A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 29 : Adieu, camarade !

6360 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/11/2023 20:21

Chap 29 : Adieu, camarade !


Schwanhelt Bulge acheva la lecture de son compte-rendu.

Puis, il avisa sa pilote qui dansait d’un pied sur l’autre, visiblement préoccupée.

Il soupira avant de rabattre le dossier. 


- Reiko, il y a énormément de choses dans ce rapport.

- Oui, Commandant.

- Énormément d’erreurs, insista-t-il.

- Je sais… Commandant, dit-elle en baissant la tête.

- Nous avons eu de la chance dans notre malheur puisque l’espion et l’intégralité des invités sont restés sur Améthyste après l’attentat lors du discours de Rosalie Rosenwald.

- J’aurais dû… Être plus vigilante. La fuite dans la réserve de la boutique était aussi une erreur de jugement monumentale. Tout est entièrement de ma faute.


Bulge posa son menton sur le dos de ses mains entrelacées.


- Non, pas entièrement, n’exagérons rien… Bien que larguer la princesse cadette au milieu de la ville, alors que toute une armada de mercenaires était à ses trousses, n’était probablement pas la décision la plus judicieuse. Qui plus est en lui fournissant une arme de soldat qui a failli nous priver de notre tête de mule d’artilleur.


Remarquant qu’à l’énoncé de ce constat sa nouvelle recrue était à deux doigts d’éclater en sanglots, le Commandant décida d’abréger ses souffrances.


- Murase m’a également raconté ce qu’il s’est passé à bord de l’Iron Berger et je tenais à te féliciter de ton attitude. Tu t’es bien adaptée au fonctionnement de la section Vega. Mention spéciale pour l’analyse du vaisseau et l’intervention auprès des blessés. En résumé, Murase n’a pas tari d’éloges à ton sujet.

- Vrai… Vraiment ?

- Il m’a même demandé si tu souhaitais intégrer son unité.


La respiration de Reiko s'emballa.


- Et… Et qu’avez-vous répondu ?

- Que cette décision n’était pas de mon ressort, mais du tien.

- Je… Je ne désire pas…


Bulge eut un petit sourire.


- Je me doutais qu’une bonne raison aux cheveux blonds et aux yeux bleus te retiendrait parmi nous.

- Ce n’est pas… Uniquement ça. J’ai trouvé ma place au sein du peloton Sirius et je m’y sens bien. Je vous promets de devenir plus compétente. Je m'entraînerai sans relâche. Je ne vous ferai plus honte. Je m’améliorerai encore et encore jusqu’à ce que vous soyez fier de moi et de mon travail.

- Reiko… Tu ne m’as jamais fait honte et je suis déjà fier de toi et de toute ma section. Je ne voudrais te voir partir sous aucun prétexte. Je ne te cacherai pas que tu as des progrès à faire mais tu es sur la bonne voie. Continue les simulations ainsi que les exercices avec Bruce et Manabu. Tes résultats sur les épreuves de tir s’en ressentiront rapidement. 

- Merci…

- Reiko ne pleure pas, lui intima-t-il d’une voix douce. Je ne te réprimande pas. Même si la famille royale n’a pas poursuivi la tournée des princesses pour des motifs de sécurité évidents, elle a chaleureusement remercié la SDF de ses actions. Ton nom et celui de Louise ont même été expressément cités par la reine Erya. Donc, le bilan de cette mission reste positif malgré tout.

- Je vous suis reconnaissante de ces paroles. Si vous le permettez, je prends congé.


Elle s’inclina profondément, les épaules agitées de tremblements.


- Merci, Commandant.

- Tu l’as déjà dit, nota-t-il avec un léger rire tandis que le battant claquait. 


Adossé au mur en face du bureau de Bulge, Bruce patientait, le visage fermé. 


- Alors ?

- Pas aussi catastrophique que prévu.


Les yeux du jeune homme s’écarquillèrent.


- Bah… Pourquoi tu pleures ?

- C’est les nerfs qui lâchent, t’inquiète pas.

- Chaton…


Elle l’enlaça pour se donner une contenance.


- Murase veut me recruter.

- Pardon ?, s’étouffa le sniper.

- J’ai dit non, tu penses bien.

- Manquait plus que ça, grogna-t-il.

- Après ma prestation plus que moyenne sur Améthyste, la mise à pied me pendait au nez.

- C’était pas si mauvais.

- Bruce, s’il y en a bien un qui doit être honnête avec moi, c’est toi !

- La dernière fois, ça m’a pas réussi, maugréa-t-il en songeant à son entrevue avec Reiko après son renvoi suite à l’affaire sur le Galaxy Express 999.


Elle lui adressa un regard suppliant.


- Bon, d’accord, t’aurais pu mieux faire. Je vais reprendre ton entrainement en main. On travaillera plus durement, plus longuement et plus fréquemment !

