A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 9 : Heavy Melder - partie 2

5347 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/08/2023 11:40

- Il est pas humain, cet homme-là.

- Ouais…

- Il est conscient qu’on a des droits ?

- Pas sûr, grommela Manabu.

- Je suis rincé.

- T’as fini de te plaindre ?

- Bruce, t’as un cœur de pierre. Tu vois ces ampoules ? T’imagines même pas comme c’est douloureux.

- Pauvre David, tu veux que je te fasse un bisou magique ?

- Pourquoi pas, si ça peut aider.

- Non, reste loin de moi ou je t’assomme !

- Mais c’est toi qui a proposé ! Manabu, tu voudrais pas… ?

- Même pas en rêve.

- En tout cas, le Commandant du cargo était si content qu’on les ait secourus qu’il a tenu à nous fournir tous les matériaux dont on avait besoin.

- C’est bien la moindre des choses, répondit Bruce.


Reiko, trop fatiguée pour argumenter, cheminait devant aux côtés de Louise. Le soleil s’était couché depuis de longues heures et, malgré leur travail acharné, de nombreuses réparations étaient encore nécessaires pour remettre Big1 sur rail.

Lorsqu’ils longèrent le bar, elle jeta un œil à travers les carreaux poussiéreux. Elle ne repéra ni son père ni son grand-frère parmi les quelques pirates endormis.

Si la tentation de retourner à bord de l’Arcadia pour cette nuit était forte, elle n’en fit rien. Elle ne voulait pas que ses équipiers pensent qu’elle était différente d’eux, en bien ou en mal.

Ils franchirent les portes d’une auberge et grimpèrent jusqu’à leurs chambres respectives.

Reiko s’affala sur son lit, tête la première dans un oreiller.


- Je vais me doucher, annonça la voix lointaine de Louise. Est-ce que… ?


Les ronflements de son amie l’interrompirent.


- Dors bien, murmura Louise en refermant le battant.


***


Reiko lutta pour soulever ses paupières et s’assit dans son lit, hagarde.

Sa vision gagnait en clarté à mesure que ses souvenirs lui revenaient.

L’attaque du cargo, Harlock, Gun Frontier.

Elle se dirigea vers la fenêtre en titubant.


- Il est toujours là.


L’Arcadia trônait au centre de l’aire d’atterrissage, attirant une foule de badauds curieux. Louise étant encore plongée dans un profond sommeil, elle fit un rapide passage à la salle de bain avant de quitter la chambre en catimini.


- Tiens, t’es bien matinale.

- Ah, bonjour.


Elle s’engagea dans les escaliers aux côtés de Bruce, la respiration bloquée. Les mains dans les poches, le sniper gardait le regard résolument vissé devant lui.


- Pas trop de courbatures ?, le questionna Reiko, que les grands silences mettaient mal à l’aise.

- Non.


Elle souffla discrètement, se demandant de quelle façon ils pourraient réussir à renouer le dialogue. Après les paroles blessantes qu’il avait proférées sur Robunte Roldo, elle se doutait que ce ne serait pas aisé. Et c’était sans compter ce qu’il s’était passé en salle de simulation et sur la planète Émeraude.

Elle accueillit l’arrivée de Manabu et de David avec soulagement, tant l’ambiance était pesante.


- Tu vas voir ton père ?


Reiko se tordit les doigts, indécise.


- Je vais déjà aller au bar, on ne sait jamais.

- Bonne idée !, approuva David.

Les quatre membres du peloton Sirius traversèrent la route principale et pénétrèrent dans le saloon qu’ils avaient occupé la veille.

À leur grand étonnement, le Commandant Bulge était déjà là, attablé avec Harlock.


- Je croyais que vos ampoules vous empêcheraient de vous lever, lâcha Schwanhelt Bulge en adressant une œillade appuyée à son ingénieur.

- Haha, on plaisantait, bredouilla David en passant une main dans ses dreadlocks.

- Évidemment.

- T’embrasses pas ton vieux papa, Koko ?, l’interrogea le pirate avec un sourire en coin malicieux.

