primapandora. Elle est la tête de la Vème cohorte d'artillerie de siège de la VIIème légion mais rassemble sous ses ordres l'ensemble des unités d'artillerie de cette armée. C'est aussi une amie personnelle de longue date et c'est la promesse d'un bon tour qui lui rappellera nos années à la Cité Impériale qui l'a attiré ici. Son grade et son influence sont un atout de choix pour notre entreprise.


Au pied du lit, je vous présente Shia... Pardon, Shaiélaè, VIIème légion, premier bataillon de reconnaissance, affectée à mon service dans les forces spéciales. C'est une amie proche de Ioreck Halfurson. Elle a été témoins de sa méfait qui l'a, me semble-t-il, particulièrement affectée. Elle pourra vous en dire plus sur son point de vue à ce sujet."


La petite elfe saisissait peu à peu ce qu'il se passait. Tout cela avait à voir avec Ioreck et son comportement odieux de la veille envers Elena... Un sourire réjouit éclaira lentement son visage, tandis que Nora poursuivait les présentations.


C'était au tour de la guérisseuse installée sur la cantine, celle arrivée derrière Shaiélaè. Une petite bretonne replète aux mains nerveuses.


" Je vous présente Jeanine Estienne, du premier bataillon sanitaire de la IXème légion. C'est une collègue et une amie proche de la victime. Elle pourra témoigner des émotions ressenti par Elena Dyre à la suite de cet horrible événement."


Vint enfin la dernière convive, une nordique dont le visage commençait à se couvrir de rides :


"Soeur Ulrika Mortepierre, également de la IXème légion, premier bataillon sanitaire. C'est la supérieur directe d'Elena Dyre, qui est pour elle comme une fille. Elle souhaiterais rendre justice pour l'affront subi par sa subordonnée.

Maintenant que les présentations sont terminées, je suggère d'en venir aux faits. Suzanna, Shaiélaè, pouvait vous décrire l'incident à chacune d'entre nous, tel qu'il s'est déroulé ?"


Toute d'eux acquiescèrent et firent le récit de l'incident auquel elles avaient assisté la veille, prenant le relais l'une de l'autre pour y ajouter tel ou tel détail. Jeanine et Ulrika parlèrent ensuite d'Elena et racontèrent la détresse dans laquelle ce rejet l'avait plongée.


" Elle a toujours été une fille d'un naturel jovial. Un peu rêveuse, mais travailleuse comme pas deux. Ce n'est pas toujours facile, quand il faut opérer des heures et des heures sans pouvoir se reposer. Mais pas une plainte n'a jamais franchi ses lèvres. " expliqua Ulrika.


"Elle me parlait souvent de Ioreck, " repris Jeanine." Elena l'avait remarquée de loin il y a un moment déjà. Sans oser l'aborder, jusqu'à ce qu'il soit blessé il y a deux jours. Elle a alors insisté pour s'occuper personnellement de lui, elle était si heureuse d'avoir enfin l'occasion de lui adresser la parole. Elle m'en a parlé, elle craignait un refus de sa part si elle osait demander de sortir avec elle. Je l'ai alors encouragée à tenter quand même, je l'ai convaincue qu'elle n'avait rien à perdre... Ni elle ni moi ne s'attendions à une telle humiliation. Je l'ai quitté toute excitée alors qu'elle partait changer son pansement, je l'ai retrouvée complétement ravagée... Et je me sens coupable, c'est moi qui l'ai incitée à révéler ses sentiments. Je ferais tout pour rattraper mon erreur..."


" Il est de notre devoir de défendre l'honneur de notre sœur," déclara Nora. " . Le nom d'Elena Dyre était jusqu'à récemment inconnue de la plupart d'entre nous. A travers elle, Ioreck Halfurson nous a toute insultées. Il est nécessaire de venger l'honneur de notre sœur, mais aussi de toute les femmes qui composent cette armée. Combien la légion compte-t-elle d'Elena Dyre dans ses rangs ? "


" Nous somme toutes prêtes à donner notre vie pour l'Empire, mais sacrifions aussi notre féminité dans cette guerre. , " affirma Cneia.


