Divergente 4 - Résurgence

Chapitre 1

7220 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/05/2020 23:36


Chicago a bien changé.

Tobias parcourt les rues, les mains négligemment enfoncées au fond des poches de son long manteau noir. Au début, après son emménagement dans la cité pacifiée, il y a deux ans, il évitait soigneusement les rues qui pouvaient réveiller trop de souvenirs douloureux.

Mais l’ombre de Tris est partout dans cette ville, c’est son œuvre, la transformation n’aurait jamais eu lieu sans son courage. Le centre historique d’étude de la divergence porte son nom. Il a été installé à Chicago, près des laboratoires des Erudits, en sa mémoire. Les façades grises et blanches ont repris un peu de vie, les couleurs sont plus répandues aux fenêtres. Beaucoup d’habitants laissent libre cours à leur fantaisie refoulée.

Deux ans plus tard, Tobias n’a rien oublié, pas un détail, et rien qui ne lui serre le cœur à chaque évocation. Et la dispersion des cendres de Tris, il y a quelques jours, lui a rappelé qu’il est des souvenirs qui ne s’éteignent jamais. Au moins, il espère qu’elle serait fière qu’il ait affronté la tyrolienne en son honneur. Maintenant, il se dit que les cendres de la jeune fille sont partout, où qu’il aille. Il n’est pas tout-à-fait sûr que ce soit une bonne idée pour oublier.

La guerre civile entre les factions a fait beaucoup d’orphelins et de familles déchirées. Tout proche de la voie ferrée qui mène aux fermes des Fraternels, l’ancien repaire des Sans-faction a été entièrement rénové et transformé en centre ouvert d’accueil et de vie pour tous les enfants et les familles qui ont perdu des proches, enfants, frères et sœurs. Des travaux colossaux, qui ont redonné vie à la façade délabrée et rendu l’endroit accueillant et clair. Certains s’y sont définitivement installés.

—    Tobias.

Le jeune homme se retourne vivement. Perdu dans ses pensées, il n’a pas entendu qu’on s’approchait de lui. En voyant Caleb s’immobiliser près de lui, Tobias ferme les yeux brièvement. Il a toujours autant de mal à côtoyer le frère de Tris. Il a fait des efforts démesurés pour lui pardonner le sacrifice de sa bien-aimée pour lui sauver la vie. Il y est parvenu, parce que Tris l’aurait voulu. Mais ça n’a jamais rendu plus facile la cohabitation, Caleb est une réminiscence de Tris, c’est trop difficile.

—    Bonjour Caleb, marmonne Tobias sans entrain.

—    Je te cherche depuis un moment. Ton bureau m’a indiqué que je pourrais peut-être te trouver là, explique le frère de Beatrice.

—    J’avais besoin de marcher, de réfléchir. J’ai promis de passer à l’orphelinat. Certaines connaissances voulaient me montrer ce qu’ils ont accompli depuis… depuis deux ans.

—    Oui, je sais. Tu y es allé ?

—    Non, pas encore, j’y allais. Pourquoi me cherches-tu ? essaie d’abréger l’ex-Audacieux.

— Nous avons quelque chose à te montrer. Le résultat de nos recherches, articule Caleb avec prudence.

—    Je ne sais pas si je veux voir ça, répond Tobias d’un ton sec.

—    C’est important Tobias. Je me doute que c’est dur pour toi, mais tu dois venir. Nous avons besoin de toi.

Hésitant, Tobias marque une pause. Il n’a pas réussi à mettre les pieds au centre d’étude, c’est au-dessus de ses forces.

—    Je ne vois pas en quoi je pourrais vous être utile, je ne suis pas un scientifique.

—    Ce n’est pas de science dont nous avons besoin. Tobias, je…. Essaie de me faire confiance cette fois, argumente posément Caleb.

—    Ok, ok. C’est bon, je viendrai. Je te rejoindrai là-bas quand je serai passé à l’orphelinat.

Le jeune Audacieux jette un coup d’œil renfrogné à Caleb, et tourne les talons. Il n’a jamais pu – ou voulu – atténuer les effets de la relation fusionnelle, bien que parfois conflictuelle, qu’il avait vécue avec la sœur de Caleb. Guérir ne l’intéresse pas. A peine quelques mois, mais intenses comme une vie entière. Quand elle est morte, il ne voulait plus que la rejoindre. Ou tout oublier. Mais Tris n’aurait pas voulu qu’il y ait un seul mort de plus dans cette guerre insensée. Pour elle, il a continué, un jour après l’autre. Devenue une précieuse amie depuis, unis qu’ils étaient dans la douleur et le même manque, chacun à son niveau, Christina l’avait empêché de s’adonner au sérum d’oubli. A ce moment-là, il n’imaginait pas supporter la souffrance du manque et des souvenirs. Et en fait, il ne les supporte pas, il s’en sert pour éviter d’avoir à se pardonner d’être là, et pas elle.

