Honneur et Amertume

Chapitre 11 : Le Siège de Falaise II : L'Enquêtrice

6975 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/05/2021 12:38

De tous les mots prononcés lors de la réunion à laquelle on la faisait participer, Shaiélaè n’en comprit pas beaucoup. Les bouches s’ouvraient et se fermaient, évoquaient des noms qui ne signifiaient rien pour elle sur des sujets qu’elle ignorait qu’il fussent d’une quelconque importance. Les participants s’étaient vu offrir chacun une chaise à leur arrivée. Mais la petite elfe se rendit vite compte qu’elle seule en faisait l’usage, assise à son bout de table. Les autres s’attroupaient dressés de toute leur hauteur et les fauteuils ne servaient guère qu’à supporter heaumes, capes et épées délaissées. Shaiélaè se hâta de les imiter. Pour ne pas faire tache. Perchée sur la pointe de ses pieds entre les épaules massives de deux officiers, elle tâchait d’apercevoir au milieu de la table les cartes mises à disposition. Et de comprendre comment par Yffre avait-elle pu en arriver là...


La matinée touchait à son terme lorsqu’un officier d’ordonnance était venu la trouver dans le camp :


— Le légat Oudinot m’a chargé de vous informer qu’une réunion de l’état-major aura lieu dans deux heures. Votre présence est requise, lui avait-il dit.


— Hein ? Quoi ?


Le messager s’était fait plus insistant :


— Vous êtes bien la chef du détachement des services de renseignement aux ordres des Lames ?


Shaiélaè s’était retournée, par réflexe. Mais elle était seule. Nora luttait contre la mort dans un lit de l’hôpital de campagne et l’épée de Ioreck avait pris la vie de Tibald.


— L’escouade de Nora ? Ben… Il y a plus que moi.


— C’est ce que je dis. Rendez-vous au pavillon de d’état-major dans deux heures.


Et c’est ainsi que Shaiélaè s’était retrouvée coincée en réunion officielle en compagnie des plus hauts gradés de la Légion Impériale et du légat Oudinot, qui commandait le siège.


— Qu’est ce que je fous là ? se demanda-t-elle encore pour la centième fois depuis une heure.


Il suffit de vingt minutes consacrée aux soucis du ravitaillement et de la sécurité des voies de communication autour de Falaise pour perdre la petite elfe, qui se mit à espérer qu’on ne l’interrogerait pas ensuite sur ce qui s’était dit. Cela n’arriva pas et en réalité, personne ne se soucia d’elle. Il devint petit à petit de plus en plus embarrassant de faire silencieusement acte de présence au milieu de ces débats passionnés. Elle aurait pu rester ignorée pour toute la durée de la réunion mais ce long préambule permettait d’expédier en premier les sujets secondaires. Et quand se manifesta le véritable ordre du jour, Shaiélaè sut qu’elle ne pourrait rester plus longtemps anonyme.


On donna d’abord la parole au légat Primapandora. La responsable en chef de l’artillerie de siège chaussa ses lunettes et tira de sa sacoche un exemplaire roulé de son rapport qu’elle étala sur la table devant elle. Puis c’est de tête qu’elle le récita, sans quitter des yeux une seule seconde ceux du légat Oudinot.


Primapandora raconta l’incident de la veille au soir tel qu’il s’était déroulé : l’incendie du premier trébuchet, puis du second. Et la trahison de Tibald, qui avait utilisé un engin incendiaire pour détruire le dernier sous leurs yeux. Il ne restait que des cendres et des poutres noircies depuis que les mages de guerre s’étaient occupés de l’éteindre. Le calme de la matinée avait aussi permis au légat d’enquêter sur la vigilance et la responsabilité des sentinelles placées autour du parc d’engins de siège.


— Le coupable a fait valoir aux sentinelles l’ayant appréhendé les privilèges de Lame accordés par sa collaboration avec l’une d’elles, Nora Loune, missionnée sur place pour fournir à notre connaissance des renseignements collectés sur la faiblesse structurelle des ouvrages défensifs entourant la citadelle de Falaise. Le laissez-passer était valable et authentique. Le légionnaire Tibald Borglio a prétexté avoir à discuter avec les ingénieurs chargés du réglage des engins. Les sentinelles ne pouvant quitter leur poste, elles se sont contentées d’indiquer au saboteur où trouver le responsable. Tibald Borglio a alors profité du champ libre pour placer les bouteilles incendiaires qu’il portait cachées sur lui. L’agent des Lames Nora Loune, sa supérieure, arrivée sur place à mes côtés lorsque l’alerte a été donnée lui a servi de caution pour franchir le cordon de sécurité placé autour de l’incendie. L’engin incendiaire défectueux lui a été remis en toute confiance pour compter sur son analyse...