" Un sacrifice que ce Ioreck foule au pied en insultant Elena. Elle a subi ce rejet de plein fouet mais n'importe laquelle des milliers de femme de cette armée aurait pu être à sa place."


Jeanine se leva de la cantine pour s'exprimer fièrement :

" Ioreck croit peut être que nous sommes moins que des femmes parce que nous avons donné nos cheveux pour l'Empire. Nous n'avons peut être pas de tresses, mais lui prouver l'inverse !


Sa déclaration déclencha un tonnerre d'applaudissement que Nora modéra, craignant que les officiers d'état-major dont la tente se trouvait à proximité ne soient alertés par ce vacarme suspect. Les paroles de la guérisseuses rencontrèrent toutefois un franc succès. D'un commun accord, les conjurées décidèrent de se nommer les "Sans-tresses."


Nora, lorsque le calme retomba, exposa à toute le plan enfanté par son esprit.... Et Shaiélaè explosa de rire en l'entendant. Apaisée par Jeanine de vigoureuses tapes dans le dos, elle promis à Nora Loune son soutien inconditionnel une fois la crise de fou-rire achevée. Chacune des sans-tresses en fit autant.


Elles passèrent le reste de la soirée à apporter leurs idées pour améliorer le plan de Nora. Il fût convenu de la tenue d'une réunion ultérieure pour organiser les détails de celui-ci. Bien que simple dans sa forme, la mise en œuvre demandait d'importantes ressources pour réussir. La nature même de la conjuration interdisait de mêler des hommes aux sans-tresses. D'autres femmes, quand à elles, seraient amenées à se joindre à la conspiration.


Le légat Primapandora proposa sa tente personnelle pour abriter la prochaine réunion, de manière a éviter d'attirer l'attention sur Nora par des allées et venues réguliers autour de la sienne.


" Je ferais parvenir l'heure et la date aux concernées en temps voulu .Si vos obligations militaires vous retiennent, transmettez à une autre toute information que vous auriez souhaité porter à l'ordre du jour."


Pour Shaiélaè qui pensait ne pas supporter l'attente jusqu'à son retour parmi les alik'r, elle trouva une forme distraction nouvelle dans le complot auquel elle prenait part fiévreusement... et une nouvelle source d'impatience tant l'excitait la hâte d'une nouvelle réunion et d'assister au résultat final de tout leurs efforts. "La vengeance est un plat qui se mange froid" , affirmait le dicton. Pour faire retomber la pression et abaisser la garde de Ioreck, Shaiélaè cessa peu à peu de bouder et accepta de reparler à son ami, sans que ni l'un ni l'autre n'évoque à nouveau l'incident qui les avait déchiré. Ce n'était pas leur première dispute ni leur première réconciliation... Et si leur amitié retrouvée, sans que ce sujet ne revienne sur la table ravissait Shaiélaè, elle n'oubliait pas l'affront. Elle puisait du réconfort en sachant que son châtiment viendrait en temps voulu.