Aujourd’hui, il ne sait toujours pas s’il pourra un jour retrouver une certaine sérénité. Après un soupir, il pousse la porte de l’orphelinat. Si la façade n’a pas encore reçu de coup de peinture salvateur, tout juste un nettoyage et des réparations de sécurité, ainsi que la réfection des fenêtres, la pièce à l’entrée est très spacieuse, claire, bien tenue, et égayée de nombreuses plantes vertes. Réparties sur les bords de la pièce, des petits groupes de tables accueillent des enfants, des vieillards, et des animateurs proposent des activités en tous genres. Quelques enfants crient en se poursuivant au fond de la pièce, passant d’un couloir à l’autre, disposés en étoile autour de la pièce d’entrée.

Tobias se dirige vers les bureaux sur la gauche en faisant crisser ses baskets sur le carrelage blanc et propre, et frappe. La voix de Donna, la directrice, lui propose d’entrer. Le bureau est petit et encombré, mais des dessins d’enfants multicolores tapissent tout un pan de mur, donnant une impression joyeuse à la pièce. Sur un petit pan de mur à côté de la fenêtre, trône un tableau représentant le visage souriant de Tris. Il n’a jamais eu de photographie de la jeune femme : les Altruistes n’avaient pas le droit d’en faire d’eux-mêmes, ceci étant considéré comme de la vanité, et même après son changement de faction lors de la Cérémonie du Choix, la guerre ne lui avait ensuite pas laissé le loisir de ce genre de fantaisie.

Le dessin, semble-t-il une gravure au crayon gras, en noir et blanc tout en contrastes, lui sourit. Où que l’on se place, le regard semble suivre celui qui le contemple. Tobias peine à détacher ses yeux de l’image.

—    C’est ressemblant n’est-ce-pas ? glisse gentiment Donna.

—    Très, oui, répond-il d’une voix plus étranglée qu’il ne l’aurait voulu.

—    C’est la mère d’une petite Divergente que Beatrice a sauvée chez les Sincères qui l’a fait.

Tobias détache les yeux du tableau pour regarder la directrice en souriant un peu tristement. C’est une dame d’âge mûr, aux cheveux courts et blancs. Son visage est doux et bon. Elle sourit en regardant aussi la gravure, creusant les petites rides au coin de ses yeux clairs.

—    Tris aurait aimé cet endroit. C’est bien de l’avoir ouvert, commente Tobias.

—    Nous y tenions, et il y avait tant de besoins. Je n’étais pas sûre que vous viendriez, Tobias.

—    La mémoire de Tris est vivante, je suis heureux que personne ne l’oublie.

La directrice sourit, se lève du bureau et se dirige vers la porte.

—    Venez, je vous fais visiter.

Tobias emboite le pas à la vieille dame. Ils parcourent les couloirs, les pièces, rénovées et peintes en blanc, décorées de fresques enfantines ou de tableaux aux couleurs vives. Elles abritent des ateliers, une nurserie, des dortoirs, des salons, des chambres, des sanitaires. Une aile est composée de studios pour accueillir les personnes âgées esseulées, alors qu’une infirmerie assure le suivi quotidien des malades et prodigue les premiers soins de bobologie. Il s’attend presque à voir surgir Tris à chaque coude, de chaque recoin et mettre fin à son cauchemar en lui sautant au cou en riant. Il ne reconnaît aucun de ces lieux tant les travaux ont métamorphosé le bâtiment, créé de nouvelles parois, de nouveaux escaliers et organisé les espaces.

Il est tiré de son rêve par des cris de gamins. Tobias s’amuse de voir les enfants jouer. Il ne se souvient même plus s’il a lui-même joué, un jour, étant enfant.

L’équipement est encore sommaire mais des bricoleurs ont fabriqué des jouets ou réparé ceux qui avaient souffert. Partout, des couleurs, de la joie.

—    C’est un bel établissement. Tris serait fière, félicite gentiment Tobias. Elle aimait les couleurs, la joie, l’animation. Cet endroit est très humain, comme elle.

En fait, il n’en sait rien. Tris aimait-elle les couleurs, la joie, l’animation ? Elle était toujours habillée en Audacieux, après l’avoir été en gris Altruiste pendant seize ans. Mais son cœur, son esprit étaient multicolores, ça doit suffire. Quant à la joie, ils avaient eu si peu de temps pour en ressentir… Et l’animation, si on pouvait dire qu’une bataille, un assaut, un combat, c’est de l’animation, alors ils n’avaient eu que ça. Et Tris était suffisamment survoltée pour les rechercher en permanence, même trop.

—    Son frère nous a beaucoup aidés. En nous parlant d’elle, et de vous, commente doucement Donna.

—    De moi ?

—    Oui, bien sûr. Il a beaucoup insisté sur ce que vous représentiez pour Beatrice, ce que vous lui avez apporté. Il a expliqué comment vous aviez guidé sa sœur.

