ENTRE TENDRESSE ET TOURMENTE

Chapitre 3 : Alexandre Morrel

2415 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/08/2025 13:47

PDV Alexandre


Lorsque je termine la livraison de pain, la fin de la matinée touche presque à sa fin, je retourne à la boulangerie et donne les paiements des clients à Mme Mercier. Elle me remercie et me libère pour la journée, je lui dis au revoir avant de sortir du magasin, mes heures de travail ont étaient courtes aujourd'hui, tant mieux.


Sur le chemin du retour, je repense à ma conversation avec Madeleine, apparemment, je lui ai fait de l'effet. J'espère qu'elle a pu parler à ses parents, du moins à sa mère qui arrondira les angles avec le père au cas où il serait trop buté.


J'ai vraiment envie de tenter ma chance avec elle... Oh bien sûr, je lui ai assuré que je me contenterai d'une amitié pour ne pas lui mettre la pression, je garde l'espoir qu'elle acceptera d'aller plus loin dans cette relation.


Je ne laisserai personne me mettre des bâtons dans les roues, pas même le patriarche Larcher. Cette fille sera à moi et j'en ferai ce que bon me semblera, fois d'Alexandre Morrel ! Cependant, je suis perplexe dès que je rentre à l'appartement, mon oncle est en train de s'agiter dans tous les sens, il remplit nos sacs de voyage.


"Mon oncle, qu'est-ce que tu fais ? Tu t'en vas ?"


"Oui je m'en vais, et toi aussi tu pars avec moi, nous retournons à Tarbes dans les Hautes-Pyrénées dès aujourd'hui." Me répond t'il, je m'insurge aussitôt.


"Dis moi que ce n'est pas vrai !"


"Écoute moi Alexandre, il y a quelques instants, j'ai été informé que les Allemands avaient déjà envahi la ville de Besançon. Alors tu comprendras que je n'ai pas l'intention d'attendre bien gentiment que l'on me troue la peau lorsque le village de Villeneuve sera envahi à son tour."


"Attends mon oncle ! Je ne peux pas m'en aller comme ça ! Est-ce que tu aurais oublié mon travail à la boulangerie ? Qu'est-ce que j'en fais maintenant ?"


"Je suis désolé pour le tort que ça te fait, sincèrement, mais il est hors de question que je reste à Villeneuve plus longtemps, aussi je compte sur toi pour me soutenir durant le voyage."


"Christian nous accompagne lui aussi ?" Je demande la mine agacée, notre colocataire me sort par les yeux, je ne le supporte plus.


"S'il le souhaite, il pourra venir avec nous, mais contrairement à toi, je ne peux pas le contraindre à partir, il n'est pas de notre famille, sans oublier que Christian est déjà majeur, ce sera donc à lui de décider au sujet de ce voyage."


Pfff... Tout ça pour une question d'âge ! Mon œil ! J'ai dans l'idée de parler de Madeleine Larcher à mon oncle, mais je ne suis pas sûr que ce ne soit pas le moment idéal pour avoir cette conversation qui risque de durer longtemps. Toutefois, j'essaye une manœuvre au cas où pour essayer de le faire flancher.


"Mon oncle, est-ce qu'il y a la moindre chance pour que nous revenions à Villeneuve, au cas où les allemands viendraient à repartir dans leur pays ?"


"Non Alexandre, ne rêve pas. Nous ne reviendrons pas dans la sous-préfecture du Jura et ce, même s'il n'y aurait plus d'invasion allemande, je tiens à revenir à mes racines. Là-bas à Tarbes, tu pourras trouver un autre travail dans une boulangerie."


Malgré mon énervement, j'essaie une nouvelle tentative.


"Mon oncle, tu pourrais repartir tout seul à Tarbes, tu n'as pas besoin de moi et ce cher Christian pourrait veiller sur ma personne si tu t'inquiètes tant pour moi."


"Pardon ? Tu serais vraiment capable d'abandonner ton oncle s'il faisait face à un danger ? Sérieusement Alexandre ? Après tout ce que j'ai fait pour toi ? Je ne crois pas avoir mérité ça."


Je lève les yeux au ciel, mon oncle a le don de me culpabiliser, je cède de mauvaise grâce.


"Très bien ! Je viendrai avec toi !"


Voyant ma mine renfrognée, il me dit d'un ton sarcastique.


"Merci mon cher neveu, je n'en attendais pas moins de toi, vu ton enthousiasme débordant !"


À cet instant, j'ai envie d'envoyer ses quatre vérités à mon oncle. Malheureusement, je suis freiné dans mes intentions car une personne entre dans l'appartement à ce moment-là. Il s'agit de Christian Royer, ce même Christian que j'ai mentionné il y a quelques instants.


Nos pères s'étaient connus depuis la première guerre mondiale, nos mères avaient perduré cette sympathie et c'est ainsi que Christian et moi nous nous sommes rencontrés. Il est venu partager l'appartement avec mon oncle et moi depuis six mois et a trouvé un travail à la mairie.