- Hum ! Je ferai de mon mieux, accepta-t-elle en serrant les poings.

- Je sais, dit-il en l’embrassant dans le cou. Et après l’effort, le réconfort. Compte sur moi pour te détendre comme il se doit.


Pour appuyer ses propos, il glissa ses doigts sous son pull, suivant la ligne de la colonne vertébrale, goûtant le contact avec le grain de sa peau.


- On commence par le réconfort ?, lui susurra-t-il.

- Main… Maintenant ?, haleta-t-elle alors que sa température corporelle grimpait en flèche.


Une alarme retentit dans le couloir, faisant par là même sursauter la militaire.


“Pelotons Sirius, Rigel et Altair, départ immédiat !”


- Je garde ce programme sous le coude pour ce soir. Dire que tu rougis encore, c’est trop mignon.

- Bruce, tu es direct, évidemment que je… Je…

- Il est temps que tu emménages avec moi, la coupa-t-il. Ce serait plus simple au quotidien. Exit les allers-retours pour récupérer tes fringues et ton bazar.

- Hein ?, dit-elle, abasourdie.

- Ouais, j’y réfléchis depuis un petit moment déjà. T’es pas obligée de me donner ta réponse aujourd’hui mais mon appartement vaudra toujours mieux que le cagibi où tu vis. Cagibi dans lequel tu n’as pas mis les pieds depuis longtemps puisque tu dors toutes les nuits avec moi. Enfin dormir… Si on peut appeler ça comme ça, ricana-t-il.

- Bruce !, s’écria-t-elle en lui couvrant la bouche.


Le Commandant venait d’ouvrir la porte de son bureau à la volée.


- L’alerte n’était pas suffisamment claire ? Vous croyez que les systèmes de Big1 vont se vérifier tout seuls ?

- Dé… Désolée !

- On était sur le point de partir.

- Oui, c’est ce que je vois. Allez, au boulot !


*** 


- C’est bel et bien une gare désaffectée.

- Ouais.

- Il n’y a personne.

- Ouais.

- Je comprends encore moins ce qu’on est venus faire ici.

- Ouais.

- Bon les siamois, vous arrêtez votre manège insupportable ?, s’exaspéra David.


Manabu et Reiko partagèrent une oeillade interrogatrice.


- Vous êtes irrécupérables tous les deux. Bruce, je ne sais pas comment tu fais pour te coltiner l’un comme coéquipier et l’autre comme fiancée.

- On n’est pas… On n’est pas…

- Hé !, protesta Manabu.

- Je me demande aussi, intervint l’artilleur en se pinçant les narines.

- Goujat, marmonna-t-elle.

- Avoue que c’est ce qui te plaît chez moi.

- Non, absolument pas.

- Menteuse, dit-il en lui faisant une pichenette sur le front.

- Les enfants, un peu moins de papote et plus d’action !

- J’ai déjà entendu ça, ronchonna-t-elle en faisant quelques pas sur le quai poussiéreux.


Le Commandant les rejoignit, dubitatif.


- On nous a signalé ici des activités suspectes. 

- De l’ordre du trafic de substances illicites ?, le questionna Louise.

- Précisément. Et même si elles ne sont plus en fonctionnement, la Compagnie refuse que ses infrastructures soient utilisées à des fins de détournements et de malversations. 

- Hum, on inspecte les lieux ?

- Oui, on va se diviser en binôme et…


Un sifflement strident résonna dans l’atmosphère, se répercutant en un écho infini entre les murs de la gare.

Les membres de l’unité Sirius levèrent le nez en l’air et aperçurent avec stupeur qu’une locomotive était en approche. 


- Un Galaxy Express…, balbutia Reiko.

- … Va atterrir ici ?, termina Manabu.

- Ils remettent ça. Vous êtes tous témoins ? Ils recommencent !, s’irrita David.

- Il ne possède pas…

- … D’immatriculation.

- Y’a vraiment que moi qui trouve ça bizarre ?, se récria l’ingénieur.


Schwanhelt Bulge plissa les paupières.


- Ils ont raison, regardez.


Le train heurta les rails sur la voie voisine de celle de Big1. Ses couleurs bleues et argentées étaient défraîchies et sa carlingue bosselée, voire rouillée, par endroit.


- C’est quoi ce bordel ?, interrogea l’artilleur à la cantonade. 

- On ne va pas tarder à le savoir, trancha le Commandant.


Les freins crissèrent et l’express s’immobilisa. Les soufflets propulsèrent une nuée de vapeur sur le quai, brouillant temporairement la vision des équipiers de la Space Defence Force.

Bruce fut le premier à émerger du brouillard.


