La Rapière et L'oiseau Bleu

Chapitre 1 : Une voleuse aux ailes bleues

3626 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/03/2017 14:48




En ce jour de marché, la place principale de Los Angeles regorgeait d’échoppes diverses et variées. Les commerçants alpaguaient les curieux, vantant les mérites de leurs articles. Les longs tissus aux motifs amérindiens, les poteries à l'effigie des divinités locales, les ragoûts, les produits du terroir, tous ces éléments dansaient une folle sarabande aux couleurs chaleureuses sous les yeux bruns d'Elena Vertugo. Entourée par ce monde fait de formes mouvantes et d'effluves, la jeune femme se sentait à l'abri.

Sous un ample chapeau de paille, elle avait noué ses sombres cheveux ondulés en un chignon tressé, dissimulé lui-même à l'aide d'un turban élimé. Ses pommettes bien dessinées, son teint clair et ses fines lèvres roses disparaissaient sous la boue qu'elle s'était appliquée le matin. Fluette et de petite taille malgré sa vingtaine d'années, elle faisait un jeune mendiant très convaincant. Il y avait deux raisons derrière à ce camouflage. La première était l'envie d'agir comme elle l'entendait, sans qu'un importun lui rappelle l'étiquette. La seconde était qu'elle pouvait pratiquer son jeu sans susciter le moindre soupçon. Elena aimait voler. Cependant, pas au même titre que n'importe quel gredin. N'ayant aucunement besoin d'argent, elle le faisait uniquement pour les sensations fortes que cela lui procurait. Mais pour y parvenir, elle sélectionnait ses victimes avec un soin méticuleux, selon des critères bien précis.

Ce jour-là, elle avait repéré sa cible plutôt rapidement. En temps normal, elle mettait un point d'honneur à ne traquer que les amis de sa belle-mère. Pour Elena, cette femme d'âge mûr était méprisable et ne méritait aucun égard. En effet, celle-ci s'était mariée avec son père uniquement pour sa fortune et ses terres. Dans son testament, le défunt avait légué à son unique descendante l'intégralité de ses biens, ne laissant à sa seconde épouse qu'une petite villa en Espagne à son grand dam. Malheureusement, il y était indiqué que la jeune demoiselle n'aurait accès à son héritage que le jour de son mariage, l'abandonnant jusqu'alors de fait, à l'emprise de son infâme marâtre.

Cette fois-ci, c'était autrement plus important qu'une simple vengeance personnelle. Un ranchero battait son serviteur et Elena, qui regardait avec horreur la scène de loin, ne pouvait accepter de rester les bras ballants. Le faciès de ce vieil aigri ne lui revenait pas. Des maîtres corrigeant leurs esclaves, il y en avait plein, mais celui-ci le frappait avec une hargne sans pareille, faisant serrer les poings à la jeune voleuse. Tant de violence et de haine dans les propos la révulsait. C'était à se demander qui était réellement humain. La jeune voleuse pensa alors à ces soi-disant grands érudits qui passaient leurs journées à s'interroger sur des futilités, oubliant le principal.

Avec une grande discrétion, elle commença à traquer le vieil homme inconscient du danger qui planait dans son dos. La jeune femme n'en était pas à son premier larcin, ainsi elle savait exactement comment procéder. Lorsqu'il s'arrêtait à des échoppes, elle se cachait derrière une charrette ou un quelconque obstacle attendant patiemment qu'il reprenne sa route. Les passants lui jetaient parfois des regards mauvais. Personne n'aimait quand des pouilleux flânaient autour d'eux. Dans ces moments-là, elle baissait la tête, en signe de soumission, et demandait l'aumône. C'était bien assez pour que les curieux détournent les yeux, la chassant d'un revers de main. Elle poursuivait ensuite sa filature, changeant de ruelle pour ne pas éveiller les soupçons. Au cours de ses nombreuses sorties, elle avait étudié les moindres recoins de Los Angeles et bien malin serait celui qui pourrait lui échapper, car, ici, elle était sur son territoire. Elle suivait maintenant le ranchero depuis plus d'une heure et n'avait pas encore décelé une opportunité de passer à l'acte. Mais la jeune femme ne se décourageait pas pour autant. Un bon voleur savait être patient et reconnaître le moment propice. À en juger par son itinéraire, sa proie se dirigeait maintenant vers la caserne. Cela n'effrayait pas l'intrépide femme, au contraire, cette difficulté supplémentaire allait rendre la partie encore plus intéressante. Elle remarqua du coin de l’œil le regard insistant d'un garde et, pendant un court instant, elle eut une pointe d'angoisse. La toile de jute qui lui servait de poncho dissimulait Dia et Noche, ses deux fidèles lames. Leur poids était rassurant et elle pourrait se défendre si cela tournait mal. L'officier finit par se désintéresser d'elle, une grimace dégoûtée au visage. Apparemment, le masque de boue faisait son effet, se dit-elle intérieurement.