Pour une raison inconnue, il aurait fait la maison de ses parents à Lourdes dans les Hautes-Pyrénées. J'ai essayé de comprendre ce qui s'est passé en l'interrogeant à ce sujet une ou deux fois, mais il n'a jamais voulu me répondre et m'a renvoyé dans mes foyers en me faisant comprendre que c'était une affaire privée et que ça ne me concernait pas.


"Que se passe t'il ? Il y a un déménagement ?


"Oui Christian, il s'agit bien d'un déménagement. Mon neveu et moi quittons Villeneuve, si tu veux nous accompagner, je te conseille de faire tes bagages sans tarder. Cela dit, si tu préfères rester, je prendrai mes dispositions chez le notaire pour que tu puisses garder l'appartement." Lui répond mon oncle.


"Et bien oui, je préfèrerais rester, merci pour votre gentillesse Mr Morrel. Quand devez-vous partir ?"


"Aujourd'hui même ! Tu n'as donc pas entendu parler du fait que les allemands avaient déjà envahi la ville de Besançon ?"


"Ah si, en effet. Le maire a eu des informations à ce sujet, il paraît que les allemands viendraient envahir Villeneuve, en tout cas, mon patron espère qu'il n'en sera pas ainsi."


"Quoiqu'il en soit, je ne veux prendre aucun risque, j'espère que tu me comprends Christian." Lui dit mon oncle et Christian hoche la tête.


Pour le plaisir de le railler, je lui demande.


"Et toi, ça ne te fait pas peur ? Tu n'aurais pas envie de fuir les allemands ? Tu en es bien sûr ?"


Il me répond l'air tranquille.


"Dans mon cas, il me serait impossible de partir, même si je le voulais. Le maire de ce village compte sur ma présence, je ne peux pas me permettre de le laisser tomber."


Je pense intérieurement que ce maire a vraiment de la chance d'avoir un employé aussi exemplaire, à moins que ce Christian soit un lèche-bottes avec son patron. C'est alors qu'une idée vient germer dans mon esprit, peut-être que Mr parfait pourrait se rendre utile une fois n'est pas coutume.


"Christian, si tu as du temps devant toi, est-ce que tu accepterais de m'accompagner jusqu'à la boulangerie ? Je dois annoncer à mes patrons que je dois les quitter et j'aimerais discuter de choses importantes avec toi."


Avant de me répondre directement, Christian s'adresse d'abord à mon oncle, ce qui a le don de m'énerver lorsque je suis ignoré.


"Excusez-moi, mais nous ne déjeunons pas ensemble du coup ?"


Je constate que Mr parfait peut être très intelligent quand il veut, mon oncle lui répond.


"Non, je suis désolé Christian. Mais je t'en prie, accompagne Alexandre, allez vous restaurer au centre du village. Moi je suis trop occupé, je me débrouillerai pour déjeuner, en plus, il nous reste quelques provisions à l'appartement. À plus tard les garçons !"


Christian se souvient enfin que j'existe car il se tourne vers moi, je lui fais un sourire forcé, idée de lui faire croire que j'ai des manières, même si ce n'est pas le cas.


"D'accord allons-y, je te suis." Me dit-il avant de m'emboîter le pas.


Tandis que nous marchons en direction de la boulangerie, il me demande.


"Alors Alexandre, de quoi voulais-tu me parler en particulier ?"


"J'ai deux faveurs à te demander, je vais commencer par la première. C'est au sujet d'une amie d'enfance ou plutôt une ancienne camarade d'école."


Je n'en reviens pas de ce que je m'apprête à faire ! Je vais laisser Madeleine entre les mains de Mr parfait ! Qui aurait cru ça ?


"Je t'écoute Alexandre, qu'est-ce que je peux faire pour ton amie ?"


"Il y a effectivement quelque chose que tu pourrais faire pour elle, je n'aurai malheureusement pas le temps d'aller faire mes adieux à cette amie en question. J'avais des projets la concernant, mais à cause de mon oncle, ils ne se réaliseront pas."


"Oh Alexandre... N'en veux pas à ton oncle, il pense avant tout à ta sécurité, comme le ferait tout parent. Au fait, comment s'appelle ton amie ?"


"Madeleine Larcher."


"Ah... je connais un certain Mr Daniel Larcher, un médecin respectable et adjoint au maire. Comme j'ai travaillé dans l'administration depuis mon emménagement à Villeneuve, il m'est arrivé de le croiser de temps à autre, il m'a toujours paru comme sympathique et chaleureux."


"Ce serait donc lui le père de Madeleine ?"


Ma question semble être toute innocente comme ça, mais je songe surtout au fait qu'il pourrait m'être facile de manipuler cet homme. Hélas, je n'en aurai jamais l'occasion, dommage ! Je me serais bien amusé.


"C'est possible, après je ne connais pas la vie personnelle du docteur Larcher. Bon, parle moi de cette première faveur, que dois-je dire à Mlle Larcher ?"