- Commandant, permission de…


Le sniper eut un hoquet de surprise en reconnaissant l’une des silhouettes dans le second wagon.

“C’est… C’est impossible...”

Il s’avança tel un robot pendant que ses partenaires s’ébrouaient, hésitants sur la conduite à tenir.


- Que fait-on ?, demanda Louise. Peut-être pourrait-on chercher le contrôleur ?

- Hé vieux, t’as un problème ?, éructa David.


Tel un cheval fou, Bruce dégonda la porte de la voiture la plus proche et bondit à l’intérieur du train sans numéro. 

“Je dois le voir… Je dois le voir par moi-même.”


- Hé ! Attends !, l’interpella le fils de Kanna en s’élançant sur ses traces.


Reiko voulut faire de même mais la poignée s’était verrouillée derrière le passage du sniper et, malgré sa ténacité, Manabu ne réussit pas à l’ouvrir.


- La loco, elle démarre !, s’affola Louise.

- Quoi ?, s’alarma la pilote. Mais il est… Il est encore…!

- Je vais briser la vitre, décida le jeune homme avec détermination.


Il n’en eut pas le temps car l’express se mit en marche, décollant au vu et au su du peloton Sirius. Ils eurent beau s’acharner sur les portes et les fenêtres, l’inéluctable se produisit.


- Il est parti, lâcha Reiko, hors d’haleine.


*** 


Un silence pesant avait investi la “control room” de Big1, faisant suite à l’hystérie collective qui s’était emparée de chacun après le départ du train mystérieux.

Schwanhelt Bulge avait même été dans l’obligation de hausser la voix pour ramener le calme dans sa section.


- Mais qu’est-ce qu’il s’est passé tout à l’heure ?, tempêta David.


Prostrée sur sa console, Reiko jugulait difficilement sa respiration.

“Que lui est-il arrivé ? Je ne lui ai jamais vu un tel comportement ou un tel regard. Pourquoi est-il monté là-dedans ?”

Sans la présence de Bruce à ses côtés, elle se sentait vulnérable. Elle le percevait comme un pilier sur lequel elle pouvait s’appuyer pour ne pas défaillir.

“Il est aussi fort que je suis fragile.”

Elle était attirée par son magnétisme comme l’était un papillon par la lumière et ce depuis son premier jour à la SDF.

“Et puis je l’aime, ce n’est pas rien.”

Elle jeta un œil sur son fauteuil vide.

“Je n’ai jamais volé à bord de Big1 sans lui. Jamais.”

Reiko tapota sur son clavier, songeuse.


- Il a vu quelque chose à travers la vitre.


Elle fit pivoter son siège pour faire face au Commandant.


- Il avait l’air mortifié… Comme s’il avait rencontré un fantôme.

- Un fantôme ?, répéta Manabu.

- Oui, entérina-t-elle. Il était blanc comme un linge. Enfin, plus que d’habitude.

- Les spectres gravitant autour de Bruce… Ce n’est pas ce qui manque, fit remarquer David.

- Que disent les radars longue distance ?

- Rien, Commandant, les renseigna Louise. C’est comme s’il s’était volatilisé.

- Contactons le QG. Exigeons des informations sur cette locomotive, s’énerva Manabu.

- J’ai déjà essayé, soupira Bulge. Ils m’ont répondu que ce dossier était classé confidentiel et que, par conséquent, personne n’était en mesure de nous aider.

- Confidentiel ? C’est une blague ?, s’agaça Reiko en pensant très sérieusement à abattre ses cartes “Arcadia” et “Karyû”, dont elle se réservait l’usage pour les cas d’absolue nécessité.


Les mâchoires serrées, elle ne conservait son sang-froid qu’à grand-peine.


- Dans ce cas, sollicitons les meilleures.


Louise approuva d’un hochement de tête.


- Oui, il n’y a qu’elles qui sont capables d’une telle prouesse.

- Mais de qui parlez-vous ?, les questionna Manabu, perdu.

- Du peloton Spica !, claironnèrent les filles en cœur. 


***


Face à l’insistance de son équipage, Schwanhelt Bulge céda et appela Julia Reinhart qui accueillit la requête de ses collègues avec effarement.


“- Vous dites que Bruce est entré dans un Galaxy Express sans immatriculation et que le QG a refusé de vous fournir les données pour le retrouver ?”

- C’est ça.

“- Et qu’est-ce qui vous fait croire que je vais vous aider ?”


Un vent de panique souffla sur Reiko.


- Je vous en prie… Je vous en conjure, Commandant. Nous avons besoin de vous. Vous êtes notre… Mon seul espoir !


Le visage de Julia s’adoucit sur l’écran de la visio-conférence.


“- Reiko…”

- Je ferai… Je ferai tout ce que vous voudrez, supplia-t-elle.


Bulge croisa les bras, contrarié par la tournure que prenaient les événements.


