A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 6 : Le convoi fantôme

5815 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/08/2023 12:15

- On va pas y passer la journée, quand même !

- Arrête de crier, je fais tout mon possible !

- Si tu te relâches, ça finira toujours pareil. La mort ! La mort ! La mort !

- On y est depuis plus de deux heures, c’est normal que je sois moins efficace !

- Oh, vous avez besoin d’une pause, princesse ? Peut-être d’une tasse de thé aussi ? 

- Très bonne vanne ça.


Bruce sortit de la cabine des commandes de la simulation et descendit les quelques marches qui le séparaient de son élève.


- C’est justement parce qu’on y est depuis plus de deux heures que tu devrais y arriver.


Reiko, le souffle court, essuya son front perlé de transpiration. Elle s’entraînait depuis des jours avec l’artilleur et elle avait l’impression de ne pas progresser d’un iota. Il était sans pitié et lui infligeait des exercices aussi physiques que mentaux.

Tous les muscles de son corps étaient douloureux, y compris ceux qu’elle ignorait posséder. L’horloge affichait à peine neuf heures du matin et elle était déjà complètement épuisée.


- Si tu étais davantage en forme, tu ne souffrirais pas autant.

- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu veux dire par là ?, demanda-t-elle en se braquant.

- Qu’un peu plus de sport ne te ferait pas de mal.


La jeune femme recula, offusquée par ce qu’elle prit comme une insulte. Ses complexes reprenant le dessus, son assurance fut soufflée comme une bougie en fin de vie. Elle se sentit soudain balourde, maladroite et empotée.


- Qu’est-ce-que tu fais ? On a pas terminé !

- Moi, si.


Des larmes rageuses coulèrent le long de ses joues alors qu’elle quittait l’entrepôt de simulation. C’est comme si, inconsciemment, il lui faisait comprendre qu’elle n’avait pas sa place au sein du peloton Sirius et qu’elle ne pourrait jamais atteindre le niveau de ses coéquipiers.


- Reiko ! Attends !


Seul le claquement de la porte lui répondit. 

Le sniper se passa une main sur le visage.


- J’ai trop poussé… ? 


Comme lorsqu’il était chargé de la formation de Manabu, il avait du mal à canaliser son impatience et son irritation. Il voyait Reiko piétiner depuis des jours, incapable de dépasser cette étape charnière. À mesure qu’il l’observait, il avait le sentiment qu’elle se mettait elle-même des barrières invisibles qui l’empêchaient de franchir les derniers obstacles de la mission. Non pas qu’elle manque de potentiel, mais de confiance, ça c’était certain. Leur dernier échange en était la preuve. Elle doutait clairement de ses capacités et tant qu’elle ne parviendrait pas à transcender ce blocage, les simulations ne serviraient à rien.

Et puis… Et puis il savait qu’il avait besoin d’instaurer une distance dans leur relation. Il n’était pas sûr d’apprécier le trouble qu’il ressentait parfois lorsqu’elle entrait dans une pièce ou qu’elle lui souriait.

Chaque fois qu’il commençait à apprécier quelqu’un, ça se terminait mal. Owen et tous ses équipiers… Ils avaient tous fini par périr dans d’atroces circonstances.

“Bruce la Mort”, c’est comme ça que les autres l’appelaient dans son dos.

Il préférait donc garder le rôle du méchant. Que ce soit avec elle ou Manabu. Ainsi, plus personne ne serait blessé à cause de lui. À cause de cette stupide, bien que réelle, malédiction.


De son côté, Reiko investit rageusement les douches féminines et se jeta sous une eau glacée. Le front appuyé contre les carreaux en céramique, elle essaya de faire le vide dans sa tête. Lorsque le liquide se réchauffa, elle retrouva un peu de calme.


- J’ai un objectif, se répéta-t-elle en se martelant le crâne contre la paroi. J’ai un objectif. J’ai un objectif.


Abandonner n’était pas une option et n’en avait jamais été une.

Si le prix à payer pour devenir un membre à part entière du peloton Sirius était de supporter ces entraînements, alors soit.

Ce qui la désolait le plus, c’était le regard critique que Bruce lui portait. Cela la peinait bien plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer.


- Je crois que j’ai pas envie de le décevoir.