"J'aimerais que tu ailles la voir à ma place et que tu lui adresses les adieux de ma part, comme tu as pu t'en apercevoir, mon oncle est pressé de partir et je lui ai promis de le suivre. Fais lui savoir qu'elle ne m'attende pas, c'est inutile désormais, je ne pourrais pas revenir à Villeneuve. Je te donnerai son adresse pour que tu puisses la rencontrer, c'est bon pour toi ? Tu t'en sens capable ?"


"Évidemment que je m'en sens capable, j'irai la voir lorsque vous serez partis ton oncle et toi. Maintenant cette deuxième faveur, quelle est-elle ?"


"Je t'en parle juste après avoir prévenu mes patrons de mon départ, nous sommes arrivés devant la boulangerie, tu veux m'accompagner ?"


"Je vais plutôt en profiter pour nous acheter à manger pendant que tu parles à tes patrons, il faudra également que je passe à la boulangerie pour acheter du pain." Me dit-il.


"Très bien, à tout à l'heure Christian." Lui réponds je avant de rentrer dans le magasin.


Mme Mercier a une mine interloquée en me voyant approcher du comptoir, elle me demande.


"Alexandre... qu'est-ce que tu fais là ? Tes heures de travail sont terminées, ne me dis pas que tu viens faire des heures supplémentaires."


"Non Mme Mercier, je ne viens pas pour faire des heures supplémentaires, mais plutôt vous informer qu'il me sera impossible de revenir travailler à la boulangerie, je vous prie de m'excuser, mais c'est tout à fait inattendu et non point de ma volonté, croyez-moi."


"Attends... explique moi tout ça clairement. Pourquoi tu ne peux pas revenir travailler à la boulangerie ?"


"Tout à l'heure, quand je suis rentré chez moi, mon oncle était en train de remplir nos sacs de voyage. Je lui ai demandé pourquoi il faisait ça et il m'a fait savoir que les allemands avaient déjà percé à Besançon et qu'ils ne tarderaient pas à envahir Villeneuve."


Mme Mercier plaque une main sur sa bouche, son regard et terrifié, je m'en veux de lui faire peur, mais tôt ou tard, cette pauvre femme devra faire face à la réalité, j'ajoute aussitôt.


"Voilà pourquoi il ne veut pas rester plus longtemps à Villeneuve et il tient à ce que je vienne avec lui."


"Oui, je peux comprendre, tu dois obéir à ton parent. D'accord, merci de m'avoir prévenu Alexandre, je ne te cacherai pas que j'aurais préféré que tu restes, mais je suis consciente que la famille passe avant tout. Écoute, j'ai été très satisfaite de ton travail depuis ton premier jour, je vais te rémunérer avant que tu t'en ailles, si cela peut t'aider ainsi que ton oncle pour le voyage."


"Merci Mme Mercier, c'est très gentil à vous."


"Mais de rien, soyez prudents sur la route, bon courage à vous deux."


"De même pour vous et votre mari, je vous souhaite bonne chance. Malheureusement, je ne pourrais pas lui dire au revoir, j'en suis désolé."


"Je le ferai pour toi, ne t'en fais pas."


Christian entre à son tour dans la boulangerie, il adresse un sourire à Mme Mercier avant de la saluer.


"Bonjour madame Mercier, j'aimerais vous prendre un pain de campagne, s'il vous plait ?"


"Bonjour Mr Royer, bien sûr, je vous sers cela tout de suite."


Une fois que Christian a payé son achat et dit au revoir à Mme Mercier, il me dit.


"Je t'attends dehors ?"


Je hoche la tête, puis dès l'instant où Christian a passé la porte, Mme Mercier me donne une bonne rémunération, puis après un dernier adieu à celle que je dois considérer comme mon ancienne patronne, je sors de la boulangerie avec une mine mélancolique. Christian m'attend à la sortie du magasin avec un sac en toile plein dans sa main droite, je n'y avais même pas fait attention tout à l'heure, il me demande.


"Alors, ça n'a pas été trop difficile ?"


"Un peu quand même, j'aurais préféré rester ici, mais c'est comme ça. Qu'est-ce que tu nous a pris pour le déjeuner ?" Je regarde le sac avec intérêt.


"Mis à part le pain de campagne que je viens d'acheter à l'instant, j'ai acheté également des tranches de pâté de campagne, quelques radis, de la tomme du village, une pomme chacun, des biscuits secs et deux bouteilles d'eau gazeuse. Ça te convient ?"


"Tu aurais pu mieux faire ! Nous avons été habitués à mieux, mais bon, on fera avec, ce n'est pas grave." Lui dis-je.


"Désolé Alexandre de t'avoir autant déçu dans ce cas, la prochaine fois que nous referons un pique nique, enfin si un jour nous nous revoyons, tu choisiras tout seul ce que tu voudras." Me répond t'il en secouant la tête de dépit.


"C'est bon je te dis ! Je m'y ferai, pas de quoi en faire un drame !" Réponds je en levant les yeux au ciel.


Nous nous installons sur un banc près de l'église pour manger.






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