“- Allons, tu n’as pas à m’implorer de la sorte.”


Le Commandant rejeta sa chevelure blonde en arrière.


“- Tout ce que je veux, hein ? Si un jour vous avez un enfant, je serai sa marraine. Vu ? Et son deuxième prénom sera “Julia”, garçon ou fille, ça m’est égal.”

- Je.. Euh… C’est pas…

“- Nous avons un accord. Qu’on ne dise pas que le Flame Swallow ignore les appels à l’aide d’une femme amoureuse en détresse.”

- Faut pas…. Abuser, bredouilla Reiko, aussi rouge que le train de l’unité Spica. 

“- Comptez sur nous. Schwanhelt, envoie nous toutes les infos en ta possession et accorde nous une heure pour localiser cette loco.”

- Merci. Je t’en dois une.

“- Tu m’inviteras à boire un verre à notre retour sur Destiny.”


La communication s’interrompit. 


- Qui aurait cru…

- La ferme, David, le rabrouèrent Louise et Manabu de concert.


*** 


Lorsque Bruce réalisa que l’express avait déjà décollé, il était trop tard. Et puis, pour l’instant, rien d’autre n’occupait ses pensées que la silhouette. 

Cette silhouette. 

Que Manabu ou Reiko se fassent un sang d’encre ne lui effleura pas l’esprit. Il contacterait Big1 en temps voulu.

Quand il en aurait le cœur net.

Progressant à grands pas à travers les voitures, il constata qu'elles étaient vides.

Désespérément vides.


- J’ai rêvé ? Halluciné ? Est-ce que je suis devenu fou ?

- Qui sait, partenaire ?


Le sniper se figea, plié en deux, comme si quelqu’un lui avait infligé un uppercut dans l’estomac.


- Non, ce n’est pas possible. Tu es…

- Mort ?


Tel un zombie, Bruce se rapprocha de cette voix familière. Celle qu’il n’aurait jamais cru entendre à nouveau.

Des cheveux châtains en bataille, des yeux bruns rieurs, une mâchoire carrée…


- Tu as oublié que je suis…

- Immortel ?


Owen Smith adressa un sourire lumineux à son équipier de jadis.


- Heureux de te voir en forme, “Shinigami no Bruce” ou plutôt devrais-je dire… Bruce la Mort ! Et si on faisait un bout de voyage ensemble ?


***


Comme un lion en cage, Reiko tournait en rond dans le wagon cafétéria. Elle qui, d’ordinaire, ne buvait que très peu de café en était à sa sixième tasse.

En soixante minutes.

Remontée comme une pendule, elle était proche de l’implosion.

Toutes les promesses qu’elle avait faites au Commandant Bulge n'étaient plus qu’un lointain souvenir.

“Je me sens comme Tadashi, prête à sauter à la gorge du premier venu.”

La porte de la voiture coulissa.


- Koko…

- Ça fait plus d’une heure là, non ?


Manabu se gratta le cuir chevelu, perplexe.


- Oui, sans doute, mais cette détection est complexe. Julia…

- … N’y arrive pas !, vociféra-t-elle en écrasant son poing contre un placard. On perd du temps !

- Sois patiente…

- Et si c’était Louise ? Hein ? Tu le serais, toi, patient ?, railla-t-elle. T’aurais déjà volé un Eagle et tu serais parti à sa recherche avec ou sans l’aval du Commandant ! Plutôt sans, d’ailleurs.


Le jeune homme s’embrasa jusqu’aux oreilles.


- Mais tu… Ne la mêle pas…, dit-il en reculant.

- Très bien. Tu sais quoi ?


La pilote dégaina triomphalement un émetteur longue portée de la poche de sa veste.


- Je convoque la cavalerie !

- La… Cavalerie ?, répéta-t-il, confus.

- Warrius va enfin accomplir son rêve et virer tous ces tocards de la Direction. Même Layla Destiny Shura, ça lui fera les pieds à celle-là. Ils finiront bien par cracher la localisation de ce fichu train s’ils veulent garder leur place.

- T’es complètement folle !


Reiko agita le communicateur sous le nez d’un Manabu dépassé par la situation.


- Je vais faire péter le système. Boum.

- Boum ?

- Exact. 

- Et tu comptes épargner quelqu’un dans ta croisade ?


Elle réfléchit un instant.


- Murase. Bulge. Pas Spica, c’est sûr.

- T’as craqué. Repose ce truc !

- Et encore, t’as rien vu !

- Arrête tes conneries et file moi ton machin !, ordonna-t-il en lui saisissant le poignet.

- C’est mort ! Et si ça marche pas, Harlock se fera un plaisir d’éclater ce foutu QG. Plus de Compagnie, plus rien ! C’est les humanoïdes qui seront contents, tiens ! Ils n'auront pas à se décarcasser, je leur mâcherai le boulot !