Elle abandonna à regrets la chaleur bienfaisante de la cabine de douche et se sécha en quatrième vitesse. Alors qu’elle enfilait un uniforme propre, une alarme stridente la fit bondir sur ses pieds. 


“Pelotons Sirius et Rigel, interventions immédiates !”


- Et, c’est reparti.


Elle s’obligea à rejoindre Big1 au pas de course et déboula sur le quai en même temps que Louise et Manabu.


- T’es pas avec Bruce ?, la questionna son amie.

- J’ai fait un détour par la salle de bain commune, répondit-elle d’une voix morne.

- T’as pas l’air bien, ça va ? Je suis déjà passé par là, je compatis sincèrement, lui assura Manabu d’une voix douce.

- Ouais, on peut pas dire que j’ai beaucoup brillé.

- Ne t’inquiète pas trop, ça viendra.


Ils entrèrent dans la “control room” dans laquelle patientaient déjà Bruce et le Commandant. Reiko évita soigneusement tout contact visuel avec le sniper tandis que celui-ci se garda de tout commentaires sur sa sortie théâtrale survenue un peu plus tôt.


- Circuit principal connecté !

- Valves en position.

- Armement opérationnel.

- Big1, décollage immédiat !


Le Commandant attendit quelques instants avant d’entamer son briefing habituel.


- Le train n°375 à destination de Technologia a été forcé de faire halte sur la planète Émeraude dans la constellation des Sargarsses suite à une panne de système.

- La locomotive ?, interrogea David.

- Nous l’ignorons. Notre mission est simple : récupérer les passagers, remorquer le 375 et ramener tout ce petit monde sur Destiny.

- La routine en somme, lâcha l’ingénieur en bâillant.

- Louise ?

- Nous sommes relativement proches. Nous serons sur les lieux dans moins de trente minutes si nous maintenons notre vitesse actuelle.


Le voyage se déroula sans encombre et bientôt Émeraude apparut sur leurs écrans. 


- Atterrissage imminent, les avertit David.


Big1 entra en contact avec les railles dans un crissement métallique aigü.


- Je ne savais pas qu’il y avait une gare ici.

- C’est parce qu’elle est désaffectée depuis longtemps, Manabu. En raison de conflits avec les propriétaires d’Émeraude, sa construction n’a jamais été achevée. À ma connaissance, c’est la première fois qu’un train se pose sur son sol.

- En tout cas, elle porte bien son nom, s’émerveilla Reiko.  


Un immense champ de verdure la recouvrait intégralement. Toutes ces nuances de vert donnaient à croire que la planète avait été peinte par un impressionniste. En résumé, ce camaïeu de couleurs lui conférait un aspect irréel.

Reiko pensa que son père adoptif apprécierait énormément cet endroit.


- J’ai le 375 sur mes radars, les informa Louise. Il est bien immobilisé en gare, enfin dans ce qu’il en reste.

- David, prends la seconde voie. Nous utiliserons les câbles d'amarrage.

- Oui, Commandant !


Manabu fit pivoter son siège tout en désignant son écran du doigt.


- Y’aurait-il des interférences, ici ? Comme sur la planète des glaces ?

- Les détecteurs ont l’air de fonctionner parfaitement, pourquoi cette question ?

- Je ne capte aucune signature thermique humaine.


Le Commandant se pencha en avant, étonné.


- Je ne crois pas que les composants de cette planète aient la particularité de brouiller nos ordinateurs.

- Je confirme, répondit Reiko après vérification. Le sol est formé à 90% de karst et de pierres dures. Les métaux sont présents en quantité infime. En bref, rien qui ne puisse provoquer un dysfonctionnement.

- Nous verrons sur place, conclut Bulge, soudain tendu.

- La qualité de l’atmosphère est satisfaisante, pas besoin de combinaisons, ajouta la pilote.

- Très bien, allons-y.


Reiko fut la première à sortir du train et elle constata avec stupeur que ses bottes s’enfonçaient de plusieurs centimètres dans une terre meuble.


- C’est humide ici.

- Je préfère ça à la glace, répliqua Bruce.


Ils parcoururent une gare envahie par la végétation, qui menaçait à tout moment de s’effondrer. Seules des lianes maintenaient en place les rares parpaings qui n'étaient pas tombés. Un lourd silence régnait, uniquement perturbé par leurs pas et le bruissement des feuilles. Leurs soupçons ne tardèrent pas à se confirmer et, après une rapide inspection des wagons, ils durent se rendre à l’évidence.


