A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 40 : Vent divin

5524 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/02/2024 09:59

Chap 40 : Vent divin


Harlock s’avachit dans son fauteuil, peinant à reprendre son souffle.

Son cœur était en tachycardie et ses émotions, comparables à un tas de nœuds inextricable.

“Est-ce qu’il fait allusion… À ce que je crois ?”


- Captain, commença Yattaran.

- Pas maintenant.

- Captain…

- J’ai dit : pas maintenant !


Le hors-la-loi ferma les yeux et appuya son crâne sur le bois du dossier de son siège.

“Elle m’aura tout fait. Tout. Foutue liberté. C’est moi qui l’ai rendue inconsciente à ce point ?”


“- Otto-san !”, hurla Tadashi dans son émetteur. “Elle est… Il l’a… Putain, j’aurais dû lui régler son compte sur Tabito à cette espèce de sale fils…”

- Dashi-kun… Ils sont mariés.

“- Et alors ? Il aurait dû lui interdire…!”

- Si tu veux mon avis, il n’était pas plus au courant que nous.


Il y eut un silence et le jeune pirate reprit sur un ton hésitant.


“- Elle aurait… Emprunté un Space Eagle sans sa permission ?”

- Tu connais ta sœur aussi bien que moi.

“- Je savais que c’était une erreur de la laisser rejoindre cette satanée Compagnie de trains de mer…”

- Tadashi, lança une voix douce. Et si on évitait les jugements hâtifs ? Empêcher Reiko d’affronter Promethium reviendrait à l’empêcher de tourner la page sur un passé douloureux… Qui la ronge et la tue à petit feu. 

“- Mais…”

- Maetel n’a pas tort. C’est à elle de décider et à personne d’autre.

“- Tetsuro, mêle-toi de tes affaires.”

- C’est plutôt à toi de t’occuper des tiennes.

“- Tais-toi gamin ou je vais te botter…”

- Captain !


Harlock obligea ses paupières à se décoller.


- Quoi, Kei ?

- Le vaisseau amiral est arrivé.

- C’est pas trop tôt, répondit-il avec un maigre sourire.


Les traits indéchiffrables, Maetel se rapprocha de son ami et posa une main qui se voulait rassurante sur son épaule.


- Focalisons-nous sur le combat présent. Koko est en mesure de se débrouiller seule. Tu y as veillé, n’est-ce pas ?


Le Capitaine de l’Arcadia grinça des dents.

“Suivre sa voie, être indépendante et libre de ses choix… Quelle belle connerie. J’aurais plutôt dû lui enseigner la couture et le crochet...”


- … Et la boucler dans sa cabine quand j’en avais l’occasion, grogna-t-il. 


***


- Elle s’est mise hors-tension ?

- Oui, Commandant, affirma Louise.

- Tu vas nous expliquer tout ce bazar ?, l’interrogea David.


Bruce frappa sa console, écumant de colère.


- Qu’est-ce que j’ai fait aux dieux de l’Univers pour mériter une femme pareille ?

- Et tu te demandes jamais ce qu’elle a fait aux dieux de l'univers pour mériter un époux pareil ?

- David…, gronda-t-il, menaçant.

- Elle est enceinte ?, insista l’ingénieur.


Le sniper s’affaissa, soudain abattu.


- Il semblerait.


Louise et Manabu poussèrent un cri aigü qui vrilla les tympans de leurs équipiers.


- Elle ne m’a rien dit, s’exclama l’Officière radar. Pourquoi… ?

- Bienvenue au club. On a une réduction sur les abonnements aujourd’hui, ironisa Bruce.


Ce qu’il craignait s’était produit. Tiraillé entre ses nouvelles responsabilités et son impulsivité, il doutait de la conduite à tenir.

Son cœur lui intimait de sauter dans un jet pour ramener sa compagne par la peau des fesses, tandis que sa raison lui enjoignait de demeurer à bord pour diriger ce fichu peloton et le sortir de l'œil de cette tornade de boulons.


- Commandant, une station a fait irruption hors de la mer d’astéroïdes, l’informa Louise.


Bruce soupira avant de reporter son attention sur son écran.

“Chaton… Ne fais pas n’importe quoi je t’en supplie. Quand je ne suis pas là pour te surveiller, tu te mets toujours dans des situations pas possibles.”


