A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 15 : Péril sur le Galaxy Railways - Partie 1

6305 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/08/2023 20:04

Chap 15 : Péril sur le Galaxy Railways - partie 1


- Mes radars ne détectent aucune signature organique ou magnétique.


Un lourd silence tomba sur “la control room” de Big1.

Silence qui fut rompu par la voix chevrotante de Louise et par le crissement de son siège tandis qu’elle pivotait pour faire face au Commandant.


- Il n’y a pas de survivant.

- C’est abominable, lâcha Manabu, hagard.


Décontenancé, Schwanhelt Bulge tapota sur son accoudoir.

Quant à Reiko, elle ne parvenait pas à se détacher des images insoutenables défilant sur l’écran principal.

“La mort. Encore et toujours cette vieille amie.”


- Un véritable carnage, ajouta David. Qui pourrait bien faire une chose pareille ?

- Les personnes malintentionnées, ce n’est pas ce qui manque dans l’univers, répondit froidement Reiko.

- Oui mais ça c’est…

- un massacre, compléta-t-elle. Une exécution massive. Une boucherie.

- On a compris l’idée, la coupa Bruce. Pas la peine d’y passer tout le dictionnaire.


Le Commandant se leva, le visage fermé.


- On va rapatrier les défunts jusqu’à Destiny et chercher d’éventuels rescapés.

- Mais…, protesta Louise. Il n’y a pas…

- Je sais. On va quand même vérifier. Yûki, Bruce et qui d’autre ?


Pour une fois, il ne souhaitait pas imposer ce travail à son peloton. Il fallait des nerfs d’acier pour récupérer ces corps, qui étaient pour certains à moitié déchiquetés. 

Reiko jeta un œil par-dessus son épaule et remarqua les frémissements qui agitaient les mains de l’officière radar et la tension qui irradiait de Manabu.


- J’irai, lança ce dernier sur un ton anormalement aigu.


“Hors de question.”

Ressentant le besoin impérieux de le protéger de ces horreurs, elle se retourna sèchement et riva ses prunelles dans celles de Bulge.


- Je peux m’en charger, déclara-t-elle, résolue.

- Ce n’est pas une tâche pour les personnes sensibles, la prévint Bruce.

- Je n’ai pas peur des cadavres.


“Ce sont plutôt les vivants qui me terrifient. Surtout s’ils sont constitués d’un tas de vis et de boulons”

Le Commandant croisa les bras, jaugeant la détermination de la pilote, dont le sang-froid olympien était presque effrayant. Les révélations de Zero tendaient à le convaincre que les démons de sa jeunesse l’avaient vaccinée contre les visions d’épouvante les plus insupportables. Cependant, il craignait que son émotivité reprenne le dessus et qu’elle craque, comme avait pu le faire Manabu à son arrivée à la SDF. Il reporta ensuite son attention sur ce dernier, duquel s’échappait une nervosité presque palpable. Si Louise semblait d’ores et déjà hors compétition, il préférait conserver l’affectation de David pour les manœuvres délicates de navigation entre les débris voguant de part et d’autre de Big1.


- Je suis à même…, commença Manabu.

- Reiko, vas-y.

- Je m’y oppose, rétorqua Bruce. Elle est pas prête.

- Utilisez les combinaisons spatiales, ordonna Bulge, en ignorant les réflexions de son artilleur.

- Compris !


Faisant fi du regard brûlant de son sniper de petit-ami, la jeune femme s’exécuta. Soit il désirait la préserver des atrocités qui les attendaient à l’extérieur, soit il jugeait qu’elle n’était pas un agent suffisamment compétent pour effectuer cette besogne. 

Ou ces deux raisons à la fois.

Dans tous les cas, elle ne pouvait pas le laisser faire.

Sans daigner faire un crochet par les vestiaires, elle ôta sa veste et enfila l’équipement pesant et encombrant des cosmonautes.


- Tu devrais rester ici, insista Bruce.

- Pourquoi ?, demanda-t-elle sans détour.

- Ce que tu vas voir, ça traumatiserait n’importe qui.


“Tu veux parier ?”


- Ne t’angoisse pas pour ça, essaya-t-elle de le rassurer. Je suis plus forte que tu ne le penses.

- Reiko…


Yûki les rejoignit à cet instant et, sans un mot, ils achevèrent de s’habiller.

Bruce gardait son calme avec difficulté. Il aurait mille fois préféré s’occuper seul de cette mission plutôt que d’embarquer Reiko. Pourtant, et à sa grande surprise, elle ne paraissait pas particulièrement émue.

“Il n’y a que ceux qui ont vu la mort de près qui sont capables de réagir de la sorte.”

