Cézanne peint

Chapitre 4 : Dans mon atelier

2599 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/10/2018 13:55

Dans mon atelier


Je marche tranquillement jusqu'au bout du couloir, tout en regardant les tableaux accrochés au mur. Ce sont des portraits de notre famille que nous avons ramené de la Nouvelle Orléans. J'effleure du bout des doigts celui de mon frère. Il parait si digne là-dessus. Son visage n'a pas changé depuis ces longs siècles où je l'ai peint. Il n'y a que l'expression de son regard qui a pris une autre teinte. Les années n'ont pas épargnées ma famille et encore moins mon frère. Mais je sais que son regard reflète encore plus l'amour qu'il a pour nous tous maintenant , plus que sur cette toile vieillie. Je m'arrête ensuite sur le portrait de sœur préférée. Elles non plus n'a pas changé mais son allure générale est bien loin désormais de cette jeune fille en robe longue et aux chignons relevés. Désormais, Rebecca vit comme les femmes de notre époque, un peu trop libre d'ailleurs mais je ne peux pas lui en vouloir. Elle nous a suivis dans nos pires errements et elle mérite un peu de bonheur, même si je ne m'autoriserai jamais à le lui dire.


Je finis par m'arrêter devant la dernière chambre, la plus isolée de l'étage. Ce n'est pas une chambre en réalité. Cette pièce a été conçue par Elijah, pour moi seul. C'est un cadeau que j'ai apprécié quand il me l'a montré. Conçu pour moi exclusivement. C'est un atelier qu'il m'a réservé dans cette pièce, un atelier de peinture. J'en possède l'unique clé et je peux m'y isoler quand le désir s'en fait ressentir.


Cette pièce est mon point de sauvegarde. J'y expose mes toiles, je peins, je me réfugie là quand je ne vais pas bien ou quand je sens que je dois m'isoler. Les fenêtres sont souvent ouvertes ici car elles me permettent de plonger mon regard sur la campagne et de me nourrir des couleurs de la plaine, des couleurs de arbres en fleurs, de m'imprégner de tout ce qui va nourrir mes toiles. C'est ici que l'on a la plus belle vue de cette demeure. Je sais que mon grand frère a choisi cet endroit pour cela.

Je ne l'ai jamais remercié. Ce n'est pas dans nos habitudes.


Cela a fait quelques jaloux mais Elijah a mis fin aux discussions et au mécontentement en 5 minutes. Je crois tout le monde a compris qu'il y avait des choses sur lesquelles il était inutile de batailler avec mon grand Fère et celle-ci en fait partie.


Cette pièce était brute sans papier, sans décoration, nue de toute présence ou de vie autre que la mienne quand j'y entre. Je peux la repeindre, accrocher mes toiles ou y mettre des photos de ma famille, ce que j'ai fait derrière la porte. Personne ne penserait à y regarder. Je ne l'ai ni repeinte, ni redécorée. J'aime son aspect vierge et pur. Le long des murs, j'ai posé mes toiles vierges et sur une table en bois, mes peintures, mes pinceaux. Elijah m'a ramené des pots de toutes sortes pour mes essais de couleurs. Je me rends compte que certaines couleurs sont sèches. Ca fait un petit moment que je n'étais pas venu. Le jaune est devenu verdâtre, et le bleu a foncé. Je vais essayer de leur redonner vie en leur rajoutant des huiles et des liquides de ma composition.


Au milieu de la pièce, il y a deux chevalets. Le premier me sert pour les créations d'une journée, ou les peintures que je fais sur le pouce, celle qui ne seront qu'éphémères, détruites sous un coup de colère, ou offertes à ceux que j'apprécie. Le second chevalet est celui que j'emporte partout avec moi. Il a plusieurs siècles maintenant. Il est gravé de quelques petites dates que je me suis amusé à noter au couteau sur son bois. Elle représente des dates importantes dans mes créations.


1920 – Le portrait d'une femme qui m'a comblé pendant quelques années


1010 – La première demeure que mon frère nous a trouvé


1652 – Une bataille dans laquelle nous avons failli perdre Rebecca


Il y en a des tas mais celle que je préfère est celle du 20 mars, date à laquelle est né mon frère.


Je ne connais pas l'année exacte, lui non plus d'ailleurs, il n'en a pas souvenir. Il est né à la fin de l'hiver et au début du printemps. Je ne m'étonne même pas de cela. Il apporte le froid dans le cœur de ceux qui nous veulent du mal mais tellement de chaleur douce dans le cœur de ceux qu'il aime. MARS, comme le nom d'un guerrier. J'effleure de mon doigt le contour de cette date et pose une toile blanche sur mon chevalet.


