A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 43 : Ceux qui murmurent...

5778 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/02/2024 17:30

Chap 43 : Ceux qui murmurent…


- Bouge pas, vermine !, ordonna l’humanoïde en pointant une arme sur le front de sa prisonnière.


Cette dernière se raidit, haletante.

Des soubresauts agitaient son corps et des larmes inondaient ses joues.

Elle était effrayée… Non, terrorisée.

Le soldat ricana, visiblement satisfait de la réaction de sa victime.

Il se sentait aussi puissant qu’elle était vulnérable.


- T’es qu’une sale gosse puante et dégoûtante, continua-t-il en lui infligeant un coup de pied dans les côtes.


La fillette émit un râle de souffrance et se recroquevilla en position foetale.

“Cette fois, ils vont me tuer… Cette fois… Je vais mourir pour de bon.”

Dans un état second, elle se projeta mentalement l’image de la personne qui la rassurait le plus au monde.

Une chevelure brune emmêlée.

Une cicatrice.

Un cache-oeil sombre.


- O… Otto…

- Ta gueule pourriture !

- Aarg…


Du sang s’échappa de la gorge de l’enfant alors qu’un uppercut s’enfonçait dans son estomac.


- On la mécanise maintenant ?

- Pas encore, Sa Majesté veut lui soutirer des infos sur le vaisseau pirate.

- Robotisée, elle sera d’autant plus coopérative…

- C’est pas moi qui décide, imbécile !, le rembarra-il en attrapant sans douceur les cheveux de Reiko.


Puis, il approcha son visage inexpressif à moins d’un centimètre de celui de la petite.


- Ce serait trop d’honneur pour toi de devenir l’une des nôtres mais il existe un autre moyen pour que tu sois utile à notre reine.

- N-non… Non !, se récria-t-elle, paniquée.

- Tais-toi !


Un poing heurta ses tempes et elle s’effondra, complètement sonnée.

“Har… Lock.”


***


- Ils l’ont trouvée, tu es sûre ?

- Oui, Commandant. Harlock et Maetel.

- Tu en es bien certaine ?

- Oui.


Le poids qui reposait sur les épaules de Bruce s’amoindrit tandis que sa tachycardie se tranquillisa légèrement.

“Si le hors-la-loi est avec elle, ça ira. Dorénavant, il ne va plus la lâcher d’une semelle. Même si c’est un anarchiste de première, la sécurité de son lapin est sa priorité numéro un.”

Le sniper eut beau essayer de se réconforter comme il le pouvait, cette situation était une source d’anxiété dont il se serait bien passé.

“J’espère qu’il aura tôt fait de la réexpédier dans un chasseur.”

Toutefois, il ne se berçait pas d’illusion. Reiko étant une véritable tête de mule, jamais elle ne quitterait Râ-Metal de son plein gré. Pas tant qu’elle n’aurait pas assouvi sa vengeance. 

“Elle est encore plus imprévisible que son père. Quoique… Une seconde évasion était plus que probable. Ces blaireaux auraient pu l’anticiper.”


- C’est déjà ça, on en est où ?

- Les installations militaires de la planète ont été détruites à 50%. Les canons de l’Arcadia et du Yamato font des merveilles, s’extasia Manabu.

- Ravi de l’entendre. Et Big1 ?


Une énième secousse remua la “control room”.


- On s’en sort pas trop mal. L’énergie du circuit principal est stabilisée à 80%. Les incendies ont été maîtrisés, les renseigna l’Officière radar.

- On maintient cette dynamique, les encouragea Bruce. Vous faites du bon boulot.

- Tu as de la fièvre ?, l’interrogea David.

- Quoi ?

- Non, rien. Je me disais que t’étais malade parce que les compliments… On n’est pas habitués, hein les gars ?

- Mets-la en veilleuse.

- Ah, je te reconnais mieux là ! J’ai failli m’inquiéter.


Manabu et Louise eurent un gloussement amusé qui exaspéra leur Commandant.


- Focus, les réprimanda-t-il avec un demi-sourire.

- Compris !


***


Reiko s’ébroua, perturbée.

“C’est quoi cette voix ? Elle ressemblait à… Non, c’est impossible. Je suis sous pression et je délire. Il n’y a pas d’autre explication. Et ces souvenirs… Me retrouver ici les fait forcément remonter… Je dois me concentrer ou je serai une cible facile.”