Il se remémora les paroles prononcées par Manabu alors qu’ils étaient à bord du train à destination de Destiny. Est-ce que la réponse à ses interrogations se trouvait dans le passé de Reiko ?

Elle, qui manquait d’ordinaire de confiance, avait adopté un recul sur la situation des plus étonnant.

“Je suis sûr qu’elle s’est portée volontaire pour épargner Manabu.”

Yûki toussota, le tirant de sa torpeur.


- “Nous sommes prêts.”, informa-t-il dans son communicateur.

- “Bien reçu, nous déverrouillons les wagons de queue pour que vous puissiez y installer les… Restes des passagers.”


Sans plus de cérémonie, Bruce ouvrit la porte de la voiture qui donnait sur l’espace sidéral.

Reiko eut le souffle coupé lorsque l’ignominie du spectacle la frappa.

“C’est ici que se tenait autrefois la station Hermès. Il n’y a plus rien. Quel genre d’arme peut faire de tels dégâts ?”


- Restons groupés, ordonna l’artilleur.

- Oui.


Flottant dans cette mer infinie d’étoiles, ils entamèrent leur dur labeur.


- En voilà un premier, dit Bruce en attrapant un homme par les aisselles.


Yûki avait quant à elle saisi une femme, dont le corps était affreusement mutilé.


- On les ramène, bouge pas, intima-t-il à l’intention de Reiko.

- Okay.


Malgré son assurance de façade, ses entrailles se tordirent violemment dans son ventre. Quel que soit l’endroit où se posait son regard, elle ne distinguait que des membres tranchés ou des cadavres défigurés. Ses pupilles tanguèrent et elle s’obligea à inspirer et expirer lentement jusqu’à ce que son vertige disparaisse. 

C’est à ce moment-là qu'une silhouette attira son attention.

Elle tendit les bras et une fillette y atterrit délicatement.

Ses cheveux blonds dessinaient une auréole autour de son crâne. Sa robe rose à fleurs rouges était en partie brûlée.

Reiko ravala la bile qui lui montait à la bouche.

Tremblante, elle rabattit les paupières de l’enfant.

Puis, elle ferma les yeux.

Très fort.


- Ça va ?, souffla Bruce, inquiet.

- Ouais.

- Je viens avec toi.

- Pas la peine.


Raffermissant sa prise sur la petite fille, elle se dirigea vers Big1.

Elle ne supportait pas de vivre dans un monde où les violences à l’encontre des enfants étaient impunies.

Les dents serrées, en raison de la colère mais aussi pour s’empêcher de vomir, elle s’engouffra dans le wagon de queue. Elle mit un genou à terre et recouvrit son précieux fardeau d’un drap blanc, comme elle l’avait fait de nombreuses années auparavant avec tant de ses compagnons d’infortune. 

“Ne sois pas en colère et va en paix. Ceux qui ont fait ça… Je te promets qu’on les retrouvera. Qui qu'ils soient, ils paieront le prix du sang versé.”

Elle se releva, étourdie, avant de tourner les talons et de sauter à nouveau dans l’espace.


***


Bruce allongea le dernier voyageur repêché dans l’épave de la station.


- “C’est terminé. Comme prévu, il n’y a plus aucune trace de vie.”

- “Bon travail les gars. On décolle d’ici”.


Le sniper congédia ses deux coéquipières.


- Je vais finir, allez-y.


Reiko accepta sans demander son reste. Aussi vide qu’une coquille d'œuf, elle arracha sa combinaison, la jeta dans un coin et marcha comme un zombie jusqu’à la cafétéria.

Yûki s’approcha d’elle, soucieuse.


- Est-ce que tu veux un calmant ? Ou te reposer à l’infirmerie ?

- Je vais bien. Je suis juste assoiffée.

- Tu es sûre ?

- Oui.

- D’accord, mais je suis là si tu changes d’avis.

- Hum.


Une fois seule, elle se laissa glisser le long du comptoir du bar.

Elle avait déjà vu des morts mais ce charnier là était sans commune mesure.

Humanoïdes, humains ou races extraterrestres.

Personne n’avait survécu.

Et des enfants… Tellement d’enfants.

Ils avaient acheminé une cinquantaine de défunts presque “entiers”.

Pour ce qui était des autres…

Elle se mordit les lèvres pour retenir ses nausées.

La gorge desséchée, elle se mit debout avec difficulté.

Grelottante, les doigts parcourus de spasme, elle lança la cafetière. 

Plongée dans ses sombres pensées, elle n’entendit pas la porte claquer et sursauta lorsqu’un bras entoura sa taille. Une main chaude et bardée de cicatrices enveloppa la sienne, et la tasse cessa de trembler.


- T’as été impressionnante.

