A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 3 : Mécanique et gros canon

5736 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/08/2023 12:07

La fermeture remonta dans un léger chuintement tandis qu’une grimace déformait le reflet de Reiko. La combinaison orange et grise de l’équipe des mécaniciens soulignait ses rondeurs alors que sa poitrine, comprimée dans le vêtement, menaçait de faire éclater les coutures.

Non, décidément, cela ne la mettait pas en valeur.

Contrairement à Louise ou Yûki, elle n’était pas filiforme. Reiko tira sur ses joues avant de les claquer bruyamment. Son visage n’était pas aussi fin qu’elle l’aurait souhaité et elle était persuadée de faire au moins deux tours de taille de plus que ses coéquipières.

D’ailleurs, elle était presque certaine d’avoir entendu des employées du QG se moquer de son léger surpoids avant qu’elle n’entre dans les vestiaires.


- Reiko, ma fille, tu vas devoir redoubler d’efforts.


Un peu plus tôt dans la journée, elle avait repéré les différentes salles de simulation. Pilotage, intervention de terrain ou immersion dans l’espace… Les possibilités ne manquaient pas pour qu’elle retrouve une forme un tant soit peu athlétique. 

David lui avait expliqué que d’ordinaire l’entraînement des nouvelles recrues est supervisé par un lieutenant gradé du peloton.

Reiko tira la langue au miroir lorsque l’image de Bruce se forma devant ses yeux.

Elle se débrouillerait bien mieux toute seule. 

Un bruit strident émanant de sa montre la fit sursauter. Elle éteignit l’alarme qui affichait 06:00.

Si elle ne se dépêchait pas, elle allait être en retard. 

Elle rangea précipitamment ses habits dans le vestiaire et courut en direction de l’atelier de réparation du chef Akatsuki.

Les portes du hangar se refermèrent dans un bruit sourd derrière Reiko qui remarqua que l’équipe des mécaniciens était déjà affairée à l’entretien de Big1. Elle repéra son eagle dont le moteur avait été partiellement démonté.


- Je peux vous aider ?


Akatsuki, épaulé par une femme à la chevelure rousse retenue en queue de cheval, était en train de retirer l’aile abîmée du chasseur.

Un demi-sourire se dessina sur son visage lorsqu’il aperçut Reiko. 


- Tu t’y connais un peu ?


Elle se mordit la lèvre. Devant son total désintérêt en la matière, le meilleur ami de son père avait renoncé à lui apprendre quoi que ce soit nécessitant d’assembler vis et boulons. Et, la seule fois où elle avait tenté de réparer sa console défectueuse, elle avait fait sauter l’alimentation générale du vaisseau, déclenchant un mouvement de panique à bord. 

Depuis, elle se tenait à bonne distance de la mécanique.


- Pas vraiment.


Les deux mécaniciens partagèrent un regard lourd de sous-entendu qui plongea Reiko dans un profond malaise.


- Dans ce cas, va nettoyer ce tas de pièces là-bas. Ensuite, on les fixera sur ton eagle.


Reiko avisa l’immense montagne de ferrailles et poussa un discret soupir de lassitude. Une petite voix dans sa tête lui murmura qu’elle n’avait pas intégré la SDF pour nettoyer de vieux écrous rouillés, mais elle la bâillonna presque aussitôt.

Si elle voulait devenir un soldat efficace, elle devait se plier à toutes les exigences de la compagnie. Si son seul objectif était de faire des loopings, elle n’avait pas besoin du peloton Sirius ou de la SDF. 

Akatsuki lui lança un chiffon huileux qu’elle n’eut pas le réflexe d’attraper au vol. Celui-ci heurta son nez avant de tomber au sol.


- Dégoûtant, lâcha-t-elle en le ramassant.

- Allez, au boulot la bleue.


Reiko frotta ses pommettes sur lesquelles des résidus noircis s’étaient déjà accrochés. Elle s’assit ensuite en tailleur et attrapa la première pièce métallique.


- C’est parti.


Pendant près de deux heures elle décrassa, nettoya et astiqua si bien que ses mains et ses bras étaient couverts de graisse.

La transpiration gouttait de son front et sa gorge était desséchée mais elle entrevoyait enfin l’achèvement de sa corvée.