- T’as bu ou quoi ? T’es tarée ma parole ! Prends pas de café si tu supportes pas la caféine. Allez, lâche ça !

- Non ! Wawa, t’es là ?, beugla-t-elle en appuyant sur le bouton de l’appareil. C’est bon, t’as ma permission pour buter tous ces connards !

- Buter ?! Putain, Koko ! Tu saoules là !


Manabu enserrait les avant-bras de son amie, qui s’enfonçait dans sa crise d’angoisse.


- Je m’inquiète aussi pour Bruce, t’es pas la seule ! Et là, tu n’aides vraiment pas !

- Moi au moins, je trouve des solutions !

- Des solutions ? T’appelles ça comme ça, toi ?

- Fiche-moi la paix !


Reiko asséna un coup de crâne à Manabu pour tenter de se libérer de son emprise, ce qui eut pour effet de la faire basculer en arrière puisqu’il la repoussa brusquement en criant de douleur.

Le vantail du wagon s’ouvrit alors et la voix aigüe, un brin affolée, de Louise retentit.


- Qu’est-ce que vous fabriquez les débiles ?


C’est à ce moment que le communicateur s’envola et plongea dans la cafetière où il se noya dans un glougloutement qui fut fatal pour ses circuits.


- Tu m’as bousillé l'arête nasale !, se plaignit Manabu, adossé au mur.

- T’avais qu’à pas me piquer mon émetteur !, rétorqua Reiko en se massant les fesses.

- C’est pas bientôt fini les gamineries ? Le Commandant Bulge m’a demandé de venir vous chercher. Le peloton Spica est parvenu à tracer la locomotive sans immatriculation mais… Qu’est-ce que vous faisiez au juste ?


***


Bruce se laissa tomber sur une banquette, totalement sonné.


- Est-ce que je suis mort aussi ?

- Pas que je sache, Speed.

- C’est quoi cet endroit ? Pourquoi… Pourquoi t’es là ?

- Parce que tu m’as invoqué !

- Moi ?


L’artilleur se prit la tête entre les mains.


- Ça y’est je suis dingue, se désespéra-t-il.

- Non, tu ne l’es pas.


Owen posa ses bottes sur la table basse.


- T’es ici parce que tu es pris dans une balance, l’ami.

- Une balance ?

- La balance de la vie et de la mort. Tu n’as pas encore choisi de vivre parce que des chaînes te retiennent.

- À qui ?

- Moi.


Il eut un petit rire.


- Mais aussi à Seo-Jun, à Antoine, Ulric et tous les autres.

- Qu’est-ce que tu racontes ? 

- “Bruce no Shinigami”, tu es à l’intérieur de “Destiny” et seuls ceux qui ont vu la faucheuse de près peuvent y embarquer. Au terme de notre voyage, tu devras choisir.

- Choisir entre quoi et quoi ?

- La réponse est évidente, non ?


***


- Un train nommé “Destiny” ?

- Cobbe la blanète ?

- Oui, Manabu. Comme la planète, répondit Louise.


Elle marqua un silence avant de reprendre, excédée.


- Vous n’avez pas honte de vous battre comme des chiffonniers ?

- C’est elle qui a cobbencé !

- C’est lui qui a commencé !


Les deux catastrophes ambulantes de l’unité Sirius se fusillèrent du regard de part et d’autre de la “control room”.


- Je ne veux rien savoir, trancha le Commandant. Que dirait Bruce s’il vous voyait ? 


Schwanhelt Bulge passa une main sur son visage, soudain très fatigué.


- Ce Galaxy Express est l’un des plus secrets du Galaxy Railways.

- Si secret que même vous, vous ignoriez son existence ?, lança David.

- Oui. Son terminus est inconnu. Les mots exacts de Julia étaient “aux confins de l’univers”. 

- Et on s’y rend comment ?

- Par les portails Alpha du Centaure et Ze-Stormer.

- Qu’est-ce qu’on troubera là-bas ?

- Bruce, déclara Reiko avec hargne.


Elle grinça des dents.


- Et on le ramènera à la maison.


***


- Non, elle ne l’est pas, Owen. Rien de tout ça n’est évident ! Ou même réel !

- Qu’est-ce qui est réel, alors ?


Le sniper piqua du nez au-dessus de la tasse de thé que lui avait apportée le contrôleur, un humanoïde portant l’uniforme de la SDF, mais sans le traditionnel brassard sur lequel était apposé le numéro du train.

Puis, il reporta son attention sur son interlocuteur. Celui-ci semblait être fait de chair et de sang et n’avait pas l’allure fantomatique que l’on attribuait d’ordinaire aux défunts.


- Reiko… Reiko est réelle.