- Pas plus que toi ou Yûki.


Bruce la fit pivoter et, le nez dans son pull, elle huma son odeur acidulée d’agrumes et de résineux.

C’était une senteur réconfortante.


- Ouais, ben n’empêche que je suis fier de mon élève.


Reiko lutta contre les larmes qu’elle sentait poindre.


- Même quand on est habitué, c’est insoutenable, marmonna-t-il.

- Oui… Je ne suis pas aussi insensible que j’ai voulu le faire croire.

- C’est le contraire qui m’aurait affolé. Va t’asseoir, je vais te servir un café.


Une tasse chaude sur ses genoux et la joue nichée contre l’épaule de l’artilleur, elle somnola, bercée par le ronronnement du moteur de Big1.


***


Le peloton Sirius descendit du train, abattu. Akatsuki les attendait sur le quai, visiblement préoccupé.

Reiko espérait secrètement qu’on ne les sollicite pas pour le déchargement et le transport des macchabées.

“Là j’en ai plus la force mentale.”


- Bulge, il y a une réunion de crise dans l’auditorium principal. Tout le monde est convoqué.

- J’y vais.

- Tu ne m’as pas compris. Toute ton unité.

- Je vois, on s’y rend sur le champ.


Les filles de Spica les rejoignirent sur le chemin et une sorte de malaise plana sur le groupe.

“Pourquoi est-ce que j’ai le sentiment que c’est moi le problème ?”

Elle avança discrètement à la hauteur de Louise et Manabu.


- C’est quoi cette ambiance ? Elles sont aussi intervenues sur un “champ de bataille” ?


Manabu fronça les sourcils, intrigué.


- Pas à ma connaissance.

- Hum, c’est moi ou… ?

- Reiko.


La pilote fit volte face, un brin crispée.


- Commandant Reinhart.

- Tu as un petit instant ?

- Euh.. Oui.. Sauf si…


Schwanhelt Bulge acquiesça.

Cette confrontation, dont elle ignorait la teneur, l’inquiétait. Bruce lui adressa un clin d'œil détendu et Louise un petit signe d’encouragement.

Quand les deux sections eurent disparu, Julia s’inclina.


- Je tenais à m’excuser au nom de mon peloton. C’est notre erreur qui a entraîné ton renvoi.


Reiko tomba des nues.


- Non, absolument pas… Je suis la seule responsable. J’aurais dû vérifier avant de tirer. C’est mon jugement qui est en cause. Je vous en prie, vous n’avez rien à vous reprocher. Oublions cette histoire, d’accord ?

- Faisons ça, accepta-t-elle en lui prenant les mains.


Elles pénétrèrent dans l’immense salle dotée d’une estrade et Reiko se faufila jusqu’à son unité. Elle se cala entre Manabu et Louise.


- Alors ?, l’interrogea son amie. Elle te voulait quoi ?

- Rien de spécial.

- Hum ?


Une très belle femme monta sur la scène. Ses longs cheveux bleus formaient une traîne derrière sa robe d’une couleur similaire.


- Layla Destiny Shura, chuchota Manabu. La Haut Commandante.


“La fameuse. Celle qui a des liens étroits avec Maetel.”


- Nous nous réunissons aujourd’hui dans de tristes circonstances. Vous n’ignorez pas que la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques doit faire face à une attaque dont l’ampleur et la violence sont sans précédent. Plusieurs de nos stations ont été détruites par des bombes d’une origine inconnue. Vous avez été nombreux à être témoin des abominations engendrées par ces actes terroristes.


Reiko serra les poings en songeant aux corps ravagés des enfants qu’elle avait récupérés.


- À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure d’identifier les coupables mais nos meilleures équipes d’analystes y consacrent tous leurs efforts. 


Elle fit un pas en avant en posant la pulpe de ses doigts contre son cœur.


- Nous ne savons pas quelles épreuves l’avenir nous réserve. Soyez prudents et vigilants. Toute la Space Defence Force est en alerte maximale tant que nos ennemis ne seront pas identifiés et appréhendés. Je vous remercie d’avance de votre entière collaboration.


Layla Destiny Shura s’inclina devant son auditoire tandis que celui-ci se levait en effectuant le salut militaire de la SDF. Elle se retira ensuite et l'unité Sirius quitta la salle en traînant les pieds.

Schwanhelt Bulge, constatant l’état de fatigue dans lequel se trouvaient les membres de sa section, décida de leur donner congé pour la fin de la journée. Il les prévint toutefois qu’ils pouvaient être rappelés à tout moment.

Ceux-ci ne contestèrent pas l’ordre de leur Commandant et sortirent du Quartier Général sans passer par les vestiaires.