- Maintenons notre position et préparons-nous à toutes éventualités.


***


- Je rallume ou pas ? Je… Non… Ils vont me déconcentrer et… Probablement m’atomiser. Tous autant qu’ils sont.


Reiko tapota sur ses cadrans, préoccupée.


- J’ai le temps de renouer le contact. Je vais d’abord les laisser se calmer. Est-ce qu’ils suspectent… Quelque chose ?


Elle maugréa en vérifiant les constantes de son Space Eagle.


- Évidemment qu’ils suspectent quelque chose… Grâce à Bruce. Bravo, Bruce. Merci, Bruce. Tu as réussi l’exploit de me clouer au sol pour les cinq prochaines années.


La pilote se glissa entre plusieurs appareils alliés, qui se déployaient autour de l’immense base de Promethium, attendant que leurs supérieurs ordonnent le début de l’attaque conjointe.

“Je n’aurai qu’à suivre les autres.”

Le navire amiral était gigantesque. 

Un titan dont la masse était équivalente à trois cents fois la taille de Big1.

“Ces mastodontes ont toujours une faiblesse. Je suis certaine que le Commandant Reinhart est déjà sur le coup. Et si la SDF, le Yamato et l’Arcadia joignent leurs puissances de feu… La bataille est pliée d’avance.”

Les escadrons de chasseurs des flancs droits et gauches se mirent alors subitement en mouvement.


- C’est parti. 


Privée de son binôme habituel, elle était contrainte d'œuvrer en solo. Elle dépassa le bâtiment de son père à toute vitesse, ignorant soigneusement la passerelle.

“Désolée de te causer encore du souci… Otto-san.”

Puis, à l’image de son bataillon, elle se dispersa pour harceler les sbires de la reine de Râ-Metal. 

“Au boulot. Il ne me reste qu’à faire… Ce que je fais de mieux.”

Par moment, elle entrevoyait le Space Wolf de son frère, qui l’évitait délibérément.


- Un de plus… Que j’ai déçu. Il s'est finalement trouvé un point commun avec Bruce.


Elle ne savait pas si c’était du fait de ses hormones qui dansaient la samba ou des interactions récentes avec sa famille, mais elle avait à la fois envie de crier, de pleurer et de rire.


- Je suis perdue, hein ? Complètement perdue.


Si elle prêtait attention aux signes que lui envoyait son corps, elle irait tout droit se blottir au fond d’un lit, dans l’une des cabines du Yamato. Là où personne ne lui poserait de questions. Là où quelqu’un s’intéresserait à son bien-être sans la juger. 

Mais ce qu’elle devait faire à présent était bien éloigné de ce désir futile de se réfugier dans un lieu accueillant et réconfortant.


- Cette chance pourrait ne jamais se reproduire. Cette chance d’exterminer ceux qui ont… Qui ont arraché la vie à des enfants… Tellement innocents. Aucun repos… Aucun repos ne m’est permis… Tant que cette sorcière ne sera pas anéantie.


Pour entériner ses paroles, elle détruisit une batterie de pulsars.

“Pas de système auto-régénérant comme on le redoutait… C’est étrange, d’ailleurs. Je suis sûre que papa se dit la même chose.”

Elle virevolta entre les traits laser qui jaillissaient des tourelles, sans en être inquiétée une demi-seconde.

Elle monta en chandelle, arrosant le vaisseau amiral en traçant un large sillon dans sa carlingue.

“Pourquoi… Pourquoi leur défense est-elle si faible ? C’est pas normal.”

Oubliant ses craintes, elle alluma son microphone, le réglant sur la fréquence des rebelles. 


- Reiko pour l’Arcadia… La résistance des humanoïdes est beaucoup trop timide. Comparée à la station que nous avons affrontée… Je ne comprends pas… 

“- Nous sommes d'accord avec toi, usagi. Quelque chose cloche. Retirez-vous pour l’instant, nous allons tenter un tir groupé.”

- Bien reçu, dit-elle en s’exécutant, à l’instar des autres pilotes.

“- Koko… Je suis là pour toi, tu le sais, non ?”

- Je… Tu ne…, commença-t-elle sans parvenir à formuler une phrase cohérente.