- Ta jolie fiancée ?

- C’est ma réalité. L’ancre qui me retient dans cette vie misérable et pathétique.

- Et pourtant tu es là, non ? C’est qu’au fond de toi, tu n’en es pas sûr.

- Si je le suis !, rugit-il.


Bruce tapa du poing sur la table, hors de lui.

“Elle est tout ce que j’ai toujours voulu. Je ne la laisserais à personne, pour rien au monde.”


- Mais ce jour-là, tu n’aurais pas dû te sacrifier, ça aurait dû être moi. C’était écrit ainsi. Je t’ai arraché ta vie, Owen !

- Et c’est parce que tu crois ça que tu ne parviens pas à profiter de ce qui t’a été accordé.

- Non… Rien ne m’a été accordé, j’ai juste volé… Volé…

- Bruce, l’illusion des humanoïdes était un poison. Il ne reflète ni ma pensée ni celle des autres. Nous ne t’avons jamais blâmé pour avoir survécu.

- Vous, peut-être, mais moi, je ne le supporte pas.

- Tu n’étais pas responsable de notre sort. C’était notre destin.

- Je vous ai abandonnés.

- C’est faux mais tu te complais dans cette croyance.


Pour la première fois depuis des années, des larmes noyèrent les joues de l’artilleur.

Il se sentait perdu, incapable de décider quelle voie emprunter. 

Il se trouvait devant un carrefour qui lui offrait un choix.

Un choix déterminant pour son avenir.

“Est-ce que j’en ai seulement un… ?”


- Si ta vie est un tel fardeau, tu peux y mettre un terme. Nous arrivons bientôt.

- Où ça ?

- À la fin de toute chose. Notre terminus. 


***


- Le passage du second portail s’est déroulé sans problème, les informa Louise. Nous aurons rattrapé Destiny d’ici vingt minutes.

- Je vais b’équiper, les prévint Manabu.

- Moi aussi !, s’exclama Reiko en se levant comme un ressort.

- Vous deux ? Ensemble ?, les coupa le Commandant. 


Manabu et Reiko s’observèrent en chien de faïence.


- Désolée pour ton nez.

- Désolé bour ton émetteur.

- C’est pas grave, j’allais faire une grosse connerie de toute façon. 

- C’est clair.


Bulge haussa un sourcil intrigué avant de leur désigner la porte avec fatalité.

“Je vais assurément le regretter.”


- Allez-y mais pas d’échauffourée à bord, vu ?

- Compris !, répondirent-ils simultanément.


Les deux jeunes gens se jetèrent un coup d'œil entendu et disparurent dans la voiture attenante pour revêtir leurs combinaisons cosmos.


- Il n’est peut-être pas trop tard pour la refiler à Vega. 

- C’est toi qu’on devrait refiler à Vega, David.

- T’es pas jalouse de leur complicité ?

- Pourquoi le serais-je ?, dit Louise en rejetant ses épaules en arrière. Si y’en a un qui devrait être jaloux, ce serait Tadashi.

- Tadashi ? Le Tadashi Daiba de l’Arcadia ?

- Hum.


*** 


Reiko tira la fermeture de son habit, résolue. Puis, elle vissa un casque sur son crâne.


- Manabu.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- J’ai un mauvais pressentiment. Et si…

- Quoi ?

- Et s’il ne voulait pas revenir ? 

- Bourquoi est-ce qu’il…

- Je ne sais pas. Une intuition. Il n’a pas sauté dans ce wagon par hasard. Il ne fait jamais rien à la légère. Il a vu quelque chose j’en suis certaine. Quelque chose de terrible.

- Reiko…

- Quelque chose qui pourrait l’éloigner de nous. Définitivement.

- Tu te fais des idées.

- Peut-être, mais j’ai peur. Je suis carrément morte de trouille.

- Tout va bien se basser, d’accord ?

- Ouais, ouais, t’as sûrement raison.

- J’en suis bersuadé.


Le haut-parleur du vestiaire grésilla. 


“- Nous avons notre cible en visu. Préparez-vous à l’abordage. Nous allons accoster le train par l’arrière.”

- À l’abordage ? Ça m’évoque des souvenirs, s’amusa la jeune femme.

- Allons chercher notre ami, conclut Manabu en serrant le poignet de sa partenaire.

- Oui. Faisons ainsi.


*** 


- Ils sont déjà là ?, s’étonna Owen Smith à haute voix. Ils sont opiniâtres.

- Qui ?, questionna Bruce, qui avait l’impression de nager dans l’océan de confusion le plus total.


Son interlocuteur ne se donna pas la peine de répondre.


- Viens, nous y sommes. C’est l’heure.

- L’heure de quoi ?

- C’est plus Bruce la Mort mais Bruce le Perroquet, maintenant ?