—    Tris n’écoutait rien ni personne, répond Tobias avec un petit sourire, elle n’en faisait qu’à sa tête !

—    Je pense que vous vous trompez, vous sous-estimez l’exemple que vous étiez pour elle. Sa force venait de vous.

La gorge serrée, Tobias garde le silence. Tris avait affronté des deuils insoutenables : ses parents, son meilleur ami Will, Al, Marlène, Lynn, des tas d’autres morts dont elle se sentait responsable. Et elle se relevait toujours, elle avançait, elle avait assez de foi, d’amour pour retrouver une raison de se battre, d’espérer. Lui, il est à genoux depuis deux ans et demi, et il n’avance que comme ça.

—    Si c’était vrai, j’en serais fier, finit-il par dire.

—    N’en doutez pas. On a bien plus de force quand on aime que seul. Avant de vous libérer, j’aimerais vous montrer quelque chose, suivez-moi.

Tobias jette un œil perplexe à la directrice, et la suit en silence. Tout au bout d’un long couloir ponctué de portes dans l’aile d’habitation, sur un boîtier fixé au mur, la directrice tape un code qui ouvre une porte dans un petit clic.

—    Entrez, offre Donna avec un sourire.

Elle se décale d’un pas et Tobias pénètre dans la pièce. C’est un logement très simple, peint en blanc, dans un style industriel, comportant, sur le mur gauche de l’unique pièce principale, trois portes coulissantes grises menant à d’autres pièces, dont deux sont ouvertes. Il est illuminé de fenêtres noires plus larges que hautes aux structures métalliques à croisillons. Le soleil projette l’ombre des croisillons comme une marelle sur le sol carrelé.

Surtout, dans chacune des deux pièces principales, salon, chambre, Tobias reconnaît son propre mobilier, tout dépareillé, celui qu’il avait dans son appartement chez les Audacieux. Le grand lit carré composé d’une simple planche épaisse posée sur des caisses cubiques. Ses armoires métalliques, sa commode, un fauteuil.

—    Caleb a demandé à ce que ce logement vous soit réservé, et que tout ce qui pouvait vous appartenir et avait pu être retrouvé soit apporté ici, explique la directrice. Dans la pièce à côté, continue-t-elle en désignant la porte fermée du regard, ce sont les affaires de Beatrice qui ont été apportées. Si vous le souhaitez, vous êtes ici chez vous.

D’un mouvement circulaire de la tête, Tobias regarde, stupéfait, les meubles et les objets qui trônent dans les pièces. Il avait abandonné tout cela en fuyant la cité avec Tris. Seule la porte menant à la pièce contenant les affaires de sa compagne est fermée.

—    Pourquoi a-t-il fait ça ? Une torture de plus ? murmure Tobias sur un ton sec.

La directrice n’ose pas répondre. Après un silence, Tobias reprend :

—    Je vous remercie, j’apprécie, je ne veux pas être ingrat, mais tout ça, c’est des souvenirs… douloureux.

—    Ne jugez pas trop mal Caleb, Tobias, il est rongé de culpabilité. Il n’a cessé depuis deux ans de tout faire pour se racheter et honorer la mémoire de Beatrice. Je vous laisse si vous voulez, rejoignez-moi dans le hall. La porte se verrouillera seule quand vous la fermerez.

Bouleversé, Tobias ne répond pas et la directrice s’éloigne en silence. Le jeune homme reste planté dans l’embrasure de la chambre, les yeux perdus dans le vide. Puis, sans rien toucher, il fait le tour des pièces, détaillant les vestiges de son passé d’Audacieux. Quand son regard se pose sur la porte fermée, il serre les poings, se retourne et fuit plus qu’il ne quitte l’appartement. Il ferme la porte et s’éloigne dans le couloir blanc. Ses yeux le brûlent. Il n’aurait pas pensé que ce soit encore si difficile, si frais dans son esprit. Dans le hall, le jeune homme a à peu près retrouvé son calme, il salue la directrice, ébouriffe en souriant les cheveux d’un petit garçon qui le bouscule en courant dans tous les sens et quitte l’orphelinat. La visite a réveillé des souvenirs et des émotions qu’il pensait bien plus enfouies que cela.

Avec de profondes inspirations, Tobias essaie de retrouver une certaine sérénité. L’air frais lui fait du bien. Il relève le col de son manteau et marche au hasard, s’approchant sans s’en rendre compte des voies de chemin de fer. Au loin, le bruit sourd et répétitif des rames se fait entendre, le train arrive. Avec un sourire, il s’approche des rails, osera-t-il monter à bord comme il le faisait avec les Audacieux ? Le train approche, le jeune homme court, gêné par son lourd manteau. La première rame le rattrape. En forçant sa course, Tobias saute sur un marchepied et ouvre la porte. D’une enjambée, il est dans le wagon.