“- On maintient la connexion.”

- A… Affirmatif.


Tremblante, elle bascula sur l’émission de la SDF.


“- Ici Reiko… Je me replie.”

- Bruce pour Reiko. Reste hors de portée de l’ennemi. Terminé.

“- Compris.”


Cette fois-ci, elle ne ravala pas ses larmes, profondément éprouvée par l’attitude distante de son mari.

“Putain, ressaisis-toi. Ressaisis-toi. C’est pas le moment. Pas le moment pour ça. Tu le connais. Il agit de cette manière quand il est contrarié.”

Malgré l’eau salée qui embuait ses yeux, elle remarqua que la majeure partie de la flotte avait été annihilée.


- Tout ça… C’est trop facile. Vraiment trop… Facile.


Ses prémonitions étaient fondées car les capteurs de son Space Eagle s’affolèrent soudainement. Des voyants clignotaient de toute part sur le tableau de bord, formant un arc-en-ciel alarmant.


- C’est quoi ça ? On dirait… Des interférences… Magnétiques. Comme l’orage…


Son habitacle bourdonna, la secouant dans tous les sens. Elle enclencha péniblement son émetteur.


- Bruce, je… Je…

“- Chaton ! Reviens sur Big1!”

- Je ne contrôle rien ! C’est impo…


Deux vagues lumineuses déferlèrent alors hors du vaisseau amiral, heurtant de plein fouet le Yamato et l’Arcadia, sans qu’ils n'aient la moindre possibilité de les esquiver.

Reiko poussa un glapissement horrifié, en proie à la panique la plus totale.


- Otto… O… Otto-san !, bégaya-t-elle, choquée.


***


- Reiko ? Tu me reçois ?, demanda-t-il, anxieux.


Seuls des grésillements répondirent à la question du Commandant de Big1.


- Toutes nos lignes sont perturbées.

- Son Eagle ?

- La signature thermique est intacte et stable, lui confirma l’Officière radar. Elle a retrouvé la maîtrise de son appareil.


Bruce respira un peu plus librement, soulagé que son épouse ne soit pas en danger immédiat.


- Des avaries de notre côté ?

- Nos canaux de liaison entrants et sortants sont inutilisables. Sinon, tout semble en état de fonctionner.

- Bien, c’est déjà ça. Quelle était la cible de ces rayons ? Je veux le visu sur l’écran.

- Il n’y a eu aucune détonation, les renseigna David. Pourtant…

- Pourtant ? Que dit l’analyse ?


Le champ de bataille s’afficha au plafond de la “control room”.


- Le Yamato et l’Arcadia ont été visés, lança Louise. Mais…

- Ils n’ont pas l’air… D’avoir été endommagés.


Le sniper s’avança au centre de la pièce, dubitatif.

“Quelque chose ne va pas.”

En effet, les vaisseaux paraissaient entiers, sans dégât visible. Cependant…


- Pourquoi ils ne tirent pas ?

- C’est… Bizarre, commenta Manabu. On dirait qu’ils sont à la dérive.

- Les communications ?

- Pas moyen de rétablir pour l’instant, déclara l’ingénieur. Les alentours sont irradiés.

- Cette émanation… Elle est similaire à celle que nous avons rencontrée avant d’atterrir sur Hal’wasa, nota la jeune femme. Elle avait déréglé nos instruments de bord et mis HS tous nos systèmes.


Bruce croisa les bras, perplexe.


- Se pourrait-il qu’ils…

- … Aient été percutés par une décharge qui les a pétrifiés ?


David se gratta le menton, pensif.


- C’est probable. Si c’est le cas, ils ne pourront ni bouger ni se défendre durant un temps indéterminé.

- Et leur bouclier ?

- Il a sûrement sauté, lâcha Manabu.

- Ils sont… Vulnérables ?, interrogea le Commandant à haute voix, sidéré.

- Incroyable, marmonna l’Officier navigateur. Promethium vient de nous déposséder de nos meilleurs atouts. On ne l’a pas vue venir celle-là.

- Et c’est sans compter la panne de nos radios qui va entraver la coordination générale et entraîner une véritable pagaille, fit remarquer Louise. 

- Bordel, on s’est fait avoir comme des bleus, pesta Bruce.


