Savoir affronter ses peurs

Chapitre 3 : Jungle

2690 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/09/2023 17:22

Il sentit les feuilles craquer sous lui tandis qu’il se redressait sur ses bras. Le décor avait bien évolué. Il y avait d’immenses arbres verts autour de lui, une végétation touffue laissant à peine passer les rayons du soleil, mais surtout, aucun avion en vue. Il se passa une main sur le visage. Il devait être en train de devenir fou. Tout ceci était complètement absurde. Rien de tout ça ne pouvait être réel.

En attendant, il y avait plus important que toutes ces questions sans réponses. Son regard ne rencontra pas âme qui vive. Il tourna sur lui-même afin d’examiner les alentours. Toujours la même végétation où qu’il pose le regard. L’air était chaud et humide, alourdissant ses vêtement. Il se trouvait dans une jungle. Où exactement ? A peine la question posée, un affreux doute l’envahit. Impossible…

Le seul bruit audible était celui de sa propre respiration et celui des animaux : oiseaux, perroquets, singes... Le vent ne passait pas au travers des feuilles, rendant l’air suffoquant. Pour certains, ce lieu aurait pu paraître magnifique, un vrai havre de paix où la nature régnait en maître. Pour lui, ce paysage était synonyme de mort, de danger, de douleur, de trahison, de peur… Il se trouvait au beau milieu d’un lieu qu’il aurait préféré oublier et dans lequel il aurait voulu ne jamais remettre les pieds.

Tout à coup, les animaux se turent et le silence se fit total. Il sentit son pouls s’accélérer en même temps qu’une alarme silencieuse s’enclencha dans sa tête. Lorsque les animaux se taisaient, mieux valait se tenir sur ses gardes. Les sens en alerte, les muscles tendus à l’extrême, il tentait de percevoir la cause subite de ce silence.

Soudain, des coups de feu se firent entendre à sa droite. Il tourna brusquement la tête dans leur direction mais ils étaient trop loin pour qu’il puisse repérer quoi que ce soit. Instinctivement, il se précipita à l’abri, derrière un arbre. Il voulut prendre son arme mais s’aperçut seulement maintenant qu’il n’avait plus son holster et… Hein ? Il baissa les yeux et il découvrit qu’il portait un treillis.

Il ferma les yeux quelques secondes. « Non, pitié, pas ça ». Il croyait que s’était fini, qu’il n’aurait plus jamais à revivre une chose pareille. Mais le passé vous rattrape toujours, quoi qu’il arrive. Fébrilement, il tâta ses poches à la recherche d’une arme, de n’importe quoi qui pourrait lui servir à se défendre mais il n’avait rien. Toutes ses poches étaient vides. Il voulut crier. Putain de merde !

Mais il n’avait pas le temps de se lamenter sur son sort. Les bruits de tir en rafale se rapprochaient, et il n’avait personne de son côté. « Cours ! » lui cria une petite voix au plus profond de lui.  

Alors, il se mit à courir. Ses pieds martelaient le sol, les branches et les feuilles lui cinglaient le visage et les bras mais il n’y prêtait pas attention. La jungle devint floue autour de lui, tout ce qu’il percevait désormais n’était qu’une masse informe de vert. Du vert partout. Il détestait le vert.

Même s’il continuait de se battre en ville, c’était sa propre guerre qu’il menait basé sur les principes qu’il avait établis lui-même. Ici, rien de tout cela n’existait. Pas de civilisation, pas de perspective d’une vie normale, pas de liberté, rien. Tout ce qui régnait ici était la loi du plus fort. C’était agir ou mourir.

Son cœur battait comme un fou dans sa poitrine et Ryô sentait son souffle se faire de plus en plus laborieux à mesure que les minutes s’écoulaient. Depuis combien de temps courait-il ? Il n’en avait aucune idée. Le temps s’écoulait sans aucune prise sur ce qui l’entourait, il pouvait bien s’être passé seulement quelques minutes comme plusieurs heures. Il n’y avait rien qui pouvait l’aider à se repérer dans le temps. Alors il fuyait. Il fuyait pour se maintenir en vie, pour échapper à la mort.

Et la peur lui collait à la peau. Une peur qui l’aidait à courir et qui le maintenait en vie. Comment en était-il arrivé là ? La question plana un instant dans sa tête et arrêta pendant une seconde la terreur qui se déversait en lui.

Il leva les yeux vers le ciel pendant une fraction de seconde. Evidemment, il ne pouvait pas la voir dans cette jungle étouffante. Le soleil était-il apparu ? Est-ce qu’il était déjà trop tard ? Toutes ces questions finirent pas renforcer sa panique et le sentiment d’urgence au fond de son ventre.

Pendant ce temps-là, les coups de feu ne se faisaient pas de plus en plus sourd, au contraire. Ils semblaient se rapprocher dangereusement de lui. Pourquoi lui ? Qui étaient-ils pour maintenir leur course sur une distance pareille ? Impossible de déterminer leur nombre avec exactitude mais ils devaient être surentraînés. Il ne ferait pas le poids tout seul.