- Quelque chose me dit que tu en as besoin.


Akatsuki lui tendit une canette de soda que la jeune femme accepta avec reconnaissance.


- Vous lisez dans mes pensées.


Elle décapsula la boisson et avala son contenu d’une traite.


- C’est… Frais…, souffla-t-elle entre deux gorgées.

- Doucement, personne ne va te la reprendre.


Reiko laissa tomber la canette et se leva en s’étirant.


- J’ai presque terminé, chef.

- Je vois, ça me semble nickel.

- Désolée de ne pas pouvoir effectuer des tâches plus complexes.

- Non, tu te trompes. Ce travail est loin d’être accessoire. Chaque pièce qui constitue le moteur de ton aéronef est essentielle à son fonctionnement.

- À vous écouter, on a l’impression que mon nettoyage était crucial.

- Parce que c’est le cas. Prends soin de ton eagle et il prendra soin de toi. Si je lui remettais des pièces encrassées, je t’assure qu’il volerait beaucoup moins bien.

- Voir plus du tout, renchérit la mécanicienne. Je m’appelle Joanna. Ravie de te rencontrer. C’est toi la nouvelle du peloton Sirius ?

- Oui, c’est ça. Sakuramachi Reiko. Enchantée !

- Bienvenue à bord, Reiko.


La porte de l’atelier s’ouvrit alors à la volée, faisant sursauter l’ensemble des mécaniciens affairés à leur poste. Deux hommes, vêtus d’uniformes verts, s’avancèrent d’un pas déterminé.

“Le Peloton Vega” se rappela Reiko.


- Je vous réquisitionne pour un travail extrêmement urgent !

 - Commandant Murase ?

- Mon équipe de mécanos a besoin de renforts. L’Iron Berger est salement amoché et je dois repartir au plus vite.


Elle détailla les nouveaux venus. Le Commandant était encore plus impressionnant vu de près. Le teint buriné, le visage bardé de cicatrices, des mains comme des battoirs, elle ne doutait pas qu’il soit un adversaire redoutable au combat au corps à corps.

Quant à son compagnon, elle était certaine d’avoir déjà entendu son nom lors de la réunion d’intégration. Serait-ce Shiner ou Heiner ? Grand, des cheveux châtains brossés en arrière, des traits taillés à la serpe, il arborait un léger sourire.


- Tu as une tache, là, Kaoko, l’informa “Schider” en pointant du doigt son nez.

- Hein ?


La jeune femme porta une main à ses joues. Ce qui n’était pas une bonne idée étant donné que ses doigts étaient couverts d’une substance noire à la consistance douteuse. Elle ne s’en rendit compte que lorsque son interlocuteur pouffa de rire.


- C’est Reiko, répliqua-t-elle, agacée, en tentant d’essuyer, ou plutôt d’étaler, l’huile sur sa peau.


Elle utilisa le manche de sa combinaison comme une serviette pendant que Murase expliquait sa situation à Akatsuki.


- Une pluie d'astéroïdes menace la station Xtrea dans la Galaxie d’Andromède. Les pelotons Rigel et Altair sont sur place mais ils ont besoin d’une puissance de feu supérieure.

- Le canon gustav ?

- Tout juste. Mon équipe est déjà occupée à effectuer des réparations d’urgence sur la loco de l’Iron Berger, vous pouvez vous charger d’intervertir les wagons avec le canon ?


Akatsuki réfléchit un instant.


- Est-ce vraiment raisonnable…

- On a pas le temps de tergiverser ! Les passagers de la station courent un danger mortel. Allez-vous m’aider oui ou non ?


Le chef mécanicien soupira.


- Très bien, nous nous en occupons.

- Merci, je savais que je pouvais compter sur vous, répondit Murase en assénant une claque colossale dans le dos d’Akatsuki, manquant de le faire basculer en avant. Schneider, accompagne les, je dois parler au Commandant Tôdo.

- Compris.


Alors que Murase vidait les lieux, Akatsuki désigna des membres de son équipe, y compris Joanna, pour l’aider à installer le canon Gustav.


- Vous autres, continuez la révision de Big1 et les réparations de l’eagle. Le Commandant Bulge ne va pas tarder. Reiko, tu viens aussi. Qui sait, tu pourrais apprendre quelque chose d’utile. Allez, on s’y met.