Mon frère a pensé à tout, il me connait bien. Quand je suis entré la première fois ici, il avait fait emporté mes toiles, mes outils de créations, mes cahiers de croquis, tout était là à attendre que je pousse la porte. Je suis resté sans voix. J'étais comme un enfant quand il découvre ses cadeaux au pied du sapin. Je n'ai pas regardé mon frère, ni remercier, ni exploser de joie, rien…j'ai juste admiré le lieu et puis je m'y suis enfermé seul pendant des heures, laissant mon frère au dehors. Il ne m'a jamais rien demandé en échange, et pour cela je lui en suis reconnaissant.


C'est un cadeau parfait pour un homme imparfait comme moi. Je suis un artiste depuis l'enfance. Je sais sculpter, je sais dessiner, je sais fabriquer de mes mains des objets de glace, de bois, de terre…mais ma préférence revient toujours à la peinture. Déjà enfant, je cueillais des fruits de toutes les couleurs dans les bois, des herbes ou des fleurs pour en extraire les pigments, pour en extraire le jus et fabriquer les couleurs qui donneraient vie à mes œuvres.


Le seul qui peut pénétrer dans cet atelier est mon protecteur, mon grand frère.


Kol essaye toujours de venir fouiner mais jusque là il ne s'est jamais permis d'y pénétrer. Il a peur de ma réaction et je confirme qu'elle ne serait vraiment pas bonne.

Rebecca ne vient pas. Elle n'a aucune attirance pour l'art et ne s'intéresse pas à mes peintures. Elle se moque d'ailleurs souvent de moi, mais cesse vite ses railleries quad Elijah le lui demande. Elle est chiante, envahissante, un peu folle aussi, mais elle est aussi très intelligente et connait mes limites et celle de notre aîné. Elle n'a jamais non plus franchi cette porte et je ne lui permettrai pas de toute manière.


La seule qui ait vu quelques unes de mes œuvres est Camille. Je ne lui montre que celles qui reflètent mon caractère le plus docile. Je ne veux pas qu'elle puisse lire dans certains de mes tableaux, toute la détresse dans laquelle j'étais quand je les ai peints.


Elijah est le seul à toujours m'avoir soutenu et compris mon besoin de créer depuis tous ces siècles. Mon père vouait une haine sans merci à ma passion. Il voyait cela comme une tare et me disait que cela faisait de moi un faible, un moins que rien. Souvent il a détruit mes dessins, mes peintures que je faisais sur des morceaux de bois. Je ne sais pas si ce sont mes peintures qu'il voulait réellement détruite ou moi tout simplement qu'il voulait voir plus bas que terre . Mais cela ne m'a jamais empêcher de revenir à mon art. Il a pu me battre, m'humilier autant qu'il a pu, c'est peut être la seule trace d'innocence qu'il me reste quand je peins.


Elijah frappe toujours tout doucement, trois coups , pas un de plus, pour s'annoncer, et quand je lui permet d'entrer, j’entends à peine les gonds de la porte grincer. Il entre en silence, vient alors se placer derrière moi et regarde mes mains caresser la toile. Je sens parfois son souffle dans mon cou et je me concentre sur ses battements de cœur. Il est calme, posé et semble apprécié mon art. Il m'arrive parfois de reculer un peu, faisant semblant d'admirer un de mes effets, mais souvent c'est juste pour le toucher, effleurer son corps qui se tient un peu en retrait. Ca me rassure même dans ce lieu, de savoir qu'il est là physiquement. Ce contact est tout ce qu'il y a de plus fraternel à mes yeux, mais il restaure le lien que j'ai avec mon frère.


J'aime sa présence ici, toujours empreinte de respect comme s'il entrait dans un musée. Il ne vient jamais sans y être invité. Jamais il n'a forcé la porte non plus quand il m'entendait tout casser , hurler ou tout jeter par la fenêtre. Il sait que cette pièce est mon échappatoire et le respecte comme un mausolée.


Malgré tout, quand il est là, Je sais que je suis capable de reprendre mon travail, rassuré ou apaisé selon l'humeur du moment.


Quand Elijah me voit ainsi concentrer, Il ne commente jamais, il regarde, puis explore la pièce, s'arrête devant les toiles qu'ils aiment le plus particulièrement, passe de temps en temps ses doigts sur les couleurs que j'ai choisi, ou sur les formes que j'ai donné à mes œuvres. J'aime quand il effleure silencieusement les racés que j'ai voulu créer. Je ressens ses caresses aussi fortement que s'il les posait sur ma peau, sur mon corps. Il frissonne parois devant des œuvres plus cruels, plus sanglantes, celles qui laissent un goût de désespoir dans la bouche. Il ne dit rien pas mais fronçe alors les sourcils et réfléchit, comme s'il pouvait lire chaque souffrance que je met dans mes dessins.