A l’intérieur, un peu essoufflé, il aperçoit deux passagers qui le dévisagent, sidérés, suspendus à une poignée pendant du plafond. Des stations ont été ajoutées sur le trajet du train, les gens montent à l’arrêt désormais… Il sourit doucement en secouant un peu la tête, et en pensant que Tris se serait amusée de la stupéfaction des voyageurs, ils auraient ri ensemble. Il referme la porte, ces gens ne sont pas des Audacieux intrépides… Il attendra l’arrêt le plus proche du centre d’étude de la divergence pour descendre à l’arrêt, comme tout le monde, il s’est assez fait remarquer comme ça !

Le centre a été installé dans le siège des Erudits, sur Michigan Avenue. Une bâtisse moderne de deux étages a été construite en extension. Les vitres de l’aile supplémentaire sont brillantes et opaques, les édifices voisins se reflètent sur leur surface miroir.

Les portes vitrées du centre s’ouvrent devant Tobias, il entre en sentant, malgré ses efforts, sa jugulaire taper dans son cou. L’ancien siège des Erudits a été réaménagé, le souvenir de l’immense affiche de propagande à l’effigie de Jeanine lui donne la nausée. Devant ce bâtiment, les Sans-faction déchaînés ont réduit en poussière dans une vague de rage, les coupes qui servaient à la Cérémonie du Choix. Le symbole de sa victoire sur le destin était parti en fumée ce jour-là, jamais il ne l’oubliera.

Tendu  et les sourcils froncés, Tobias s’adresse à l’accueil.

—    Bonjour. Caleb Prior m’attend. Pouvez-vous le prévenir ?

—    Oui, je le préviens. Puis appuyant sur un bouton de sa console, le secrétaire annonce : Caleb, votre invité est arrivé.

Caleb rejoint Tobias dans le hall puis l’entraîne en silence dans un long couloir menant à l’extension. La blancheur médicale des murs met le jeune homme mal à l’aise, tout lui rappelle la froideur des Erudits obnubilés par la pureté et la mono-compétence factionnelle. Vêtu d’une blouse blanche laissant dépasser un pantalon bleu, Caleb a tout de l’Erudit nostalgique. Tobias pense qu’il n’a pas appris grand-chose de cette guerre…

—    Caleb, qu’est-ce-que je fais ici ? demande Tobias.

—    Une minute de patience, je vais tout t’expliquer. Nous arrivons. Tiens, entre, répond Caleb d’un ton grave, en ouvrant la porte de ce qui semble être un laboratoire, en présentant sa pupille devant le laser de contrôle.

Précautionneusement, Tobias le suit. Sur les paillasses immaculées du laboratoire, un matériel de pointe attend de servir. Deux chercheurs à lunettes s’affairent sur des écrans tactiles. Au centre de la pièce, une table est entourée de quelques chaises. Caleb s’installe devant un écran intégré à la table et prie ses collègues de les laisser seuls quelques minutes. Le jeune Audacieux, les bras croisés, suit des yeux les scientifiques quittant la pièce, puis reste debout, le regard neutre, attendant que Caleb lui explique cette étrange invitation. Sa tête légèrement penchée et son regard sombre informent Caleb sans équivoque qu’il attendra là avec circonspection ce qu’il peut bien avoir à lui dire.

—    Tu ne veux pas t’asseoir ? propose Caleb.

Mais devant le mutisme et les sourcils froncés du beau jeune homme, il n’insiste pas et poursuit.

—    Depuis deux ans, une équipe travaille sur un important projet de biologie moléculaire. Nous nous sommes appuyés sur des travaux entamés au XXe et XXIe siècle et les avons poursuivis avec des techniques récentes.

—    En quoi cela me concerne ? Va au but, Caleb.

—    A l’origine, continue Caleb sans relever l’impatience de Tobias, l’objectif était la sauvegarde d’espèces menacées ou éteintes, végétales comme animales. Il y a été fait appel de nombreuses fois après la Guerre, pour rétablir les espèces dévastées, et assurer l’auto-subsistance de notre ville. C’est un espoir immense pour l’environnement et la biodiversité. Des progrès énormes ont été réalisés.

Caleb marque une pause, ne sachant semble-t-il pas comment formuler la suite de son exposé.

—    Puis on m’a demandé de collaborer à un projet plus… important. On a reçu des échantillons, et on m’a donné des moyens pour faire un travail d’une importance capitale. Nous travaillons sans relâche depuis deux ans, jour et nuit, en nous relayant. Et ce dans le plus grand secret. Tobias, nous avons réussi. Nous avons cloné un être humain.

—    Quoi ? s’étrangle Tobias en tapant rageusement du plat de main sur la table devant lui. Après qu’on ait été exploités comme des cobayes, manipulés comme des animaux de laboratoire, drogués par des sérums, trompés par toute une civilisation, vous avez remis ça en jouant les apprentis sorciers ? Vous êtes cinglés !

En appui sur ses bras, penché sur la table, son visage anguleux, crispé par la révolte, fixe Caleb. Il a l’impression qu’on lui a jeté un seau de glace dans le dos.