Lorsqu’ils arrivèrent dehors, il pleuvait à verse.


- Je te raccompagne, trancha Bruce. Tu loges à l’autre bout du lotissement.

- Et moi ?, intervint David, mutin. Tu me proposes pas ?

- Toi, t’es un grand garçon, tu te débrouilles. Y’a que deux places dans mon auto. Allez à plus.


Reiko salua ses partenaires et suivit le sniper jusqu’à sa voiture. Elle siffla en découvrant le coupé sport noir.


- Je vois qu’on ne se refuse rien.

- Si tu critiques, tu marches.


Elle sourit en s'installant sur le siège passager.


- Je critiquerai plus tard, là il fait trop mauvais.


Bruce mit le contact, fit ronfler le moteur, crisser les pneus et fusa en avant. Reiko boucla sa ceinture au moment où la voiture bondissait sur le bitume. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils étaient parvenus jusqu’à l’immeuble où elle habitait.


- Repose-toi et ne cogite pas trop, okay ?


Il se pencha pour l’embrasser et elle eut le plus grand mal à se détacher de cette étreinte.


- À demain, dit-il quand elle claqua la portière.


Reiko observa la voiture s’éloigner, le cœur lourd. Elle fixa l’entrée de son bâtiment, indécise. Elle redoutait l’instant où elle allait se retrouver seule dans sa chambrée.

“La nuit va être éprouvante.”

Ses cauchemars récurrents, doublés à la mission journalière, n’allaient sûrement pas faire bon ménage.

Finalement, elle fit demi-tour et reprit la route du quartier général, incertaine de sa future destination.

“Je n’ai pas la moindre idée de ce que je suis en train de faire. Je sais juste que je n’ai pas la foi de rester seule cette nuit.”

Elle chemina une bonne vingtaine de minutes sous des pluies torrentielles. 

“J’ai la sensation d’avoir pris vingt kilos.”

Elle hésita à une intersection et opta pour la ruelle de droite qui lui paraissait familière.

“C’est dans ce quartier… Ou peut-être celui d’après.”

Les dents claquant sous l’effet du combo froid-pluie, elle arriva devant l’immeuble.

“J’y vais ? Ou non ? Il va trouver ça bizarre si je sonne. Et si je le dérangeais ? ”

Prenant son courage à deux mains, elle poussa le battant.

“C’est quel étage ? Je vais inspecter les boîtes aux lettres.”

Des litres d’eau se déversaient de sa veste et une flaque se formait à chacun de ses pas.

“Appartement 309.”

Épuisée, elle grimpa les escaliers au ralenti.

“Qu’est-ce que je fais au juste ? Je me pointe comme une fleur au milieu de la soirée. Qu’est-ce qu’il va penser de moi ?”

Presque contre sa volonté, elle se vit toquer sur le panneau en bois. Elle entendit des mouvements de l’autre côté et la porte s'entrouvrit.


- Salut, croassa-t-elle.

- Bon dieu, qu’est-ce que tu fabriques ici ?

- Je suis désolée.


Bruce la tira à l’intérieur.


- T’es trempée. Pourquoi tu m’as pas appelé ? 

- Je.. Suis désolée.

- Arrête de t’excuser. T’aurais dû le dire que t’avais pas envie d’être seule.

- J’en savais rien jusqu’à ce que tu t’en ailles.


Il la détailla, quelque peu alarmé puis, sans plus de détour, fit sauter les pressions de sa veste.


- Déshabille-toi, tu vas attraper la mort. Faut que tu prennes une douche chaude, sinon c’est la pneumonie assurée.


Reiko contempla ses vêtements qui détrempaient le carrelage. Les restes de l’éducation nippone qu’elle avait reçue resurgirent et elle jugea inconvenant de noyer l’appartement de son hôte d’un liquide sale et malodorant.


- Oui, d’accord.


L’esprit un peu embrumé par les événements récents et l’atmosphère glaciale de l’extérieur, elle ôta ses bottes et les posa sur le paillasson. Elle s’attaqua ensuite au pantalon en toile qui lui collait à la peau et termina en retirant son pull, qui s’était transformé en une éponge géante.

De la salle de bain émanait le bruit de l’eau s’écoulant dans une baignoire. Reiko se dirigea vers la cuisine et essora ses habits dans l’évier.

“Je suis vraiment impolie. Je m’invite chez lui et je dégueulasse les lieux.”


- Je t’ai fait couler un…


Bruce se figea. 

“Elle est… Elle est… Elle m’a pris au pied de la lettre.”

Incapable de dévisser son regard de sa petite amie, il demeura bras ballants, une serviette pendant mollement à son poignet.