***


Il fallut de longues minutes pour que les tâches de lumière devant les yeux de Reiko ne disparaissent.

Puis, lorsque sa vision s’éclaircit, elle constata que, fort heureusement, ni l’Arcadia ni le Yamato n’avaient été pulvérisés en mille morceaux.

“Dieu merci… Dieu merci… Ils sont en vie.”

Puis, rapidement, elle s’aperçut que les déprédations engendrées par ce faisceau électro-magnétique étaient des plus dramatiques.

Tous les bâtiments sur le chemin de l’onde s’étaient figés, errant dans l’espace intersidéral telles des épaves sur les océans terriens de jadis.


- Que… Que leur est-il arrivé ? J’espère qu’ils sont tous sains et saufs, haleta-t-elle en procédant aux vérifications de rigueur.


“Tous les voyants sont au vert. Je peux me mouvoir.”

Sans tergiverser davantage, elle actionna ses propulseurs. Aux quatre coins de la zone des combats, les pilotes sortaient également de leur léthargie. Bien que désorganisés, ils ripostèrent aux attaques des humanoïdes, qui ne s’étaient pas interrompues après l’impact de l’onde magnétique.

Bien au contraire.

Reiko avait l’impression qu’ils avaient profité du chaos ambiant pour resserrer leurs rangs et redoubler la vigueur de leur offensive.


- Ils nous ont piégés.


Elle se faufila vers l’Arcadia, effleurant son fuselage jusqu’à presque entrer en collision avec la passerelle, dans laquelle elle distingua une ribambelle de pirates en train de s’activer.

“On a donc affaire à un rayon paralysant. Comme sur Hal’wasa. La réinitialisation de l’ordinateur central… Peut prendre plusieurs heures. Pendant ce temps là… Ils sont à la merci de la reine.”

Elle raffermit sa prise autour du manche du chasseur.


- Otto-san, je ne les laisserai pas… Te faire du mal !


Elle avisa le Space Wolf de Tadashi qui se rapprocha d’elle autant que possible. De l’autre côté de la vitre de son cockpit, il lui adressa une série de signes de la main.

“Harlock. Immobilisé. Protection. Vénérienne ?”


- Véné… Rienne ?


Elle se frotta le poignet, songeuse.


- Ça doit être “aérienne”. Je suis sans doute un peu rouillée… Ça fait un moment que je n’ai pas utilisé ce code.


Elle dessina un rond avec son pouce et son index, signifiant qu’elle avait bien reçu le message.

Puis, ils se séparèrent, se positionnant chacun de part et d’autre des flancs babord et tribord du vaisseau des rebelles.

“Papa, nous sommes ton dernier rempart, je le crains. Ils sont tous submergés là dehors.”

En effet, le reste de l’armada avait surgi de la mer de météorites à la suite de la base amirale, noyant les forces alliées sous le nombre de ses aéronefs.

“Et Mamoru…”

Elle nota avec soulagement que quelques Cosmo Tigers du Yamato s’étaient eux-aussi détachés pour former une barrière devant leur cuirassé.

En ce qui la concernait, celui de son frère mis à part, aucun autre Space Wolf ne l’avait rejointe.

“Ils avaient déjà tous regagné les hangars… La reine a attendu que nous nous soyons tous retirés pour libérer cette onde… En plus de les priver de leurs armes et de leurs boucliers, elle a limité leur couverture aérienne pour les achever vite et sans prendre de risque. C’est un plan… Rudement bien ficelé.”


- Mais… Elle oublie que le meilleur pilote de l’univers et son coéquipier sont encore en lice.


Elle eut un sourire dur.


- Et ça, c’était une grossière erreur de jugement.


***


- Qu’en est-il de l’alimentation ?

- Rien à faire ! Le redémarrage est impossible !

- Magi, Yattaran ! Trouvez une solution !, s’égosilla Harlock, perdant son légendaire sang-froid.

- Tu crois qu’on se vernit les ongles, Captain ?, le rabroua le Second, tandis que le navire était secoué comme un prunier par des tirs ennemis.


Le pirate se renfrogna, tournant en rond comme un lion en cage.


- C’était quoi ça ?

- Une sorte de flux électromagnétique qui a provoqué une surtension et fait disjoncter nos circuits.