—    Tobias, nous avons en quelque sorte essayé de continuer l’œuvre de mes parents, ils sont morts pour sauver les Divergents, pour aider l’humanité à se réparer de ses propres fautes. Les Divergents représentaient un espoir, il ne faut pas que tous ces morts l’aient été pour rien.

—    Ce sera sans moi, jette Tobias en se retournant pour sortir, il y a eu assez de morts, de souffrance, je ne remettrai pas ça.

—    Tobias ! Attends, c’est Beatrice.

La main sur la porte du laboratoire, Tobias se fige comme une statue. Il se retourne à moitié, lève les yeux au ciel puis revient fixer Caleb dans les yeux, en espérant ne pas avoir compris l’allusion.

Il n’a pas pu dire ça, ce n’est pas possible.

—    Répète ça… Qu’est-ce-que tu as dit ? articule-t-il, livide.

—    C’est ce que j’essaie de te dire, le patrimoine génétique de Beatrice était unique, toute l’expérience des factions avait été créée dans cet objectif qu’elle avait presque atteint. On ne voulait pas perdre ça, qu’elle ne soit pas morte pour rien !

Brusquement, Tobias se jette sur Caleb et le soulève comme un pantin par le col de sa blouse blanche. Il le recule violemment et le plaque au mur.

—    Qu’est-ce-que tu as fait Caleb ? crie Tobias.

—    Lâche-moi Tobias ! Laisse-moi finir !

La rage à fleur de peau, les yeux bleu foncé assombris de colère de Tobias scrutent ceux de Caleb. Celui-ci, la respiration courte et les mains sur le torse de Tobias, essaie sans succès de le repousser, à moitié étranglé.

—    Je t’en prie, Tobias, laisse-moi te montrer, nous avons besoin de toi maintenant ! S’il te plaît ! Lâche-moi ! articule Caleb, en essayant de desserrer le joug de Tobias.

Tobias lâche soudain Caleb, qui s’affaisse en toussant, les mains sur les genoux. En se redressant, il croise le regard de Tobias : incrédule, hagard, il fixe Caleb sans indulgence, à quelques centimètres de lui, les poings le long du corps, serrés jusqu’à blanchir ses jointures. La frontière entre les valeurs qu’il s’est toujours efforcé de défendre, celles de toutes les factions, et le meurtre de sang-froid ne lui a jamais parue aussi mince. Caleb lui glisse :

—    T’es calmé ? Tu veux venir voir ou pas ?

—    Si ça ne me plaît pas, je te tue Caleb.

Décomposé, le frère de Beatrice glisse sur le côté pour sortir de l’emprise de Tobias qui le suit des yeux en le fusillant, et se dirige vers une porte en face de l’entrée du laboratoire, au fond de la pièce. Le verrouillage biométrique réagit, passe au vert et la porte coulisse. Les murs blancs lui semblent devenus noirs comme l’intérieur du cagibi dans lequel son père l’enfermait sans cesse à la moindre occasion quand il était petit. Tobias hésite, perdu, ravagé par la remontée tourbillonnante des souvenirs provoquée par la révélation de Caleb. Il en a la nausée.

Ce dernier attend patiemment dans le couloir, tête baissée, que l’ancien petit ami de sa sœur se décide. Tobias bouge en sa direction, hésitant et sur la défensive.

Le couloir est sombre, peu profond, uniquement balisé par des tubes fluorescents bleus aux arêtes des plafonds, à l’image de ceux qui éclairaient faiblement les couloirs aveugles du siège des Audacieux. Au bout du petit couloir bleuté, une paroi vitrée sécurisée protège l’entrée d’une autre pièce, vaste, sans éclairage naturel. Caleb déclenche l’ouverture de la paroi de verre dépoli à l’aide d’un code et se retourne vers Tobias :

—    Viens.

Le jeune homme approche à pas lents, hésitants, les yeux presque exorbités, le visage défait. Dans un grand bac ovoïde transparent aux parois de verre épais et rempli de liquide translucide, il distingue à quelques centimètres devant lui, dans la quasi-obscurité, une forme humaine flottant entre deux eaux. Au moins dix électrodes fixées à différents points de son corps relient la créature à un ensemble informatique comme le jeune homme n’en a jamais vu. Des tubes et des cathéters entrent et sortent de son corps à plusieurs endroits. Seules quelques faibles lampes projettent sur l’aquarium une lueur rougeâtre diffuse.

Devant le bac, Tobias retient un cri rauque et tombe à genoux.

Dans le trouble de son bain biologique, une jeune femme ressemblant étrangement à Tris, semble dormir paisiblement, à peine animée de quelques mouvements involontaires. Il distingue vaguement ses traits, ses sourcils bien dessinés, son nez pointu, des lèvres charnues, des pommettes hautes. Les cheveux longs et sombres flottent doucement autour du visage, remuant à peine au gré de courants invisibles du liquide. Le corps est mince, presque maigre, et flotte en suspension entre le fond et la surface. Il pose les mains sur la vitre, appuie son front et ferme les yeux. Les larmes roulent sur ses joues, il n’arrive pas à les retenir.