Quand Reiko se retourna, son cœur rata un battement et son cerveau se mit en pause.

“Putain. Putain. Putain.”

Ses sous-vêtements blancs humides ne dissimulaient rien de son anatomie et une bouffée de chaleur fit grimper sa température corporelle de plusieurs degrés.

“Okay, contrôle. Tu peux contrôler.”


- Va… Te laver, grogna-t-il en lançant une serviette sur la jeune femme.


Les réflexes diminués en ce début de soirée, elle ne bougea pas.


- Je t’ai préparé un peignoir.

- Okay. Merci.


Elle se pencha et ramassa le linge. Bruce, proche de l’apoplexie, préféra s’isoler dans le salon.

“Si je reste une seconde de plus dans cette pièce, je ne réponds plus de rien. Elle a pas conscience de l’effet qu’elle a sur moi. Elle a tellement de complexes qu’elle est persuadée qu’elle n’a aucun charme. C’est pas croyable une naïveté pareille.”

Sitôt Reiko dans la salle de bain, il ouvrit la fenêtre.

“Je vais la rejoindre ? Non, trop prématuré. Bouge pas. Si elle voulait que tu viennes, elle te l’aurait dit. Sauf si… Putain, Bruce, ressaisis-toi.”


L’écart de température était tel que le liquide lui brûla la peau.

“J’espère qu’il ne va pas se faire trop d’idées. J’aurais peut-être dû aller chez Louise.”

Grandir dans la rue, puis sur un vaisseau pirate, l’avait rendue impudique. La nudité et l’intimité sont des préoccupations secondaires quand chaque jour est une lutte pour la survie.

“De toute façon, autant qu’il sache à quoi je ressemble. Je suis loin d’être aussi belle et filiforme que Louise, Yûki ou les filles de Spica.”

Elle se savonna et, une fois propre et rincée, elle se sécha et enfila le long peignoir blanc de Bruce. Elle le noua à la taille et sortit de la pièce où régnait une chaleur proche de celle d’un hammam.

L’artilleur était assis dans le canapé, attelé à démonter et nettoyer son arme de service.


- Est-ce que.. Est-ce que je peux dormir ici cette nuit ? Juste… Dormir.


Bruce ne leva pas les yeux de son ouvrage.


- Si tu veux.

- Tu es sûr ? Ça ne te pose pas de problèmes ?

- Non, c’est bon. J'ai mis ton uniforme sur l'étendoir. 

- C'est gentil, répondit-elle en y suspendant également ses sous-vêtements.


“Je m’attendais à ce qu’il me charrie. Il est bizarre.”

Un peu nerveuse, elle s’avança dans le salon et s’installa près de lui.

“On dirait qu’il refuse de me regarder.”


- Quelque chose ne va pas ?, commença-t-elle, perplexe.


Il prit une profonde inspiration et risqua un oeil vers la pilote.

“C’est pas humain d’être aussi désirable.”


- T’as faim ?, demanda-t-il brusquement.


Elle hocha la tête.


- D’accord.


Il bondit sur ses pieds et se rua vers la cuisine.


- Des œufs au plat et du bacon, ça te va ?

- Bien sûr. Je vais t’aider.

- Détends-toi, je m’en occupe.


Elle tira une chaise et l’observa travailler. Les odeurs qui envahirent la cuisine la firent bientôt saliver. Le dîner fut rapidement servi et elle s’y attaqua avec appétit.


- Trop bon.

- N’en fais pas trop, ce n’est pas de la grande cuisine.


Elle lui adressa un sourire lumineux qui le fit piquer du nez dans son assiette. Ils discutèrent encore un bon moment avant que Reiko ne se mette à bailler.


- Je vais gonfler mon matelas pneumatique, je te laisse le lit.


Il marqua un silence.


- Sauf si t'as envie qu’on dorme ensemble.

- C’est… C’est… Ce que tu voudrais ?


Il soupira.


- C’est ce que n’importe quel homme voudrait, Reiko.


“Surtout après ce que j’ai vu.”

Elle s’empourpra.


- Seulement pour dormir, hein ?

- Si c’est ce que tu souhaites, oui.

- D’accord.


Il lui désigna la porte de la chambre.

Elle acquiesça et entra dans la pièce. Celle-ci était propre et meublée sobrement, comme le reste de l’appartement. Elle s’allongea sur le lit et écouta les bruits de l’eau se répandant dans l’évier.

“J’aurais dû partir… Je suis inconsciente… Je suis…J’dois me brosser les dents…”

Le fil de ses pensées se rompit quand elle s’endormit.


Bruce pénétra à son tour dans la chambre et s’immobilisa en découvrant la jeune femme, recroquevillée en position foetale.