Shaiélaè n’écouta que vaguement la suite. Primapandora raconta avec une froideur bureaucratique comment Tibald s’était retourné contre eux et avait blessé Nora avant de se faire tuer par Ioreck. Shaiélaè revoyait les événements. L’incompréhension de Nora, qui avait causé sa perte. Elle n’avait pas voulu faire de mal à Tibald et s’était interposée pour l’arrêter, sans arme. Mais Tibald n’était plus Tibald. Il n’avait pas reconnu sa supérieure. Son amie. Ou s’en était moqué. Il l’avait frappé…

A force de se creuser les méninges la petite elfe s’était demandé s’il aurait été possible de le sauver. Ioreck… eh bien, Ioreck avait réagi à l’appel du sang. Tibald avait été un compagnon, un ami. Sa mort laissait un grand vide mêlé d’incompréhension. Comment avait-il pu faire ça ? Jamais il n’avait été un traître ! Il s’était battu avec courage, autant que d'autres. Mais si elle regrettait le geste, Shaiélaè n’arrivait à en vouloir à Ioreck. C’est la pitié et l’hésitation qui avaient ouvert les côtes de Nora. S’il fallait faire un choix, la petite elfe trouvait plus de courage à choisir le devoir devant l’amitié. Mais aurait-elle la force de faire ce choix s’il se présentait ?


— … En conclusion et selon ma propre enquête, mes gars étaient à leur place, ont fait leur boulot et ne peuvent être tenus responsables de cet attentat. Non plus que l’agent des Lames Nora Loune, même si c’est en son nom que le saboteur a réussi à infiltrer le parc d'engins de siège. Elle a d’ailleurs payé de sa santé la traîtrise de son subordonné en tentant de procéder à son arrestation. Sa probité ne peut être remise en cause. Jusqu’à preuve du contraire, le légionnaire Tibald Borglio est l’unique coupable incriminable.

— Est-ce là aussi votre opinion ?


Toute l’attention de l’assistance se focalisa sur la petite elfe aussitôt que le légat Oudinot lui adressa la question. Jamais la certitude de n’être qu’une légionnaire crasseuse enveloppée d’un manteau usé ne s’était imposée si clairement à son esprit qu’à cet instant. L’ombre rafraîchissante de la toile de tente ne parvint pas à empêcher un filet de sueur de glisser le long de sa joue. Maudit soleil…


— Euh… moi ?


Question stupide. Qui d’autre ? Personne n’y répondit. Le visage de Shaiélaè prit la même teinte que le champ de la bannière impériale pendu dans son dos. Primapandora l’encouragea d’un sourire, le premier geste amical du légat depuis le début de la réunion. Shaiélaè ne savait trop quoi en penser, elle qui s’attendait à plus de sollicitation de la part d’une Sans-Tresse pour ce qui s’apparentait à une épreuve pour elle. Mais elle savait que le sabotage de la veille l’affectait en premier lieu. La gravité de la situation devait accaparer toutes ses pensées, la colère ronger son cœur. Si brève soit-elle, cette marque fraternelle suffit à lui faire retrouver ses mots :


— Nora n’a trahi personne...


Elle se rappela qu’elle aussi, après tout, était liée à Tibald. Tout devint clair. Elle n’avait pas été conviée par confiance à cette réunion. C’était un procès dont elle était l’accusée. Tous ces regards fixés sur elle cherchaient à la juger. Shaiélaè les avaient vu observer à la dérobade les traits de son visage lorsqu’elle était entrée. Le coupable était mort, il fallait un bouc émissaire. Elle était l’elfe. L’étrangère. Celle qui aurait pu tourner la tête de Tibald et l’inciter à la traîtrise. Ses mains tremblantes attrapèrent les pans de son keffieh et s’assurèrent qu’il voilait bien la pointe de ses oreilles, comme il le faisait toujours. C’était trop tard, elle le savait. Un gouffre vertigineux venait de s’ouvrir sous ses pieds. Elle voulait crier, démentir. Mais chaque mot allait, elle le savait, accélérer la chute.

 

— Et moi non plus… ajouta-t-elle. 

Sa voix se bloqua dans sa gorge. Comment le faire comprendre ? Tibald… Pourquoi avait-il fait ça ?


— Personne ne vous accuse, assura d’un ton neutre un commandant de cavalerie dont elle ne connaissait pas le nom.


Shaiélaè resta muette un instant. C’était ce que dirait un interrogateur. Le cercle inquisiteur attendait encore qu’elle parle. L’étau se resserrait. Quelle injustice. Tibald… Pourquoi ?


Les souvenirs de la nuit dernière lui revinrent aussi nettement que s’ils avaient lieu à l’instant précis. Ils défilèrent devant ses yeux comme la mémoire de la vie d’un mourant. Il fallait leur faire comprendre qu’elle n’y était pour rien. S’accrocher à chaque fragment d’indice qu’elle pourrait y retrouver. Tibald… La petite elfe revoyait son visage, juste avant qu’il ne réduise en cendre le dernier trébuchet. Son visage… Elle croyait sur le moment qu’il avait bu. Les flammes de l’incendie en révélaient toute la pâleur. Et Ioreck avait compris un instant trop tard que…


— … Tibald n’était pas dans son état normal. Il était tremblant, les yeux rouges… Je… Je ne sais pas si ça a un lien, mais voilà… C’était peut-être l’alcool…


« Ce n’est pas la boisson ! » avait crié Ioreck. Il connaissait ces choses, Shaiélaè inclinait à croire son ami. Elle espérait juste que l’hypothèse garda un peu éloignés d’elle les soupçons qui l’accablaient.