- Otto-saaaan, me fous pas la honte devant mon unité, dit-elle à voix basse, en lui déposant néanmoins un baiser léger sur la joue.

- Les enfants qui grandissent, soupira-t-il en roulant des yeux.

- Arrêêêête ça tout de suite, le menaça-t-elle en voyant David pouffer.

- Tu me blesses, mon lapin.


Elle le bâillonna fermement tandis que Manabu riait à gorge déployée. Elle le fusilla du regard, mécontente. Harlock mordilla le gant de sa fille qui le retira aussitôt.

Le barman s’approcha et déposa des tasses de café.


- Pour les services rendus à l’univers, dit-il en fixant tour à tour Bulge et Harlock.


Le Capitaine inclina la tête en signe de remerciement. 


- On vit de drôles de choses par ici en ce moment. Des choses inhabituelles.

- De quelle sorte ?

- Des disparitions, des trafics illicites, une rumeur sombre. Gun Frontier n’est plus ce qu’elle était jadis.


Il marqua un silence avant de reprendre.


- Des braves continuent de s’aventurer dans les grandes étendues sablonneuses pour défendre la liberté chère aux habitants de cette planète.

- Et que deviennent-ils ?, questionna le Commandant.

- Ils disparaissent. Pas plus tard qu’hier, trois gaillards ont quitté la ville et j’imagine qu’ils ont dû y laisser leur peau. Comme les autres.


Le barman tapa du poing sur son comptoir.


- Captain, je sais que je n’ai aucun droit de vous le demander mais…  Votre réputation vous précède. Vous pourriez réussir là où ils ont tous échoué.


Harlock s’adossa profondément dans son siège.


- Mon cher ami adorait cet endroit et il a semé le chaos ici tant de fois que je ne pourrais pas toutes les dénombrer.


Reiko acquiesça, se remémorant leurs nombreuses escapades sur Heavy-Melder.


- Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, ce sera un honneur pour moi.

- Otto-san…, dit-elle en lui serrant l’épaule, émue.


Schwanhelt Bulge se frotta le menton, pensif.


- Nous sommes cloués au sol pour la journée. Les équipes de mécanos du cargo et de l’Arcadia s’étant portées volontaire pour prêter main forte à Akatsuki, nous ne serons pas utiles là bas.

- Dieu merci, marmonna David.

- Par conséquent, si vous êtes d’accord, Captain Harlock, nous serons des vôtres.

- Qui suis-je pour refuser de passer du temps avec ma merveilleuse fille ?

- Papa, si tu continues…


Il pinça la joue de Reiko.


- Sois pas bougon, mon lapin.

- T’es louuuurd.


Le pirate leva les bras au ciel, en signe de reddition.


- Ça fait plaisir de voir que tu t’entends bien avec ta famille, dit Manabu.

- Ah bon ?, grogna-t-elle. Maintenant qu’il vient de tuer ma réputation à jamais, j’en suis plus si sûre.


***


- Les radars de l’Arcadia ont détecté des mouvements à dix kilomètres au nord-ouest de Gun Frontier, déclara Harlock. Je vous propose de nous séparer en trois groupes pour quadriller la zone.

- Je reste avec Nee-san !, décida Tadashi d’une voix ferme.

- Louise, Bruce, vous irez aux eux, ordonna Schwanhelt Bulge.


Reiko fit la moue en coulant un regard vers le sniper. Celui-ci conservait une attitude totalement impassible mais elle ne doutait pas une minute qu’il n’était sûrement pas ravi de ce coup du sort.

Harlock parut déçu mais il n’alla pas à l’encontre des ordres du Commandant.


- Kei et…David, c’est bien ça ?

- Oui, Capitaine.

- Vous viendrez avec moi.

- Super !, s’exclama Yattaran en assénant une claque dans le dos de Bulge. On va faire une équipe du tonnerre avec Tadashi numéro deux et Mademoiselle… ?

- Hé, protesta Manabu. On se ressemble pas tant que ça.