—    Qu’est-ce-que c’est que ça, Caleb ? articule Tobias d’une voix presque inaudible, les yeux et la voix embués.

—    Le Bureau avait gardé l’ADN et des cellules de Beatrice et de notre mère, en secret, explique Caleb. Il était le plus abouti qu’ils aient jamais pu obtenir. Cette jeune femme est une copie conforme de Beatrice, comme des jumeaux monozygotes pourraient l’être, mais obtenue par clonage reproductif. Nous avons procédé par transfert de noyau de ses cellules adultes. L’embryon s’est développé en accéléré pendant des mois, comme un fœtus puis un nouveau-né, dans un bain de culture presque identique au liquide amniotique humain. Le cordon ombilical était relié à une pompe injectant, comme l’aurait fait un placenta, tous les nutriments. Le sang a été nettoyé et tous les besoins du fœtus assurés comme lors d’une gestation humaine. Le procédé a permis de récupérer absolument toutes les caractéristiques biologiques que portait Beatrice au moment du prélèvement de l’ADN. C’était peu de temps avant qu’elle ne se fasse tuer. C’est sa jumelle.

Tobias rouvre les yeux et regarde la femme qui n’a jamais quitté son esprit dormir dans cette boîte de laboratoire. Il lève la tête vers Caleb, debout près du bac, il ne pense même pas à essuyer ses yeux. Jamais il n’aurait voulu ça, et il n’est pas sûr du tout que Tris l’aurait voulu non plus. Mais cette chose est là, devant lui, c’est un fait, elle existe.

—    Est-ce que c’est… humain ? Vivant ? Est-ce que c’est… Tris ? prononce Tobias avec difficulté.

—    C’est biologiquement un être humain comme n’importe quel autre, avec les mêmes fonctions, les mêmes faiblesses aussi. Oui, elle vit, pour l’instant comme un fœtus, son cerveau fonctionne et son cœur bat. Ses fonctions vitales sont celles d’un jeune adulte de son âge. Son sang est nettoyé et oxygéné comme le ferait un placenta dans l’utérus d’une femme. Son squelette a besoin de se renforcer, ainsi que ses muscles, comme un astronaute qui aurait vécu longtemps dans l’espace, mais pas pire. Ses muscles sont stimulés par électrodes pour préparer sa sortie.

Le visage grave, Caleb marque une pause.

—    Mais ce n’est pas réellement Beatrice, poursuit-il, son cerveau n’a pas, ou peu, de mémoire, ni le vécu qu’a eu ma sœur. C’est une personne à part entière.

—    Vous avez créé un légume humain pour vous amuser ? Ou pour la livrer au Bureau comme un rat ? crache soudain Tobias en se redressant.

—    Ne crie pas Tobias, elle entend tout, comme un fœtus le ferait ! Non, pas du tout. Elle a tous les gènes de Beatrice, son cerveau fonctionne de la même façon et est capable d’apprendre avec les mêmes capacités, voire plus encore. Nous lui transférons toutes les connaissances que pouvait avoir acquises Beatrice. Nous avons tout commencé à zéro, par le langage, et tout ce qui peut s’apprendre par la mémorisation. Tout cela a été codifié informatiquement et lui est transmis à un rythme soutenu, mais respectant la biologie, la fatigue, le repos, comme tout être humain.

—    Comment savez-vous qu’elle apprend tout ça ? objecte Tobias sèchement à voix basse, sans pouvoir détacher ses yeux du corps flottant.

—    Je ne suis pas biologiste, mais je peux te dire que son cerveau réagit normalement, les zones stimulées par l’apprentissage sont les bonnes, et quand des notions déjà transmises lui sont envoyées à nouveau, son cerveau les reconnaît, elles sont acquises, répond doucement Caleb. Matthew nous aide, avec ses recherches sur la psychologie et la mémoire.

Tobias, bouleversé, recule d’un pas et passe nerveusement ses mains dans ses cheveux. Il n’arrive pas à croire ce qu’il voit et ce qu’il entend.

—    Pourquoi ? s’inquiète-t-il. Pourquoi encore cette expérience, pourquoi elle ? C’est quoi la suite ?

—    Si tu pouvais ressusciter Louis Pasteur ou Martin Luther King, est-ce-que tu le ferais ? argumente Caleb. Ces hommes ont inventé des médicaments qui ont sauvé des millions de vies, ou généré des courants de pensée révolutionnaires, qui ont influencé le monde entier. Ma sœur était l’espoir génétique de l’humanité. Enormément de Divergents ont été assassinés par Jeanine et…

—    Et avec ta complicité ! crie Tobias en l’interrompant.