- Et les onduleurs de sécurité ?

- Ils n’ont servi à rien.

- Tôchiro n’a pas pu l’arrêter ?

- Non, elle était trop forte. Trop soudaine, expliqua Yattaran.

- Et nous sommes les seuls à avoir été impactés ?

- Kodaï aussi était visé.

- Évidemment, grogna le hors-la-loi.

- Et tous les malheureux dans le sillage de ce faisceau, ça va de soit.


Harlock s’avança vers les vitres, observant la bataille à l'œil nu, puisque tous les radars étaient éteints.


- Et nos Space Wolf ?

- Dans les hangars. Il n’y a plus que Tadashi. Et…


Un jet frôla l’Arcadia, faisant sursauter son équipage.


- Et Koko, compléta Kei en souriant.

- Manquait plus que ça. C’est du suicide d’essayer de nous protéger alors que Promethium va nos balancer tout ce qu’elle a. Accélérez ! Drainez toutes nos réserves d’énergie s’il le faut mais relancez-moi la machinerie !

- À tes ordres !


***


Reiko effectua une vrille périlleuse qui lui permit d’esquiver les rayons émis par deux navettes qui l’avaient engagée.

“Putain, je ne parviens pas à me débarrasser de ces sales teignes.”

Une puissante déflagration la propulsa en avant et elle monta en chandelle pour échapper aux nuages de fumée et aux éclats argentés.


- Aniki…


Son frère venait de réduire en poussière ses assaillants, lui octroyant un peu de répit. Reiko en profita pour arroser des aéronefs qui semblaient résolu à détruire l’Arcadia.


- Personne ne touche… À ma maison !


Des détonations se succédèrent, illuminant l’espace. 

“Sitôt que je descends un appareil, une dizaine d’autres le remplace… Ça n'a pas de fin.”

Un bref regard vers Big1 lui apprit que les hostilités avaient repris de plus belle.

“La SDF et les nations souveraines sont débordées. Oh, mon… Dieu… C’est… Rigel ?”

Le train piquait du nez, ravagé par les flammes. Lorsque la locomotive implosa, la jeune femme ne put contenir un gémissement rauque.


- C’est pas vrai…


Quel que soit l’endroit où se posaient ses yeux, elle ne voyait qu’une immense débâcle. Sans l’appui de ses cuirassés, l’Alliance ne faisait pas le poids.

La pilote redoubla d’efforts pour empêcher les robots de transformer l’Arcadia en passoire.

“Désolée… Bruce. Je t’ai encore désobéi. Je suis incapable de rester en retrait quand ma famille est en danger.”

Reiko exécuta une boucle, suivie d’un renversement, pour déconcerter ses poursuivants. Puis, elle enfonça plusieurs gâchettes et des traits laser fusèrent hors de ses canons, anéantissant une brochette d’humanoïdes. 


- À ce rythme… On ne tiendra pas longtemps, siffla-t-elle entre ses dents.


***


Debout au centre du wagon de commandement, Bruce dû empoigner fermement le dossier d’un fauteuil pour ne pas s’étaler au sol. 

Big1 vibrait de tous les côtés et une plainte sourde exhalée par sa carlingue métallique résonna dans l’air. 


- On atteint… Nos limites, maugréa-t-il.

- Deux nouveaux foyers incendiaires se répandent dans les voitures huit et neuf !

- Notre bouclier est à 10% de ses capacités !

- La direction est endommagée ! Le circuit principal tourne au ralenti.


Le sniper serra les poings à s’en faire blanchir les phalanges. 


- Rigel ! L’unité Rigel… Sa signature… Elle a… Elle a disparu !, s’affola Louise.

- Quoi ?

- La loco a explosé.

- Bor… Del !

- C’est trop tard pour eux, souffla Manabu, choqué. 

- Harlock ? Mamoru ?

- Pas de changement, confirma David d’une voix morne.

- Et…

- La balise de Reiko indique qu’elle a rejoint l’Arcadia.


Bruce se passa une main sur le visage, fatigué.

“Elle n’en fait qu’à sa tête. Elle est pire que Manabu. Je ne sais pas comment Bulge a tenu sans devenir fou.”


- Bien. Yuuki.


L’artilleur fraîchement nommé de la section Sirius acquiesça.