- Hé ça va ? On dirait que t’as eu une absence.

- Tout va bien, Tetsuro.


Harlock ouvrait la voie et Maetel la fermait et ce, dans le silence le plus total. 

Dissimulée derrière la cape usée et démesurément longue du Capitaine, la jeune femme avait le sentiment d’effectuer un bond d’une vingtaine d’années dans le passé.

“Quand je me cachais dans son ombre car je croyais que ça empêcherait les humanoïdes de m’atteindre.”

Elle se mordit les lèvres, regrettant les rudes paroles qu’elle avait eues à son encontre. 

“Si j’étais à sa place… S’il s’agissait de mon enfant… Est-ce que je réagirais différemment ? Est-ce que je me comporte comme une gamine capricieuse ?”


- Papa…


Le pirate ne se retourna pas. 


- Papa…, souffla-t-elle.

- Reiko.


La concernée frissonna, mal à l’aise.

Harlock ne l’appelait que très rarement par son prénom, y préférant des surnoms animaliers tous plus inventifs les uns que les autres et, la plupart du temps, dans la langue natale de sa fille.


- Oui ?


Il s’arrêta un bref instant, hésitant, avant de reprendre sa route.


- Non, rien. On y va, ne relâchez pas votre vigilance.


Les poings de Reiko se serrèrent et elle baissa le menton, mortifiée.

“Je suis une déception pour tellement de monde. Otto-san, aniki… Bruce. Ils ont tous honte… De moi ?”


“- C’est faux, onee-san. C’est faux et tu le sais.”


La pilote poussa un glapissement de souris en s’accroupissant au sol.


- C’est dans ma tête… C’est dans ma tête…, répéta-t-elle. Vous n’êtes pas là… Vous n’êtes pas là. Pas réel. C’est pas réel.

- Hé, Koko !, s’alarma Tetsuro. Qu’est-ce que t’as ?


Elle enfouit son nez entre ses genoux.

“Je deviens tarée. C’est cet endroit… Il me rend complètement dingue. Il faut… Que je me ressaisisse !”

Le Capitaine, qui ne savait plus sur quel pied danser quelques minutes auparavant, oublia soudainement toute son amertume et sa culpabilité.


- Usagi… Usagi, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

- Désolée… Je suis vraiment désolée d’être… Une personne si pitoyable… Nami… Kiyoka… Ils ne savent pas ce qu’ils disent.

- Une personne pitoyable ? Nami ? Kiyoka ? Qu’est-ce que tu racontes ?


Un vent de panique assaillit Harlock, le déstabilisant encore davantage.


- Tu es fatiguée. Je vais te mettre à l’abri. 

- Non, ce n’est pas… Ce n’est pas…

“- Viens me chercher… Onee. Tu avais promis qu’on resterait ensemble.”, la supplia un garçonnet.

- Aaah !


Reiko se jeta dans les bras de son père en tremblant de tous ses membres.


- Je les entends… Je les entends…

- Qui ça ?, demanda Maetel en s’agenouillant.

- Mes frères et sœurs. Shiro Yamazaki, Nami Yamamoto, Kiyoka Kitano…

- Ceux avec lesquels tu vivais dans le refuge de Tokyô ?, la questionna le pirate, préoccupé.


Elle tira sur la manche de la voyageuse du Galaxy Express 999.


- Ils m’attendent, ânonna-t-elle, fiévreuse.


***


- Laissez-moi… Laissez-moi partir !, balbutia l’enfant, terrifié.

- L’heure est venue pour toi de servir la cause de notre reine.

- Quoi ? Non ! Je veux pas ! Je veux pas !


Un énième coup de poing, aussi dur que l’acier, percuta l’abdomen de Reiko et une écume sanglante teinta ses dents.


- Tu n’es rien. Et les moins que rien, ça ne parle que lorsqu’on les y autorise.

- Gnnn…, gémit-elle, horrifiée.


L’humanoïde darda un regard méprisant sur sa prisonnière.


- Les préparatifs sont terminés ?

- Ouais, on va pouvoir démarrer le processus de transmutation mécanique.

- Transmut…

- Mais tu vas la boucler, sale chienne ?!, l’invectiva le soldat en la traînant sur une surface grise et plane, qui s’apparentait en tout point à une table d’opération.

- Détachez-moi !, s’égosilla-t-elle avec l’énergie du désespoir. Harlock vous butera ! Il vous butera tous !