Les deux rapières lui avaient été confiées par le maître danseur, l'un des plus grands escrimeurs auprès duquel elle avait été secrètement formée. Secrètement, car ce domaine était réservé à la gente masculine, pas à une jeune femme de sa condition où la moindre activité physique pouvait être perçue comme un acte dégradant. Fort heureusement, son père avait été quelqu'un de facilement influençable de son vivant et il lui avait cédé le moindre de ses caprices.

La sécurité se renforçait de plus en plus, aussi fut-elle contrainte de ralentir le pas, laissant une distance de dix mètres entre elle et sa future victime. Cette dernière s'arrêta finalement à l'ombre, près d'un abreuvoir. Le soleil écrasant et l'agitation des rues semblaient avoir épuisé le vieillard. Elena tenait enfin son occasion, mais il lui fallait se dépêcher. Elle estimait n'avoir qu'une dizaine de minutes pour mener à bien son opération. Décompte en tête, elle bifurqua dans une contre-allée et escalada la paroi de l'entrepôt qui donnait sur le repère des gardes, tout en s'assurant de passer inaperçue.

Du haut de la charpente, la voleuse embrassait du regard l'ensemble de la scène. L'air était sec, la poussière irritait ses yeux, sa gorge la brûlait, la terre sur son visage la grattait et une boule faite de doute et d'anxiété ne cessait de grossir à l'intérieur de son ventre. Que ferais-je si on me capturait ?Et si je n'arrivais pas à m'enfuir cette fois-ci ? se répétait-elle en boucle. Comme avant chaque moment fatidique, une multitude de questions lui venait à l'esprit. Elle ne pouvait se mentir à elle-même, elle avait peur. Or c'était grâce à ces émotions qu'elle se sentait différente de la fourmilière des cadavres ambulants qui grouillait sous ses yeux. Pour elle, les habitants de Los Angeles étaient prisonniers de leurs propres règles, faisant d'eux des poupées de chiffons animées. Ils obéissaient aveuglément à un commandant despotique, menaient une vie laborieuse et se laissaient entraîner mollement par le courant de leurs quotidiens. N'avaient-ils jamais essayé de réaliser leurs rêves ? Pourquoi était-elle la seule à se sentir comme un oiseau en cage ? se demandait-elle alors, les contemplant du haut de son perchoir. Peut-être était-elle différente des autres femmes, mais elle avait besoin de ces précieux instants pour émerger de la morne brume de sa routine.

Loin au-dessus d'une la mer agitée de la foule, elle survolait avec ses ailes imaginaires ce bas-monde incohérent. Une profonde exhalation monta au creux de sa poitrine, embrasant tout son être : Elena se sentait enfin libre. La caresse du vent sur son front, la chaleur écrasante du soleil, face à elle l'univers entier paraissait avancer au ralenti inondant ses oreilles de clameurs étouffées. Le tourbillon formé par cet ensemble de mélodies colorées et d'images bruyantes l'enveloppait. Aucun des plus infimes petits détails ne lui échappait, chaque élément qui parvenait à son organisme était, décomposé, analysé, examiné sous tous les angles lui indiquant ce qu'elle devait savoir. La moiteur oppressante qui se dégageait de la ruelle rebutait les commerçants. De ce fait, il y avait peu de passants. Ce calme convenait à sa proie, qui, épuisée à cause de son âge, reprenait son souffle sur un petit banc à l'ombre. Il n'y avait qu'un unique garde faisant sa ronde dans la ruelle et dans quelques instants, il bifurquerait. Son gibier serait seul, à quelques mètres de ses doigts habiles. Ses muscles se raidirent, le sang battait à ses tempes, elle s'apprêtait à bondir, armée de ses deux compagnes. Puis une stupide calèche gâcha tout.