- C’est vide. Où sont-ils tous ?

- Je ne comprends pas pourquoi ils se seraient aventurés dans cette jungle, les chances de se perdre sont bien trop élevées. En plus, ils ont abandonné leurs affaires.

- Je sais bien, Louise, mais tu vois une autre possibilité ?


Manabu se gratta les cheveux, déconcerté.


- Nous n’avons pas le choix, nous allons quadriller la zone. Ils ne doivent pas être très loins.


De retour à bord de Big1, le Commandant afficha un hologramme de la planète Émeraude.


- Nous allons fouiller les environs dans un rayon de vingt kilomètres autour d’ici. À Manabu et Reiko le quart nord-ouest, David et Louise au sud-ouest. Je m’occuperai de l’est avec Bruce. Yûki restera ici au cas où des passagers reviennent. Gardez vos communicateurs à portée de main. 

- Compris !

- Équipez-vous et n’oubliez pas les réserves d’eau et les trousses de premiers secours.


Il ne fallut pas plus de quelques minutes au peloton Sirius pour se préparer. Reiko, résolue à ne pas se laisser distraire, attendait de pied ferme que Manabu la rejoigne. Une fois que tout le monde fut en place, le Commandant donna le signal de départ et l’unité de la SDF se sépara. 


- Un véritable convoi fantôme, tu ne penses pas ?

- Et si c’était la jungle qui les avait avalés ? Elle a l’air beaucoup trop vivante pour être honnête.

- Bruce t’as un peu trop tapée sur la caboche pendant vos exercices ?, se moqua Manabu.

- Regarde devant toi quand tu marches. J’ai pas envie de te porter jusqu’à Big1.

- Oui, chef.


Reiko balaya des yeux la grande étendue arborée.


- Ça ressemble à l’Amazonie.

- L’Ama quoi ?

- C’est une jungle sur Terre. J’y suis allée avec mon père.

- C’est un explorateur ?

- En quelque sorte. Au fait, si cet endroit est privé, on devrait croiser personne, hein ?

- Normalement. Pourquoi ?

- Je sais pas, l’ambiance est bizarre.


Manabu ne répondit pas, occupé à se frayer un passage avec une serpe. La jeune femme s’attendait presque à croiser des bêtes sauvages en tout genre : reptiles ou tigres carnivores. Elle n’était pas friande de la faune sauvage, ayant grandi en ville puis dans un vaisseau spatial. Son équipier paraissait lui davantage à l’aise.


- Tu viens d’où ?

- Tabito. Ma mère y tient un restaurant. Je vivais là-bas avec mon frère et mon père.

- Je pensais que tu étais fils unique.

- Mamoru… Il faisait partie des SPG. Il est mort en mission.


Reiko se stoppa, soufflée par cette révélation.


- Et mon père était l’ancien Commandant du peloton Sirius. Wataru Yuuki. Il s’est sacrifié pour protéger le Galaxy Railways.

- Je…


Elle prit une profonde inspiration, cherchant des mots réconfortants. 


- J’aurais beaucoup aimé les connaître. Je voudrais bien venir un jour avec toi.

- Sur Tabito ?

- J’ai toujours beaucoup apprécié leur thé. On en déniche plus nulle part de nos jours.


Manabu se retourna, un grand sourire aux lèvres malgré la tristesse qui se lisait dans ses prunelles.


- C’est vrai ? C’est pourtant pas l’avis général.

- Moi, j’adore son amertume. 

- J’en ai apporté à Destiny, je t’en donnerai. Personne n’en veut de toute façon.

- On boira ensemble. Moi, c’est l’horrible lait de fraise de Bruce qui me dégoûte.

- La canette rose ? Ouais, rien que l’odeur…

- C’est ignoble. Tu sais, avec les petits dessins de fruits qui sourient.

- C’est effrayant.

- Je te le fais pas dire.


À mesure qu’ils cheminaient, Reiko sentit son cœur s’alléger. La présence de Manabu et de Louise lui faisait toujours cet effet. C’était un peu comme si elle retrouvait sa famille.


- On a fait quoi, cinq kilomètres ?