Une main recouvrit la bouche et les narines de la fillette, entravant ses voies aériennes, tandis que des liens entaillaient profondément sa chair, la sanglant au lit glacial.


- Finissons-en avec elle. J’ai hâte de ne plus avoir à supporter la vision de cette enveloppe corporelle répugnante.


Suffocante et affolée, Reiko luttait contre l’inconscience qui la guettait.

Ses yeux roulaient dans leurs orbites et elle tentait vainement d’approvisionner ses poumons en oxygène.

Puis, alors qu’elle s’était résignée à mourir, l’emprise des doigts robotisés se détendit.

L’air s’insinua dans sa trachée et la vie qui s’apprêtait à la quitter regagna brutalement son organisme.


- Koko, ça va aller maintenant.

- Okaa… Okaa-san ?, bégaya-t-elle, l’esprit embrumé.

- Navrée trésor, ce n’est que moi.


Une silhouette gracile s’approcha d’une démarche féline, gravity saber en main.

Un manteau bleu ciel.

Une chapka semblable à celle d’une poupée russe.

Reiko plissa les paupières, remarquant les corps fumants des robots qui gisaient au sol. 

Tous deux avaient eu le torse transpercé par un rayon laser.


- Maetel ?


Cette dernière s’attela à défaire les sangles.


- Je te ramène auprès de ton papa. Tu vas rentrer à la maison, je te le promets.


Une fois libérée des attaches qui comprimaient ses jambes, la petite se réfugia dans les bras apaisants de son amie.

Sanglotante, la peau parcourue de spasmes, elle bredouillait des bribes de phrases inaudibles et incompréhensibles.

Maetel la drapa dans sa capeline et la souleva sans difficulté apparente.

Blottie contre la poitrine de la jeune femme, Reiko s’endormit, exténuée.


- Je refuse que tu deviennes une partie de sa planète.


***


- Lapin, se désola Harlock, ils sont morts… Depuis longtemps.


Chancelante et submergée par le poids de son passé, la pilote se releva en s’aidant de la poigne solide de son père.


- Maetel, tu me crois, hein ? Ils sont là… Autour de moi. J’ai l’impression qu’ils veulent que je les rejoigne.

- Pour quoi faire ?, l’interrogea Tetsuro, dubitatif.

- Je le saurai quand j’y serai.

- Tu dérailles grave.


Reiko se gratta frénétiquement le poignet.

“Il n’a pas tort, je fais et dis n’importe quoi. Je vais tous les mettre en danger avec mes idioties.”


“- Onee… Ce n’est pas parce que tu ne nous vois pas que nous ne sommes pas là.”

- Ça recommence, marmonna-t-elle en se prenant la tête entre les mains.

- C’était quoi ça ?, grogna Harlock en resserrant sa prise autour des épaules de sa fille.

- La preuve que Koko n’est pas folle, répondit calmement la voyageuse du 999.


La concernée lança un regard circulaire ahuri à ses compagnons.


- Vous avez aussi… 


Tetsuro pointa ses tempes. 


- Un murmure à l’intérieur de mon cerveau. Trop bizarre, hein ?

- Un piège ?, gronda le hors-la-loi en se raidissant.

- Avec ma mère tout est possible.


Une sueur froide ruissela le long du dos de Reiko.

“Serait-elle capable de tels prodiges ? Tous ces gamins… Ils avaient disparu avant l’effondrement de l’immeuble. Est-ce qu’ils seraient détenus ici ? Ils pourraient être manipulés par Promethium… S’ils ont été mécanisés, ils ne sont ni plus ni moins que ses esclaves. Et si… Non, s’ils avaient été métamorphosés en ce métal à résonance électrique… Ils n’auraient pas conscience de leur existence.”


- Otto-san, insista-t-elle.


Tiraillé entre sa raison et les yeux suppliants de son enfant, le Capitaine de l’Arcadia était incapable de prendre une décision.

Était-ce une erreur d’encourager Reiko à poursuivre ses chimères ?

D’autant plus que la conforter dans ses idées risquait de renforcer son égarement.

Et pourtant…

Lui aussi avait bel et bien entendu quelque chose.


- Maetel ?

- Il faut vérifier ce qu’il en est. Que ce soit un piège… Ou autre chose.

- Je ne te laisse pas, usagi, martela-t-il, résolu.


Tetsuro appuya alors ses poings contre ses hanches, arborant un sourire qui dévoilait toutes ses dents. 