—    Je sais, je donne tout ce que je peux, je consacre ma vie pour essayer de racheter mes fautes…

—    Vous voulez l’utiliser comme animal de laboratoire ? enrage Tobias.

—    Non, pas du tout. Juste prolonger cet espoir, donner une chance à l’humanité, à travers elle, de s’améliorer. Je sais qu’elle aurait tout fait pour essayer. David avait fait des prélèvements sur les Divergents, les êtres génétiquement « purs », pour comprendre leur évolution. Beatrice s’était prêtée à ça, pour l’humanité.

Tobias respire à peine, par à-coups saccadés, suffoqué par ces révélations. Tris, sa Tris, ou presque, dort devant lui comme un bébé. Ses yeux bleu sombre papillonnent sur la silhouette diffuse, tant chérie.

—    Pourquoi elle est encore là-dedans, pourquoi elle dort ? Pourquoi elle respire pas seule ? jette Tobias.

—    Elle a été volontairement tenue dans le sommeil depuis deux ans, pour que son corps puisse absorber la croissance accélérée sans douleur. Depuis qu’on a supprimé les anesthésiants, on ne sait pas exactement. Pendant toute la croissance, elle réagissait comme un fœtus in utero. Depuis plusieurs mois, son évolution ralentit. Elle est presque à un niveau normal pour son âge maintenant, c’est-à-dire le même que celui de Beatrice au moment du prélèvement. La transition vers l’éveil semble se profiler, nous le voyons à l’activité de son cerveau, mais nous ne pouvons pas l’anticiper précisément. Elle est veillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Tobias lève la tête vers les caméras de surveillance, et les moniteurs enregistrant la moindre de ses fonctions.

—    Si ce clone est identique à Tris, avec son intellect et son âme, vous croyez qu’il apprécie d’être scruté de cette façon indécente ? lâche-t-il d’un ton accusateur. Et Tris n’aimait pas l’eau, une de ses peurs les plus ancrées était liée à la noyade ou à l’étouffement dans un bocal plein d’eau ! Si ce clone pense comme elle, elle doit mourir de peur !

Caleb ne peut retenir un faible sourire.

—    Sortons, Tobias, si tu veux bien. Nous essayons de limiter les intrusions qui peuvent induire des confusions ou des altérations de ses fonctions vitales.

Tobias regarde intensément la femme naïade, et suit Caleb qui se dirige déjà vers la sortie, en la suivant du regard aussi longtemps qu’il le peut. Caleb ajoute :

—    Tu la protèges déjà… Tu as raison, nous allons faire en sorte de respecter son intimité, et voir ce que nous pouvons faire pour ne pas la laisser dans un environnement aqueux. C’est pour ça que nous avons besoin de toi maintenant. Les biologistes sont au bout du processus. Tout ce que je pouvais faire à mon niveau de frère, je l’ai fait. J’ai été séparé de Beatrice après la Cérémonie du Choix, nous souhaitons lui transmettre tout ce que Beatrice et toi partagiez chez les Audacieux, c’est son capital familial aussi. Tout ce que ma sœur a appris à tes côtés en somme. Ton histoire et tes compétences en informatique nous seraient précieuses.

Les deux hommes retournent dans la première salle. Tobias s’affale sur une chaise, les coudes sur la table et la tête dans les mains. Le frère de Beatrice s’assied également et précise :

—    Tobias, tu dois te faire à l’idée que ce clone ne te reconnaîtra pas, ni moi, ni personne, elle n’aura pas la mémoire visuelle des dix-sept années que Beatrice a vécues. Enfin, sans doute pas.

—    Sans doute pas ? Que veux-tu dire ?

—    Nous ne savons pas comment un être humain peut survivre sans rien avoir dans sa mémoire, à part son processus de création, et ce qu’elle entend depuis que son système auditif fonctionne. Nous pensons que c’est ce qui manquait, depuis des décennies, aux clones animaux qui sont maintenant répandus, pour réussir parfaitement le clonage. Une histoire, une généalogie. Nous aimerions essayer de nous connecter à elle, comme vous l’avez fait, toi et Beatrice, chez les Audacieux, au cours de simulations. Matthew pense qu’il faut lui fournir des souvenirs pour aider à développer une conscience, et stimuler son envie de vivre.

—    Un transfert de mémoire ? Encore un sérum chimique ? s’agace l’ancien instructeur.

—    Ainsi qu’une connexion informatique, comme les simulations des Audacieux. Je sais que ce n’est pas idéal, mais nous n’avons pas trouvé d’autre solution, nous pensons qu’il serait dangereux qu’elle… naisse, sans contenu dans sa mémoire, sans base sur laquelle elle puisse s’appuyer pour se forger une identité. Il est possible que cette absence de mémoire ait mené les essais dans ce domaine, dans le passé, à une somatisation des sujets. Ils se rendaient malade, car ils se sentaient sans âme. Par la suite, nous pourrons utiliser un patch mémoriel, comme il y en avait au Bureau, Matthew en a, mais il faut les reconfigurer et ils sont hautement protégés.