- Ma montre indique trois.

- Que ça ?, soupira Reiko.


Le jeune homme se retourna, hilare.


- T’es pas au bout de tes peines avec Bruce.

- Et ça te fait marrer. Bravo la solidarité.

- Je te charrie.


Leur émetteur grésilla et ils s’empressèrent de régler la fréquence.


- “Ici Louise, vous me recevez ?”

- “Reiko et Manabu, parfaitement.”

- “Bruce. Vous les avez trouvés ?”

- “Oui, mais la situation est complexe. Ils sont détenus dans une sorte de caverne par des… des trucs…”

- “Des robots.”, la coupa David. “Des vieux modèles. Ceux qu’on utilisait il y a vingt ans pour la construction des chemins de fer.”

- “Envoyez votre position, nous arrivons.”, ordonna Schwanhelt Bulge.


Reiko entra les indications sur sa montre et, lorsque le point lumineux se mit à clignoter, elle attrapa Manabu par le bras.


- On est les plus proches. Le GPS indique quatre kilomètres. Si on court, on y est en moins d’une heure. Et ça clouera le bec à Bruce.

- À Bruce ?

- Non, rien. Ne t’inquiètes pas, je suivrai le rythme.


Si le premier kilomètre fut aisé, le second devint douloureux et le troisième, insupportable. Pliée en deux à cause d’un poing sur le côté, Reiko essayait de juguler sa respiration. Elle s’était fourvoyée et ce fichu sniper avait raison. Ses kilos superflus et son manque d’endurance étaient pires qu’un boulet accroché à ses pieds.


- On y est presque !, l’encouragea son équipier. Je vois la grotte.

- Ouais… Ouais…

- On va s’embusquer ici.


Son collègue s’agenouilla tandis qu’elle se laissa tomber à terre, arrachant au passage le bouchon d’une bouteille d’eau. Elle se déversa la bonne moitié de celle-ci sur la tête et avala le reste en s’étouffant à moitié. Ses jambes, tout comme ses poumons, étaient en feu et étancher sa soif était son unique priorité.


- Louise et David sont positionnés de l’autre côté de la clairière. Je les aperçois avec les jumelles.


Il activa son communicateur.


“- Ici Manabu, nous sommes sur place. Je vous envoie nos coordonnées.”

“- Bien reçu, répondit la voix du Commandant. Ne faites rien et attendez-nous.”


Reiko mit encore plusieurs minutes à reprendre ses esprits. Elle reporta enfin son attention sur la caverne et se frotta les yeux pour être certaine de ne pas halluciner.


- Qu’est-ce que c’est que ça ?


Une bonne vingtaine de robots recouverts de rouille patrouillaient autour de la clairière. De forme arrondie, munis de longs bras, ils flottaient au-dessus du sol.


- Ils ont un système de propulsion ? Et… Ils construisent une sorte de… Cabane ?

- Pas une cabane, une gare.

- Tu veux dire qu’ils ont été amenés au moment du projet ferroviaire et… Ils ont été oubliés ici ?

- C’est ma théorie.

- Ils ont trouvé des voyageurs et ont décidé de faire ce pourquoi ils ont été programmés. Construire une gare, compléta Reiko, ébahie.

- J’en ai bien l’impression. 


Elle emprunta les jumelles de son binôme du jour et scruta la clairière. Les passagers étaient rassemblés à l’entrée de la grotte sous bonne surveillance.


- On va avoir besoin d’un plan en béton armé pour qu’il n’y ait pas de victimes collatérales. Tu crois qu’ils sont armés ?

- Aucune idée.

- Oh non !, s’exclama-t-elle. 


Devant eux, deux enfants venaient d’échapper à la vigilance de leurs gardiens et couraient à travers la jungle, les robots sur leur talons.

Manabu se redressa, les poings serrés et la mine déterminée.


- On peut pas rester là sans rien faire.

- Le Commandant…

- N’est pas là pour nous aider. Si on hésite à agir..


Il tourna la tête vers Reiko.


- Récupère les gamins et je m’occupe d’eux. Je vais faire diversion.

- Prévenons au moins David et Loui… Hé ! C’est pas vrai !


Manabu venait de s’élancer en contrebas, cosmo-gun en main.