Pour le reste, elle passait l'essentiel de son séjour au camps à préparer la saison à venir chez les alik'r. Le repos que l'escouade espérait fut bref. Nora insistait pour ne pas gâcher cette période creuse par l'inactivité. Shaiélaè se devait d'étudier centimètre par centimètre des cartes du désert, réviser la faune et la flore du pays qui n'avait pas manqué par le passé de presque tous les tuer. Elle suivait tout particulièrement une instruction spéciale sur les usages et les règlements en vigueur dans l'armée Aldméri, tirée de rapports des renseignements. La petite elfe devait au besoin se faire pour l'ennemi, ile ne fallait pas laisser de stupides erreurs gâcher sa couverture... Sinon, partageait son emplois du temps entre le tir à l'arc, les chevauchées et le tir à l'arc en chevauchant. Impitoyable quand à ses exigences pour ses forces spéciales, Nora imposait de longues marches éprouvantes dans les collines autour du camps qui laissait Shaiélaè brisée sur sa paillasse quand ils rentraient le soir. Et quand elle n'était pas d'entrainement il y avait encore les corvées, qu'il s'agisse de l'entretient du campement ou du quart de surveillance, Shaiélaè les détestait toute plus les unes que les autres, mais les exécutait sans broncher le moins du monde. Les nomades alik'r et la conspiration des sans-tresses occupaient à chaque moment de la journée un coin de son esprit et l'aidaient à tenir le coup même dans les instants les plus pénibles.


Trois jours s'écoulèrent jusqu'à ce que Shaiélaè entende à nouveau parler de la conspiration. Une matinée studieuse s'achevait. Devant ses yeux flottaient encore les images des créatures monstrueuses de Martelfell dont Nora leur faisait apprendre le mode de vie. De somptueuses planches de dessins illustraient les parchemins qui servaient de support au cours. Les monstres plus vivants que nature s'étalaient sur la pages comme la promesse du désert sauvage et mystérieux qu'il lui tardait de revoir. Le corps de Shaiélaè fatiguait d'une matinée passée assise, immobile mais son esprit fourmillait d'histoires et d'informations tant sur les colossaux tranchedunes que les effrayantes lamias. La plupart de ses créatures, elles les avaient déjà croisée par le passé. Souvent pour le pire... Mais elles les trouvait fascinantes. Tout ces détails qu'elle apprenait à leur sujet comblaient à loisir sa curiosité naturelle.


Shaiélaè resta encore un peu après l'instruction alors que le reste de son escouade s'en allait déjeuner. Elle voulait admirer encore un peu l'image saisissante de réalisme d'un serpent géant des sables. L'artiste avait dessiné un groupe de voyageurs qui le désignaient du doigt, donnant l'échelle au gigantisme de l'effrayant reptile. Shaiélaè se remémora en frissonnant sa dernière rencontre avec une créature semblable. Bien que plus petite que celle du parchemin, Corin manqua bien de perdre sa jambe ce jour là...

Nora rangeait les autres feuilles lorsque Shaiélaè la sentit lui glisser quelque chose en main. Elle ouvrit le poing pour découvrir au creux de sa paume une petite tresse confectionnée à partir de brins de fils de chanvre. Jamais de sa vie la petite elfe n'avait vu un tel objet, elle en comprit pourtant automatiquement la signification..


" Quand ? " demanda-t-elle simplement sérieusement, rongée d'impatience et d'excitation.


Les yeux de Nora pétillaient de mystère :


" Ce soir, à la même heure que la dernière fois. Dans la tente de Primevera. Elle est en bordure du polygone de tir. Il y a l'emblème de la Vème cohorte d'artillerie au sommet de son poteau : une comète survolant trois clous entrecroisés."


Nora tira doucement la planche figurant le serpent des sables. Elle la glissa avec les autres feuilles et emporta le dossier sous son bras sans rien ajouter de plus à Shaiélaè.


Par souci de simplicité, toute les unités d'artilleries de chaque légions en service dépendaient d'un commandement unique commun. Les cohortes d'ingénieurs et de sapeurs qui veillaient au fonctionnement de centaines de balistes, trébuchets, mangonneaux et scorpions de toutes tailles campaient toutes ensemble. Leurs tentes encerclaient à demi la terrasse où s'alignaient les pièces en attendant d'être déployées.


Trois énormes trébuchets s'entrainaient au tir nocturne lorsque le soir venu, Shaiélaè se lança à la recherche de la tente du légat Primapandora. Les poutres de bois bardées de fer de leur structure mugissait à chacun des tirs. Les dizaines de pots de poix enflammée qu'elles lançaient qui illuminaient le ciel dans l'ellipse de leur course comme autant d'étoiles filantes boursouflées. Un spectacle rare, auquel Shaiélaç aurait prêté plus d'attention si ses pensées n'étaient pas déà si occupées par le secret de la conspiration.