Même lui qui était si bien aguerri commençait à fatiguer. Il sollicitait encore un peu plus la force qui lui restait dans ses jambes afin d’aller plus vite, espérant pouvoir semer ses poursuivants.

Il sautait par-dessus les racines, courait comme un dératé... Mais il était à bout de souffle et il suait à grosses gouttes. Les bruits des mitrailleuses se rapprochaient toujours plus et s’il ne trouvait pas une solution rapidement, il allait vite se retrouver avec une balle dans le corps. La peur imprégnait l’air. Une peur dévastatrice et implacable.

Soudain, il trébucha sur une racine et roula sur le sol. Il se retrouva à genoux, la tête basse et le souffle court. Il fallait à tout prix qu’il se redresse et qu’il se remette à courir. Mais il n’en pouvait plus. Ses forces semblaient l’avoir quitté. Il ne savait même pas s’il pourrait se remettre debout. Ses poursuivants se trouvaient désormais à une centaine de mètre, pas plus. Il les sentait qui s’approchaient.

Il allait se relever lorsqu’il la repéra. A quelques centimètres seulement de sa main droite. Elle scintillait dans la lumière du jour. Une seringue. Une seringue qui contenait un liquide blanchâtre qu’il ne connaissait que trop bien. Elle semblait lui murmurer que c’était la seule chance qu’il avait de s’en sortir. Il entendit des voix d’hommes derrière lui. Il fallait faire vite. Sa seule chance…

D’une main légèrement tremblante, il retroussa sa manche gauche et prit la seringue qu’il trouva plus petite que ce qu’il pensait. Un goût amer sur la langue, il planta l’aiguille dans la peau de son bras. Mais au moment d’appuyer sur le piston, il hésita. Ne valait-il mieux pas mourir que de revivre ça ? Il sentait la panique bouillonner en lui, l’empêchant de réfléchir correctement. Il n’arrivait plus à reprendre son légendaire sang-froid. Que lui arrivait-il ?

Rien de tout ça n’est réel…

Coupant court à toute pensée, il s’injecta, presque avec rage, l’Angel Dust dans ses veines. Il jeta ensuite au loin la seringue et se recroquevilla un instant sur le sol, un léger râle s’échappant de ses lèvres.   

Ils étaient au moins une vingtaine. Tous armés jusqu’aux dents. Ils tendaient l’oreille, aux aguets, n’échangeaient aucun ordre entre eux. Ils savaient quoi faire. Aucun signe de fatigue ne transparaissait sur leurs visages, c’était à peine s’ils étaient essoufflés. Ils venaient tout juste de perdre sa trace puisqu’ils ne ressentaient plus aucune présence humaine dans les parages.

Ils marchaient prudemment en faisant le moins de bruit possible. Ils étaient confiants, ils finiraient bien par le retrouver.

La première personne à tomber se trouvait la plus éloignée des autres. Le soldat ne vit qu’une ombre s’abattre sur lui, l’éclair d’une lame puis la mort aux yeux sombres s’approcher. Il porta une main à sa gorge d’où s’écoulait un flot de sang. Il s’écroula à terre dans d’affreux gargouillis, les yeux révulsés et périt quelques secondes plus tard.

La seconde victime se retourna en direction du bruit que fit son camarade en agonisant. Il n’eut même pas le temps de tirer ni même de prévenir les autres. Il sentit un couteau lui transpercer le ventre avec une force inouïe. Il voulut crier de douleur mais un coup violent à la mâchoire l’en empêcha. Il rendit son dernier souffle avant d’avoir touché le sol, ses entrailles se vidant par terre.

Le troisième aperçut un éclat argenté qui s’enfonça entre ses deux yeux. Le quatrième mourut d’un coup porté dans sa nuque, lui brisant instantanément les cervicales, lui ôtant la vie sans qu’il n’ait trop à souffrir.

Ils tombaient les uns à la suite des autres, impuissants, croyant avoir affaire à un démon. L’un des hommes malgré tout, parvint à faire feu avec son arme mais l’ombre se déplaçait si vite qu’il la manqua. Il rendit l’âme quelques instants plus tard.

D’autres suivirent son exemple et tirèrent à leur tour. L’un d’eux réussit à atteindre sa cible mais cela ne semblait pas avoir affecté leur adversaire. Au contraire, il redoubla de violence. Des membres furent brisés, des chairs transpercées et ils succombaient tous dans d’atroces souffrances.

Dans ce massacre, aucun d’eux ne put apercevoir cet ange démoniaque qui détruisait tout sur son passage. C’était à peine s’ils perçurent une silhouette se déplacer furtivement entre les feuilles et les arbres.

Seul le dernier survivant pu distinguer l’homme qui les descendait tous. Non, en fait ce n’était même plus un homme, il n’aurait même pas su dire si c’était une bête. Il reçut un violent coup à l’estomac qui le fit voler sur plusieurs mètres. Il lâcha son arme et se retrouva sans moyen de défense, livré à lui-même.