La voiture s'arrêta devant la caserne, alertant les lanciers qui affluèrent de tous côtés, submergeant l'allée du bleu de leurs uniformes. La mission avait échoué. Elena frappa rageusement du poing sur le petit muret derrière lequel elle se cachait. Sa frustration était proportionnelle à l'excitation qu'elle avait connue quelques instants auparavant. Elle scruta furieusement le véhicule, c'était puéril et inutile, mais elle ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à celui qui avait interrompu son jeu. Un jeune homme suivi de son valet en descendit maladroitement. Il portait de luxueux vêtements et un livre à la main. Sûrement un autre de ces nobles prétentieux, se dit-elle. Alors il se retourna. Et elle le reconnut. Bien qu'il ait changé, c'était lui, Diego de la Vega était de retour.





Son périple depuis Monterrey avait été long de plusieurs jours et Diego était fourbu. Pourtant, même la fatigue du voyage ne pouvait gâcher son plaisir de retrouver sa terre natale après tant d'années. Los Angeles lui avait manqué et, bien que la grande Madrid ait son lot d'avantages, le charme de la petite bourgade coloniale restait inégalé. Le lieu était peut-être insignifiant par rapport à ce qu'il avait connu, mais retrouver un endroit aussi familier réveillait en lui une profonde nostalgie. Les jours de marché avaient toujours été ses préférés. Noyé au milieu de toute cette vie, il aimait observer ce qui rendait Los Angeles si précieuse à ses yeux. Chacun avait sa place, vaquant à ses occupations. Les passants semblaient profiter de cette belle journée, souriant chaleureusement à ceux qu'ils rencontraient. De partout on pouvait entendre fuser des rires, et il reconnut la vieille vendeuse de tamales qui paraissait toujours aussi revêche, accompagnant son service des mêmes jurons. Le grand puits fait de pierres blanches au centre de la place était resté identique, tout comme la façade de l'auberge où il avait maintes fois rêvé d'entrer alors qu'il n'était encore qu'un petit garçon. Son regard se posa, attendri, sur les enfants qui jouaient au voleur et au soldat. C'est avec mélancolie qu'il revit en eux le reflet de celui qu'il était quelques années plus tôt. Cependant, il ne pouvait se laisser aller maintenant. Il rappela brièvement à Bernardo le rôle qu'ils allaient endosser lorsque le cocher arrêta la calèche devant les portes de la caserne. Diego prit une profonde inspiration et en sortit tout en s'assurant de paraître le plus gauche possible. Il fit même semblant de trébucher ce qui provoqua des réactions moqueuses chez les gardes qui avaient accouru. Parfait, se dit-il en avançant vers l'officier de service, livre à la main. Il lui tendit ses papiers d'identité et demanda d'un air faussement indigné, à tel point qu'il se savait ridicule :

« Je veux que l'on m'explique la raison de cet accueil ! Est-il vraiment nécessaire de...

— Don Diego, je n'y crois pas ! le coupa alors une voix derrière lui. C'est réellement vous ! »

L'interpellé se retourna et reconnut l'imposante silhouette qui se tenait face à lui.

« Mais si ce n'est pas mon vieil ami le Sergent Garcia ! Quel plaisir de vous revoir !

— Quand je pense qu'à votre départ vous étiez à peine plus haut que trois pommes ! Un petit voyage en Espagne et vous voilà devenu un homme ! »

Le sergent Dimetrio Lopez Garcia était un bon vivant avec une forte proéminence au niveau de la ceinture abdominale. Il était loin d'être une lumière et quand il n'était pas de service, il se trouvait à la taverne en train de se goinfrer de victuailles et de vin. Sa lenteur d'esprit n'avait d'égal que sa gentillesse, Diego le savait. Cet homme fuyait tout conflit s'il n'y voyait pas un intérêt personnel, ce qui pouvait se révéler être un atout des plus utiles. Diego leva la voix, simulant un mécontentement, et désigna les gardes qui l'entouraient :

« En parlant de ça, j'exige que vous m'expliquiez la raison pour laquelle je me fais agresser alors que je viens tout juste d'arriver ! lança le jeune de la Vega en essayant de paraître le plus vexé possible. Je représente une menace pour cette ville peut-être ? »

