Juste trop tard

Chapitre 2 : Chapitre 1

Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/12/2011 09:05

Flyleaf – All around me : http://www.youtube.com/watch?v=xN0FFK8JSYE

 

Teru se réveilla en sursaut. Elle reprit ses esprits durant plusieurs minutes, respirant le plus profondément possible, tout en passant une main sur son front, comme on le ferait pour prendre sa température.

Encore ce rêve. Cela faisait bien une dizaine de fois que ce rêve, ou plutôt cauchemar, la dérangeait dans son sommeil depuis un an. Il était dénué de couleurs, à l'exception du sang du conducteur de la voiture. Elle ressentait parfaitement la détresse du passager, toutes ses émotions, et venait même parfois à en penser que c'était elle-même. Or, ironiquement, elle n'avait aucune idée de l'identité du jeune homme. Il était sans visage.

Teru avait commencé à se poser des questions au bout de la troisième fois où ce rêve l'avait poursuivie la nuit. Qui était cet homme ? S'était-il passé quelque chose comme cet accident, un an plus tôt ? Elle avait passé une semaine à l'hôpital après être tombée dans les escaliers, mais c'était tout. Aucun souvenir d'accident routier.

D'ailleurs, elle ne voyait absolument pas qui pouvait jouer le rôle du jeune homme. Son frère ? Impossible, il ne conduisait pas ; Sôichirô avait toujours répété que les voitures étaient dangereuses et lui avait fait promettre de ne jamais essayer d'en conduire une. Il aimait bien pousser son rôle de grand-frère à l'extrême. Il fallait quand même dire qu'ils avaient quatorze ans d'écart, et devenir orphelins bien vite après sa naissance avait dû le marquer.

Teru ne se souvenait plus du visage de ses parents. Leur mère, Tomoe, était décédée en accouchant et leur père, Haruse, avait rendu l'âme trois ans plus tard. Son frère, lui, était parti trois ans plus tôt. Elle avait à présent dix-sept ans et n'avait plus aucun parent. C'était Riko, la fiancée du défunt Sôichirô, qui prenait soin d'elle depuis plus d'un an.

Sa tutrice n'était de toute façon pas présente cette nuit-là. Elle était partie pour une affaire à l'autre bout du pays et ne reviendrait que d'ici trois jours. Sachant pertinemment qu'après ce rêve elle ne se rendormait jamais, la jeune Kurebayashi se leva puis alla se servir une tasse de thé dans la cuisine en jetant un coup d'œil à l'horloge : trois heures du matin. Les cours commençaient à huit heures, il fallait qu'elle tue le temps jusque là.

La brune s'installa sur le canapé puis alluma la télévision qu'elle regarda d'un œil distrait, songeant à ce rêve. C'était la première fois depuis trois mois qu'elle le faisait. Elle avait pensé en être enfin libérée, pourtant il avait fallu qu'il revînt la tourmenter. Elle avait beau se creuser la tête, elle ne comprenait rien : il n'y avait aucun rapport avec sa vie.

Le docteur qui la suivait régulièrement depuis un an lui avait raconté que sa chute dans les escaliers lui avait sans doute fait penser à la mort de ses parents ainsi que de son frère et qu'elle était persuadée inconsciemment que l'homme avec laquelle elle se lierait subirait un sort tragique.

Peut-être était-ce vrai. Peut-être croyait-elle que tous ceux qui lui étaient chers finiraient mal par sa faute. Kiyoshi avait failli se faire renverser par une voiture à pleine vitesse devant l'école une fois. Mais quelqu'un avait réussi à le pousser de manière à ce qu'il pût l'éviter.

Teru soupira. Elle demanderait à ce qu'on lui prescrive des somnifères la prochaine fois, car elle s'ennuyait royalement et refusait de se laisser tourmenter par ce rêve. Elle ne savait même plus quoi en penser : devait-elle y voir un message caché ? Sans doute, puisqu'il était récurrent. Devait-elle le prendre au sérieux ? Elle n'en avait aucune idée…

L'adolescente retourna dans sa chambre après avoir débarrassé sa tasse de thé puis saisit un livre qu'elle commença à lire, toujours distraitement : le jour suivant le rêve, elle ne parvenait jamais à se concentrer. Pratique en cours. Elle n'y pouvait pourtant rien, et donnerait tout pour s'en débarrasser, ou pour que ses questions ne restassent pas sans réponse : pourquoi seul le sang était-il de couleur ? Qui était cet homme ? Quel était cet accident ? Quand ? Où ? Comment ?