- Owen…

- Quel que soit ton choix il faudra bien, un jour ou l’autre, que tu cesses de te satisfaire de ton malheur et que tu apprennes à marcher tout seul. Et si c’est trop difficile, je suis sûr que ta Reiko t’y aiderait.

- Ne la mêle pas à ça.

- Pourquoi ? Elle y est mêlé depuis que t’as posé les yeux sur elle. Je veux dire : vraiment. C’était où déjà ? Sur la planète de glace, il me semble. Enfin bon, ce n’est pas le sujet, n’est-ce-pas ?


Un sifflement perçant retentit.


- La gare est proche.


*** 


- T’es brête ?

- Ouais.

- Ensemble ?

- Ensemble.


Manabu et Reiko prirent de l’élan et bondirent dans le wagon de queue de Destiny. Ils escaladèrent la rambarde et la pilote tourna la poignée de la porte qui, à sa grande surprise, n’était pas verrouillée.


- Au moins, t’auras bas besoin de défoncer ton auto-mail.

- Ah, tellement trop drôle. Tu prends des leçons avec David ? Ou avec les gars de Vega ?

- Pfff, pouffa Manabu. C’était trop facile.

- Avance tête de pioche.


Précautionneusement, ils pénétrèrent dans la voiture.


- C’est désert.

- Bruce ? Bruce !

- Hé, Koko, attends !


Elle s’élança à pleine vitesse, toute prudence oubliée.


- Et les techniques de vérification ?, haleta son coéquipier.

- On s’en fout.


Reiko avait la sensation que son cœur se comprimait dans sa poitrine à mesure que le temps s’écoulait.


- Chaque minute… Non, chaque seconde compte !


Elle arrachait les vantaux les uns derrières les autres avec une force dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence.


- Putain, mais il est où ?

- I… Ici !


Dans son empressement, elle n’avait pas remarqué que le train s’était stoppé. Elle observa ce que Manabu pointait à travers les vitres de l’express.


- Bruce, dit-elle en reconnaissant sa chevelure d’un blond polaire. Et… C’est qui ce type ?

- Pas possible… Il ressemble à…


Sans tergiverser, elle défonça le battant coulissant d’un coup de pied bien placé et descendit sur le quai sans daigner utiliser le marche-pied.

Bruce et l’homme qui l’accompagnaient firent volte-face.


- Bruce James Speed !, s’égosilla-t-elle. Espèce d’imbécile !


Elle se précipita sur lui et l’enserra violemment dans ses bras.


- Putain, quelle mouche t’a piquée ? J’ai failli exploser le QG pour te retrouver.

- C’est qu’elle l’aurait fait cette tarée, maugréa Manabu en la rejoignant, essoufflé.

- On s’est inquiétés pour toi !


Face au silence de son amant, elle relâcha un peu la pression qu’elle exerçait sur sa cage thoracique.


- Explique-nous… Quel est… Quel est le problème ?

- Et lui est-ce que c’est…

- Owen Smith alias “L’immortel”, enchanté de te rencontrer enfin Yuuki Manabu ! J’ai suivi ton parcours à la SDF avec un intérêt tout particulier.


Reiko déglutit bruyamment en rivant un regard horrifié sur un Bruce qui restait apathique.


- Celui qui est… Qui est…

- Mort, ouais. On y passe tous un jour, pas vrai ? T’en sais quelque chose, non ?


La pilote se sépara du sniper et se posta devant lui en grognant d’une façon presque animale.


- Si c’est bien toi, tu n’as rien à faire ici, dans le monde des vivants. Et je ne te laisserai pas l’emmener avec toi.

- Oui, abonda Manabu. Big1 nous attend. Notre unité nous attend.


Reiko tira Bruce par la manche.


- Viens, on s’en va. Owen, je ne peux pas dire que c’était un plaisir. Bon retour là où… Bah là où tu dois retourner.

- Chaton…


L’artilleur repoussa doucement mais fermement sa petite-amie.


- Tu ne comprends pas. Tout ce que j’ai vécu après le décès d’Owen… Ce n’était qu’un sursis. Je n’y avais pas droit et je dois le rendre, dit-il en désignant une arche majestueuse au bout du quai.


Une oeillade circulaire apprit à la jeune femme qu’ils s’étaient arrêtés sur une plateforme flottant dans l’espace sur laquelle, étrangement, Bruce pouvait respirer sans casque oxygéné.

Une large ouverture, similaire en tout point aux mégalithes des temps anciens, trônait à son extrémité. Même en plissant les yeux, elle ne discernait rien d’autre qu’un puits d’obscurité sans fond qui lui glaça le sang.

Quoi qu’il en soit, son instinct lui hurla que si Bruce entrait à l’intérieur, il n’y aurait pas de retour en arrière.