La moustache du sergent frémit et ses joues flasques mal rasées tremblotèrent par peur d'avoir heurté la sensibilité du fils du grand Alejandro de la Vega. Il n'eut cependant pas le luxe de répliquer puisqu’une voix cassante le fit à sa place :

« Peut-être bien, señor. Pour la sécurité de Los Angeles, nous inspectons tout nouvel arrivant. »

Diego sourit intérieurement. Il avait tout de suite remarqué l'agitation parmi les lanciers qui se tenaient à présent au garde à vous. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : le rat se montrait enfin. Bernardo l'encouragea d'un signe discret de la tête. Tout allait se jouer maintenant. Le jeune de la Vega lui fit face, sa plus belle expression de surprise au visage :

« Qui êtes-vous ?

— C'est moi qui pose les questions ici. »

Le commandant Monastorio ordonna sèchement au gros sergent qui avait battu en retraite à son arrivée :

« Vous ! Ne restez pas planté là et inspectez ses valises.

— Oui, mon Commandant ! Excusez-moi Don Diego... balbutia-t-il avant de s'activer maladroitement à la tâche.

— Ai-je bien entendu ? Êtes-vous un haciendado ?

— Je suis Diego de la Vega, fils de Don Alejandro de la Vega et je viens de rentrer d'Espagne. Voici mon serviteur Bernardo, un sourd-muet. Veuillez vous référer à moi si vous souhaitez lui demander quelque chose. »

Tout en se présentant, il en profita pour mieux observer ce prétendu tyran. Monastorio était un peu plus âgé que lui. Il avait une barbe fine et bien entretenue. Son uniforme était impeccablement repassé, les insignes bien en évidence. Il portait une attention particulière à son apparence. Ses yeux d'un bleu perçant semblaient prendre le monde entier de haut et, chose plutôt amusante, il se tenait le plus droit possible dans le but de diminuer l'écart de taille avec son interlocuteur. Un petit prétentieux, conclut Diego, retenant le sourire qu'il sentait monter à ses lèvres. La simple évocation du nom emblématique suffit à faire effet, le commandant changea d'attitude. Il savait que les de la Vega avaient une grande influence en Californie et représentaient une potentielle menace pour ses projets. Don Alejandro avait déjà montré des signes de rébellion et il devait l'écarter le plus tôt possible. Pour cela, il fallait encourager le jeune de la Vega à se trahir, car le moindre faux pas suffirait pour les mettre, eux et tous leurs complices, derrière les barreaux. Son timbre devint mielleux :

« Je me nomme Monastorio, Commandant de Los Angeles, pour vous servir. Puis-je savoir qu'elle est la raison de votre retour parmi nous ?

Diego prit un air faussement navré. Se rapprochant légèrement du commandant, il avoua un ton plus bas :

— Je vais vous confier quelque chose, promettez-moi de le garder pour vous, cette information est un sujet des plus sensibles.

— Bien sûr, de quoi s'agit-il ? l'encouragea le haut gradé de sa voix la plus doucereuse. Il jubilait intérieurement. Peut-être pourrait-il les écraser à l'instant même. Il lui suffirait alors de quelques arrangements avec un juge de sa connaissance, un petit procès truqué et en un claquement de doigts, il serait nommé général pour avoir contrecarré la rébellion en Californie.

— En réalité, l'école dans laquelle mon père m'a envoyé ne me correspondait point. »

Le commandant en resta pantois. C'était bien la dernière chose qu'il s'était préparé à entendre.

— Pardon ? le questionna-t-il, consterné par cette révélation.

— Je n'ai jamais réussi à manier une épée, j'ai une sainte horreur de la violence. J'ai prétexté la première excuse me passant par la tête pour retourner chez moi. Vous comprenez, je ne vais pas m'épuiser en Espagne alors que je peux vivre oisivement dans cette petite ville si paisible ! »

Diego avait prononcé ces derniers mots en réajustant sa luxueuse veste brodée sous les yeux de l'officier ébahi. C'était impossible, le jeune de la Vega mentait, se répétait-il. Comment le fils unique de la plus fière lignée de Californie pouvait-il être un échec à ce point ? Il allait insister lorsque le gros Sergent annonça :

« Au rapport, mon Commandant : nous n'avons rien trouvé de suspect dans les bagages ! » Il ajouta avec une voix enjouée à l'adresse de son ami : « Par contre, je dois vous dire Don Diego que je n'ai jamais vu autant de bouquins réunis dans un si petit espace ! »

— Il est vrai Sergent, que je m’intéresse grandement à la philosophie et la poésie. Oh, mais cela me fait penser à quelque chose. Voici une œuvre sur les différentes façons de régler un conflit sans violence. Cela pourrait vous être très profitable, assura Diego, de son plus innocent sourire, en tendant le livre au commandant resté coi.