— Ivre, il incendie trois engins de siège géants ? ironisa le même officier de cavalerie que tout à l’heure. Soyons sérieux deux minutes : l’existence de bouteilles de feu alchimique plaide pour la préméditation. Je me demande d’ailleurs où il se les est procurées..


Shaiélaè mordit sa lèvre inférieure. Elle s’enfonçait. Une goutte de sueur perla le long de sa joue, elle l’essuya à l’aide du bord de son keffieh. La toile de tente opaque protégeait l’assemblée des assauts du soleil de midi, pourtant des bouffées de chaleur lui rongeaient le visage.


— C’était peut-être autre chose, je ne sais pas moi !


— Vous le connaissiez bien, ce Tibald Borglio ? demanda le légat Oudinot.


Shaiélaè remua la tête, avant de comprendre qu’il attendait d’elle une réponse plus fournie.


— Depuis ma première mission sous les ordres de Nora Loune. On m’a recruté comme guide et éclaireuse pour… euh… Je ne crois pas que j’ai le droit d’en parler. C’était une mission confidentielle.


— Vous êtes au courant que c’est une réunion d’état-major, ici ? Le général Decianus m'a délégué toute autorité sur ce secteur. C’est nous qui ordonnons les missions confidentielles.


— Oh… Guide et éclaireuse pour contacter les tribus de guerriers nomades dans le désert Alik’r, donc. Tibald faisait partie des gardes du corps de Nora, depuis longtemps déjà quand je suis arrivée. Ils se sont rencontrés pendant la Marche de la Soif. Tibald appartenait à l’une des légions ralliées par le général Decianus lors de sa retraite…


Tibald n’aimait pas beaucoup parler de cet épisode. Shaiélaè voulait bien croire qu’il ait été très pénible. C’était Nora qui le leur avait raconté, lorsque les oreilles ne l’intéressé ne traînaient pas à porté : isolés par un raid de la cavalerie aldmer, il avait aidé l’espionne à repousser les attaquants avant de la porter sur son dos jusqu’au prochain puits. L’eau trouble et sablonneuse n’offrit guère que quelques rares gouttes aux assoiffés qui parvinrent à l’atteindre, mais elle leur sauva la vie.


— Vous ne pensez donc pas qu’il ait pu trahir ?


— Non. Bien sûr que non. Pas lui.


— Mais il l’a fait.


— Mais il l’a fait… répéta la petite elfe.


Oudinot ramassa une serviette de cuir posée à ses pieds et entreprit de feuilleter les documents qu’elle contenait. Il s’arrêta sur un parchemin qu’il en retira et tendit à Shaiélaè par-dessus la table.

Cette dernière l’attrapa sans comprendre. Les mots s’alignaient d’une écriture manuscrite, si rapidement tracés qu’elle ne parvint pas à les déchiffrer. Elle loucha sur les lettres sans en comprendre le sens.


— Qu’est ce que c’est ?


— Votre mandat d’enquête : par décret impérial, vous êtes libre de circuler et de perquisitionner où bon vous semble, d’interroger qui vous souhaitez. Nul ne saurait vous faire entrave.


— Hein ?


— Vous faites partie des services de renseignements, non ? Alors renseignez-nous sur le sabotage.


— Mais…


Ils ne la laissèrent pas objecter. Les officiers enchaînèrent directement sur l’ordre du jour suivant.


— Le plan d’attaque conçu par le légat Primapandora est à présent ineffectif. Quelles sont les nouvelles solutions ?


— Si l’infanterie était disposée à fournir plus d’hommes pour les travaux, les fortifications de siège seraient achevées d’ici deux jours. Ce qui seraient deux jours de gagnés sur le planning initial. Le temps économisé permettrait de tenter de forcer la porte principale. Elle est renforcée par des mesures magiques, mais si on arrive à garder le contrôle du seuil assez longtemps, nos mages de guerre devraient pouvoir les lever. Il n’y aurait ensuite plus qu’à y bouter le feu où la détruire à l’aide d’un bélier. En termes de pertes, on risquerait du cent à cent-cinquante hommes par jour d’assaut. L’option la moins coûteuse serait de terrasser une rampe d’assaut jusqu’au faîte des remparts mais même en mobilisant toute l’armée, les travaux seraient colossaux. Nos provisions s’épuiseraient avant d’en voir la fin.