- Je ne vais pas fermer l'œil de la nuit, marmonna-t-il en prenant place à côté d’elle.


***


-…Lock… Ne m’oblige pas… Là bas…


Bruce émergea lentement du profond sommeil dans lequel il était plongé et il lui fallut plusieurs secondes pour s’habituer à la pénombre ambiante. Il remarqua alors Reiko qui gémissait, des gouttes de transpiration perlant sur son son front.


- Har… Lock… J’ai peur… Trop… Sang…

- Reiko, tu fais un cauchemar…


Il essaya de la secouer mais elle ne se réveilla pas.


- Hé, ça va aller…


Des larmes ruisselèrent sur les joues de la jeune femme. Sans réfléchir, il l’attira contre lui et caressa ses cheveux jusqu’à ce qu’elle se tranquillise.


- Dé… Solée…

- C’est rien.


Elle ne tarda pas à se rendormir, ce qui ne fut pas le cas de Bruce, troublé par cette présence rapprochée.

“Elle ne fera rien pour m’épargner.”


Des rayons de lumière traversèrent les persiennes de la chambre et, peu de temps après, le réveille-matin sonna.

Le sniper le chercha à tâtons et l’éteignit en grommelant.

Toujours allongée sur son torse, sa petite amie ronflait doucement.


- Hé, la belle au bois dormant, c’est l’heure, l’avertit-il en déposant un baiser sur son front.

- Déjà ?, dit-elle en se relevant, les yeux mi-clos.


Il se frotta les paupières, éreinté. Lorsque sa vision s’éclaircit, il manqua de s’étouffer.

“Okay là, c’est trop me demander.”

Il lorgna sur Reiko en train de s’étirer, le peignoir ouvert jusqu’au nombril, et dû faire appel à tout son self-control et à son sang-froid de tireur d’élite pour éviter de se jeter sur elle et d’arracher le peu de tissu qui la couvrait encore.

Il s’assit, les mâchoires crispées.


- Je te préviens tout de suite. Si tu ne fermes pas ça immédiatement, je m’occupe de ton cas ici et maintenant.

- Hein ?


Il lui désigna sa poitrine dénudée.


- Tu le fais exprès pour me torturer ? Parce que c’est à tes risques et périls.

- Je… Non ! Evidemment que non !, dit-elle en s'écartant, basculant du lit par la même occasion.

- Hé, panique pas comme ça.


Aussi écarlate que le Flame Swallow, elle lui tourna le dos pour lacer le vêtement.


- Dis, t’as jamais été avec un homme pas vrai ?


Elle secoua la tête négativement, incapable de répondre à une question aussi intime.


- T’en fais pas, je le savais. C’est pas un problème, alors arrête de stresser. On ira à ton rythme. Sauf si tu te déshabilles encore devant moi, vu ?

- Je vais mettre mon uniforme !, dit-elle en s’éclipsant précipitamment la pièce.


Il s’adossa contre son oreiller en riant sous cape.

Il n’était pas étonné que Reiko soit une novice des relations amoureuses. Ce n’était pas sur son vaisseau pirate qu’elle aurait pu rencontrer qui que ce soit. Et, avec son doberman de père et son pitbull de grand frère, le peu de candidats risquaient de se défiler de crainte d’être transformés en passoire humaine.


- Il peut toujours essayer avec moi le pirate, il va pas être déçu du voyage.


Reiko se calfeutra à double tour dans la salle de bain, encaissant le choc du réveil avec difficulté.


- La honte, la honte, la honte…


Elle pendit le peignoir et se vêtit en quatrième vitesse. Elle peigna sa chevelure avec ses doigts et se rinça le visage avant d’entrouvrir la porte.


- Dis, est-ce que t’aurais une brosse à dents… ?

- Sous l’évier. Si t’es pas nue, je peux entrer aussi ? Ou même si tu l’es mais il faudra qu’on prenne une douche av…


Le battant claqua, interrompant le sniper. Ce dernier ne put s’empêcher de sourire en allumant la gazinière pour préparer le petit-déjeuner.

“C’est trop facile de l’embêter.”


- Tiens, te voilà. J’ai cru que tu sortirais jamais.

- Moi aussi, marmonna-t-elle.

- Dépêche-toi de manger ou on va être en retard.

- T’as fait des pancakes ?, s’écria-t-elle avec enthousiasme.

- Ouais, sers-toi mais laisse m’en un peu, se moqua-t-il.


En formulant ces mots, il ne s'attendait pas à doucher aussi sec l’appétit de Reiko, qui se pétrifia au-dessus de l’assiette.


- Qu’est-ce que t’as ? Je plaisantais.

- C’est parce que je suis… Je suis… Que tu dis ça ?