“- Commandant, ici Reiko, nous sommes forcés d’intervenir, des voyageurs sont en danger immédiat.”, expliqua-t-elle en catastrophe en le talonnant.


Elle glissa dans l’herbe humide et se rétablit in extremis.


“- Explique la situation !”

“- Je… Manabu… !”, répondit-elle en s’emmêlant dans ses indications.


Ce dernier avait déjà atteint les premiers robots et ne tarda pas à ouvrir le feu. Les enfants, terrorisés, s’étaient immobilisés au pied d’un arbre et fixaient la scène avec horreur. Reiko les rejoignit en quelques enjambées.


- Venez avec moi, je vais vous aider, leur intima-t-elle en haletant..


Devant leur apathie, elle n’eut d’autres choix que de leur happer le poignet et les obliger à se relever. Le garçon, auquel elle ne donnait pas plus de 6 ans, se laissa faire alors que la petite ne bougea pas. Reiko la chargea donc dans ses bras et entraîna celui qu’elle supposait être son frère, dans son sillage.


- Sauvez-vous !, beugla Manabu


Elle risqua un œil par-dessus son épaule et remarqua que Louise et David étaient entrés dans la danse. Si les tirs lasers se multipliaient de façon alarmante, elle ne distingua bientôt plus les membres de son peloton à travers les épais fourrés.


- Courage ! Je vais vous emmener en sécurité.


Au même instant, un robot leur coupa la route. Surprise, Reiko lâcha la main du garçonnet et dégaina son cosmo-gun. Elle dérapa, visa et appuya sur la gâchette. 


- Merde !


Le rayon avait seulement effleuré l’androïde, qui s'était mis à tourner sur lui-même à toute vitesse. La pilote pointa de nouveau son arme et celui-ci explosa en mille morceaux. L’enfant, recroquevillé à ses pieds, était en état de choc. Sans ajouter un mot, elle l’attrapa sous le ventre et reprit sa course. Alourdie par cette charge supplémentaire, elle peinait à garder son rythme et son équilibre. Lorsqu’une pente s’ouvrit sous ses pieds, elle dû faire appel à toutes ses capacités pour ne pas chuter. 

Hors d’haleine, elle fit halte en bas de la colline. Elle déposa les enfants sur une souche et essuya la transpiration qui obstruait sa vue.


- Vous allez bien ? Vous avez mal quelque part ?

- N-Nnnn, bégaya la fillette.

- Et toi ?


Le petit hocha la tête.


- D’accord, je vais appeler des renforts.


Reiko fouilla sa veste à la recherche de son émetteur. Une sueur froide suinta dans son dos tandis qu’elle palpait désespérément ses poches.


- C’est pas possible… Je l’ai perdu.


Elle passa une main rageuse dans ses cheveux. Si elle n’avait aucun moyen de joindre le Commandant, elle n’avait plus qu’une seule chose à faire : retourner à bord de Big1.

Elle soupira. Pour une fois, elle était d’accord avec son instructeur. L’impulsivité de Manabu leur serait fatale un jour. Elle était prête à parier que les robots n’auraient pas blessé les fuyards et se seraient contentés de les ramener auprès du groupe sans qu’ils n’aient besoin d’intervenir.

Maintenant, c’était trop tard. Ils allaient se défendre et cela risquait bien de s’achever dans un bain de sang.


- On va y aller, décida Reiko.


Elle s’approcha doucement de ses protégés.


- Comment vous vous appelez ? Moi, c’est Reiko. Je fais partie du peloton Sirius de la Space Defence Force.

- Al..Alan et elle, c’est Tamie, ma sœur. Elle a quatre ans.

- Okay. Vous ne craignez plus rien, alors n’ayez pas peur, d’accord ? On va marcher un peu jusqu’à mon train. Il est super cool, vous verrez.


Elle inspira profondément.


- On va bien s’amuser.

- Je veux maman, sanglota Tamie.

- Mes collègues vont la ramener, ne t’inquiète pas. Ils sont super forts, leur assura-t-elle en désignant ses biceps.

- C’est… C’est vrai ?

- Evidemment. Allez, on doit partir si on veut vite retrouver maman, qu’en pensez-vous ?


Ragaillardis, les enfants acquiescèrent. Reiko analysa les données de sa montre. Ils étaient à un peu plus de cinq kilomètres de Big1, en effectuant un bon détour pour éviter la zone de la caverne.