Shaiélaè ne comprenait pas trop si elle devait encore rester là. Elle avait des questions à poser, mais plus personne ne prêtait attention à elle. Pire encore qu’une accusation, cette nouvelle mission ressemblait à un piège. Comment pouvaient-ils penser qu’elle serait compétente pour diriger une enquête terroriste ? Si seulement elle trouvait le courage de protester, ils allaient l’entendre…

Shaiélaè ravala sa salive et prit son mal en patience. Chaque mot ajouté à la discussion pour la faire durer ajoutait une pierre au fardeau qu’elle devait supporter. Il n’y avait rien d’autre à faire que de rester là stoïquement à voir les lèvres s’agiter, sans rien révéler du tambour de guerre qui martelait sa poitrine. La petite elfe dandina d’un pied sur l’autre. Depuis combien de temps durait la réunion, elle l’ignorait. Ses pieds commençaient à le ressentir. Son fauteuil l’attendait derrière elle. Mais que diraient les autres si elle seule s'asseyait ? Shaiélaè se mit à les détester, tous. Aucun ne montrait le moindre signe de fatigue. Et plus la conversation s’allongeait, plus la petite elfe sentait le moment de refuser la mission s’éloigner aussi. Non, elle en parlerait après à Oudinot. Seul à seule, ça serait mieux. Sans les autres pour faire de commentaire. Il faudrait juste trouver la bonne occasion de l’approcher l’air de rien et d’engager la discussion quand les autres s’en iraient…


Les officiers s’agitèrent, ramassèrent capes et ceinturons d’épées. Ça sentait la fin. Shaiélaè trépigna, pressé que ne s’achèvent les ultimes minutes. Un débat animé en aparté opposait le légat Oudinot à deux officiers d’infanterie. Primapandora, les mains croisées sur sa cuirasse, écoutait à distance sans intervenir. Des mots que saisissait la petite elfe, il était question des réquisition de fantassins pour les travaux du génie. Rien qui ne l’intéressait. Les autres participants quittèrent la tente un à un ou par petits groupes.


Shaiélaè fit mine de rassembler ses affaires comme prétexte pour s’attarder. La chose devint vite malaisée. Le débat du légat Oudinot durait et, l’étui de son arc accroché à sa ceinture, il ne lui restait nul objet à retrouver. Jamais un temps si long ne fut accordé à la fermeture d’une sangle.


Plantée gauchement au milieu de la tente à présent quasi-déserte, Shaiélaè resta là debout en espérant que le légat ne finisse par la remarquer et lui accorder un peu de son temps. S’il lui jeta des coups d'œil de temps en temps pendant qu’il répondait à ses interlocuteurs, la petite elfe lui trouva dans le regard le même intérêt pour elle que si elle n’était qu’une bouse de guar sur le chemin.


Ce fut Primapandora qui finalement, décida de la prendre en pitié. L’officier du génie enfila d’un geste ample son manteau écarlate et l’attacha sur son épaule à l’aide d’une fibule à l’image d’un dragon. Elle boucla son glaive à sa ceinture, ramassa son heaume, ses documents et fit signe à Shaiélaè de la suivre dehors.


La petite elfe hésita un instant. C’était avec Oudinot qu’elle voulait parler. Mais accepta de la suivre. Prim’ vaudrait tout autant. Et l’intimidait moins.


— Ils pensent que j’ai aidé Tibald à trahir, hein ? demanda-t-elle à Primapandora après qu’elles eurent doublé les deux plantons postés à la sortie de la tente d’état-major, qui saluèrent à leur passage. Une pointe de terreur déformait sa voix.


— Qu’est ce qui te fait penser ça ?


— Cette réunion, je n’avais rien à y faire. Et cette enquête, pour me tester… C’était un guet-apens. Ils me mettent la pression pour me forcer à avouer. C’est ça, hein ?


Primapandora roula des yeux écarquillés :


— Pour quelle raison voudrais-tu qu’on t’accuse ?


Une réponse tellement idiote que Shaiélaè cru qu’elle la testait encore. D’un mouvement rageur, elle arracha le keffieh enroulé autour de sa tête et dévoila sa chevelure coupée au couteau. Et d’un geste théâtral de la main, désigna les deux oreilles pointues qui dépassaient de sous les mèches châtain.


Le visage de Primapandora alla s’enfouir dans la paume de sa main. Un sourire amusé l’éclairait quand elle le retira. Mais Shaiélaè ne voyait vraiment pas ce qu’il y avait de drôle.


— Sais-tu pourquoi l’Empire se bat ?


— Parce que le Domaine Aldméri l’a envahi ? hasarda la petite elfe qui peinait à comprendre le rapport avec son accusation.


— Oui, évidemment. Mais la brouille entre l’Empire et le Domaine se base sur leur désaccord idéologique. Quel est-il ?


— Le Domaine se bat pour les elfes, l’Empire pour les humains.


Primapandora claqua des doigts et pointa l’index sur son interlocutrice : voilà la réponse qu’elle attendait entendre de sa bouche. Avec une jubilation manifeste, elle enchaîna :


— Voilà ! Exactement ! Voilà exactement la réponse qui n’est pas la bonne !