- Que t’es quoi ?, la questionna-t-il.

- T’as compris.

- Ben au risque de te décevoir, non.

- Je suis pas comme les filles de Spica. T’as bien dû voir, t’es pas aveugle.

- Les filles de Spica ? Les analystes ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Reiko, je ne sais pas où tu veux en venir mais écoute-moi une bonne fois pour toute. Tu es désirable au-delà du raisonnable et je dois actuellement lutter de toutes mes forces pour ne pas te faire l’amour sur le champ. C’est plus clair, là ?


La pilote piqua un fard, décontenancée.


- Oui.

- Bon, maintenant tu manges. 


Moins de vingt minutes plus tard, ils quittèrent l’appartement pour le Quartier Général. Toujours en état de sidération, Reiko cogitait sans réussir à mettre de l’ordre dans ses pensées.

“Jamais j’aurais cru faire cet effet à quelqu’un un jour. Jamais au grand jamais.”

Elle aussi avait très envie de céder à ses pulsions. Bien que ses souvenirs de la nuit soient flous, ses mains avaient gardé en mémoire la forme des muscles du sniper.

Cependant, tout cela, c’était nouveau et elle avait peur de ne pas être à la hauteur de ses standards habituels.

“Il a dû avoir tellement de conquêtes. Je pourrai jamais rivaliser, quoi qu’il en dise.”

Bruce capta le regard de Reiko et eut un sourire en coin.

“Crois-moi, tu regretteras pas de partager ton lit avec moi.”

Il gara son coupé noir et ils traversèrent le hall principal au pas de course.


- Je dois aller aux vestiaires.

- Okay, je file à la salle de pause, répondit Reiko. À tout de suite.


Ils s’embrassèrent et se séparèrent à une intersection. La jeune femme continua sa route et aperçut bientôt un visage familier.


- Louise !

- Comment tu vas ? T’as pu dormir ?, l’interrogea-t-elle.

- Tu fais allusion à la mission d’hier ? Ouais, ça a été et toi ?

- Pas trop mal vu que j’ai pas eu besoin de porter des cadavres.


Elles poursuivirent leur discussion près d’un distributeur de sodas.


- Vega, lâcha l’officière radar.


Reiko fit volte face brusquement.

“Edwin Silver.”

Elle souffla de soulagement et se pencha pour ramasser les trois cannettes.


- T’en as pris une pour Bruce.

- C’est son truc cette horrible boisson à la fraise.

- Je suis sûre qu’il n’y a que lui qui en boit.

- C’est certain, gloussa-t-elle.


Un ricanement mauvais retentit derrière elles.


- C’est bien, il y en a qui sont heureuses, peu importe le mal qu’elles font autour d’elles.

- Qu’est-ce que tu sous-entends, Silver ?, demanda Louise, irritée.

- Que ta copine, c’est la pire des garces.

- Pardon ?, s’étouffa Reiko.

- Fais pas l'innocente, brunette, gronda-t-il.

- Je ne…


Un liquide froid et gluant éclaboussa la peau de Reiko, tâchant son uniforme au passage. Elle poussa un cri de surprise et les sodas qu’elle tenait s’écrasèrent contre le carrelage.


- T’es malade ?, hurla Louise.

- Fallait pas blesser mon ami. Sale petite traînée.


Sous le choc, la pilote ne pouvait que contempler les dégâts.


- Tu exagères, je n’ai pas…


Une silhouette frôla son épaule et elle hoqueta quand le poing de Bruce explosa l’arcade sourcilière de l’artilleur de Vega. Celui-ci roula au sol, copieusement amoché.


- Espèce d’abruti, fulmina Bruce. Je vais te faire passer l’envie d’insulter les femmes. En particulier si elle sort avec moi.

- De quoi tu te mêles, blondinet ?

- C’est bon, arrêtez !, protesta Reiko. Vous avez perdu la raison ?


Elle s’approcha pour tirer Bruce en arrière au moment où ce dernier se baissait pour esquiver le direct du droit de Silver.

Direct du droit qui percuta de plein fouet le nez de Reiko.

Un craquement sec lui vrilla les tympans et elle s’effondra, complètement sonnée.

Du sang coula abondamment sur sa veste et des étoiles dansèrent devant ses pupilles.

Louise s’agenouilla à son chevet, cédant à la panique.


- Vous êtes dingues !

- Je vais te dégommer, persifla Bruce. Quand j’en aurai fini avec toi, même ta mère pourra pas te reconnaître.


Silver, sous le choc, recula d’un pas.


- C’est quoi ce bordel ?, beugla Murase en sortant de l’auditorium.

- Bon dieu, s’énerva Bulge. Qu’est-ce qui vous a pris ?