- Je m’appelle Yûki.

- Enchanté de vous connaître, je suis le second de l’Arcadia. Vous aimez les maquettes d’avions ? Je peux vous en offrir une, j’en ai tout un stock…

- Yattaran, le rappela à l’ordre Harlock.

- Oui, on verra ça plus tard.

- Tous à vos jeeps et gardez vos émetteurs sous le coude, conclut le Commandant.


Bruce et Tadashi se disputèrent brièvement le volant, mais l’artilleur finit par remporter la bataille. Louise s’installa devant pendant que Reiko prenait place vers son frère, à l’arrière.


- Boude pas, Aniki. 

- Tais-toi.


Le trajet se déroula sous un soleil de plomb. Le véhicule fonçait sur une piste presque invisible, soulevant des nuages de grains de sable qui s’accrochaient à leurs cheveux et jaunissaient leurs vêtements.


- Un jour, Tôchiro a détruit toute la réserve d’alcool de la ville, se rappela Reiko.

- À cette époque, je n’avais pas encore rejoint l’équipage de l’Arcadia.

- Il a abattu cette espèce de grosse vache qui ravageait Gun Frontier. Avec un bazooka. Ensuite, elle s’est écroulée en plein sur les tonneaux de brandy.

- Harlock a payé pour tous les dégâts ?

- Oh que oui.

- Qui est Tôchiro ?, demanda Louise, intriguée.


Reiko se mordit les lèvres.


- C’était le meilleur ami de mon père. Un véritable génie. Il a élaboré et construit l’Arcadia.

- Il est… mort ?

- Il y a longtemps.


Voyant que son amie ne souhaitait pas s’étendre sur le sujet, elle n’insista pas.


- Dire que tu nous as abandonnés sans aucun regret, commença Tadashi.

- Tu sais bien que ce n’est pas vrai.

- T’étais pas heureuse avec nous ?

- Aniki, on va pas en parler maintenant. Et, encore une fois, ma décision n’avait absolument rien à voir avec vous.

- Mouais…


De rares bavardages vinrent troubler le reste du voyage et ils arrivèrent bientôt aux coordonnées indiquées par Harlock.

Bruce gara la voiture contre un gros rocher et pointa du doigt une butte dont le sommet culminait à une centaine de mètres.


- On va prendre un peu de hauteur.

- Depuis quand c’est lui qui commande ?

- Parce que je suis le plus gradé ici.

- Je m’en fiche moi de vos histoires de grade, répliqua Tadashi.


Reiko posa une main sur le poignet de son frère, la mine désolée.


- Lâche l’affaire.

- Je l’aime pas, lui. Wawa a raison à son sujet, chuchota-t-il.

- Quand est-ce que Warrius va apprendre à la boucler…


Sous la direction de Bruce, ils escaladèrent la colline par un chemin qui serpentait à travers les roches écarlates et coupantes. Le sol sous leurs pieds était brûlant et de grosses gouttes de transpiration ne tardèrent pas à ruisseler de leurs joues.

Une fois parvenus tout en haut, ils s’embusquèrent contre d’immenses aiguilles en granit qui réverbéraient les rayons du soleil.


- Nous sommes en position au sud, Commandant, informa Bruce à travers son communicateur. Nous avons un point de vue.

- “Très bien, nous nous postons à l’ouest et Harlock à l’est. Signalez-nous tous agissements suspects.”

- Bien reçu.


Reiko rampa jusqu’à ce qu’elle obtienne une vision dégagée de la plaine en contrebas.

- Oh, voyez-vous ça…


Bruce s’approcha à son tour, suivi par Louise et Tadashi.

Des individus masqués, enroulés dans de longues capes noires, allaient et venaient entre un tunnel et un camion bâché. Ils déchargeaient inlassablement des caisses qui semblaient peser lourd. La pilote en compta une bonne douzaine.


- Mais comment ne peuvent-ils pas mourir de chaud ?, s’étonna Louise.

- Bonne question, répondit Tadashi.