- Partez avec Koko à la recherche des voix mystérieuses. Nous, on va chasser cette maudite sorcière !

- Ce n’est pas…

- Harly, faisons ainsi, abonda Maetel. Je suis certaine que les fils du destin ne sont pas étrangers à cette situation. Nous nous retrouverons sans doute plus vite que prévu.


Reiko retint son souffle car, sans l’aval du chef de leur expédition, elle ne pourrait sûrement rien faire.

“Pourquoi est-ce que j’ai la sensation que cette quête est plus cruciale, voire vitale, que l’anéantissement de Promethium ? Les hormones me font-elles vriller ?”


- Très bien, capitula-t-il. On se sépare. Gardez vos émetteurs à portée de main.


***


- Putain, Yuuki !

- Je fais de mon mieux !

- Ben, c’est pas suffisant ! 


Big1 fit une embardée qui propulsa le Commandant contre la porte de la “control room”.

Son côté droit heurta durement la paroi et il étouffa un râle de douleur. 


- C’est quoi cet énorme canon ? Le flux est cent fois plus puissant que celui de notre cosmo matrix, ragea l’ingénieur.

- Trois unités sont déjà tombées, les informa l’Officière radar.

- C’était clairement trop facile, s’irrita le sniper. Fallait bien qu’elle révèle son jeu à un moment ou un autre. On est touchés ?

- Les wagons douze et treize ! Si on ne les détache pas… C’est notre train dans son intégralité qui partira en fumée !, s’alarma Louise. Les flammes sont trop violentes ! On ne pourra ni les éteindre ni les contenir !

- Bordel de merde ! David, tiens-nous éloignés de ce truc ! Manabu, tu ne relâches pas la pression ! Louise, je veux que tu anticipes le moindre de leurs mouvements.

- Et toi ?, l’interpella l’artilleur.

- Je vais faire ce qu’il faut, annonça-t-il en arrachant le vantail coulissant. Young, tu tiens la barre en m’attendant.

- Compris. 


Bruce sortit de la pièce en quatrième vitesse et courut en direction des foyers incendiaires. Il traversa les hangars sans s’arrêter, poursuivit en dépassant l’infirmerie et parvint enfin devant le panneau de la voiture numéro douze.

Derrière la vitre de celui-ci des lumières vives, orangées et rougeoyantes, dansaient de façon hypnotique.

En nage, il glissa deux doigts entre son col et son cou. La chaleur était accablante et des gouttes de transpiration perlèrent au niveau de son cuir chevelu. Il ôta le foulard blanc autour de sa nuque, signe distinctif de sa nouvelle fonction, et s’épongea le front avec.


- Pardon, Commandant Bulge, je m’apprête à sacrifier la moitié de Big1. Pourvu que ça en vaille la peine.


Les mâchoires verrouillées, le jeune homme fit sauter la sécurité du tableau de commandes et amorça le désammarage.


- Reiko, j’espère que tu fais attention à toi… À vous deux.


Il enclencha une manette et actionna le microphone.


- Désactivez le bouclier. Propulseurs à 20%.

“- Bien reçu !”


Le train se mit à tanguer dangereusement et les wagons se désolidarisèrent de celui-ci.

Le Commandant s’agrippa à l’encadrement brûlant de la porte, les observant s’enfoncer dans l’espace intersidéral.

Quand Big1 menaça de se renverser sur le côté, il attrapa son communicateur.


- Bouclier ! Maintenant !


Les secousses cessèrent et les voitures se stabilisèrent.


- Bougez-vous, flibustier du dimanche, ou il n’y aura plus rien à sauver ici.


*** 


- Maetel !


Harlock pénétra dans l’un des multiples hangars de lancement du Death Shadow.

Son sang-froid habituel s’était envolé il y a de cela plusieurs jours et il n’avait pas fermé l'œil depuis près de soixante-douze heures. Toute sagesse l’ayant également quitté, les canons de son vaisseau n’avaient pas tari dès lors qu’on lui avait enlevé ce qu’il avait de plus cher en ce monde.

Alors, lorsqu’il avisa la minuscule silhouette pelotonnée dans les bras de son amie, il se pétrifia.


- Ko.. Reiko !


Il bouscula l’un de ses membres d’équipage et dévala les marches quatre à quatre jusqu’à rejoindre sa fille adoptive qu’il soustraya à l’étreinte de la voyageuse du 999.