Parfois, sur certaines toiles, il penche la tête pour essayer de comprendre ce que j'ai voulu exprimer au travers de mon travail. Je sais qu'il peut déchiffrer à travers mes toiles quels étaient mes sentiments quand je le ai peintes.


Avant-hier, Il m'a apporté de nouveau tableau blanc et des nouveaux pinceaux qu'il a eu auprès d'un grand maître. Parfois, quand je suis dans la pièce, il vient me déposer des pigments qu'il a achetés pour moi afin que je puisse créer mes propres couleurs. Il me regarde un peu faire mes mélanges, sourit devant des nouvelles couleurs que je pense avoir inventées.


Il m'est arrivé quelques fois, quand j'ai envie qu'il reste plus longtemps auprès de moi, de le laisser tester des couleurs, ou poser un pinceau sur ma toile. Je lui prend alors la main et la guide pour qu'il puisse déposer des touches de couleurs ca et là aux endroits qui nécessite un peu de jaune, un peu de rouge, un brin de bleu…Je sens qu'il n'a pas la fibre artistique et qu'il craint de gâcher ma toile. On en rigole parfois puis quand je reprends le contrôle de mon art, il recule presque soulagé et dès que je suis de nouveau concentré, il part très discrètement pour laisser mon esprit se vider sur mes toiles. Il pense que je ne le vois pas quitter les lieux mais sa présence empli la pièce quand il est là et son départ la laisse tellement vide de sens.


Je me suis rendu compte au fil des années que mes peinture n'avait de valeur que sous son regard, sous son approbation. J'ai toujours été un artiste mais j'ai besoin qu'on me reconnaisse comme tel aussi.


Je ne suis pas toujours aussi serein que ce matin. Il m'arrive parfois de devoir utiliser mes toiles pour évacuer toute la haine et la souffrance que je ressens. Je peins alors avec une ferveur telle que la fièvre me gagne parois. Mes toiles sont alors sombres, ou remplies de couleurs trop vives et trop chaudes. Je ne fais que des traits grossiers, énervés, je crache la peinture comme je pourrai cracher du sang sur le monde qui m'entoure. Je suis un monstre dans ces moments là. Puis peu à peu, je m'apaise, le contact de mes pinceaux sur la toile, les mouvements de mes bras, des mes mains sur la toile, me permette de redevenir l'artiste. Je pose alors quelques touches de jaune, ou de bleu pour essayer d 'atténuer l'horreur de ce que j'ai dessiné.


Mais le seul qui peut venir me calmer dans ces moments là est Elijha. Il ne frappe pas alors, chose inutile car je ne serai pas en mesure de lui répondre, il entrouvre la porte, entre doucement pour se caler derrière moi et pose une main sur mon épaule et me canaliser. Il ne m'empêche cependant jamais de m'exprimer violement dans mes toiles dans ces moments si compliqués pour moi.


Il m'est arrivé malheureusement d'avoir tellement de colère et de remords en moi que la peinture ne m'apaisait pas dans l'immédiat. Elijah en faisait les frais. Je me souviens avoir été très loin avec lui. Je me vois encore, lui allongé inerte à mes pieds, et moi utilisant le flot de sang qui coulait de son corps pour terminer une toile. Je peux être un monstre sans cœur quand la haine me submerge.


Je m'en suis toujours voulu de lui avoir fait tant de mal et j'ai eu si peur qu'ils ne viennent plus par la suite me voir ici. Il m'a puni en conséquence d'ailleurs. Il a refusé de venir à mon exposition, ou dans mon atelier pendant de logues mois, ou ne s'attardant sur aucune comme si cela le désintéressait. J'en ai souffert, il en a souffert et ma peinture s'en est ressentie alors. Tout était triste et désolé.


Et comme à son habitude, mon frère m'a pardonné et j'ai repris le cours de ma passion comme si rien de tout cela ne nous était arrivé.


Je regard ma toile vierge. Que vais-je faire ce matin ? je commence à dessiner quelles traits au crayon fin et va vers ma table en bois. Je dois préparer mes couleurs. Elijah me gronderait s'il voyait que je ne porte pas de blouse pour me protéger des éclats de peinture. Notre ami Cézanne, lui, en portait toujours. Il disait que porter sa blouse s'était entré dans l'art. C'était un grand peine, il m'a appris quelque truc intéressant, j'ai cependant du lui démontrer ce quêtait la véritble quête du peintre…Elijah me le reproche encore mais bon, côtoyer les maitres m'a rendu peut être un peu trop téméraire et sur de moi.


J'ai envie de peindre quelque chose de spécial aujourd'hui. Je ne vais pas aller me douche comme prévu, de toute manière, je serai sale dans peu de temps. J'ai l'inspiration qui vient me titiller. Je mélange mes pots, fait couler mes couleurs quand trois petits coups légers se font entendre de l'autre côté de la porte.


Je sourit et autorise mon frère à entrer.

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