—    Elle a un nom ? coupe Tobias, indifférent aux détails scientifiques.

Caleb réfléchit une seconde puis répond :

—    Je pense qu’elle nous a entendus parler de sa gémellité avec Beatrice. C’est ainsi que nous lui présentons les choses. Mais il est vrai que nous ne l’avons pas baptisée.

—    Vous ne croyez pas que c’est une étape primordiale dans sa recherche d’identité ? lâche Tobias. Vos faites de sacrés scientifiques !

—    Merci pour ton aide, coupe Caleb avec autant de diplomatie que possible, tu as raison. Nous lui donnerons cette information. Le mieux est de l’appeler Tris, je pense, pour qu’elle se sente connectée à ma sœur autant que possible.

Un silence lourd s’installe quelques secondes. Tobias scrute la porte menant au couloir au fond duquel dort le sosie de sa bien-aimée, abasourdi, en tenant son visage entre ses mains.

—    Vous avez réfléchi aux conséquences ? interroge Tobias violemment. Les gens ne comprendront pas pourquoi on ne les aide pas à ressusciter tous leurs morts !

—    Tous les êtres humains n’avaient pas de sauvegarde génétique. Il faut en effet réfléchir à ce que nous dirons. Beaucoup de familles ont choisi le sérum d’oubli pour ne plus souffrir, il y a deux ans. Ceux-là seront moins difficiles à raisonner. D’autres non. Peut-être faudra-t-il beaucoup argumenter, expliquer, ou… partir. Garder secrète un moment l’existence de Tris. La meilleure explication à donner est la congélation d’un embryon jumeau. Le procédé a été souvent utilisé dans le passé.

Tobias est comme en état de choc, incapable de penser.

—    A terme, nous pensions… te la confier, si elle va bien, reprend Caleb. Vous étiez si proches, Beatrice et toi. Nous avons l’espoir que cette alchimie puisse aider Tris à trouver sa place.

—    Quoi ? Tu es cinglé Caleb ! Je ne suis pas une nurse ! Et je n’ai pas envie de me torturer chaque heure, chaque jour, en regardant une Tris qui ne l’est pas !

—    Nous pensons que tu es le mieux placé pour lui donner envie de vivre, c’est tout, plaide Caleb d’une voix qu’il veut la plus apaisante possible.

—    Ben voyons ! Il fallait y penser avant, à ce genre de détail ! Et un mariage arrangé aussi ? Dans le petit nid que tu m’as préparé ? Qu’est-ce-que vous croyez ?? crie Tobias. Tris sera une nouvelle personne, pas Beatrice, et je ne serai rien pour elle ! Et elle, rien pour moi ! Rien ne dit que ça se passera comme ça, on pourrait se détester !

Tobias gémit et pose sa tête sur ses bras croisés. La douleur indicible qu’avait provoquée en lui la mort de sa Tris lui remonte en bouffées incontrôlables à la poitrine. L’espoir peut être un ennemi redoutable.

—    J’en suis là aussi, essaie d’argumenter Caleb. Je me sens déjà proche de… Tris, mais je pourrais souffrir si elle me rejette. Et elle aurait toutes les raisons de le faire. Nous essayons de lui transmettre l’amour que beaucoup lui portaient, en l’en informant, mais nous ne savons pas comment elle va réagir.

—    Et vous avez trié les informations ? Hein ? Donné que les bonnes ? Celles qui vous arrangent ? insinue Tobias, tremblant de rage.

—    Nous nous sommes limités à la connaissance pendant son évolution. Les informations lui ont été transmises comme de la réalité augmentée, et quand cela a été possible, par l’audition aussi. Nous n’avons pas voulu perturber sa croissance et son développement avec des conflits moraux ou psychologiques. Mais je ne veux rien lui cacher. Les émotions, même négatives, sont humaines, et on ne peut pas l’en épargner. Nous lui transmettons des informations plus abstraites depuis plusieurs semaines.

Soudain, n’y tenant plus, Tobias, se lève et quitte le laboratoire, ivre de colère, de douleur, et d’impuissance. Trop d’émotions, d’informations, d’enjeux, de questions se bousculent dans sa tête. Il fuit par les couloirs, sort du bâtiment et court jusqu’à ce que ses jambes ne le portent plus. Exténué, il s’aperçoit qu’il est arrivé dans l’ancien quartier des Altruistes. Les petites maisons grises encore debout sont moins uniformes, des fantaisies personnalisées par les occupants sont venues égayer le quartier.

Toutes les révélations, les informations, les enjeux, les conséquences, tout tombe sur lui comme ça s’était déjà produit au Bureau quand on lui avait expliqué sa déficience. Mais là, ce n’est pas lui, c’est Tris, et c’est pire. Tobias s’effondre sur une petite pelouse à l’écart, et pleure comme il n’a pas pleuré depuis deux ans et demi.



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