L’enfant ouvrit les yeux et il lui fallut quelques secondes pour reconnaître le visage penché au-dessus d’elle. 


- Otto… Otto… Otto-san !

- Usagi !

- Otto-san !


Des larmes se mêlèrent et il aurait été vain d’essayer de déterminer à qui elles appartenaient. Le Capitaine caressa les cheveux de la petite jusqu’à ce qu’elle se tranquillise.

“Réelle, elle est bien réelle. De chair et de sang. Humaine et entière.”


- J’ai cru… J’ai cru que je ne te reverrai jamais.

- C’est impossible ça, ma puce.

- Elle a… Elle voulait…

- Tu es blessée ?, l’interrompit-il.


Reiko se mordilla l’intérieur de la joue comme elle avait coutume de le faire.


- Je suis désolée.

- Ce n’est pas à mon bébé d’être désolé, gronda-t-il. Le Doc va t’examiner, d’accord ? On va vérifier que tout va bien. Je vois plusieurs ecchymoses qui sont loin de me plaire.


Il se détourna avant de s’immobiliser.


- Merci, Maetel. Je n’oublierai pas. Je te suis éternellement redevable.

- Quand le temps sera venu, je te rappellerai cette promesse.


Le Capitaine garda le silence, serrant son précieux fardeau contre lui. Soulagé, il sortit de l’entrepôt sans un regard en arrière.


- Il faudra tôt ou tard écrire la conclusion de cette histoire. Pardonne-moi Harly, mais ta protégée en fait partie.


***


- Ici !, ordonna Harlock en catapultant Reiko dans un renfoncement glacial et humide.


Le pirate se plaqua contre sa fille. Le nez blotti dans le vêtement en cuir de son père, elle huma son odeur chaude et réconfortante, qui apaisa presque instantanément son anxiété et ce, malgré les rayons laser qui les frôlaient.

“Comme ce jour-là… Quand je suis rentrée à la maison. En sécurité.”


- Tto’san. J’suis navrée pour tout ça.


Harlock soupira en risquant une oeillade dans le couloir.


- Je dois avouer que Bruce a du mérite vu tous les soucis que tu lui causes. Et moi aussi, ça va de soit.

- Papa…


Il lui déposa un baiser fugace sur le front.


- C’est parce qu’on t’aime qu’on s’inquiète, ma puce. 

- T’es fâché ?

- Les chiens font pas des chats, j’aurais dû prévoir ton évasion ou plutôt ta récidive d’évasion. Dire que je me suis fait berner par Tetsuro alors qu’il m’a servi la même excuse que tu avais utilisée avec Bruce.

- T’étais au courant de ça ?

- Évidemment. Lui et moi on ne fait pas que se chamailler, on magouille de temps en temps, continua-t-il, moqueur.

- Oh, s’exclama-t-elle, mouchée.


Le hors-la-loi ouvrit le feu sur un trio d’humanoïdes embusqués.


- Il doit se ronger les sangs.

- Je sais, répondit Reiko, pantoise.

- Et il aura toutes les raisons d’être en colère.

- Je… Je comprends, oui. Il est tout pour moi.

- Et, à mon grand dam, tu es bien plus pour lui.


Un robot s’effondra, très vite accompagné par l’un de ses semblables.


- La prochaine fois n’hésite pas à te confier. Quoi que tu en dises, je suis très heureux pour vous deux et je n’ai jamais pensé que tu étais un fardeau ou autre chose du même acabit. Au contraire, cela fait longtemps que des rires d’enfants n’ont pas égayé le cœur de l’Arcadia. Et le mien. Par contre, que je me sois fait damer le pion par Kodaï reste intolérable, ajouta-t-il en souriant. Enfin, je le vis sûrement mieux que le tireur d’élite qui te sert de mari.

- Laissez Mamoru en dehors de ça, rétorqua-t-elle sur le même ton léger. 

- Pas sûr que la gâchette facile soit de cet avis.


Le dernier soldat s’affala, le torse perforé par un trait lumineux.


- Il n’y a rien entre moi et Mamoru. 

- Je sais, je le vois. Et Bruce aussi.

- Hum.


Harlock empoigna la main de Reiko, résolu.


- Par où va-t-on ?

- Je…


La pilote se concentra, tous ses sens en éveil.

Si les voix demeurèrent muettes, elle eut toutefois la sensation que des doigts invisibles la tiraient et la poussaient vers l’aile ouest.