Reiko emboîta le pas à la petite troupe qui se dirigeait vers le quai où l’Iron Berger était à l’arrêt. Elle poussa un sifflement stupéfait en constatant les dommages ; les wagons étaient criblés et de nombreuses vitres avaient explosé.


- Votre bouclier a lâché ? Comment c’est possible ?

- Ils l’ont poussé au maximum, soupira Akatsuki.

- Comme d’habitude, compléta Joanna.


Schneider leva les yeux au ciel.


- Le peloton Vega est toujours dans le feu de l’action.

- Big1 aussi, répondit le mécanicien. Ce n’est pas pour autant qu’il nous revient dans cet état là.

- C’est “la méthode Murase”.

- La méthode Murase ?, demanda Reiko en haussant un sourcil.

- Foncer dans le tas, traduisit Joanna avec un sourire goguenard.

- Oh, et c’est efficace ?

- La plupart du temps, répondit Akatsuki.


Un fracas métallique attira l’attention du petit groupe. Un immense canon, large comme trois wagons, était tracté par une locomotive jusqu’au train du peloton Vega.


- Je vous laisse travailler, je suis dans la “control room” si vous avez besoin, conclut Schneider avec un clin d’oeil appuyé.

- On devrait s’en sortir, railla Joanna.


Le jeune homme leur tourna le dos en leur adressant un salut militaire. Perplexe, Reiko l’observa sauter dans le train.


- Ils sont tous comme ça chez Vega ?

- C’est pas des mauvais bougres, expliqua Akatsuki. Murase et Bulge détiennent à eux deux le record du nombre de missions réussies sans victimes humaines. Deux méthodes différentes mais une même efficacité.


L’heure qui suivit fut consacrée à l’attelage des wagons de combat à l’Iron Berger. Reiko écouta attentivement les explications des mécaniciens concernant les canaux qui alimentaient le canon en énergie ainsi que la manière dont ils devaient être raccordés au circuit principal du train sans pour autant altérer ses autres systèmes. À sa grande surprise, elle se prit à poser des questions et à s’intéresser aux différentes manipulations effectuées par ses équipiers du jour. Elle apprit ainsi qu’en vérité le gustav était constitué de deux canons permettant des tirs simultanés.

Akatsuki se révéla être un très bon pédagogue et Reiko comprit dans les grandes lignes les gestes des mécaniciens. Elle fut même sollicitée pour connecter l’un des canaux du train au gustav. Opération qui se révéla être un succès puisque rien n’explosa entre ses mains.


- Où en est l’installation ?


Le Commandant Murase, les bras croisés, observait leur travail avec attention. Akatsuki, qui était agenouillé près du canon, se releva.


- Vous pouvez lancer l’activation du système d’armement.

- Merci chef. Vous l’avez entendu ?, beugla-t-il à l’attention des membres de son peloton. Au boulot, les gars !


Reiko coula un regard vers le Commandant et se risqua à prendre la parole.


- Excusez-moi, je me demandais… Si Akatsuki est d’accord… Est-ce que je peux assister à la mise en route du canon ?


Murase jeta un œil vers le mécanicien qui hocha la tête en souriant.


- D’accord, viens.


Reiko suivit le Commandant en trottant puisque un seul de ses pas équivalait à deux foulées d’une personne normale. Elle grimpa à sa suite dans le train vert et noir et ils gagnèrent rapidement le wagon de commandement.


- Schneider, lance la connexion.

- Compris.


Assis devant sa console, il pianota sur son clavier à une vitesse telle que Reiko eut du mal à retenir toutes les commandes nécessaires à l’allumage. Puis, une barre de chargement apparut à l’écran.


- Canon chargé à 40%. 60% et… C’est quoi ce bordel ?


La barre de chargement régressa avant de stabiliser de nouveau. Puis, quelques secondes plus tard, elle atteignit enfin les 100%.


- Circuits connectés, annonça Schneider, mais le canon fait des siennes. L’alimentation est instable et j’imagine qu’elle peut baisser à tout moment. Le problème vient peut-être des dégâts au niveau de la salle des machines.