L’officière radar se risqua un peu plus en avant pour tenter d’apercevoir le contenu des caisses pendant que Bruce faisait un rapport de situation au Commandant.


- “Nous les avons en visu aussi, ne bougez pas pour le moment”.

- “Voici donc le fameux trafic.”, compléta le pirate.


Louise s’inclina au-dessus du vide.


- Hé, recule tu es à découvert, lui intima le sniper.

- Attends, je crois que… On dirait… Des fragments métalliques ? Aaaaah !


Les cailloux devant elle dégringolèrent en bas de la butte et la jeune femme perdit l'équilibre, manquant de dévaler la pente à son tour. Elle ne dut son salut qu’aux réflexes de Tadashi qui empoigna sa veste et la tira en arrière.


- Me..Merci, balbutia-t-elle.

- Reculez !, ordonna Bruce.

- Trop tard, s’alarma Reiko. Ils nous ont repérés.

- Là-bas ! Qu'est-ce que c’est ?, s’exclama Tadashi en désignant des orifices qui se creusaient dans la montagne.


Bruce voulut activer son émetteur pour prévenir Bulge mais il n’en eut pas le temps. Une explosion retentit à quelques mètres d’eux, faisant voler en mille morceaux une pointe rocheuse. Louise poussa un cri étranglé tandis qu’ils se couvraient tous la tête.


- On descend !, hurla l’artilleur.


Ils firent marche arrière à tâtons le plus vite possible, lorsqu’une seconde déflagration percuta de plein fouet l’aiguille contre laquelle ils s’étaient dissimulés.

Reiko s’aplatit en gémissant, persuadée que des éclats tranchants allaient bientôt lui lacérer la peau.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle avisa avec surprise le visage de Bruce penché au-dessus d’elle. Des cailloux roulaient le long de ses épaules et une grimace de douleur déformait ses traits. Une goutte de sang perla de son cou et heurta la joue de Reiko. Elle tendit son bras et effleura du bout des doigts la peau blafarde du sniper.

Ses oreilles bourdonnaient à cause du bruit de la détonation et elle l’observait sans comprendre ce qu’il se passait.

“Est-ce qu’il… Est-ce qu’il vient de me protéger ?”, pensa-t-elle, hébétée.

L’un de leurs émetteurs se mit à grésiller.


- “Dégagez de là immédiatement !”, aboya la voix d’Harlock.


Bruce se releva le premier, agrippant Reiko par le col pour l’obliger à le suivre. Tadashi, qui s’était lui aussi jeté sur Louise, l’attrapa par la main et l’entraîna dans son sillage. Ils dévalèrent la butte en courant.

La pilote glissa et faillit tomber tête la première, mais c’était sans compter la vigilance de Bruce qui la retint fermement par la ceinture.

Derrière eux les explosions se multipliaient et des éclats leur éraflaient la peau à intervalles réguliers.

Ils atteignirent enfin le bas de la colline, complètement essouflés, à l’instant où Harlock débarquait, talonné par Kei et David.

Mort d’inquiétude, il serra sa fille contre lui.


- Tu es blessée ?, demanda-t-il en remarquant les écorchures.

- Non, je n’ai rien…

- Moi, je saigne, intervint Tadashi.

- C’est superficiel, t’es pas en sucre, non ? Suivez-moi !


Le groupe se mit à couvert dans un défilé rocheux tout proche. Louise s’adossa contre la falaise tandis que David entrait en contact avec le Commandant Bulge. Harlock, Tadashi et Kei s’éloignèrent pour sécuriser les lieux.

Reiko prit également appui sur un pan rocailleux, retrouvant peu à peu le sens de l’audition. 


- Mon dieu, Bruce.


Horrifiée, elle contempla le dos de l’artilleur qui se nappait d’une auréole sanglante. Il se retourna, une ride de souffrance barrant son front.


- C’est rien.

- Assieds-toi là, dit-elle en lui désignant une souche d’arbre.

- C’est bon, ça va.