- En avant les explorateurs !, les exhorta-t-elle.

- Et… Et les méchants, ils vont revenir ?

- Mes amis vont les en empêcher.

- Promis, juré, craché ?

- Croix de bois, croix de fer !


Une fois Tamie et Alan rassurés, le petit groupe se mit en route. La serpe étant restée sur place, Reiko ouvrit un chemin avec son couteau. Voyant que la fillette s’épuisait, elle confectionna un harnais de fortune et le fixa dans son dos.


- Grimpe, dit-elle en posant un genou à terre. 


La progression n’était pas évidente et la jeune femme devait rassembler la moindre parcelle de son énergie pour tenir le cap. Elle se raccrocha à des images réconfortantes pour ne pas flancher, celles de son père, de son frère, sans oublier son nouveau peloton.


- Cette fois-ci, je boucle l’étape, marmonna-t-elle.


La simulation c’était une chose, cette mission c’en était une autre. Ici, elle n’avait pas droit à plusieurs tentatives. 


- Tu n’as pas mal aux pieds, Alan ?

- Non, ça va.

- Tu me racontes ce qu’il vous est arrivé ?

- Le train a eu un souci alors on a atterri ici.

- Et plein de gros tas de métal avec des grands bras sont venus !

- Ils nous ont menacés avec des outils piquants alors on les a suivis jusqu’à la grotte.

- Et vous avez essayé de vous enfuir.

- Oui.


Reiko lui ébouriffa les cheveux.


- Tu es brave, une véritable terreur.

- Plus tard, moi aussi je sauverai les gens avec un train de combat trop dément.

- C’est une vocation honorable, approuva la pilote.


Ils randonnèrent pendant plus de trois quarts d’heure sans rencontrer le moindre problème. Alan avançait sans se plaindre et Tamie s’était endormie. Si une chape de fatigue pesait bel et bien sur les épaules de Reiko, elle s’efforça de ne pas le montrer.


- Tiens ?

- On dirait des marais.

- Tout juste, gamin. Et il faut qu’on les traverse pour rejoindre Big1.

- Big1 ?

- Notre super train de l’espace de la mort qui tue.

- Ooooh.


Elle avisa les étendues aqueuses et celles-ci ne lui inspirèrent rien qui vaille. Elle discerna toutefois un chemin possible entre les joncs et autres grandes herbes.


- Okay, changement de plan.


Elle souleva le garçonnet et le prit dans ses bras. Confus, il n’eut pas le temps de protester.


- Je prends pas le risque que tu termines toi aussi au fond de l’eau.

- Moi… Aussi ?

- En route, mauvaise troupe. 


Chargée comme une mule, elle pénétra dans les marécages, ses bottes s’enlisant à chacun de ses pas.


- Je suis sûre qu’il y a plein de grosses araignées ici, s’inquiéta Tamie en observant les alentours.

- Mais non, les araignées ça aime pas l’humidité.

- Tu crois ?

- Oui et moi non plus.


Reiko n’avait pas la moindre idée de ce qu’appréciaient ou non les arachnides, mais elle n’avait pas besoin qu’une crise de panique s’ajoute à ce trajet compliqué.


- On sort bientôt ?, questionna Allan, accroché à la veste de la pilote.

- Oui, ahana-t-elle sous l’effort.


Elle ne put contenir un cri de surprise lorsqu’elle s’enfonça subitement dans une boue froide et granuleuse.


- Bordel, il manquait plus que ça.


Le frère et la soeur poussèrent des hurlements affolés et elle dû hausser le ton pour les calmer.

Elle-même devait lutter contre l’affolement qu’elle sentait poindre et, bien malgré elle, elle se remémora les paroles de Bruce : “ Si tu te relâches, ça finira toujours pareil. La mort ! La mort ! La mort !”.

Et si elle était certaine d’une chose, c’est qu’elle n’avait aucune envie de mourir ici.

Reiko constata qu’ils s’enfonçaient doucement mais sûrement, la vase lui atteignant maintenant le nombril.


- La rive n’est pas loin, je vais vous lancer.

- Tu vas… Quoiiiii !


Le garçonnet heurta la terre ferme et resta étendu quelques secondes, les bras en croix.