Shaiélaè l’observa d’un air dubitatif. Primapandora reprit :


— Enfin, bien sûr que le Domaine Aldméri se bat pour la supériorité aldmer et toutes ces choses. Le combat de l’Empire quant à lui concerne tous les peuples de Tamriel. Du temps de l’unité de l’Empire, tous les peuples étaient égaux les uns envers les autres. C’était le mérite d’un individu qui forgeait sa place dans la société. Et pendant que les Hauts-Elfes du Thalmor faisaient sécession, c’était un chancelier altmer qui prenait sur son dos le fardeau d’un continent ébréché par la Crise d’Oblivion. L’Empire est à présent morcelé, en guerre contre ce qui fut jadis des provinces pacifiques. Et si les humains sont aujourd’hui effectivement majoritaires en son sein, cela ne veut pas dire que les valeurs sur lesquelles il s’est bâti se sont toutes désagrégées. Personne, dans cette légion, ne jugera un individu sur la taille de ses oreilles. Seulement sur son courage et la valeur de ses actes. Rien n’indique jusqu’à preuve du contraire que Tibald ait eu un complice. Par contre, son acte est inquiétant. Et mérite une enquête. Une enquête qui doit être menée, selon tous les protocoles en vigueur dans la Légion Impériale, par les services de renseignements. Et que tu le veuilles ou non, les services de renseignements, ici et aujourd’hui : c’est toi.


Shaiélaè resta sans voix. Elle s’arrêta net au milieu de l’allée. Primapandora poursuivit son chemin sans l’attendre. La petite elfe s’en rendit compte et trottina derrière elle pour la rattraper.


— Mais… Oudinot…


— Le légat Oudinot. C’est un homme carré qui aime que les choses soient carrées. Ça ne lui plaît pas plus que toi que Nora soit hospitalisée et qu'un service aussi critique que l’espionnage soit remis entièrement entre les mains d’une éclaireuse inconnue. Mais il y a des règles et il compte les suivre. Si Nora te fait assez confiance pour t’accepter à sa suite, sans doute vaux-tu quelque chose. Le légat Oudinot n’a de toute manière aucune raison de te virer pour incompétence tant que tu n’as pas fait la preuve de ton incompétence. Tu as sa confiance, pas sa sympathie. De toute façon, tu n’en as pas besoin. Fournis un rapport satisfaisant avant qu’on ne lance l’assaut contre la citadelle et il sera satisfait. Sur ce, je te laisse. J’ai beaucoup de travail et le temps presse.

Un des aides de camp de Primapandora vint les rejoindre. Il tirait par la bride le cheval de sa supérieure. Le lieutenant troqua les rênes de l’animal contre le heaume du légat, qu’il garda pour elle le temps qu’elle ne monte en selle. Un dernier geste de la main pour saluer la petite elfe et Primapandora disparut au petit trot dans les allées du camp retranché.







Shaiélaè avait entretenu le faible espoir que Nora se soit réveillée pendant son absence, mais les déclarations du guérisseur le firent voler en éclat.


L’espionne avait toujours eu l’air plus vieille qu’elle ne l’était en réalité, avec les stries blanches dans ses cheveux aile-de-corbeau et ses yeux toujours soucieux. Mais aux portes de la mort, gavée de potions, son visage ressemblait plus que jamais à celui d’une vieillarde. Le sommeil lui-même n’adoucissait pas l’expression de douleur qui déformait ses traits.


Nora entendait-elle quand on parlait à proximité ? Shaiélaè l’ignorait. Ce qui ne l’empêcha pas de se confier :


— Ils pensent que je peux faire votre travail, mais ça, je n’en suis pas sûre. Primapandora dit que ce n’est pas un piège, mais en tous cas, ça y ressemble drôlement…


L’absence de réponse qu’elle pouvait obtenir finit par lasser la petite elfe. Bientôt, contempler le visage inerte de Nora l’exaspéra. Une vague de fureur monta en elle. Pourquoi l’avait-elle abandonnée ? Pourquoi avait-elle laissé Tibald la blesser ? Elles n’en seraient pas là, toutes les deux, si elle s’était battue véritablement… Shaiélaè l’aurait giflée.


Pourvu que Nora ne meure pas. Elle ne le supporterait pas, pas encore. Une amitié de plus qui finirait en larmes. Le même schéma qui se répétait à l’infini. Elle avait appris à vivre avec la peur de perdre les êtres chers. Ioreck l’avait habituée à cette angoisse, lui qui la recherchait avec tant d’avidité. C’était pourtant quand elle s’y attendait le moins qu’elle frappait toujours.

Avec un soupir, Shaiélaè se détourna. Elle ne désirait à cet instant que se reposer, dormir jusqu’à ce que les angoisses ne disparaissent d’elles-mêmes. Une douce utopie, elle le savait.


— Le corps du légionnaire abattu pour l’incendie des engins de siège, où est-il ? se renseigna-t-elle auprès du guérisseur en chef de l’hôpital de campagne. 

Le décompte des morts au combat et leur inhumation relevait de la responsabilité de son service. Tibald était mort en traître, mais avait vécu en héros. Il méritait mieux qu’un oubli infamant.