- On n’a plus le temps, répondit Murase. Dans combien de temps la station sera-t-elle sous le feu des astéroïdes ?

- 1h30.

- Je ne vois qu’une solution. Toi, viens avec moi.

- Moi ?, questionna Reiko, surprise.

- Tu as l’impression que je parle à quelqu’un d’autre ?

- Euh, non, Commandant.


Reiko suivit Murase, qui avait déjà bondi sur le quai et se dirigeait à grandes enjambées vers Akatsuki.


- Le canon n’est pas stabilisé, résuma-t-il. S’il lâche pendant le processus d’extermination, c’en est fini de la station.

- Il nous faudrait plus de temps…

- Ce luxe ne nous est pas permis. Je vous embarque et vous interviendrez en cas de panne. Toi aussi, dit-il en pointant Joanna du doigt.


Akatsuki passa une main sur son front.


- Ecoutez, Commandant… Ce n’est pas si simple…


Murase, qui n’était visiblement pas décidé à écouter qui que ce soit, attrapa Reiko par le bras.


- J’emmène la stagiaire avec moi. Elle est sous votre responsabilité, vous n'avez donc pas d'autres choix que de venir aussi.

- Hé lâchez-moi ! Et j’aimerais bien que tout le monde arrête de m’appeler “la stagiaire”.

- Mais oui la stagiaire, allez dépêche toi.

- Akatsuki !


Le chef mécanicien fit signe à Joanna de s’approcher.


- Il est impossible de lutter contre cet homme là… Je préviens Bulge.

- Le peloton Vega, souffla Joanna en regardant Reiko disparaître à l’intérieur du train.

- Le peloton Vega, répondit Akatsuki en enfonçant les mains dans ses poches.


Murase ne lâcha Reiko qu’une fois qu’ils eurent rejoint la salle de Commandement.


- Où en sont les réparations ?

- Finies dans quelques minutes, répondit une armoire à glace.

- Ok, Valdivia. 


Il marqua un silence avant de reprendre.


- Silver, dès que tu as le feu vert des mécanos, tu vérifies les systèmes d’armement.

- C’est comme si c’était fait.


Alors qu’elle massait son bras endolori par la poigne du Commandant, Reiko constata avec étonnement qu’un cache-oeil recouvrait l’orbite oculaire gauche du dénommé Silver. 


- Tu veux ma photo ?, l’interrogea ce dernier.

- J’en ferais quoi ? T’es trop laid, répondit-elle du tac au tac.

- Hé, parce que tu penses que tu ressembles à un mannequin ?


L’insulte percuta Reiko aussi fort qu’une gifle. Elle n’eut cependant pas la possibilité de répondre car Akatsuki et Joanna pénétrèrent à leur tour dans la “control room”.


- Réparations terminées, annonça Schneider.


Murase désigna des sièges de libre à l’équipe de mécaniciens de la SDF. 


- Iron Berger, décollage immédiat.


Reiko se laissa tomber dans un fauteuil, dépitée. Elle n’avait qu’une envie : quitter ce maudit train et retourner nettoyer ses pièces pleines de graisse et de rouille. Le nez baissé et les bras croisés, elle se renfrogna, bien décidée à ne plus adresser la parole à un seul de ces goujats. 

Elle n’avait pas besoin d’eux pour savoir qu’elle était loin d’être un top modèle. Elle le voyait chaque matin dans la glace de son miroir. Et, pour couronner le tout, son visage était décoré d’une cicatrice disgracieuse au niveau du menton. Souvenir de son enfance passée dans les rues d’un Tokyô dévasté par la guerre contre les humanoïdes. La seule partie de son physique qu’elle jugeait correcte était la couleur ambrée de ses iris qui lui évoquait le miel qu’elle mangeait au petit-déjeuner.

Un toussotement la tira de ses pensées moroses. Elle leva les yeux et son regard croisa celui de Schneider. Ce dernier se passa une main dans les cheveux avant de pointer sa console.


- Je te montre ?


Reiko ignora les œillades amusées du reste de l’équipage et hocha la tête. Si elle refusait, elle était certaine que cela remontrait aux oreilles de Bulge d’une façon ou d’une autre et, comme il l’avait si bien dit, elle avait encore beaucoup à apprendre.


