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Chapitre 12 : Les mots que l'on ne dit pas

1703 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/03/2024 10:21

Je lève les yeux de mon ordinateur. Le soleil de ce début de printemps me chatouille le nez tout en me réchauffant. En voyant que le beau temps était au rendez-vous, je me suis empressée de me saisir de mon ordinateur portable pour courir me ressourcer à Central Park. Le World Trade Center me fait face, majestueux, réfléchissant les rayons du soleil sur ses carreaux.


Lorsque je regarde autour de moi, je réalise que les américains ont eu la même idée que moi. Des mamans avec leurs enfants en poussette se balade, évitant les cyclistes qui sont sur leur chemin. Les chiens gambadent dans leur parc, jouant avec leur congénère. Plus loin, des petites grands-mères accompagnées des enfants donnent à manger aux canards qui pataugent. J’apprécie grandement vivre dans ce pays où tout bouge si rapidement, où la grandeur est le maître-mot et proche du déraisonnable. Pourtant, mon cœur est lourd, lourd de ne pas pouvoir partager ce bonheur avec ma petite-sœur, restée auprès de Monsieur Saeba, lequel me donne des nouvelles dès qu’il le peut. Malgré tout, j’aimerais beaucoup pouvoir écrire à Kaori, lui dire la vérité, que nous sommes sœurs, mais je n’ose jamais. C’est si dur de devoir garder le silence, silence qui est mon choix et pour lequel je n’ai pas à me plaindre. Quand j’ai vécu une semaine chez Monsieur Saeba, j’ai plusieurs fois eu l’occasion de tout lui raconter, j’ai même failli le faire sans aller jusqu’au bout. Dans le fond, je ne suis pas sans ignorer que ma petite sœur n’aurait pas été heureuse en m’accompagnant ici, en Amérique, loin de ses racines, loin de Ryô Saeba et tous ses amis.


Mon cœur se comprime dans ma poitrine en réalisant que je n’avais pas ma place dans sa vie, que nous ne sommes que des étrangères, que j’étais simplement une cliente dont elle doit sûrement avoir oublié l’identité. Peut-être m’a-t-elle simplement oublié depuis tout ce temps ? Dans tous les cas, moi je ne l’oublie pas, elle a toujours une place dans ma vie et surtout dans mon cœur.

 

Je ferme mon ordinateur, le glisse dans mon sac, en sort un calepin et un stylo et je commence à écrire. J’ai besoin d’alléger mon cœur en rédigeant tout ce que j’aurais aimé dire à Kaori, en sachant pertinemment où cette énième lettre va finir. La brise soulève mes cheveux, formant une douce vague puis retombe sur mes épaules. Je mordille mon stylo nerveusement, ne sachant pas par où commencer. Mon regard se perd dans le paysage, s’accrochant à deux jeunes filles, sans doute des sœurs. La plus grande tient fermement la seconde par la main, toutes deux vêtues d’un uniforme scolaire et leur sac sur le dos. Cette image me renvoie à ce que nous aurions pu être, Kaori et moi. Ce tableau provoque un déclic en moi, je semble être touchée par la grâce lorsque je commence à rédiger.

 

« 

30 mars 199.


Chère Kaori,

 

J’imagine que tu vas bien, que monsieur Saeba persiste à te faire tourner en bourrique en te provoquant par divers stratagèmes tout en n’acceptant pas les sentiments qu’il a pour toi. C’est pour cette raison que je ne te demande pas réellement comment tu te portes, parce que je sais que quoi qu’il se passe, tu es entre de bonnes mains – même si j’avais un gros doute lorsque nous nous sommes rencontrées.

De mon côté, je vais bien. Je me suis rapidement faite à ma vie américaine. Tout est tellement différent du Japon ! Tout, ici, est gigantesque. A côté, nos infrastructures japonaises ne sont pas grand-chose. Pour tout te dire, je t’écris en ayant une vue impressionnante sur les Tours Jumelles, autrement dit le World Trade Center, qui sont les plus hautes tours de New-York.

 

M’enfin. Je ne t’écris pas pour parler de la pluie et du beau temps, ni même d’architecture. Non, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains pour tout te raconter, la vérité sur moi, sur nous, parce qu’il y a un « nous ». A ce stade, tu dois sûrement te demander où je souhaite en venir, ce qui est compréhensif. Voilà, Monsieur Saeba et moi avons un secret commun qui commence à sérieusement peser sur mes frêles épaules.