- À ton tour, annonça-t-elle en empoignant Tamie dans son harnais. Alan, rattrape ta soeur.

- Je la tiens !


Reiko s’enlisa de plusieurs centimètres dans la boue. Elle se contraignit à l’immobilité bien que son anxiété crevait le plafond.


- Tu vois cette liane ? Celle qui est accrochée à l’arbre ? Envoie-la moi !

- D’a.. D’accord.

- Dépêche-toi !, ordonna-t-elle d’une voix étranglée.


Lorsqu’elle eut la tige végétale dans les doigts, elle banda ses muscles et tira avec la force du désespoir. Alan l’aida autant que possible et, après de longues minutes d’un combat acharné, elle parvint enfin à s’extraire de la mare. Elle roula sur le côté, sonnée.

Tamie se jeta contre sa poitrine et Reiko sentit des larmes lui mouiller le cou.


- C’est bon, ça va, dit-elle en lui tapotant le dos. On est tout près, maintenant. 


Elle s’accorda encore un peu de repos avant de reprendre cette marche purgatoriale.


- Big1 est là-bas, derrière la colline.

- Avec maman ?, interrogea Tamie.

- Avec maman, confirma Reiko.


Elle prit les deux petits par la main et entama l’ascension, soulagée à l’idée que ce périple prenne fin.Toutefois, elle était soucieuse que l’affrontement contre les robots ait pu mal tourner pour son peloton.


- Manabu.., grogna-t-elle.

- C’est qui ?, demanda Tamie, innocemment.

- Un imbécile heureux.


Les deux enfants se lancèrent un regard surpris mais renoncèrent à questionner leur garde du corps.


- On voit déjà le sommet, les encouragea-t-elle.


Revigorés, Tamie et Alan la dépassèrent en courant.


- Hé, attendez-m… Couchez vous !, hurla-t-elle en saisissant son cosmo-gun.


Alors qu’Alan plaquait sa sœur au sol, un rayon laser percuta le robot qui avait surgi devant eux. Ce n’était toutefois pas suffisant pour l’arrêter et il se rua vers Reiko. Cette dernière sauta sur le côté pour l’éviter mais elle ne fut pas assez rapide. Une lame tranchante, semblable à une scie, lui laboura la cuisse et elle chuta en poussant un cri de douleur. Son arme s’envola hors de portée pendant que l’androïde se rapprochait pour l’achever. Fébrile, elle rampa vers le pistolet. Sa main se referma sur la crosse au moment où son adversaire était sur elle. Reiko se retourna et tira à plusieurs reprises. Elle continua, même lorsqu’un morceau de métal perfora son biceps gauche.

Sous les feux répétés du cosmo-gun, le robot implosa.

Allongée au sol, les appels des petits lui paraissaient lointains. Elle s’obligea à s’asseoir et à regarder sa plaie.

“C’est vraiment moche.”, pensa-t-elle.


- Reiko ! Tu as mal ?

- Un…peu…


Alan ôta son pull et le tendit à la pilote.


- Tiens, tu peux t’en servir.

- Merci, répondit-elle en le nouant autour de sa cuisse, les doigts tremblants.


Elle retint les larmes de souffrance qu’elle sentait monter. Avec l’aide des enfants, elle réussit à se mettre debout.


- Tu laisses le bout dans ta peau ?

- Oui, c’est mieux… Yûki.. Yûki l’enlèvera.


Bien que sa vision soit floue et son esprit, embrumé, elle avait conscience que sans soins rapides, elle risquait sa vie. Ils cheminèrent encore un kilomètre, qui parut une éternité à Reiko. Chaque foulée était un supplice effroyable et elle craignait de tomber pour ne plus se relever.


- C’est le train ! Il y a des gens.. Je vais chercher du secours !


Alan partit en trombe. Clopinante, Reiko le suivit, Tamie accrochée à son pantalon.


- Maman !


La fillette vola littéralement vers sa mère et celle-ci s’agenouilla pour l’enlacer.


- Je… Suis… Contente…


Un voile noir passa devant ses yeux et elle s’écroula. Elle se prépara au choc violent avec la terre qui, à sa grande surprise, n’arriva jamais.


- Yûki ! Yûki !


Elle força sur son regard jusqu’à ce qu’une image se forme sur sa rétine.