- D’accord. Tu es l’Officier radar et communication, c’est bien ça ?, demanda-t-elle d’une voix faussement enjouée.


Le soldat acquiesça avec un sourire.


- Sans moi, ils seraient perdus ici.

- Mais bien sûr, lâcha Silver en se pinçant le nez. Arrête un peu de te faire mousser.

- Je forme là, lâche-moi.


Reiko, insensible à la joute verbale, pointa l’écran du doigt.


- Je me suis déjà servi d’un radar comme ça, mais le nôtre était plus précis.


Schneider parut étonné.


- Le nôtre ? Tu as déjà officié sur un vaisseau spatial ?

- En quelque sorte, oui. Par contre, je ne sais pas à quoi correspondent ces graphiques.


Reiko se mordit la langue. Il fallait qu’elle surveille ses paroles ou ses équipiers risquaient de lui poser des questions embarrassantes sur un passé qu’elle ne souhaitait pas particulièrement dévoiler. Elle cacha son trouble en se focalisant sur les explications compliquées, mais instructives, de son compagnon. 

Le temps passa plus vite que prévu grâce à Akatsuki et Schneider qui lui parlèrent en long en large et en travers de l’Iron Berger qu’elle pouvait résumer comme un train bélier, sur-armé pour les combats au corps à corps mais dont la faiblesse résidait dans la répartition de l’alimentation et notamment au niveau du bouclier.


- Son énergie baisse toujours significativement ?

- Sitôt que notre armement tourne à pleine puissance, confirma Silver.

- Dans ce cas, peut-être devriez-vous créer une dérivation.


Pendant que Murase et Akatsuki débattaient sur les différentes modifications qui pourraient être apportées au train, un point lumineux s’activa sur le radar de Schneider.


- Station en vue, Commandant. Les pelotons Altair et Rigel sont déjà en place.

- Très bien, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Dans combien de temps la première vague ?

- 15 minutes.

- Schneider ?

- J’y vais, répondit-il en quittant la salle de commandement.


Akatsuki devança la question de Reiko.


- Le canon ne peut pas être dirigé d’ici. Il va s’installer dans le cockpit de contrôle manuel des commandes. 

- Je vois, mais si le bouclier cède…


Murase ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.


- On éliminera les astéroïdes avant que ça ne se produise. Je compte sur Altair et Rigel pour nous couvrir durant le processus.


Reiko lorgna vers Akatsuki. Celui-ci ne semblait pas convaincu par cette façon de faire. Toutefois, il ne protesta pas, sachant pertinemment qu’il était vain d’aller à l’encontre des ordres du Commandant.

La pilote pensa quant à elle que ce plan relevait de la folie. Si le bouclier cédait par défaut d’alimentation, elle ne donnait pas cher de la peau de Schneider ou de la leur.


- Allons revêtir nos combinaisons cosmo.


L’équipe de mécaniciens laissa derrière elle l'atmosphère tendue de la salle de commandement.

Reiko abandonna son bleu de travail avec soulagement. Les combinaisons cosmo étaient agréables à porter, s’adaptant parfaitement à la morphologie de leur porteur et gommant les détails disgracieux de la silhouette. 

Joanna poussa un sifflement admiratif.


- On peut dire qu’il y a du monde au balcon, chez toi.

- Hé, avec Vega j’ai ma dose d’humour douteux. Si tu t’y mets aussi…

- Sois pas complexée, t’es mignonne comme un coeur.

- Mais bien sûr…


La jeune femme coupa court à la conversation en enfilant son casque, peu encline à discuter de son physique avec une quasi-inconnue.


- Akatsuki nous attend dans la salle des machines du gustav, l’informa Joanna. Suis moi.


Elles déverrouillèrent conjointement la porte d’accès vers l’extérieur, se retrouvant face à une échelle qui leur permettait de gagner l’étage supérieur des wagons blindés. Reiko contempla le vide spatial, troublé par la lumière des étoiles et la ceinture d'astéroïdes qu’elle distinguait maintenant à l'œil nu. Les tourelles des trains des pelotons Altair et Rigel étaient déjà braquées contre cette vague rocheuse préoccupante.

Une ride d’inquiétude barra le front de Joanna.