— Regardez sous la tente, là-bas. Je ne crois pas qu’il ait déjà été incinéré.


La tente là-bas servait de morgue. Une dizaine de victimes des escarmouches de la veille et de la matinée y étaient étendus, recouverts de draps. Shaiélaè frissonna dès qu’elle posa le pied à l’intérieur et s’emmitoufla dans les pans de son burnous. Des sels de givre disposés dans des coupelles refroidissaient l’atmosphère. L’air gelé frappa la petite elfe par contraste avec la chaleur torride qui régnait dehors.


Elle exceptée, une unique personne respirait ici. Enveloppée d’une longue robe à capuche safran, une prêtresse d’Arkay agenouillée près d’un corps faisait la toilette du défunt à l’aide de gestes lents et mesurés. Ses lèvres murmuraient des paroles presque inaudibles. Shaiélaè devinait qu’il s’agissait de prières, mais on eût dit une amante susurrant des mots d’amour. Il régnait dans l’air une solennité qu’elle hésitait à interrompre.


— C’est vous qui êtes en charge, ici ? dit-elle d’une voix guère plus forte qu’un murmure.


La prêtresse ne tourna pas la tête ni ne cessa de frotter précautionneusement les membres de son mort d’un linge imbibé d’eau. Elle resta silencieuse, absorbée par sa tâche. Shaiélaè allait répéter sa question quand elle ouvrit enfin la bouche :


— Arkay, maître de la Vie et de la Mort, est en charge ici. Je ne suis que son humble servante.


Shaiélaè prit la réponse pour un oui. Elle frémit, un frisson auquel la température était étrangère. Si les morts pouvaient parler, la petite elfe leur aurait donné comme voix celle de la prêtresse. Un souffle de vent aphone, âpre et métallique.


— Un légionnaire a été tué hier soir, près des machines de sièges. Il s’appelait Tibald Borglio. Est-il ici ?


— Tous finissent ici. Y compris l’homme qui s’appelait Tibald Borglio. Le voilà. Il sera brûlé demain matin.


A pas lents, Shaiélaè s’approcha de la silhouette drapée identique à tant d’autres que la prêtresse lui avait désignée. Elle tendit le bras pour doucement, pour retrousser le linceul qui recouvrait son défunt frère d’arme.

La tête de Tibald se trouvait là où elle aurait dû. Mais séparée de son corps, on l’avait déposée de telle manière à ce qu’elle tienne droite sur le sol, posée sur le cou. L’angle étrange formé avec la poitrine donnait à Tibald l’air d’avoir la nuque courbée, et de contempler ses pieds. Il ne restait sur lui aucune trace de sang, à part celui nettoyé et coagulé de la section des deux parties de son corps.


Shaiélaè ôta complètement le drap qui le recouvrait. En dessous, ses mains étaient jointes sur sa poitrine, les jambes serrées l’une contre l’autre dans un dernier garde-à-vous. On ne pouvait qu’admirer le travail de la prêtresse d’Arkay. N’eut été la blancheur morbide de la peau et bien sûr, la tête séparée du corps, on l’eut crû assoupi.


La petite elfe souhaitait récupérer sa médaille d’identification. Pour les membres de l’escouade restés devant Skaven, auxquels il faudrait expliquer le décès de leur compagnon, ce serait un dernier souvenir capable d’atténuer le deuil.


Comme la médaille ne pouvait tenir autour du cou de Tibald, la prêtresse l’avait glissée entre ses doigts entrecroisés. Mais au moment de la lui retirer, Shaiélaè découvrit qu’un autre pendentif y était mêlé. Curieuse, la petite elfe déplia les doigts du défunt jusqu’à leur faire lâcher l’objet qu’elle examina à la lueur des lampes à huile qui éclairaient la tente.


Au bout de la chaîne, des serres de bronze encerclaient un rond de pierre bleue veinée de blanc, sur lequel s’enroulaient une série de runes délicatement taillées dans la roche. Jamais à sa connaissance Tibald n’avait porté un tel objet. Si tel était le cas, elle s’en souviendrait. Pourtant si Shaiélaè se rappelait l’avoir vu torse nu, sa médaille de légionnaire pendue autour du cou, ce dernier et étrange bijou lui était inconnu.


Shaiélaè apporta le pendentif à la prêtresse :


— Savez-vous d’où est-ce que cela vient ?


— De Tibald Borglio, légionnaire tué pour trahison.


La petite elfe secoua la tête :


— Non, cet objet n’est pas à lui.


— Ces colliers sont tombés au sol quand sa tête a roulé dans la poussière, mais les hommes qui ont emporté le corps ont pensé à les ramasser. Si le pendentif était par terre près de lui, à qui était-ce s’il n’était pas sien ?


Nora, peut-être. Si elle l’avait perdue dans la confusion. Mais ça ne collait pas. Jamais non plus Shaiélaè ne l’avait vu porter un tel bijou. Voilà qui était bien troublant…







Aussi vaste et tentaculaire qu’un monstre des abysses, l’intendance de la Légion Impériale se défendait des attaques extérieures grâce à son abominable bureaucratie, capable d’engloutir tout imprudent assez fou pour oser s’y frotter.