A genou sur le sol, il vit l’ange destructeur s’avancer dans sa direction. Il découvrit qu’une balle l’avait touché à l’épaule gauche et du sang s’écoulait de la plaie mais il ne semblait pas y prêter attention. Il frissonna lorsqu’il croisa son regard : vide, sombre, sans aucune once d’humanité. Il se mit à avoir peur. Très peur et il implora, les mains dressées devant lui : « Non, pitié ! Non, je vous en supplie… ».

Il fut frappé en plusieurs endroit par la lame du couteau. Il hurla de douleur tandis que de sa chair meurtrie s’échappaient des filets de sang. A terre, il supplia le démon de l’achever. Mais le démon n’avait pas de pitié. Cette dernière victime vit la mort s’approcher, la frôler, pour finalement l’emporter après de longues minutes d’agonie.

Le silence revint. Plus de coups de feu, plus de cri ni de supplication. Rien d’autre que le silence. Peu à peu, les oiseaux et les animaux de toutes les espèces émergèrent de leurs cachettes et les bruits habituels remplirent à nouveau la jungle.

Progressivement, Ryo sorti de sa torpeur. La drogue faisait de moins en moins effet dans ses veines et il ressentit une douleur cuisante à l’épaule gauche. Il contempla le massacre qu’il avait sous ses yeux. C’était lui qui avait fait ça ? Le sol était jonché de corps et il y avait du sang partout. Il avait du sang sur les mains, le visage, les habits. Du sang coulait du couteau qu’il tenait toujours dans sa main. Le couteau… Où l’avait-il eu ? Il le contempla comme si c’était la première fois qu’il en voyait un. C’était complètement absurde… La tête lui tourna. Son arme tomba par terre dans un bruit mat.

Il fut saisi d’un haut-le-cœur et il vomit sur le sol, plié en deux, les mains sur les cuisses. Les minutes passèrent sans qu’il ne bouge. Il revivait peu à peu les dernières minutes, le carnage dont il était le responsable. Il ressentait la puissance dont il avait été doté, cette force qui aurait pu lui permettre d’abattre des arbres à mains nues.

Et il avait peur. Peur de ce qu’il avait fait, de ce qu’il était devenu. Peur de lui-même. Il s’était transformé en ce qu’il redoutait le plus : une bête féroce, monstrueuse, qui n’avait plus rien d’humain et qui tuait sans pitié. Il n’était plus rien. Même plus un homme ni un animal. Plus rien.

Il tremblait de tous ses membres. Il serra les poings pour contenir ces soubresauts en vain. Il avait peur. C’était même plus que ça. Il était terrorisé par ce qu’il était devenu. Mais il ne devait pas avoir peur…

Pourquoi ? Il n’en savait rien. Il n’arrivait plus à réfléchir correctement.

Il se passa une main tremblante sur son visage couvert de sang et de sueur. L’air devenait irrespirable. L’odeur de la mort planait entre les arbres. Ces derniers semblèrent tout à coup se resserrer sur lui comme pour l’étouffer. Il ouvrit la bouche pour chercher de l’air mais il n’y en avait pas.

Son cœur lui faisait mal dans sa poitrine. Les images de ce qu’il avait fait tournaient en boucle dans sa tête. Le passé et le présent se confondaient. Ses tremblements étaient devenus ingérables. Il devait faire quelque chose. Maintenant !

Il se redressa en grimaçant et évita de porter son regard sur les cadavres. Au lieu de ça, il pencha la tête en arrière vers le ciel. Ce ciel qu’il ne percevait même pas à travers les feuilles des arbres. Et il se mit à crier. Au départ, c’était un cri rempli de peur mais peu à peu, cela devint autre chose. Il hurlait son dégout mais aussi toute sa colère et sa haine contre cet endroit pourri. Contre le destin. Contre le ciel invisible. Contre lui-même. Il avait été assez lâche pour obéir à son instinct primaire, assez lâche pour céder à la tentation, assez lâche pour laisser la terreur prendre tout le contrôle. Il laissa la rage l’envahir et prendre toute la place. Tout plutôt que la peur.

Sa voix vrilla et son souffle se tarit mais il le sentait au fond de lui, cette fureur qui lui brulait l’estomac. Il se concentra dessus et la nourrit de toutes les images dont il était capable : l’injustice, la guerre, les pourris de riches qui s’enrichissaient avec cette guerre, la trahison… Il fallait la maintenir en vie. Jusqu’à ce qu’il ne ressente plus rien d’autre. Plus rien d’autre…

Il serra de nouveau les poings. Il ne tremblait plus. Alors, il fit un pas afin de s’éloigner d’ici. Cependant, son pied ne rencontra pas la solidité du sol comme cela aurait dû être le cas. On aurait dit que la terre était devenue aussi dense que de l’air. Emporté par son mouvement, il bascula et il s’enfonça dans le sol.


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