Teru roula sur le dos en fixant le plafond d'un air vide. Riko paraissait aussi perdue qu'elle à ce sujet. Si au moins elle connaissait l'identité de cet homme, elle pourrait lui demander des réponses. Mais aucun indice ne la rapprochait de la vérité. Elle restait dans un brouillard total.

Si elle le voyait, le reconnaîtrait-elle immédiatement ? Et s'il saignait, verrait-elle à nouveau ce rouge dans ce monde sans couleurs ? Et si cet homme était mort ? Ou peut-être était-ce un rêve prémonitoire. Elle avait vaguement l'impression de voir un portable qu'elle possédait vraisemblablement, or il lui était impossible d'en déterminer le modèle, afin de savoir s'il était plutôt récent. Peut-être ne pouvait-elle pas prédire de tels détails.

Si c'était un rêve prémonitoire, il était très en avance et terriblement insistant. Le conducteur paraissait proche d'elle. Toutefois, Teru avait beau se creuser la tête, elle ne ressentait de tels sentiments envers aucun homme, ne serait-ce son défunt frère. Elle n'avait de toute façon jamais été amoureuse, alors son ressenti dans son rêve la perturbait un tant soit peu.

L'adolescente soupira. Continuer à se tourmenter indéfiniment ne changerait rien. Pendant trois mois, elle était parvenue à l'ôter de son esprit. Pourquoi revenait-il à présent ? Serait-ce un message ? Voyons, bien sûr que non, ce genre de dons surnaturels n'existaient pas... Ce cauchemar finirait bien par disparaître un jour et cesserait forcément de la tracasser. Ce n'était qu'une question de temps.

Satisfaite de sa conclusion, Teru écouta de la musique, fit tout pour ne pas réfléchir. Si elle ne gardait pas son cerveau occupé, il reviendrait toujours à cet événement. Il fallait qu'elle se bourre la tête jusqu'au petit matin où le lycée prendrait le relai. Elle n'était franchement pas d'humeur à réviser, de toute manière elle était toujours première lors des examens.

Les premières nuits, elle avait appelé ou envoyé des messages à ses amis qui dormaient, malheureusement pour eux. Puis, elle s'était sentie coupable de les déranger au beau milieu de la nuit et avait décidé de prendre sur elle et de prétendre de n'avoir fait aucun cauchemar de la sorte si on lui posait la question. Elle ne savait pas pourquoi, mais en parler finissait toujours par l'énerver. Elle devenait violente, sans comprendre la raison pour laquelle elle perdait son sang-froid. Sans doute parce qu'elle était déboussolée dans cette histoire. C'était la conclusion à laquelle elle était arrivée.

Teru n'en parlait pas toujours à Riko non plus. Sa tutrice ne pouvait de toute évidence pas l'avancer plus dans son tourment et ne pouvait que rester là à l'écouter patiemment. Elle était toujours débordée par le travail, la jeune Kurebayashi avait donc aussi décidé de l'écarter à son tour de ses problèmes. Grâce à l'ancienne fiancée de son frère, elle pouvait manger et être logée sans frais majeurs. Elle lui en était reconnaissante et faisait donc tout pour ne pas être dans son chemin.

C'était durant ces nuits-là que Teru se sentait le plus seule. Personne ne se trouvait à ses côtés, elle avait fréquemment l'impression de ne pas être comprise, comme si quelqu'un le pouvait. Comme si une personne, quelque part, était en mesure de la rassurer...

Elle divaguait totalement. Lire des histoires romantiques ne l'améliorait pas. L'âme-sœur avec qui on partage un lien spécial durant toute sa vie... Quelle blague. Plein d'adolescentes de son âge attendaient avec impatience que le prince charmant vînt, alors que jamais il n'apparaîtrait. Vivre dans des illusions ne leur apporterait assurément rien de bon au final...

Elle se tracassait pour rien. C'était sans doute la dernière fois que ce rêve troublerait son sommeil, il était inutile de continuait ces inepties. Elle avait des choses plus importantes à faire, comme réussir ses examens.

 

Chaque journée suivant son rêve, Teru était toujours plus ou moins renfermée. Elle évitait la plupart des contacts avec les autres élèves de son école ou plus particulièrement de sa classe et restait assise à son bureau à réfléchir. Ses cours passèrent tranquillement, sans trouble majeur. Ses amis avaient plus ou moins compris qu'elle n'était pas d'humeur à s'amuser avec eux et la laissaient en paix, jusqu'à ce qu'elle se décide à aller vers eux.

Déterminée à prendre un peu l'air lorsque la sonnerie annonçant la pause du midi retentit, l'adolescente brune prit son déjeuner puis se dirigea vers l'extérieur. Il faisait bon, cela lui ferait du bien de manger à l'extérieur, histoire de ne plus penser à ce rêve. Enfin, à bien y réfléchir, elle n'y songeait pas tellement. C'était juste qu'elle avait du mal à se concentrer sur quoi que ce fût.