Cela prit à Shaiélaè l’essentiel de l’après-midi avant, enfin, d’obtenir un rendez-vous avec le commissaire-général qui gérait les inventaires. On l’avait renvoyée d’un officier à l’autre, faite patienter et patienter encore. On l’avait oubliée, on lui avait annoncé qu’elle s’adressait au mauvais service. Il faudrait patienter, l’officier en charge était occupé. Quand serait-il disponible ? Aucune idée. Attendez ici, je vous prie.


Le mandat signé de la main du commandant à la tête de cette armée passait pour une arme pitoyable, un vulgaire bouclier face à l’impitoyable inertie de l’administration impériale. Si jadis Shaiélaè avait arpenté les yeux fermés les forêts de Val-Boisé dont elle connaissait comme sa poche les sentiers cachés, voilà en tous cas une jungle plus sombre et terrifiante encore dans laquelle elle redoutait de se perdre. Heureusement, elle en était sortie. Voilà enfin la lumière, se dit-elle quand le commissaire-général tendit la main pour serrer la sienne. Du moins, l’espérait-elle…


— Eh bien, madame ? Que me vaut le plaisir de la visite d’une Lame ?


Le ton indiquait tout, sauf le plaisir. L’homme avait les mains moites et la face luisante de sueur. La poignée de main mollassonne dura beaucoup trop longtemps au goût de Shaiélaè, avant qu’elle n’y mette un terme.


— En fait, je ne suis pas une des Lames. Je…


— Mon secrétaire m’avait assuré qu’une agent des Lames souhaitait s’entretenir avec moi.


— Il y a eu erreur, expliqua-t-elle. Je ne suis pas Lame moi-même. Je suis juste sous les ordres de l’une d’elles.


Le visage du commissaire se durcit :


— Alors, où est votre supérieure ?


— Indisponible, monsieur. A l’hôpital, en fait… C’est moi qui suis en charge en attendant.


— Mais sans être Lame ?


— Mais sans être Lame.


Il grommela, insatisfait d’avoir affaire à ce qu’il évaluait comme un sous-fifre indigne de gaspiller son temps. Shaiélaè prit le parti d’ignorer son mépris et d’entrer dans le vif du sujet. Le moins de temps durerait cet entretien, le mieux tous deux se porteraient.


— Je voulais savoir s’il y avait eu des vols de matériaux incendiaires, récemment.


— Quel genre de matériaux ?


— Euh… sels de feu, parchemins magiques… Il y a t-il eu des disparitions dans vos entrepôts ?


— Non. Bien sûr que non, se vexa le commissaire. 

De fureur, ses bajoues se teintèrent d’écarlate tandis qu’il se défendait d’une véhémente tirade : 

— On n’entre pas dans les dépôts comme dans un moulin, vous savez. Il y a des sentinelles 24 heures sur 24. Il y a des verrous, des enchantements. Les entrées et les sorties, de biens comme de personnels, sont rigoureusement contrôlées. Il y a eu des cas de vol par le passé, surtout en ce qui concerne la nourriture, l’eau et l’alcool. Mais la sécurité a toujours permis de les déjouer et d’appréhender les coupables. Si des ressources plus rares avaient disparu, ça se saurait.

   

— Aucun membre des services de renseignements n’a fait jouer des privilèges de Lame pour entrer, hier ?


— Personne ! Tenez, prenez-ça : La liste des entrées et sorties sur les trois derniers jours. Et je vous rajoute un exemplaire du dernier inventaire. Tout est en ordre, vous verrez bien.


Il jeta dans les bras de Shaiélaè une épaisse liasse de parchemins, sur laquelle il posa quelques autres documents. Elle cala sous son bras la pile qui, mine de rien, pesait son poids.


— Prenez votre temps, madame, assura-t-il après lui avoir donné tout ce dont elle avait besoin. Vous ramenez tout après votre enquête, mais faites bien attention à ne pas laisser traîner ça n’importe où.


Shaiélaè promit de faire attention. Elle salua le commissaire avant de le laisser retourner à ses occupations.


— Une dernière chose ! interpella-t-elle le commissaire un peu plus loin. Elle retournant vers lui et se contorsionna pour tirer de sa poche le pendentif trouvé sur Tibald.


— Savez-vous ce qu’est ceci ?


— Non, dit-il après un bref examen. Vous allez me le dire ?


— Je ne sais pas non plus… Au revoir.



Elle ne tirerait rien de plus de lui. Et avait du pain sur la planche. Beaucoup de lecture, qui au vu de ses capacités en la matière, dépassait de loin le temps qui lui était imparti. Il lui fallait de l’aide pour traiter toute cette documentation. Et vite, avant que ses bras ne commencent à fatiguer.



...



— Dis, tu sais lire ?