- Non.. Pas du tout…


Elle fit sauter les pressions de sa veste et appliqua cette dernière contre ses omoplates. Aussitôt, elle se gorgea d’un liquide chaud et écarlate.


- C’est.. Ma faute, bégaya Louise.


Des larmes mouillèrent les yeux de la pilote alors que les pirates revenaient à grands pas.


- C’est parce que… C’est à cause de moi…


Harlock s’agenouilla auprès de Bruce.


- Il… Il m’a protégée…, balbutia Reiko. Trop de sang… Il y en a… Tellement.


Le Capitaine haussa un sourcil intrigué.


- Ça me tue de l’avouer mais ce type est aussi solide qu’un roc. Il s’est pris la moitié de la montagne sur le dos et il n’a pas flanché, expliqua Tadashi.

- Vraiment ? Je vois.


Des coups de feu attirèrent leur attention.


- Bulge a engagé le combat. On y va. Non, pas vous deux. Vous restez là.


Reiko et Bruce regardèrent le pirate avec incompréhension.


- Toi, parce que tu perds trop de sang et toi, parce que c’est moi qui décide.

- Otto-san !

- Tu veux le laisser tout seul ?

- Non, mais…

- On est d’accord.

- Je suis en état, essaya de protester Bruce. 


Harlock ne se donna pas la peine de répondre et fit signe aux autres de le suivre. Après un instant de flottement, Reiko prit la place de son père et continua de tapoter les entailles de son équipier.


- Bakana, qu’est-ce qui t’a pris ? 


Le sniper tourna la tête et riva ses yeux acier sur la jeune femme.


- T’en as pas la moindre idée, hein ?, dit-il en approchant son visage.

- Euh… Pardon ?


Sans trop savoir pourquoi, elle sentit le rouge lui monter aux joues et ses oreilles se remirent à siffler. Elle ne comprendrait jamais cet homme, c’était une certitude.

Le bruit des déflagrations s’amplifia et elle serra les dents, scrutant les alentours avec appréhension.


- Pas besoin de t’en faire, ils sont coriaces. Même ton imbécile de frère. Les mecs en face n’ont aucune chance.

- Tu en es sûr ?

- Évidemment.

- Je devrais peut-être y al…

- N’y pense même pas.

- Pour.. Aaah !


Reiko poussa un hurlement de surprise quand une silhouette surgit des buissons. L’artilleur dégaina son cosmo-gun, puis abaissa son canon lorsqu’il reconnut Yûki.

L’infirmière posa un genou à terre et ouvrit sa mallette, déballant toutes sortes de compresses et de désinfectants.


- Découpe le tissu, ordonna-t-elle à Reiko.

- Euh.. Oui… Comment tu as su qu’on était là ?

- Ton père.


Elle se pinça la lèvre alors que la veste de son instructeur tombait à ses pieds. Sa peau, déjà bardée de cicatrices, était méchamment abîmée.


- Fais pas cette tête, je sens presque ri.. Aïïïe !


Yûki tamponna les blessures précautionneusement. Reiko l’observa travailler un moment avant de se lever, cosmo-gun en main.


- J’y vais.

- Hé, reviens !


Elle se dirigea résolument vers les détonations, la boule au ventre. Elle n’avait pas intégré la Space Defence Force pour rester en arrière et se comporter comme une plante verte. Et surtout, elle n’allait pas laisser sa famille ou plutôt, ses familles, se battre seules.


- Désolée, Bruce, mais je ne peux pas obéir à cet ordre.

- Reiko ! 


Elle partit en courant sans se retourner.

Lorsqu’elle déboucha enfin près du tunnel, le combat prenait fin. À eux deux, Harlock et Bulge faisaient le ménage et ils auraient presque pu se passer du reste de leur escouade. Reiko, à demi abritée derrière une falaise, tendit néanmoins son arme et tira sur un des hommes embusqué de l’autre côté du camion.