- Bruce ? Oh.. T’es pas mort… C’est bien.

- Yûki ! Bon dieu !


Le sniper souleva Reiko avec toute la délicatesse dont il était capable et l’emporta vers Big1. La jeune femme enroula son doigt autour des cheveux d’un blond presque polaire de son équipier.


- T’as vu.. J’ai passé le niveau, hein ?

- Ne parle pas, on va s’occuper de toi.

- T’es pas déçu ?

- Déçu ?, répéta-t-il en pilant.

- Ben oui.. Que je sois nulle.

- J’ai.. J’ai jamais pensé ça, répondit-il abasourdi.


L’infirmière les rejoignit, le reste du peloton Sirius sur les talons.


- C’est beau la planète Emeraude. On dirait l’Arcadie.

- Elle délire complètement, s’affola-t-il.

- Et In Arcadia Ego. Moi aussi… J’ai vécu.. En Arcadie.


Elle fronça les sourcils, préoccupée.


- Otto-san ? Il est ici aussi ?

- Je lui fais une piqûre pour la soulager, les avertit Yûki.

- Je suis allée là-bas… Mais on est revenu. La Terre avait besoin… De son protecteur. Arcad…


Elle s’endormit, nichée dans les bras du sniper.


- Emmène-là à l’intérieur, signifia le Commandant.


Bruce fonça vers le train, franchit les wagons au pas de course et déposa son précieux fardeau sur la table de soins de l’infirmerie.


- C’est grave ?, demanda-t-il brutalement à l’androïde.

- Je ne sais pas. Je vais l’examiner. Sors, j’ai besoin de place.

- Dis-moi, balbutia-t-il. Est-ce que…

- Bruce, laisse-la travailler, lui intima Bulge en le tirant de force hors de la pièce.


Il ne fallut rien de moins que la carrure du Commandant pour contraindre l’artilleur à vider les lieux.


___


Alors que Big1 filait en direction de Destiny, Manabu et Louise se postèrent devant la grande vitre qui surplombait l’infirmerie.


- Il n’a pas encore quitté son chevet.

- J’imagine qu’il se sent responsable, Manabu.

- Mais… Ce n’est pas… De sa faute.

- Oui, en effet. Et si j’étais toi, j’éviterais de me retrouver en tête à tête avec lui dans les prochains jours.


Le jeune homme déglutit difficilement.


- J’ai pas réfléchi… J’ai

- Tu as de la chance qu’on s’en soit tirés et qu’il n’y ait pas eu de blessés. Enfin presque, dit-elle en contemplant Reiko qui dormait profondément, un masque à oxygène sur le visage.

- Je suis tellement désolé…

- J’espère qu’elle n’aura aucune séquelle. Sinon…

- Sinon ?

- Bruce va te briser les os, Schneider piétiner ce qu’il en reste et le Commandant expédiera le tout sur Tabito, asséna-t-elle.

- Ce serait mérité, souffla-t-il.

- Allez, viens, on retourne à notre poste.

- Et Bruce ?

- Tu veux prendre le risque de lui parler ?


Ils se détournèrent et se dirigèrent vers la salle de commandement.


___


- T’avais peur de me décevoir, hein ? Idiote va.


Assis sur un fauteuil à côté du lit, il écoutait la respiration régulière de Reiko.


- J’aurais dû mieux te préparer. Moins te mettre la pression. S’il y a bien quelqu’un qui est décevant ici, c’est moi.


Le sniper se prit la tête entre les mains, abattu.


- Si tu ne te réveilles pas, je transformerai Manabu en charpie. C’est promis, dit-il avec un sourire dur.


Il se pencha et saisit une mèche de cheveux bruns entre ses doigts.


- Pour l’instant, je reste. Et je me fiche que tu sois d’accord ou non. 


L’artilleur focalisa son attention sur le bras en bandoulière. Yûki avait fait de son mieux et la septicémie avait été évitée. Durant tout le temps qu’avait duré l’opération, il avait tourné en rond comme un lion en cage, à la fois angoissé et furibond. Le premier sentiment ayant pris le pas sur le second, il avait, pour l’instant, renoncé à étriper Manabu.

Il avança sa main vers le visage de Reiko avant de la laisser retomber mollement.


- J’aimerais vraiment que tu ouvres les yeux…



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