Inattentive, bien entendu, tandis qu'elle marchait, Teru ne remarqua pas la personne devant elle qu'elle bouscula. Sans même regarder cette personne dans les yeux – elle n'y arrivait pas -, elle se releva, marmonna des excuses puis s'éclipsa. Voilà qu'en plus d'être maladroite, elle en perdait ses bonnes manières. Mais pourquoi n'avait-elle pas réussi à lever les yeux vers cette personne ? Elle avait juste deviné qu'il s'agissait d'un homme de grande taille en le percutant, pourtant ce n'était pas une explication valable. C'était comme si son esprit l'avait empêchée de le regarder. Y aurait-il un lien avec ses soucis actuels ?

Voyons voyons, elle en devenait paranoïaque. Il fallait sérieusement qu'elle se calme. Pourquoi se mettre dans des états pareils pour un accident aussi mineur ? Kurebayashi soupira longuement puis s'installa sur un coin d'herbe au soleil où elle déballa son sac contenant son repas. D'un geste vif, elle saisit ses baguettes puis mangea lentement son riz, espérant que ses pensées s'envoleraient bien vite.

 

Tirant une bouffée de sa cigarette, l'homme suivit la jeune fille du regard. La casquette assortie à son uniforme masquait en partie ses yeux avec l'ombre produite. Il n'avait pas dit le moindre mot, n'avait assurément pas pu. Il resta de marbre au milieu de l'allée, ne pouvant la quitter du regard.

Il ne savait pas comment réagir, il avait pensé que tout se passerait autrement. Il aurait dû être plus attentif et dégager le chemin. Pourquoi avait-il fallu qu'il tombât sur elle ? Et comment devait-il interpréter sa réaction ? Ce n'était pas du tout ce qu'il avait envisagé. Il avait pensé que les choses se dérouleraient autrement. Durant cette année, que s'était-il passé ?

Dans un élan de nervosité, il reprit une bouffée de la cigarette, sans se rendre compte qu'il l'avait finie. D'un geste rageur, il la jeta par-terre puis l'écrasa avant de rebrousser chemin. Il y avait forcément une explication. Elle ne l'avait même pas regardé, peut-être était-ce la raison.

Pourquoi se cherchait-il des excuses aussi futiles ? Elle l'avait forcément reconnu. C'était obligé. Lui en voulait-elle encore, même un an après ? Elle en avait le droit. Après tout, c'était de sa faute... Il ne méritait pas d'être pardonné. Pourtant, elle lui avait terriblement manqué. Après avoir attendu, il était revenu. Il avait tant attendu cet instant qui ne s'était pas déroulé comme prévu. Il ne savait pas à quoi s'attendre.

Elle n'avait absolument pas changé. Ses cheveux étaient un peu plus longs et il lui semblait bien qu'elle faisait un centimètre de plus, certes, mais en tous cas elle était toujours aussi plate.

Il ne pouvait pas agir pour le moment. Il fallait qu'il retravaille son plan avant d'entrer en action. Pour le moment, mieux valait s'éclipser...

 

A la fin des cours, les élèves se rendirent tranquillement dans leurs clubs afin d'y faire leurs activités du jour. Teru, ne participant à aucun d'entre eux, rangea calmement ses affaires en saluant ses amis d'un signe de la main. Les deux dernières heures de cours avaient été les plus difficiles. Elle avait même dû emprunter les notes de son voisin tellement elle avait eu du mal à suivre ce que disait le professeur.

Il fallait sérieusement qu'elle se ressaisisse, elle se faisait peur à être aussi distraite. Elle aurait peut-être dû prendre une douche glacée ce matin, cela l'aurait bien réveillée. Elle vérifia sur son portable si Riko ne l'avait pas appelée pour prendre des nouvelles puis quitta la salle.

Dans un coin de la cour, des élèves qu'on qualifierait aisément de délinquants juvéniles fumaient une substance quelque peu douteuse en se racontant des histoires censurées. Tout en riant de l'une de leurs précédentes idioties, l'un d'eux remarqua Teru qui se dirigeait vers la sortie et décida de s'amuser un peu. Après quelques signes échangés avec ses amis – s'il était possible de les nommer ainsi -, ils se dirigèrent d'un pas assuré vers l'adolescente qui ne se douta de rien avant de les apercevoir.