Près de la tente de Lucretia, une poignée de factionnaire en gardait les environs. Toute des femmes... remarqua Shaiélaè lorsqu'elles la laissèrent passer sans encombre. Nora Loune et Primevera Primapandora patientaient à l'intérieur. On attendait encore Jeanine et Cneia. Ulrika et Suzanna ne pouvaient quitter leur unité ce soir. De nouveaux visages les remplaçaient : Marjane, Ingrid et Clarisse, respectivement cantinière, alchimiste et légionnaire.

On discuta ce soir là de la logistique plus terre à terre de la conspiration. La société secrète formée quatre jours auparavant propageait à grande vitesse ses tentacules partout où elle trouvait des femmes dans le camps. Sans que Shaiélaè ne s'en rende compte le moins du monde, des dizaines, peut être des centaines de sans-tresses participaient au complot plus ou moins directement. La solidarité les motivait tout autant que l'ivresse de prendre part à cette farce colossale, ce grand jeu invisible au nez et à la barbe des hommes et de sa victime inconsciente de ce qui lui tomberait bientôt sur le nez. Grand jeu, oui, mais orchestrée par Nora avec autant de soin qu'une opération confidentielle de l'Ordre des Lames. L'agent secrète débauchait pour la conspiration l'entièreté de ses talents d'organisation, de désinformation, de persuasion...


" J'ai reçu mon emploi du temps pour le mois à venir, " dit Cneia. "Je me rendrais quatre fois à Skaven. Dans deux jours, déjà, pour la réunion logistique mensuelle avec l'intendance du palais de Skaven. Ensuite à la fin de la semaine, prochaine pour apporter aux capitaines de la milice la mise à jour des codes de cryptages pour les courriers. Il me suffira de deux voyages pour accomplir ma tâche. Si une semaine et demi laisse assez de temps à nos fournisseur pour finir leur travail. Je passerais commande lors de mon premier séjour en ville et reprendrais les paquets à mon second."


" Cela concorde avec les dates que nous souhaitions pour le jour-J. Il est donc fixé à dans deux semaines environs. Il reste à régler le problème des sentinelles avant définir le jour exact."


" Ce sont les Ière, Xème, XVIème et XVIIème cohortes qui campent autour de la place d'arme. Pour la Ière cohorte, c'est déjà arrangé : le préfet du IVème bataillon est une femme. Il suffit d'agir une nuit où son unité de garde, elle placera ses sans-tresses en faction."


" Si on a pas assez de femmes en sentinelles dans les autres cohortes, il faut voir au cas par cas pour échanger la place de leurs homologues masculins : au jeu, par exemple, il suffit de miser les tours de garde. Une vieille méthode. Les femmes n'auront qu'à tricher pour perdre et hériter de la corvée du vainqueur..."


" Vieille méthode ? Vraiment ? C'est courant ? Estimez-vous heureuses que je n'apprenne pas le recours à cette pratique dans un cadre officiel... Ça ira pour cette fois. D'autant que le jour venu, nous violerons déjà toute le règlement. Mais prenez garde, je ne fermerais pas les yeux si j'en entend parler ailleurs..."


" Et pour la drogue ? "


" C'est en cours d'élaboration. Il me manque le poids de la victime pour mesurer le dosage."


" Suzanna cherche un moyen de l'obtenir. Elle me le donnera dès qu'elle l'aura, je ferais passer le message."


" Quelle est l'estimation du prix ?"


" Tout dépendra de ce que Cneia rapportera de Skaven. Il faudra de toute manière percevoir des dons pour réunir la somme nécessaire. Si chacune de nous cède, mettons, 5 ou 10 % d'une solde mensuelle, nous aurions la caisse noire nécessaire."