Ce serait la fin.

Et ça, elle ne pouvait s’y résoudre.


- Qu’est-ce que tu nous chantes ?, aboya Manabu. Ta blace est parmi nous. Elle l’a toujours été !

- Mon amour, poursuivit Reiko d’une voix blanche. Tu n’envisages quand même pas de partir avec lui !


Déboussolé, Bruce se mordit les lèvres.


- Tu m’as juré que tu ne m’abandonnerais pas ! C’était une promesse ! Ça ne signifie donc rien pour toi ? Tu as dis que tu m’aimais. Ce matin, tu m’as même… Proposé de vivre avec toi ! Tu ne vas pas recommencer tes idioties ?!


Voyant que les mots ne suffisaient pas, elle lui asséna une gifle.

Monumentale.

Avec toute la force dont elle était disposait.

Avec toute l’énergie du désespoir.


- Cette malédiction, c’est une putain de connerie ! 

- Bruce, embraya Manabu. Tu n’es pas la Mort ! Je serai ton dernier bartenaire, t’as compris ou je t’en bets une deuxième pour que t’imprimes ?

- Si tu veux me quitter, je te garantis qu’Harlock n’hésitera pas un seul instant à entrer là dedans pour te botter le cul. Et Tadashi j’en parle même pas.


Un maigre sourire se dessina sur le visage de Bruce.


- Tu te rappelles quand tu m’as expliqué que j’étais dans une gare et que je devais choisir entre rester à quai et monter dans un train ? Hé bien, c’est pareil pour toi aujourd’hui.


Elle reprit son souffle.


- Sauf qu’on te traînera de gré ou de force dans Big1, n’en déplaise à Owen Smith.


Manabu fit craquer les jointures de ses phalanges.


- Quand tu beux, Koko.

- Qu’est-ce que j’avais dit ? Ils sont opiniâtres, lança Owen en admirant ses articulations qui devenaient transparentes.


À court d’idées, Reiko se réfugia contre son compagnon.


- Je t’aime. Rentrons à la maison. S’il-te-plaît. Juste toi et moi.


Ses derniers mots se brisèrent et elle lutta de son mieux pour contenir ses sanglots.

Cela eut l’effet d’un électrochoc puissant sur le sniper qui eut la sensation d’avoir empoigné un fil à haute tension à mains nues.

“Qu’est… Qu’est-ce que je fous, bordel ?”

Ses paupières papillonnèrent et il avisa enfin l’endroit où il se trouvait, réalisant ce qu’il s’apprêtait à faire.


- Owen, marmonna Bruce. Je suis désolé, vieux. Je ne peux pas te suivre sur ce coup là.


Le fantôme tremblota. 


- T’as pas à être désolé, partenaire. Moi, je ne le suis pas. Et les autres non plus.

- Viens avec nous, l’encouragea Manabu. Rebartons tous ensemble. Laissons Bruce la Mort ici. Une bonne fois pour toutes.

- Vous vous êtes donnés du mal pour venir me chercher, hein ?, dit-il en caressant les cheveux de Reiko qui pleurait maintenant à chaudes larmes.

- T’ibagines même pas.


Le sifflet de Big1 s’actionna au moment où il survolait la plateforme.


- Je vous demande pardon, chuchota-t-il, sans trop savoir à qui il s’adressait.

- Profite de ta longue vie pour nous, d’accord ?, l’admonesta Owen en franchissant l’arche.

- Pro… Promis.


Un énorme fardeau venait de quitter les épaules de Bruce.

Il prit une profonde inspiration, se sentant comme Atlas qui avait été libéré du poids du monde.

Ou, en l’occurrence, du poids de ses démons.

Destiny se mit en marche derrière eux mais le trio n’y prêta aucune attention.


- Chaton, tu m’étouffes. J’ai renoncé à la mort, alors si tu peux éviter de me tuer tout de suite, je t’en serais reconnaissant, dit-il en massant son menton endolori. Sacré punch, soit dit en passant.

- Tant qu’on n’est pas dans le train, je refuse d’accéder à cette requête, balbutia-t-elle entre deux sanglots.


Il soupira, résigné.


- Je suis désolé de te causer du souci.

- Et à boi ?, s’offusqua Manabu.


Bruce leva les yeux au ciel.


- T’as envie d’un câlin aussi, c’est ça ?

- Si c’est brobosé si gentiment !

- Hé ! T'es pas sérieux ? Et c’est quoi ce pansement sur ta tronche ?


Big1 s’immobilisa contre la gare en répandant une nuée vaporeuse.

Bien que prisonnier de l’étreinte de son équipier et de sa compagne, il n’avait jamais été aussi léger.

Aussi libre.


- Je suis revenu, murmura-t-il. Pour de bon, cette fois-ci.

Laisser un commentaire ?