Torse nu, Ioreck creusait. Encore. Tant de soldats s’affairaient dans les tranchées et sur les glacis qu’on eût cru que toute l’armée y était assemblée. Ce qui, d’après les ordres qui avaient été donnés lors de la réunion à laquelle elle avait assisté plus tôt dans la journée ne devait pas être loin du compte. Le soir approchait et l’air fraîchissait. Frappés d’un regain d’énergie, les ouvriers improvisés tâchaient d’abattre le plus de travail possible tant que le ciel leur était favorable. Tout plutôt que de trimer en milieu de journée.


Armé d’un pic en fer, le guerrier nordique frappait le sol de grands coups successifs. Un râle étouffé échappait de sa gorge à chaque fois que la pointe de l’outil heurtait la pierre dans un choc sonore. Des étincelles jaillissaient, des éclats de roche aussi. La sable et la poussière saturaient l’atmosphère étouffante du fossé, de laquelle Ioreck se protégeait par un foulard noué devant sa bouche.


Les impacts vigoureux se succédaient, ponctués de jurons étranglés à mi-voix alors que le bloc de grès qu’il frappait refusait obstinément de se fendre. Ioreck était têtu, Shaiélaè le savait. Même aux portes du malaise, jamais il ne retiendrait ses coups. Il frapperait et frapperait, jusqu’à ce que la roche qu’il avait décidé de briser finisse par céder. Ou que les muscles de ses bras ne se déchirent.


Avec un craquement sec, une longue crevasse fissura la surface du caillou récalcitrant. Quelques coups de pic achevèrent de l’élargir. Ioreck cessa enfin de taper comme un bœuf. Il suait comme un porc et soufflait comme un chien. Son torse se soulevait et s’abaissait, aspirait tant et plus d’air qu’il ne le pouvait. Ses mains gauches tremblaient sur le lourd manche métallique. Il le souleva encore. Une saccade vigoureuse enfouit le pic dans la fissure, il força de tout le poids de son corps pour bien l’y enfoncer. Il retira du sol grâce à ce levier les fragments de pierres solidement ancrés. Ioreck se baissa pour les ramasser et une à une, les jeta sur le tas de déblais qui jouxtait l’excavation du fossé. Là seulement le nordique s’autorisa un instant de répit. Il attrapa une outre d’eau, s’enfila le contenu à s’en noyer dedans. Adossé au rebord de la tranchée, Ioreck contempla d’un regard vide l’ouvrage qu’il restait à faire. Et tous les rochers intacts qui obstruaient encore le fond de la tranchée.


Shaiélaè lui jeta un petit caillou qui alla rebondir sur l’arrière de son crâne.


— Dis, tu sais lire ? répéta-t-elle, assise en tailleur au sommet du remblais.


— Oui… Ma famille est riche… j’ai eu une bonne éducation…


Sa voix était rauque et brisée.


— Ah ? Alors tu es réquisitionné pour les besoins de mon enquête.


La nouvelle ne perturba guère Ioreck qui retourna s’occuper du lit de pierres à l’aide de son pic. Il prit son élan et grogna quand il le planta profondément sous un roc pour l’extirper de sa gangue de sable tassé.


— Quelle enquête ? s’étonna-t-il entre deux respirations.


— Je t’expliquerai. Tu viens alors ?


— J’arrête de creuser ?


— Oui, bêta ! Shaiélaè tira de sa poche le parchemin déjà froissé donné par Oudinot. C’est ce truc là qui dit que tu peux !


Ioreck resta immobile un instant. Abruti de fatigue, son cerveau peinait à fonctionner. Il finit tout de même par comprendre, car il laissa choir son pic qui heurta les roches dans un écho métallique. Son regard se porta sur ses compagnons d’arme, courbés dans le fond du fossé sur les pelles, les pioches et les seaux de sable. C’était la deuxième fois en deux jours que Shaiélaè arrivait à l’exempter des corvées de terrassement.


— Désolé, les gars… dit-il en constatant la jalousie que son départ suscitait. Je vous payerai ma tournée ce soir, promis…


Il tapota quelques épaules pour les encourager et sur ce, émergea d’un bond hors du fossé. Le nordique ramassa son outre, ses vêtements et son épée posée sur le glacis et emboîta le pas de Shaiélaè.


— J’ai déjà tout réglé avec ton officier, lui expliqua-t-elle. Il a râlé, mais il n’a pas le choix, non ? Ça va bien se passer, avec les autres soldats ?


Elle n’avait pas prévu que son acte puisse être considéré comme du favoritisme parmi les compagnons de Ioreck. La petite elfe craignait les conséquences que cela pourrait avoir. Son ami la rassura :


— Les troupes de choc sont promptes à la colère, mais aussi promptes au pardon. C’est mauvais de s’encombrer de ressentiments quand on a notre espérance de vie… Ne t’inquiète pas : je payerais mon coup et tout sera oublié avant la prochaine bataille.


Shaiélaè hocha la tête. Ioreck étira ses muscles endoloris par l’effort et reprit :

— Je ne sais pas trop ce que c’est que ton histoire d’enquête, mais… On commence par quoi ?

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