- Il faut qu’on avance, la trappe d’accès se situe entre les deux canons.

- D’accord.


Elles traversèrent au pas de course la dizaine de mètres qui les séparaient de l’accès à la salle des machines. Reiko aperçut alors Schneider en train de pénétrer dans une sphère renforcée par un blindage d’acier, contenant tout un tas de manettes et de boutons. Sans trop savoir pourquoi, elle s’en rapprocha.


- Hé, fais attention.


Le jeune homme se retourna en souriant.


- On a vu bien pire. Exterminer ces gros cailloux, ce n’est qu’une formalité pour Vega.

- Hum, oui j’imagine. Sois quand même prudent, répondit-elle en songeant aux nombreux problèmes d’alimentation énergétique.

- J’en déduis que tu t’inquiètes pour moi ?, l’interrogea-t-il en se redressant.

- Je.. Non, je voulais juste te souhaiter bonne chance. À tout à l’heure !

- Hé, attends une minute !


Reiko se détourna et rejoignit Joanna qui avait ouvert la trappe.


- À toi l’honneur. 


Tour à tour, elles empoignèrent l’échelle et se faufilèrent dans l’étroit boyau menant à la salle des machines. Cette dernière était petite et il y régnait une chaleur que seul le port des combinaisons cosmo rendait supportable. Akatsuki était déjà occupé à vérifier les paramètres des différents systèmes. Sans un mot, Joanna suivit son exemple et afficha les statistiques énergétiques du canon et de l’Iron Berger. 


- Impact prévu dans 5 minutes.


La tension était presque palpable et Reiko tournait en rond, se sentant inutile à ce stade de la mission.


- Chargement toujours optimal. Aucune baisse notable.

- Tout est au vert, Commandant, annonça Akatsuki dans les canaux de communication. 

- Les cibles sont verrouillées, répondit Schneider.


Joanna releva la tête de sa console pour fixer l’écran de surveillance sur lequel les astéroïdes se rapprochaient à une vitesse alarmante.


- Feu !, ordonna Murase.


Le contre-coup des tirs propulsa Reiko en arrière. Elle eut le réflexe de s'agripper à un tuyau en fonte pour ne pas s’étaler au sol. Les pelotons avaient investi toute leur puissance de feu dans cette attaque.


- La vague est anéantie !, annonça Murase d’une voix victorieuse.

- Puissance du bouclier réduite de 50%, les informa Silver.

- Seconde vague en approche, répondit Schneider.

- Le rechargement du canon Gustav est à 70%... 90%...Stagnation de l’alimentation, pesta Joanna.

- Sois patiente, lui intima Akatsuki.


Quelques secondes après une attente anxieuse, un tintement perçant retentit.


- System all-green. Le canon est paré à faire feu !

- Impact dans 15 secondes, les prévint Silver.

- Envoyez tout ce qu’on a, ordonna le Commandant.


Mieux préparée au choc, Reiko se retint à tout ce qu’elle put attraper. Elle eut la désagréable impression que la secousse était beaucoup plus violente. Une alarme sonna dans leur habitacle.


- Bouclier hors service ! L’Iron Berger a été modérément touché mais la station a été épargnée, déclara une nouvelle fois Silver. Schneider, tout va bien de ton côté ?

- On ne peut mieux.

- Bravo les gars, vous avez fait du bon boulot !

- Et les filles, grogna Joanna.

- Attendez, qu’est-ce que c’est que ça ?


Akatsuki pointa l’écran de surveillance sur lequel apparaissait une nouvelle marée rocheuse.


- C’est quoi ce merdier ? Le QG ne nous avait pas prévenu pour celle-là !

- Il faut te retirer, Murase, l’Iron Berger n’a plus aucune protection !, hurla le chef mécanicien dans le communicateur.

- Hors de question. On est le seul rempart entre ces cailloux et la station. Rechargez, le canon. Exécution ! Dans combien de temps… ?

- 5 minutes, Commandant !


Joanna s’affolait en pianotant sur sa console.


- Je ne comprends pas… La barre de chargement ne dépasse pas les 50%...

- Avarie sur l’alimentation au point E4, répondit Akatsuki. Il faut déconnecter et reconnecter les circuits. En manuel.