Ryô Saeba m’a récemment confié que tu savais que tu avais été adoptée lorsque tu n’étais qu’une très jeune enfant. Il m’a avoué cela au détour d’une conversation téléphonique comme il nous arrive d’en avoir à ton insu. Peut-être m’a-t-il offert là une occasion en or de t’avouer la vérité. L’envie ne m’en manque pas, simplement je suis terrifiée à cette idée, sans raison apparente. Probablement crains-je un rejet de ta part ? C’est le plus plausible. Ton caractère est si fort que j’aurais peur de me prendre une massue à distance ! »

 

Je soulève le stylo du papier, n’étant pas certaine pour la suite. Mon palpitant bat à cent à l’heure, le stress me fait perdre mes moyens. Moi, qui suis rédactrice en chef d’un grand magazine, suis incapable de poser de simples mots sur une feuille. « Je suis ta sœur. JE.SUIS.TA.SOEUR. » Ce n’est pourtant pas compliqué. Je soupire longuement, mécontente de moi avant de me relancer dans mon récit.

 

« Demain, à l’heure américaine, c’est ton anniversaire. Ce qui veut dire qu’à Tokyo, vous êtes déjà le 31 mars. Bon anniversaire, Kaori ! J’espère que ta journée se déroulera comme tu le souhaites, que tu es heureuse. Maintenant, tu dois te demander comment je suis au courant du jour de ton anniversaire. En réalité, il y a une raison, une cachoterie qui risque de te mettre de mauvaise humeur.

Pour tout te dire, j’ai besoin de courage pour l’admettre. Pour être tout à fait honnête, lorsque je suis devenue votre cliente, à Monsieur Saeba et toi, ce n’était pas un appel à l’aide anodin. J’avais, contacté l’inspectrice de police Saeko Nogami avant qu’elle ne me redirige vers vous. Monsieur Saeba n’était même pas au courant que j’étais en réel danger lorsqu’il a accepté que je sois placée sous ta protection. La vérité est que je te recherchais, car tu n’es pas qu’une inconnue pour moi. Non. Kaori, toi et moi avons les mêmes parents, avons le même sang qui coule dans nos veines. Tu es ma petite sœur, je pourrai te le prouver à nos bagues qui sont les mêmes et qui étaient un cadeau de notre défunte mère.


Je t’imagine abasourdie derrière la lettre, avec une multitude de pensées qui se bousculent dans ta tête. Tu dois sérieusement t’interroger sur notre histoire. C’est assez compliqué mais notre père t’a enlevée lorsque nous étions enfants. Visiblement, il avait une vie plutôt misérable après que nos parents aient divorcé. Ne supportant pas que notre mère ait obtenu notre garde, il t’a enlevée, avec la bague qui était notre cadeau à toutes les deux, de la part de maman. J’ai longtemps cru que tu étais morte, parce que maman aurait préféré savoir que tu l’étais pour ne pas souffrir de ton absence. C’est injuste, je sais, et je lui en ai longtemps voulu de m’avoir menti pendant toutes ces années et de se confier sur son lit de mort. Depuis ce jour, je ne me suis jamais lassée de te rechercher. Et mes efforts n’ont pas été vains. Je t’ai retrouvée et je n’ai pas su t’avouer qui je suis véritablement. J’en ai honte.


Au lieu de ça, j’ai passé une semaine à jauger quelle vie te convenait le plus, comme Monsieur Saeba me l’a demandé – supplié – et j’ai pu passer du temps à tes côtés, dans le plus grand de tous les mensonges. Ces cadeaux que je t’avais faits n’étaient pas désintéressés, bien au contraire. Par ces offrandes, j’ai voulu te ramener à ta féminité mais aussi te faire comprendre que tu n’étais pas une parfaite inconnue pour moi. De cette manière, j’ai moi aussi reçu un cadeau : celui de passer du temps avec ma petite sœur.

 

Kaori, ma petite sœur, sache que je t’aime malgré la distance, malgré les mensonges.

 

Sayuri. »

 

Je lève définitivement ma main du calepin, rebouche le stylo décapuchonné et le range négligemment dans mon sac. D’un coup de poignet, je décroche le feuillet de son squelette, l’observe longuement avant de le chiffonner. Je range mon matériel dans mon sac, avec mon ordinateur, me lève et commence à marcher sur les longs chemins de Central Park. Mes talons résonnent sur le sol, ma main serre la boule de papier si fort que mes ongles manucurés s’enfoncent dans ma paume. Lorsqu’une poubelle apparaît dans mon champ de vision, je balance la boule dedans sans arrêter ma marche. Je parviens à retenir mes larmes, la tête haute, le cœur légèrement plus léger. Malgré tout, ce n’est pas plus mal qu’elle ne sache rien. Je la sais heureuse malgré les quatorze heures de décalage et les 18 896 km qui nous séparent.

 

 

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