- Ce taré lui a cassé le nez, s’offusqua Louise.


Médusé, Le Commandant du peloton Vega reporta son attention vers Silver.


- Ne me dis pas que tu es responsable de ça. Que tu as levé la main sur une femme.

- Si, asséna Louise. Et il lui a balancé du soda en pleine figure pour faire bonne mesure, cette espèce de…

- C’était… Un accident… Je visais ce sale type…

- Dans mon bureau, l’admonesta Murase. Immédiatement. Je n’ai pas de mots pour exprimer à quel point je suis déçu et en colère.


Le sniper se désintéressa provisoirement d’Edwin pour empoigner Reiko.


- Je l’emmène consulter Yûki.

- Non, tu restes là, ordonna Bulge. Crois pas que j’ai oublié que tu t’es battu aussi.

- Laisse tomber, j’aurais fait pareil à sa place et toi aussi, dit Murase.


Ses esprits retrouvés, Reiko repoussa son petit-ami.


- Vous êtes des brutes. L’un comme l’autre. Je peux marcher seule.

- Je t’accompagne.

- Pas la peine, Louise est là.

- Très bien, vas-y, autorisa le Commandant.


Furieuse, elle pinça ses narines pour empêcher l’écoulement hémorragique de ruiner davantage ses habits.


- La nuque en arrière, lui conseilla l’officière radar. Oui, comme ça. Dépêchons-nous.

- Ils sont idiots, nasilla-t-elle, furieuse.

- Et encore, t'es gentille.


Lorsqu’elles furent hors de vue, Bruce ramassa la canette cabossée et la serra si fort entre ses doigts que le jus commença à imbiber ses gants.


- J’emmène celui-là, décida Murase.

- Toi aussi, intima Bulge d’une voix lasse à l’intention de son artilleur. T’en as assez fait comme ça.


“Si Warrius Zero découvre que sa protégée s’est faite agresser, je donne pas cher de notre Compagnie.” 


***


Reiko frappa à la porte du bureau du Commandant de l’unité Vega. Sitôt sa blessure pansée par l’infirmière, elle avait reçu une convocation. N’ayant pas pris le temps de se changer, elle portait toujours sa veste ensanglantée.


- Entre.


Elle s’avança, la mine sombre.


- Merci d’être venue si vite. Assieds-toi.


Murase la détailla, contrarié.


- Le geste d’Edwin ou plutôt, les gestes, sont intolérables. Je m’excuse que tu aies dû subir ça.

- Vous n’avez bas besoin, rétorqua-t-elle, mal à l’aise.

- Bien sûr que si.


Il posa une feuille devant Reiko.


- Tu as le droit de porter plainte. Tu n’as pas à t’inquiéter des conséquences, car pour toi il n’y en aura aucune.

- Et bour Bruce ?

- Non plus.


Elle réfléchit un instant.


- Concernant Silver… ?

- Le conseil de discipline et une mise à pied immédiate. Encore une fois, tu n’as pas à te sentir coupable vis-à-vis de lui.


Reiko se leva en rejetant ses cheveux derrière son épaule.


- Bas la peine d’en arriver à cette extrémité, Commandant. J’ai assez sebé le chaos comme ça.


Un léger sourire étira les lèvres de Murase.


- T’es sûre de toi ?

- Oui, c’est inutile. La Space Defence Force a d’autres chats à fouetter et elle beut bas se passer de ses agents les blus compétents. Tout ce cirque bour un nez cassé… Ça vaut pas le coup. Je beux y aller maintenant ?

- Oui, merci.


Elle s’inclina et vida les lieux avec un soulagement non dissimulé. Murase pianota sur sa montre et, quelques minutes plus tard, Edwin Silver se présenta à son tour.


- Je suis renvoyé, c’est ça ?

- Tu le mériterais mais la stagiaire a sauvé tes fesses.

- Pas vrai.


L’artilleur siffla, interdit.


- Ouais, t’as bien entendu. Toutes les charges sont abandonnées mais au prochain faux pas, je te garantis que Bruce sera le moindre de tes soucis.

- Compris.

- T’échapperas pas à une sanction pour autant. Si y’a un truc qui m’horripile par-dessus tout c’est les violences contre les femmes. Schneider peut régler ses problèmes tout seul. D’ailleurs, à mon avis, il va pas apprécier que tu t’en sois pris à elle. Enfin, bref. Et, un dernier conseil, garde tes distances avec face de fraises. Il est sûrement en train de planifier ton exécution. Et tu présenteras tes excuses, condition sine qua non pour que je te vire pas sur le champ. 

- Bien reçu, soupira-t-il.

- Allez, fiche-moi le camp d’ici.

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