Elle adressa ensuite un petit signe à ses camarades, postés une dizaine de mètres plus loin. Harlock eut une mimique désapprobatrice et redoubla d’efforts pour mettre fin à la bataille. Un vent de panique souffla parmi les hommes masqués. Les quelques rescapés prirent la fuite mais Tadashi n’eut aucun scrupule à les abattre. 

Reiko garda néanmoins sa position jusqu’à ce que le Commandant Bulge l’invite à les rejoindre.


- Mademoiselle Sakuramachi, vous êtes une vraie rebelle.

- J’ai été à bonne école, Otto-san, rétorqua-t-elle.

- Ça m'apprendra, tiens, ronchonna-t-il.


Ils s’avancèrent jusqu’au véhicule et Tadashi déplaça l’un des cadavres d’un coup de pied. Obnubilée par ce qu’elle voyait, Reiko ne remarqua pas Bruce et Yûki qui avaient émergé du défilé.

Elle s’accroupit, la bouche retroussée par le dégoût.


- Humanoïdes.

- Ceux-là aussi, abonda Kei.

- Écoeurant, cracha-t-elle en reculant.


Le Commandant fronça les sourcils, surpris par l’attitude de sa nouvelle recrue. Il n’avait jamais noté qu’elle avait une telle aversion envers les êtres mécanisés.


- Et donc, quel est le contenu de cette cargaison ?


Louise souleva une bâche et fit volte-face, désarçonnée.


- Des clous, des vis… De la quincaillerie ?


Harlock s’approcha et attrapa une poignée de ces pièces métalliques.


- Des traces des hommes disparus ?, interrogea Schwanhelt Bulge.

- Aucune, répondit Yattaran qui avait exploré le tunnel avec Manabu. Il y a juste des caisses empilées les unes sur les autres, remplies de ferraille rutilante.

- C’est étrange. Pourquoi un tel arsenal pour défendre… ça ?

- Des pièces de rechange pour humanoïdes ?, proposa Manabu.

- Non, je ne crois pas, trancha Yattaran. Ça n'y ressemble pas.


L’infirmière du peloton Sirius s’agita, visiblement perturbée.


- Il y a… D’étranges résonances qui émanent de ce chargement. Je ne peux pas l’expliquer mais je n’ai jamais rien ressenti de tel.

- Yûki est une androïde, indiqua le Commandant.


Si Reiko détestait les créatures mécanisées, elle n’éprouvait aucune antipathie à l’encontre de Yûki, cette dernière étant un robot créé de toutes pièces auquel une conscience humaine avait été affectée, au contraire des humanoïdes qui n’étaient rien d’autres que des personnes ayant abandonné leur âme au profit d’un corps immortel. 


- Captain, on pourrait utiliser le super-analyseur de l’ordinateur central.

- Bonne idée.

- Génial, je voulais absolument visiter le mythique Arcadia, s’enthousiasma David. 

- Là où t’as grandi, s’amusa Manabu en entourant les épaules de Reiko.

- Ouais trop bien…


***


Yattaran pianota sur la console du super-analyseur de l’Arcadia et les pièces métalliques se suspendirent dans les airs entre deux énormes socles magnétiques.


- Voilà, plus qu’à attendre, maintenant.

- On raconte que l’Arcadia est indestructible, c’est vrai ?, demanda David.

- Peut-être pas indestructible mais robuste, on peut le dire, répondit Harlock.

- Est-ce qu’on pourra accéder à la passerelle ?, enchaîna Manabu, surexcité.

- Je vous ferai visiter, offrit Kei avec un sourire.

- Dans ce cas, je serai des vôtres, intervint Louise.


Le Commandant Bulge soupira, renonçant à freiner l’ardeur générale.


- C’est terminé. Plutôt performant, hein ?, annonça le second. Voyons ce que ça donne.


Des lignes de résultats s’affichèrent sur son écran. Reiko, qui ne comprenait rien à ces lignes de codes, patienta le temps que Yattaran les déchiffre.


- Est-ce que cette courbe désigne…, commença Harlock, dubitatif.

- Oui, une activité électrique.


David se gratta le cuir chevelu, incrédule.