- Il faut sortir ?, demanda Reiko, désabusée.

- Exact. J’y vais, répondit Joanna. Chef, vous devez rester ici pour activer la mise à feu.

- Sois prudente. 


Reiko fixa l’écran avec insistance, jusqu’à ce que la voix de la mécanicienne résonne dans l’émetteur.


- C’est bon. Relancez !

- On ne dépasse pas les 70%... Le point F6 doit être réinitialisé en même temps que le E4. Quel foutu merdier.., s’énerva-t-il en frappant du poing sur le clavier.

- Je l’ai fait tout à l’heure avec Joanna, chef. Je peux m’en occuper !

- Tu es certaine ?

- Oui.

- Dépêche-toi.


La pilote se jeta littéralement sur l’échelle et poussa la trappe d’un coup de tête. Le point F6 était juste quelques mètres plus loin. Le souffle court, elle émergea à l’air libre, constatant avec horreur les heurts sur le canon. Sans tergiverser davantage, elle arracha le cache qui dissimulait les circuits reliant l’Iron Berger au gustav.


- J’ai tout en visu, Joanna. Je déconnecte.

- Le fil jaune, tu te souviens ?

- Oui.

- Impact dans 2 minutes !, rappela Silver. On n’a plus le temps !

- Maintenant, Reiko.


Ses gestes étaient fébriles et le fil lui échappa des mains.


- Attends… 

- On doit le faire en même temps sinon ça ne marchera pas. À mon signal, vas-y !


Reiko tira sur le fil d’un coup sec pour l’insérer dans la fente magnétique.


- C’est bon les filles ça fonctionne, revenez immédiatement !

- Compris !


Les astéroïdes étaient si proches qu'elle en frissonna. Dès que Joanna l’eut rejointe, elles sautèrent dans la trappe. La mécanicienne eut à peine le temps de la refermer derrière elles que Murase lança les hostilités. Le choc fut si terrible qu’elles tombèrent pêle-mêle dans la salle des machines.

L’Iron Berger fut secoué comme un prunier malgré les tirs simultanés des pelotons Altair et Rigel pour le protéger. Serrées l’une contre l’autre, les deux femmes attendirent que la pluie de rayons lasers prennent fin. 

Un long silence succéda au feu d’artifice déclenché par les unités de la SDF.


- Extermination complète, confirma Silver. Aucune autre vague en approche.

- J’ai.. J’ai besoin.. d’aide…

- Schneider ?, beugla Murase. Tu es blessé ?


Une sueur froide glissa le long du cou de Reiko. Dans le même temps, des interférences électriques se propagèrent dans la salle des machines, déclenchant deux foyers fumants. Joanna se rua sur un extincteur, pendant que Reiko enjambait une nouvelle fois l’échelle.


- Je vais lui porter secours, je suis équipée !

- L’énergie du canon devient incontrôlable, déclara Akatsuki. Je mets les systèmes hors service !


La trappe s’ouvrit dans un bruit sourd, percutant violemment le blindage du wagon. Reiko se hissa hors du conduit, trébucha et se rétablit in-extremis. Haletante, elle atteignit la sphère blindée. Elle frappa sur le verre pour tenter de l’ouvrir. Derrière la vitre, elle remarqua que Schneider était inconscient. Sa raison reprenant le pas sur la panique, elle chercha le bouton permettant de déverrouiller la sphère. Quand enfin elle le trouva, elle l’enfonça de toutes ses forces.

Le casque de l’artilleur était fendu et elle en déduisit qu’il devait manquer d’oxygène. Son bras était également tordu dans un angle qui n’était pas naturel. Elle le souleva hors de la sphère en ahanant sous l’effort. Seule, elle ne pouvait pas l’emmener dans la locomotive, mais il lui restait la possibilité de l’abriter dans l’un des sas oxygéné du canon.


- Schneider, ne t’endors pas, s’il-te-plaît. Reste éveillé !


Reiko le tira de toutes ses forces vers le plus proche d'entre eux. Elle activa l’ouverture en assénant son poing contre l’interrupteur. Elle allongea ensuite Schneider et referma le sas. Une lumière blafarde les éclaira tandis que la pièce s’oxygénait .Elle retira son casque et entreprit de faire de même avec celui de l’équipier de Vega.