Remarquer quatre adolescents suspicieux qui se dirigeaient dangereusement d'elle l'aida subitement à reprendre ses esprits. Teru détourna la tête et accéléra l'allure en direction de la porte menant vers la rue. Quoique si elle quittait le lycée, elle serait moins en sécurité. D'un autre côté, tous se trouvaient dans leur club, nul n'était en mesure de lui venir en aide.

« Eh, tu viens t'amuser avec nous ? »

Elle tenta de les ignorer et se concentra sur la sortie. Il lui suffirait de prendre le train, c'était une heure de pointe, ils n'oseraient pas l'aborder à ce moment-là. Elle revint subitement à la réalité lorsqu'elle sentit une main attraper fermement son bras. La brune, d'un geste vif, tenta de se défaire de son emprise lorsqu'un autre lui barra la route.

Ils étaient dans l'enceinte de l'école, ils n'allaient pas essayer quelque chose... N'est-ce pas ? Et qu'est-ce qu'ils faisaient là, s'ils séchaient les cours ? L'un d'eux lui saisit l'autre bras, l'immobilisant ainsi. La peur s'empara soudainement d'elle ; n'y avait-il donc personne ? Et pourquoi fallait-il que cela lui arrive, à elle ? Elle n'avait rien fait pour le mériter. Elle tenta de se libérer de leur emprise, toutefois ils étaient plus baraqués qu'elle, bien évidemment, vu qu'elle ne pratiquait même pas une activité sportive régulière.

Ils étaient au total quatre ; un de chaque côté. Leur regard ne lui inspirait absolument pas confiance. Bien qu'étant une âme innocente, elle se doutait parfaitement de leurs intentions et cela ne lui plaisait absolument pas. Sa journée était déjà assez pourrie comme ça, pourquoi fallait-il qu'elle finisse ainsi...

L'un des deux qui la tenait se retrouva subitement à terre ; l'homme l'ayant neutralisé posait son pied sur son visage, l'air froid en tirant une bouffée de sa cigarette. Sa casquette recouvrait ses cheveux blonds, Teru avait du mal à apercevoir ses yeux. D'après son uniforme, il s'agirait du gardien de l'école.

« On dirait que j'ai oublié de nettoyer ici. »

L'inconnu porta une main à sa cigarette et bloqua de l'autre le coup de poing que tenta de lui asséner un autre des délinquants. En échange, il ne put qu'avoir sa main broyée et se laissa tomber à terre en poussant des cris de douleur. Les deux autres hésitèrent à l'attaquer, à en juger l'état des précédentes victimes ; cette fille valait-elle la peine qu'ils se blessent ? Absolument pas. Ils pouvaient en trouver une autre en claquant des doigts, et de toute façon, celle-là était complètement plate, et en conséquence pas très intéressante. Cela avait juste semblé amusant sur le coup.

Les quatre jeunes délinquants déguerpirent plus vite que Teru ne l'aurait pensé, la laissant seule avec cet employé du lycée. Il faisait environ deux têtes de plus qu'elle et paraissait avoir une vingtaine d'années. Elle ne l'avait jamais aperçu avant, il devait être nouveau. Elle avait du mal à regarder son visage, mais il semblait posséder un physique avantageux, à tous les coups les filles des autres classes allaient flasher sur lui.

Teru ne comprenait pas pourquoi elle se sentait si nerveuse, la raison pour laquelle elle éprouvait des difficultés à le regarder en face. Il fallait bien qu'elle le remercie, au moins. Elle se tripota les doigts, sans oser le regarder, anxieuse, comme s'il était sur le point de continuer le travail des autres jeunes en fonction de sa réponse.

« Euh... M... Merci... »

L'homme ne répondit d'abord pas, tira une bouffée de sa cigarette puis éclata d'un rire malsain qui ne lui inspira définitivement pas la moindre confiance. Sur qui était-elle encore tombée ? Son instinct lui indiqua de s'enfuir le plus vite possible, pourtant ses jambes ne l'écoutaient pas et restaient figées au sol. Le gardien de l'école planta ses yeux qu'elle put enfin apercevoir dans les siens puis esquissa un sourire quelque peu sadique.

« Tu penses que les gens se satisferont toujours de petits mercis ? Le monde n'est pas aussi gentil que tu le crois. »

Cela n'annonçait rien de bon. Teru sentait des gouttes de sueur lui couler le long des tempes, Le silence malsain qu'il imposait ne la rassurait pas du tout. Qu'allait-il lui demander en compensation ? De l'argent ? Ou bien... Non, quand même pas... Mais enfin, dans quel monde était-elle tombée ? L'odeur de cigarette atteignit ses narines qui ne l'acceptèrent pas avec joie tandis que l'homme blond reprenait la parole.

« Si tu veux vraiment me remercier, paie avec ton corps. »

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