— Je m'excuse, une autre fois peut-être, mais j'ai beaucoup à faire. »

Il prit sèchement congé, aboya quelques ordres puis retourna, suivi par ses lanciers, au fond sa tanière. Pour le haut gradé, c'en était assez. Poursuivre l'interrogatoire du fils de la Vega aurait été une perte de temps. Cet imbécile ne représentait aucune menace ni le moindre intérêt pour lui.





« Vois-tu, Bernardo, tant qu'il nous pensera inoffensifs, nous ne craindrons rien du commandant Monastorio », glissa discrètement le jeune homme à son valet. Ils s'apprêtaient à partir lorsque le sergent Garcia les arrêta.

« Don Diego, attendez ! Je me dois de vous prévenir d'une chose !

— Qu'y a-t-il Sergent ?

— Ces derniers temps, un odieux bandit sévit dans notre région. De grâce Don Diego, faites attention, ses cibles favorites sont les riches rancheros comme vous !

— Mais voyons, avec une épée telle que la vôtre pour me protéger, je ne craindrai jamais rien !

— Je le sais bien Don Diego, rétorqua le grassouillet en bombant le torse, flatté, mais cet Azulillo n'est pas un voleur comme les autres ! Ses méfaits commis et.... pouf ! Envolé ! Évidemment, s'il n'y avait eu que moi, il y a longtemps que je l'aurais attrapé. Mais avec tous ces lanciers incapables dans mes pattes, impossible de trouver la moindre trace !

— Cette histoire me paraît assez étrange. Mais dites-moi Sergent, à quoi ressemble-t-il ? le questionna Diego qui imaginait, non sans amusement, son corpulent interlocuteur courant seul à la poursuite d'un quelconque gredin.

— Et, Don Diego, tout le problème est là. Personne n'a jamais vu à quoi il ressemblait sous son masque et tout ce que je sais de lui, c'est qu'il s'agit probablement du meilleur escrimeur de tout le pays. Enfin, après moi évidemment. Cependant, il y a bien cette figurine en forme de... de ce petit oiseau bleu là, vous voyez ? Le nom m'échappe...

— Le passerin indigo peut-être ?

— Oui c'est cela ! Nous le reconnaissons grâce à ça, car Azulillo la glisse dans la bourse de tous ceux qu'il dépouille. Et Dieu sait qu'avec tous ces vols, j'en ai fait une collection personnelle ! »





Le jeune homme remercia le sergent pour sa mise en garde puis prit congé. Bernardo remit de l'ordre dans les valises, laissées entrouvertes suite à l'inspection et les rangea sous la banquette de leur calèche. Après un dernier regard sur la place de Los Angeles, Diego lui dicta d'un signe de tête de lancer les chevaux. Le paysage défilait sous ses yeux absents, car ce qu'il avait entendu l’intriguait au plus haut point. Tout d'abord, ce commandant lui inspirait une forte méfiance. Le fin observateur qu'il était avait bien remarqué que derrière ses tournures de phrases sirupeuses, Monastorio était un personnage ambitieux, manipulateur et sans scrupule, donc à surveiller de près. Mais il y avait également ce mystérieux voleur masqué qui ammenait un problème autrement différent. Que pouvait-il bien faire contre lui si sa couverture l'empêchait de se battre ouvertement ? Il était tellement absorbé par ces réflexions, que ce ne fut qu'à mi-chemin, qu'il remarqua l'ouvrage de philosophie qui encombrait encore ses mains. Aussi, il ouvrit la sacoche sous son fauteuil pour le ranger. Il vit alors un petit oiseau fait de bois reposant bien en évidence sur ses affaires. À la lumière du soleil, la couleur azurée du passerin indigo rayonnait d'un éclat moqueur. Peut-être que le commandant Monastorio ne serait pas son seul adversaire, après tout.


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