- Par là bas, dit-elle en désignant un couloir sur sa droite. 


“Je ressens des choses si étranges qu’elles finissent par me paraître rationnelles.”

Shiro Yamazaki

Nami Yamamoto

Kiyoka Kitano

Sayuri…

Elle récita mentalement les noms de ses frères et sœurs de jadis. Ceux sur lesquels elle avait veillé pendant près de deux ans.

“Etes vous vraiment là ou tout ça c’est dans ma tête ? De la torture à la mécanisation, j’ai peur de découvrir quel mal Promethium a pu vous infliger.”


- Très bien. Suivons les spectres.

- Otto-san, toi aussi tu as entendu…

- Honnêtement usagi, je ne suis pas certain de ce que j’ai entendu, maugréa-t-il, dubitatif.


***


- Larguez les contre-missiles !

- Compris !

- Tourelle principale hors service !

- Compensez avec les pulsars.

- Oui, Commandant !


Tendu, les lèvres pincées, Bruce faisait de son mieux pour empêcher son unité de sombrer. Râ-Metal avait dégainé l’artillerie lourde et les cuirassés de la flotte de l’Alliance ne parvenaient plus à combler le fossé technologique séparant les humains des humanoïdes.

“On est dans la merde.”

En se débarrassant des wagons de queue, le sniper avait aussi réduit les capacités de leur armement de 40%.


- Notre bouclier ?

- Il va céder. C’est une question de minutes, lui assura l’ingénieur.

- On se retire.

- Quoi ?, protesta Manabu. On ne peut pas faire ça !

- Je vais me gêner tiens.

- Le peloton Sirius…

- N’est pas suicidaire. En tout cas, pas sous mon commandement, dit-il en évoquant sciemment Wataru Yuuki. 

- Hein ? Tu peux répéter ?, vociféra l’artilleur.

- Ouais. Ici on ne sacrifie pas sa vie. Si t’es pas content, Murase recrute.

- Bruce !, s’offusqua Louise, consternée par son attitude mesquine.

- Tu dépasses les bornes, le menaça Manabu. Ne manque pas de respect aux défunts.

- Ah ouais ? Hé bien j’en ai rien à foutre. Ici, c’est moi qui décide.

- On se détend les gars, s’interposa David.

- Demi-tour, on se met en retrait. Laissons l’Arcadia et le Yamato gérer ça.

- C’est un comportement lâche, indigne de la SDF.

- Crois ce que tu veux, Yuuki. Encore une fois, j’en ai rien à péter.


L’Officière radar, qui assistait à la joute verbale avec un agacement non dissimulé, pointa son écran de contrôle.


- Et ça, c’est normal d’après vous ?, leur demanda-t-elle, interloquée.

- Putain, c’est quoi ce cirque ?, s’emporta Bruce.


***


- Par là, Otto-san !


Le pirate effectua un dérapage en règle, se rattrapa in-extremis et s’enfila dans un corridor, la cape percée de quelques trous supplémentaires. 


- Koko ! Je passe devant ! 

- On est tout près, je le sens.

- Comment… ?


La jeune femme posa une main sur sa poitrine.


- Mon cœur s’accélère à mesure qu’on s’approche. Et aussi… C’est comme si une force me dirigeait vers la bonne direction. 

- Et les voix ?


Elle secoua la tête négativement.


- D’accord, on verra quand on y sera, n’est-ce-pas ?, soupira-t-il en se résignant à mettre de côté sa logique et son pragmatisme.

- Tu ne ressens pas de présence ?

- Pas vraiment.


Reiko se tordit les doigts, perturbée. 

“J’ai discuté avec Owen, qui était indubitablement mort, et c'est sans compter Tôchiro qui a réussi à transférer son âme dans l’ordinateur central de l’Arcadia… En me basant sur ces expériences, ce qui arrive en ce moment n’est pas si incroyable que ça. Finalement, cet univers invisible ne l’est que pour ceux qui refusent de voir.”

Harlock tendit son cosmo-dragoon devant lui et tira sur trois robots qui avaient surgi de l’autre côté de la coursive.


- Usagi ?

- Il faut qu’on descende, dit-elle en montrant des escaliers. La planète… Son noyau est… Chaud ?

- Râ-Metal ? On parle bien de Râ-Metal ? L’endroit le plus inhospitalier d’Andromède ?