- Comment des vis et des clous pourraient-ils émettre quoi que ce soit ?

- Ce n’est pas ordinaire, convint le Commandant. Qu’est-ce que ça t’évoque Yûki ?

- Beaucoup de tristesse.


Reiko s’éclaircit la voix.


- Otto-san, on pourrait poser la question à Mimeh. Elle est dotée d’une grande sensibilité.

- Qui est Mimeh ?

- Une extraterrestre qui vit à bord, Bruce. Tes blessures ça va ?

- J’ai vu pire.


La jeune femme plissa du nez, suspicieuse, mais n’insista pas.


- Je lui en toucherai un mot.

- Je vous transfère les résultats sur Big1, au cas où vous en ayez l’utilité.

- Je vous remercie, Second Yattaran.

- Pas de quoi, partenaire, dit-il avec un clin d'œil.


Le reste de l’après-midi fut consacré à la visite du vaisseau pirate qui fit forte impression au peloton Sirius.

Reiko, qui vivait cela comme une intrusion dans son intimité, fut soulagée lorsque celle-ci prit fin. D’un commun accord, ils gagnèrent le saloon de Gun Frontier où le barman, pour les remercier de leurs actions, leur servit une tournée générale accompagnée d’un concert improvisé par les serveurs.

La pilote s’attabla avec son unité, savourant une limonade bien fraîche, puisque le Commandant avait refusé le moindre alcool, au grand dam de David.


- Nee-san, tu es sûr que tu ne rentres pas avec nous ?, lança Tadashi en s’asseyant près d’elle.

- Tu connais déjà ma réponse.

- Pourquoi ? En quoi c’est plus intéressant ton travail de cheminot de l’espace ? Sans vouloir vous offenser.

- Pas de problèmes, railla Bruce en se levant, exaspéré.

- Aniki !, s’offusqua-t-elle.

- Désolé, je dis juste ce que tout le monde pense tout bas.


Elle lui asséna une claque derrière le crâne, agacée.


- Comporte-toi un peu en adulte.


Reiko se détourna, peu encline à poursuivre cette conversation. Elle aperçut alors son instructeur qui s’éclipsait dehors pour échapper au brouhaha ambiant. Sans réfléchir, elle lui emboîta le pas.

Accoudé à la rambarde, il fixait l’horizon.

Reiko s’avança prudemment, appuyant le bas de son dos contre la balustrade.


- J’ai franchi le niveau huit.


Bruce avala son lait de fraise d’une traite.


- Pas trop tôt.


Devant l’air dépité de la jeune femme, il ajouta : 


- Je te charrie. C’est pas mal.

- Écoute, je sais que.. Je t’ai beaucoup déçu et que ton intérêt envers moi n’est que très limité mais… Je te promets de faire des efforts et de ne plus me plaindre. Alors…


Elle s’inclina profondément devant lui.


- Reprends mon entraînement, s’il-te-plaît !

- Arrête ça tout de suite. T’as pas besoin de me supplier.


Elle releva la tête, surprise.


- Tu n’y es pas du tout. 

- Je ne comprends pas…


L’artilleur serra les poings. Il maniait beaucoup mieux les armes que les mots et, pour le moment, il n’était pas à même de révéler tout cette histoire autour de sa malédiction. Quant à ses sentiments… Ce n’était même pas la peine d’y songer.


- Je ne peux pas.. Je ne peux pas t’en parler maintenant. Je veux juste que tu saches que ce n’est pas toi le problème, c’est moi.

- Bruce..


Elle inspira profondément l’air frais du soir. Bien qu’elle ne saisissait pas le sens de ces paroles énigmatiques, elle voyait qu’il était bouleversé.


- D’accord… Je crois que je me suis méprise.

- Et, reprit-il, concernant ce que j’ai dit à Robunte Roldo…


Elle déglutit difficilement.


- C’est bon, t’as pas à te justifier. Tout ce qui m’importe, c’est le travail.

- Non, c’était inadmissible.


Il écrasa la canette contre la balustrade.