" L'échéance est dans deux jours, la date de son départ. Il faudra d'ici là se mette d'accord sur le budget souhaité. Mieux vaudrait le prévoir à la hausse, quitte à rembourser le surplus aux donatrices."


"Il faudrait un registre, alors. Et veiller à ce qu'il ne tombe pas entre de mauvaises mains..."


" Au fait Cneia, j'ai une amie de la IIIème légion qui connait une cavalière dont la famille habite Skaven. Elle l'a renseignée sur des amis qu'elle connait, qui sont tailleurs. J'ai l'adresse ici, tu devrais pouvoir espérer une réduction."


Les réunions s'enchainèrent, tantôt chez Nora, tantôt chez Lucretia ou dans une tente de l'administration de l'intendance. Le visage précis de l'opération s'affinait peu à peu, tandis qu'il leur fallait surmonter un à un les obstacles qui se présentaient à elles. A présent quand elle croisait une femme soldat, Shaiélaè ne pouvait s'empêcher de se demander si elle partageait la confidence également... Quelque soit la réponse, elles faisaient semblant de ne pas se connaitre. Une fois, la petite elfe croisa le légat Primapandora dans le camps en s'en allant à une séance d'entrainement. L'officier passa du haut de son cheval sans lui accorder plus d'attention qu'à n'importe quel autre soldat circulant dans l'allée. La même Primevera conversa cordialement avec elle le soir même, dans le cadre d'un autre conclave des sans-tresses.


La seule femme en réalité dont elle était sûre de l'ignorance du complot se trouvait paradoxalement être la première concernée par celui-ci... Elena s'était peu à peu à remise du traitement infligée par Ioreck. Ses amies veillaient à lui changer les idées, elle souriait à nouveau. Jeanine et Ulrika avaient décidées de la laisser dans l'ignorance. Elena joueraient son rôle le moment venu, elles ne l'en avertiraient à l'ultime instant...


Vint le grand jour. Jusqu'à très tard, la date exacte resta floue, sujette aux fluctuations des corvées de sentinelles et de l'éclat des lunes...


" Demain..." glissa Nora à Shaiélaè en lui laissant entrevoir la tresse de chanvre dissimulée sous sa ceinture. La petite elfe devina aussitôt de quoi elle parlait. Son cœur battais frénétiquement, de plus en plus vite à mesure que les heures passaient. Elle dormit à peine de la nuit, traversa la journée dans un état second. Et si tout foirait ? Si Ioreck se battait, s'échappait d'une manière ou d'une autre ? Elle et toute les filles soldats seraient à nouveau humiliées, elle ne pourrait le supporter. Shaiélaè admirait le sang-froid de Nora, elle ne laissait rien paraitre. Elle se força à imiter son exemple. La petite elfe vida son esprit, se concentra et se plongea avec hargne dans la corvée de nettoyage qu'on lui avait assignée.


Le soleil descendait à l'horizon. La silhouette pâle de la lune flottait au dessus de leur tête dans le ciel encore azur. Masser cachait Secundas derrière un fin croissant. La nuit serait sombre. Les factionnaires du dernier quart de la journée voyaient se profiler peu à peu l'heure la relève qui viendrais les libérer de leur devoir. Dans le cantonnement de la IVème légion, quelques uns des plus perspicaces parmi ceux des quatre cohortes dont le bivouac ceinturent la place d'arme remarqueront peut être une coïncidence insolite. Toute les sentinelles venues les remplacer pour le premier quart de la nuit appartiennent à la gente féminine. Hasard amusant, penseront ceux qui noterons ce fait. Ils se coucherons en méditant sur les probabilité qu'advienne un tel événement. Un seul d'entre eux seulement pourrait-il se figurer un complot d'une telle ampleur ? Comme tout le monde, ils n'apprendraient que le lendemain la vérité que leurs yeux ignorant venaient d'entrevoir...

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