- Tourelles secondaires hors services. Nous n’avons pas assez d’énergie pour exploiter le cosmo-matrix. 

- Les batteries de pulsars ?

- Opérationnelles.

- On maintient la formation à tout prix. Si on cède à la pression, c’est fichu !

- Commandant…


L’Officière radar fit pivoter son siège, dubitative.


- L’Iron Berger s’est mis en marche.


***


Le stress de Reiko crevait littéralement son cockpit.

Pour la première fois depuis longtemps, elle ne maîtrisait plus son pilotage.

Le nombre de soldats de Promethium était infini tandis que les ressources de son jet étaient, quant à elles, restreintes.

Un faisceau frôla son fuselage et son assiette se déséquilibra un bref instant alors que les voyants de son tableau de bord se mirent à clignoter de façon inquiétante. 


- Non… Non… Non…


Elle dû faire appel à toutes ses compétences pour éviter de se crasher sur le vaisseau de son père.

Une longue sueur froide lui traversa le dos et des gouttes de transpiration perlèrent à son front jusqu’à ce qu’elle réussisse enfin à se sortir de cette mauvaise posture.


- C’était moins une… Ils ont bien failli m’avoir…


Elle engagea un chasseur et, après un coup d'œil au travers de l’antiquité qui lui servait de viseur, elle tira.


- Les communications ne fonctionnent… Toujours pas !


Au loin, elle apercevait Tadashi qui se démenait tant bien que mal pour garder la tête hors de l’eau.


- Aussi talentueux qu’il soit, lui aussi…


Un nuage blanc s’élevait de son moteur et Reiko devina qu’il risquait de perdre le contrôle de son appareil d’une minute à l’autre. 


- Aniki… Toute seule, je n’y arriverai pas ! 


Sa respiration s’emballa et son cœur tambourina si fort dans sa poitrine, qu’elle eut l’impression qu’il pourrait bondir en dehors de son corps à tout moment. 

La situation était si critique qu’elle s’attendait à voir l’Alliance battre en retraite à tout instant.

De nombreux trains étaient la proie d’incendies dévastateurs, le plupart des bâtiments des nations souveraines étaient à la dérive et, si la base amirale avait assez d’énergie pour lâcher une nouvelle onde magnétique, cela sonnerait probablement la fin de la résistance humaine… 


- On est foutus ?


Des larmes rageuses noyèrent les joues de la jeune femme.


- C’est injuste… Pourquoi cette sorcière gagne-t-elle toujours ? Pourquoi est-ce qu’on est jamais de taille contre elle ?


La militaire asséna des coups hargneux sur ses accoudoirs.

Puis, elle souleva sa visière, éprouvant le besoin impérieux de prendre une grande bouffée d’air, sans être enfermée dans un casque. 

Désespérée, elle adressa une prière muette aux étoiles qui l’environnaient.

“On ne peut pas en rester là. Pas encore.”

Puis, comme en réponse à son vœu, elle distingua un train qui filait à toute allure vers le centre de la flotte.


- Mais c’est… Murase ? Il a quitté la formation ?


Elle écarquilla les yeux en remarquant l’engin tracté par la locomotive.


- Le canon… Gustav ?!


Il lui fallut quelques secondes pour saisir toutes les implications qu’entraînait l’utilisation de cette arme.


- Non ! Murase ! Non ! Votre bouclier ! Il va ! Il va…


Une fois la charge énergétique déversée, l’alimentation de l’Iron Berger allait sauter, le rendant vulnérable à toutes les attaques ennemies.

“Il ne tiendra pas une minute dans cette fournaise !”

Reiko voulut s’approcher du peloton Vega, mais plusieurs aéronefs se placèrent devant elle pour lui couper la route.

Alors qu’elle descendait en piqué pour les prendre à revers, ses émetteurs grésillèrent.


- La radio !, s’étouffa-t-elle.

“- Ici… Mura… Pour tous les… Memb… De l’Alliance…”


Elle ouvrit le feu sur l’un de ses poursuivants, l’annihilant sans aucune autre forme de procès.


“- Nous allons… Canon… et l’Iron Berger… Comme un bélier.”

- Vous êtes fous ! Sortez de là !, aboya Bruce dans son micro.