- Et je n’en pensais pas un mot. David m’avait poussé… Non. Je n’ai aucune excuse. Je suis désolé.

- C’est pas grave…

- Si, c’est important, affirma-t-il.

- O.. Okay.


Confuse, Reiko rejeta ses cheveux en arrière.


- Je serai en salle de simulation demain à la première heure.

- Bien.

- Et.. Merci encore pour tout à l’heure.

- Pas de quoi.


Une mélodie douce leur parvint aux oreilles. Le barman avait investi son piano pour le plus grand bonheur de son auditoire, qui se calma aussitôt. Reiko ferma les yeux, conquise par cette musique apaisante.


- Tu danses ?


Une main tendue en avant et la seconde dissimulée derrière son dos, Bruce attendait, un demi-sourire aux lèvres. 


- Je.. Quoi ?


Elle secoua la tête, désabusée.


- Je ne sais pas faire ça.

- Je vais te montrer. En guise de réconciliation.

- Écoute… Te sens pas obligé… Tu ne me dois rien.

- Te fais pas prier, viens. T’as promis d’arrêter de te plaindre, je te rappelle.


Reiko réfléchit quelques instants puis, voyant qu’il n’était pas décidé à lâcher l’affaire, glissa ses doigts dans les siens. D’un geste sec, il l’attira vers lui. Une odeur acidulée de fraise monta aux narines de la pilote, alors que son nez était niché dans le cou de Bruce. Les jambes en coton, elle se laissa guider, lui écrasant occasionnellement les pieds.

“Il est bipolaire, il n’y a pas d’autre explication.”

Elle frissonna en réalisant que les mains de l’artilleur étaient posées autour de sa taille et qu’elle était littéralement plaquée contre son torse.

Quant à Bruce, il dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas la renverser en arrière et l’embrasser. Il réussit toutefois à se contenir, aussi difficile que cela puisse être.

D’une part car c’était prématuré et de l’autre car il ne savait pas si elle ressentait la même chose que lui.

Lorsque leur danse s’acheva, Reiko s’écarta doucement, ses yeux ambrés rivés dans ceux, acier, de son partenaire.


- Je… Je vais y aller. Harlock…

- Oui, bien-sûr, accepta-t-il en se détachant d’elle, presque comme s’il s’était brûlé.


Il la regarda passer le battant de la porte avant d’enfouir son visage entre ses bras.


- T’es profondément atteint, mon vieux, se dit-il à voix basse.


Le Capitaine pirate, qui n’avait rien raté de la scène qui s’était déroulée devant lui, intercepta Tadashi.


- Fais-moi penser de demander à Warrius de se renseigner sur ce gars-là.

- Le blond ?

- Oui, exactement.

- Et la liberté dans tout ça ?


Harlock vida son verre, morose.


- T’as raison, elle m’en voudra à mort.

- Mais tu vas le faire quand même.

- “Ce que Koko ignore ne peut pas lui faire de tort.”

- Si tu le dis. En tout cas, ça a beau être un bellâtre arrogant, il n'a pas hésité à la couvrir quand on s’est pris l’explosion sur le coin de la figure.

- Intéressant.


La soirée se poursuivit jusque tard dans la nuit et David, malgré les directives de Bulge, roula sous la table parmi d’autres pirates complètement ivres.


***


- Tu as toujours ton communicateur d’urgence ?

- Oui.

- Tu piloteras prudemment ?

- Oui.

- Et pas de sucreries avant de dormir.

- Otto-san !


Harlock ébouriffa les cheveux de sa fille.


- Je plaisante, fais attention à toi.

- À bientôt, dit-elle en l’étreignant une dernière fois.


Elle masqua son émotion en sautant rapidement à l’intérieur du train. Les portes de celui-ci se refermèrent derrière elle et il décolla aussitôt.

Le Capitaine leva le bras pour la saluer et elle garda les yeux rivés sur lui jusqu’à ce qu’il soit réduit à un minuscule point noir.


- Bon vent, satané pirate, murmura-t-elle, le front appuyé contre la vitre.

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