- Oui, répondit-elle en haussant les épaules. J’ai l’impression d’être un aimant attiré dans ses profondeurs.

- Hum.

- Tu penses toujours que c’est un traquenard ?

- C’est une hypothèse qu’on ne peut pas écarter, lapin. 


Père et fille se faufilèrent dans la cage d’escaliers et dévalèrent les marches à toute allure. Des échos résonnèrent derrière eux et la pilote devina que les humanoïdes s’étaient lancés à leur poursuite.

Lorsqu’ils atteignirent l’étage le plus bas, Harlock avait les traits tirés et la mine soucieuse.


- On est proches, l’encouragea-t-elle. J’en suis persuadée.

- Puce, vas-y. Je vais faire le ménage ici. Si je me fie aux martèlements de leurs pas, ils sont une quinzaine, peut-être davantage. 

- Mais…

- Tu avais conclu un marché avec Tetsuro, non ?

- Hein ? Quand l’as-tu…

- On l’entendait brailler depuis l’autre bout du bâtiment. Comment tu crois qu’on vous a trouvés si vite ?

- Oh.

- Faisons de même. Je te couvre et tu vas voir ce qu’il en est. Tu es sûre, au fond de toi, que c’est sans danger ?

- Je l'ignore mais cette sensation… Là… Dans mes entrailles… Elle n’est pas maléfique.

- Au moindre problème, tu cours et tu te caches, c’est bien clair ?

- Je le ferai.

- Je plaisante pas.

- Moi non plus. Je ne suis pas seule… Dans la balance.

- D’accord.


L’ennemi public numéro un, toutes galaxies confondues, étreignit Reiko et celle-ci eut le plus grand mal à retenir ses larmes.


- Je t’aime.

- Moi aussi.


La jeune femme se libéra de l’emprise du Capitaine avec difficulté.


- À tout de suite. Sois prudent.

- Toi aussi.


À regrets, elle abandonna Harlock derrière elle et s’infiltra plus en avant au sein de la base fortifiée.

“Assassinés… Prisonniers… Mécanisés… Dans tous les cas… Je ne peux pas croire qu’ils seraient capables de me nuire.”


“- Onee. Tu es courageuse, hein ? C’était toi… La plus courageuse !”


La militaire se figea.


- Kiyoka ?

“- Oui, tu ramenais toujours à manger… Même qu’une fois tu as apporté des bonbons !”

- Nami !


Des frissons dressèrent les poils de Reiko.


“- On t’a attendue… Une éternité ! Tu as grandi ! T’es une adulte.”

- Shiro ! Où êtes-vous ? Où êtes-vous tous ? Est-ce que vous êtes blessés ?

“- Près de toi, Koko !”

- Hein ?

“- Continue. Tu comprendras.”

- Où ? Où ça ?

“- Plus bas ! Encore plus bas…”

“- Dépêche-toi, ils sont tout près… Les hommes robots.”


Des bruits de course affolèrent Reiko, qui avisa une trappe menant probablement à un vide-sanitaire ou une salle des machines. 

“Otto-san, j’espère que ça ira… Que ça ira pour toi.”

Elle enleva la plaque qui, étonnamment, n’était pas vissée.

Puis, elle s’insinua dans un espace étroit à l’intérieur duquel régnait une chaleur suffocante.


- Il fait près de cinquante degrés ici.


Elle s’avachit contre un tuyau brûlant trente secondes avant que les sbires de la reine ne traversent le couloir. 


- Tu vois, papa, pour une fois j’ai écouté.


Une fumée blanche se dégagea d’un conduit et la fit tousser à en perdre haleine.


- C’est ici ? C’est ici que vous vouliez m’emmener ?

“- Plus bas… Encore plus bas…”, répétèrent-ils tous à l’unisson.

- Mais je suis déjà… Au niveau le plus… 


Reiko rampa sur le sol bouillant, ce qui lui occasionna des cloques sur les genoux et les avant-bras. Des halètements douloureux franchirent ses lèvres tout au long de sa progression.


- Les enfants… Je ne… Il n’y a aucune autre échappatoire…


Elle s’immobilisa face à un chausse-trappe qui brillait d’une lueur rougeâtre.


“- Onee… Onee…”


Instinctivement, elle déboulonna la planche d’acier, son cœur tambourinant dans sa poitrine.