Le Space Wolf de Tadashi effleura le Space Eagle de la SDF avant de cracher des flux rougeoyants, qui ne laissèrent aucune chance aux jets qui pourchassaient sa sœur.


- Murase ! Ne faites pas ça !, s’égosilla-t-elle dans son communicateur. Vous savez bien… Vous savez bien que vous serez démunis… !


Après un silence qui lui parut durer une éternité, une voix connue résonna dans son habitacle. 


“- Reiko ? Tu m’entends ?”

- Moritz ! Arrêtez ça ! Faites demi-tour !

“- Je suis vraiment navré pour… Pour ce qu’il s’est passé au QG. Je ne voulais pas t’effrayer ou te malmener…”


Un sanglot remonta dans la gorge de la pilote.


- C’est bon, c’est pas important. On est amis. Les amis sont capables de se pardonner leurs erreurs mutuelles. 

“- Merci. Tu sais… Cette fille un peu perdue et naïve, je l’ai aimée au premier regard. Je n’ai jamais cessé… De l’aimer. Je souhaitais simplement que tu le saches.”

- Je… Tu… 


Bouleversée, elle tenta de se frayer un chemin jusqu’à l’Iron Berger mais les humanoïdes étaient résolus à entraver sa progression.


“- Moritz ! Revenez… Ou…”

- Murase !, tonitrua Harlock. Vous n’êtes pas un samouraï du Japon féodal. Ne vous sacrifiez pas en vain !

“- La Space Defense Force est le rempart du Galaxy Railways. C’est sa raison d’être. C’est notre devoir.”

“- Ne soyez pas inconscients !”, ajouta Mamoru. “Vous n’êtes pas en mesure…”

“- Nous n’avons plus le temps. Nous ne serons pas spectateurs de notre défaite !”


Malgré les injonctions de ses alliés, la section Vega fusa à travers les lignes de l’armada, faisant rugir ses tourelles et ses pulsars, se ménageant une voie vers son objectif.


- Commandant…! C’est…


Dès qu’il fut suffisamment proche du vaisseau, qui l’écrasait de par son gigantisme, l’Iron Berger envoya toute sa puissance dans le Gustav.

Une lumière éblouissante enveloppa l’espace, faisant refluer son obscurité.

Les paupières de Reiko papillonnèrent et elle contempla la série de déflagrations qui ravagea la surface de la station.

Puis, une explosion fracassante souffla une bonne partie des belligérants, qu’ils soient humains ou robots…

Une explosion…

Qui réduisit en cendres l’Iron Berger.


- Non ! Non !


Privé de son bouclier, le train n’avait pas pu se protéger.

Horrifiée, la militaire détailla l’étendue du désastre, cédant à une crise de panique qui la fit hoqueter.

“C’est… Impossible…”


- Mo… Mo… Moritz…


Sous son regard médusé, la base de Promethium chuta, dévastée par des flammes incontrôlables.

Les membres de l’Alliance, excepté le Yamato et l’Arcadia qui peinaient à redémarrer leurs systèmes, reprirent le combat, galvanisés par ce retournement de situation.

En déroute, l’armée humanoïde zigzaguait dans tous les sens, indécise sur la conduite à suivre.

Reiko, elle, ne bougea pas, terrassée par la douleur.


- Ils sont morts… Tous morts, balbutia-t-elle en fixant les restes de la machinerie, qui flottaient dans le vide intersidéral.


*** 


La suite de la bataille fut très floue dans l’esprit de la pilote et les mouvements des appareils qui l’entouraient étaient réduits à une traînée blanchâtre qui lui brûlait les rétines.


“- ... Ko… Reiko !”


Bien qu’elle soit incapable de déterminer s’il s’agissait de la voix de Bruce, d’Harlock ou de Tadashi, elle décida de répondre à cet appel.

Déphasée, elle ne trouva pas immédiatement le bouton du microphone.


- Oui. Je suis… Là.

“- J’exige ton retour. Cette fois on arrête les conneries, vu ?”, gronda Bruce. “Si t’as pas rappliqué dans les cinq minutes, je viens.”


Elle avala sa salive de travers et fut prise d’une quinte de toux.


- Je… Compris.