- Il respire ? Je ne sais pas, je ne vois pas…


Elle se pencha au-dessus de lui, posa une main sur son front et souleva son menton avec deux doigts. Elle entrouvrit ensuite sa bouche pour dégager ses voies aériennes. 

Reiko colla ses deux mains sur son torse et sentit battre son cœur. Sa respiration était quant à elle faible et irrégulière.


- Oh non.. Oh non. Il a besoin d’un masque respiratoire. Dépêchez-vous Commandant ! On est dans le sas C.

- La porte du wagon est bloquée. On l’enfonce et on arrive ! Tenez bon.


La jeune femme approcha son visage, prit une profonde inspiration, et expira tout l’air de ses poumons dans la bouche du blessé. La poitrine de Schneider se soulevant toujours difficilement, elle réitéra l’opération une seconde et une troisième fois.


- Je crois qu’il y a du mieux… Je crois bien…, dit-elle en posant son oreille contre sa poitrine, que la respiration est plus régulière.

- Si j’avais su… Que j’avais droit… À un baiser…


Surprise, Reiko sursauta.


- Schneider ! Tu es réveillé ? Commandant, il est conscient !


La main valide du blessé se tendit vers la joue de Reiko.


- T’es venue me chercher, hein ? Je savais bien.. Que tu tu t’inquiétais…

- Hein ? N’importe quoi… C’est pas du tout ça…


Alors que sa main retombait mollement, la porte du sas s’enfonça. Muni d’une mallette de premier secours, Silver s’agenouilla vers son ami et lui posa un masque à oxygène sur le nez.


- On prend le relais ici, va donner un coup de main Akatsuki !, lui ordonna-t-il.


Reiko acquiesça et laissa sa place à Murase qui déploya un brancard pour sécuriser le blessé. Elle remit son casque et quitta la pièce, vidée de son énergie. Elle passa le reste du voyage de retour à aider l’équipe des mécaniciens à contenir les influx électriques qui menaçaient de mettre le feu au canon gustav.

Lorsqu’ils entrèrent enfin en gare de Destiny, elle accueillit la relève avec un soulagement non dissimulé. Elle quitta la chaleur suffocante de la salle des machines et gagna le quai avec fébrilité.


- Commandant… Bulge ?, demanda-t-elle en ôtant son casque.

- Murase nous a tout raconté.


Il s’approcha de sa nouvelle recrue, complètement épuisée, et posa une main sur son épaule.


- Bien joué, maintenant va te reposer pour le reste de la journée.

- Les réparations de l’eagle ne sont pas terminées, marmonna-t-elle.

- Elles attendront demain.


Reiko pencha la tête sur le côté.


- Schneider..


Elle contourna le Commandant et avança en titubant vers le brancard porté par Valdivia et Silver. L’équipier de Vega lui adressa un pauvre sourire.


- C’était une journée mouvementée, hein la bleue ?


Reiko ne répondit pas, se contentant de fixer avec angoisse les attelles aux jambes et au bras.


- Tu… Tu me rendras visite à l’hôpital ? Je crois que je vais rester là-bas un bon moment.


Elle hocha la tête, les larmes aux yeux, pendant qu’il était évacué en urgence. Elle croisa les bras autour de son ventre.


- Reiko !!!


Soulevant la tête, elle observa le reste du peloton Sirius qui venait de débarquer sur le quai. Louise se pendit à son cou, inquiète.


- Le Commandant nous a raconté. Tu vas bien ? Et Schneider ?

- La station n’a même pas été touchée, s’exclama Manabu. Murase est vraiment incroyable.

- Je, je..

- Tu nous racontes ?


Un voile noir passa devant les yeux de Reiko et elle ne dut son salut qu’à un bras solide qui l’empêcha de basculer en avant.


- Emmenez la en salle de repos, ordonna Bulge.


Bruce la relâcha, une fois certain qu’elle n’allait pas tourner de l'œil. Louise passa une main autour des épaules de sa nouvelle coéquipière et la guida gentiment à l’intérieur du QG. Cette dernière se laissa faire, trop fatiguée pour protester.

Dire que ce stage était censé être calme et ennuyeux…


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