Lorsqu’elle aperçut le mécanisme constitué d’engrenages et de rouages, elle comprit enfin ce dont il s'agissait.

La seule hypothèse qu’elle avait immédiatement rejetée.

La seule probabilité qu’elle s’était refusée d’envisager.

La plus terrible d’entre-toutes. 

La plus évidente aussi.

Celle qu’elle avait jugé impossible malgré les révélations de Maetel sur SSX.

“Je me suis voilée la face.”


- Oh non… Non… Pas vous…


- Les vibrations de cet étrange métal découvert sur Heavy Melder… Celui-là même qui compose les bombes, elles sont d’origine…

- Humaine. Ce sont les échos des âmes de ces hommes et de ces femmes.”


Une plainte déchirante s’échappa de la gorge de Reiko.


- Pourquoi ?

“- Ne pleure pas pour nous, Onee.”

- Je suis désolée… Je suis désolée de ne pas avoir réussi à tous vous protéger… Ceux qui ont été kidnappés… Comme ceux qui sont décédés lors ce bombardement, ajouta-t-elle en se figurant l’image de la jeune Sayuri.


Elle inspira et expira jusqu’à retrouver un semblant de calme.


- Le sort qui a été le vôtre… Était pire que la mort.

“- Nous ne faisons plus qu’un avec Râ-Metal. Vis, clous et boulons. Nous sommes devenus une part de cet endroit. Mais toi, tu peux nous aider à mettre un terme à ce cauchemar pour qu’aucun autre enfant n’ait plus à subir ça.”

- Comment ? Comment ?, demanda-t-elle entre deux sanglots.

“- Tu le sais.”

- Est-ce que ça suffira ?

“- Un grain de sable dans la mécanique peut entraver le fonctionnement de la plus imposante des machines.”

- D’accord… D’accord.


Elle plongea son bras dans l’ouverture, déterminée.


- Plus jamais ça.


Au cours de cet affrontement, les volontés des uns et des autres s’étaient entremêlées jusqu’à former une pelote de laine tissée par les fils de leurs rêves et de leurs espoirs.

Tous s’étaient battus, ou se battaient encore, pour défendre leurs convictions :

La liberté pour tous les peuples de l’univers.

La protection du Galaxy Railways et de ses passagers.

L’anéantissement d’un esprit pervers et vicié.

La sauvegarde de l’Humanité.

Et, si Reiko avait longtemps cru que la vengeance était le moteur qui lui permettait d’avancer, elle venait de réaliser que son objectif était tout à fait différent.

Qu’il l’avait toujours été.


- Moi je suis venue pour vous aider à reposer en paix, n’est-ce-pas ?


Une fois cette certitude acquise, elle s’attaqua aux pièces métalliques.

Des gouttes d’hémoglobine perlaient à ses doigts tandis qu’une odeur de saucisse grillée émanait de sa chair carbonisée. Son auto-mail avait quant à lui roussit aux extrémités.

Piégée dans un état léthargique, la pilote ne ressentait aucune douleur.

Et, enfin, elle dénicha ce qu’elle cherchait.


“- Merci, Onee.”

- Vous serez vraiment libres après ça ?

“- Nous saluerons Sayuri pour toi.”


La température élevée sécha aussitôt les larmes de Reiko.


- J’aurais aimé tenir ma promesse.

“- Sois heureuse.”

- J’essaierai.


La jeune femme écarta les fragments superficiels et détailla un amas de roues crantées qui s’assemblaient parfaitement, lui évoquant le mécanisme d’une horloge.

Le souffle court, elle les arracha.


- Sayonara, tomodachi.


Des ombres parurent quitter les divers écrous et rivets que Reiko tenait au creux de sa paume.

Des ombres à formes humaines.


- Bon voyage, murmura-t-elle.


***


- Tous nos canons, feu à volonté !

- Pourquoi ne ripostent-ils pas ?, le questionna Manabu.

- Aucune idée, mais nous ne laisserons pas filer cette chance !, déclara Bruce. Où en sommes-nous ?

- Près de 90% de l’armement de la planète a été annihilé, le renseigna Louise.

- L’équipe d’infiltration sur place aurait réussi un sabotage ?, intervint David.

- Probable, répondit le Commandant. Faut croire que ces rebelles ne sont pas si incompétents que ça.

- Plus de retraite pour l’instant ?


Le sniper eut un sourire en coin.


- Je m’en voudrais que tu rates le grand final, Yuuki.

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