Entre deux battements de cils, elle avisa les canons de l’Arcadia qui s’étaient remis en marche, à l’instar de ceux du Yamato.

“L’anéantissement du bâtiment a dispersé les perturbations magnétiques.”

Sa couverture aérienne n’étant plus nécessaire, elle vira en direction de Big1 avec un pilotage pouvant être qualifié du mot “hasardeux”.

Et… Personne n’essaya de l’intercepter.

“Les soldats de la reine… Sont en pleine débandade. On a de nouveau l’avantage… Mais à quel prix !”

Le toit du hangar se rétracta et elle s’enfila à l’intérieur en cognant son Eagle contre les parois.

Lorsqu'elle parvint enfin à atterrir, elle déverrouilla son cockpit, haletante.

Debout au milieu de la voiture, son mari patientait déjà en piétinant nerveusement.

Il avança un escabeau et elle l’empoigna, entamant une descente vacillante.

Son époux avait les traits tendus et son visage laissait transparaître toute l’anxiété qu’il avait ressentie au cours de cette journée épuisante.


- Bruce…

- Chaton !


Oubliant toutes ses angoisses, elle se jeta dans ses bras, mobilisant le peu d’énergie qu’il lui restait.

Le sniper la récupéra aussi délicatement que possible et, sitôt qu’elle fut blottie contre lui, son ressentiment s’envola. Puis, quand il s’aperçut que ses jambes ne la portaient plus, il posa un genou au sol, l’entraînant avec lui.


- Murase… José… Edwin et… Moritz… Ils sont tous… Tous…, sanglota-t-elle.

- Je sais, je suis… Désolé que ça se soit produit. Ça n'aurait jamais dû arriver.

- Oh… J’étais impuissante. Je n’ai pas pu… Je n’ai rien pu faire… Mon amour…

- Personne n’aurait pu s’opposer à la volonté de ce kamikaze. C’est pas ta faute. Ni la mienne.


Elle se pelotonna davantage contre son conjoint, quêtant le réconfort que lui procurait sa chaleur corporelle.


- J’ai peur… J’ai peur que la Faucheuse m’arrache encore quelqu’un, croassa-t-elle, les épaules agitées de soubresauts.

- Qu’est-ce que je devrais dire…


Elle se raidit, stressée.


- Je ne voulais pas te le cacher… Ce n’était jamais le bon moment… Et j’étais terrifiée par ta réaction.

- Tu croyais quoi ? Que j’allais te hurler dessus pour t’obliger à avorter ? Que j’allais te détester ou pire… Te rejeter et divorcer ?

- Je…

- Comment pourrais-je haïr ma femme… Et la future mère de mon enfant ? Je suis un ours à ce point ?

- Non…

- Pas la peine de répondre, c’était pas vraiment une question. Je n’ignore pas que j’ai mauvais caractère mais quand même… Chaton… Je…


Il prit une grande inspiration.


- Je t’aime à en mourir. Je t’aime tellement que je suis jaloux d’un type qui est… Mort. Comment pourrais-je être en colère alors que tu m’offres un cadeau aussi… Inestimable et précieux ?

- Donc tu es… ?

- Le plus heureux, murmura-t-il. Le plus… Heureux des hommes. Donc, je t’en prie…  Laisse-moi prendre soin de toi. De vous deux… 


Il lui caressa les cheveux, ému. 


- Épargne-moi de telles frayeurs à l'avenir. Et surtout… n’hésite pas à te confier à moi. Je te promets que je serai toujours là. Toujours là. Je ne vous ferai pas faux bond.

- Serre-moi fort…


Bruce s’exécuta et, pour la première fois depuis vingt ans, des larmes coulèrent sur ses joues. 


- Je t’aime mais tu as conscience que je vais devoir te sanctionner pour ton insubordination, hein ? 

- J’en attendais… Pas moins de toi, dit-elle avec un léger sourire.

- Je vais être un Commandant abominable.

- Impitoyable même, mais je sais que tu seras un père exceptionnel.

- Je vais tout faire… Tout faire pour être à la hauteur.


Pris de vertige, il s’assit en tailleur, Reiko lovée dans ses bras.


- Les mots sont insuffisants pour décrire…


Il souleva le menton de sa compagne et posa ses lèvres sur les siennes.


- A quel point tu es mon monde.


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