Une Nouvelle Terre

Chapitre 4 : Le Dernier Être Humain

3926 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/10/2023 12:18

Rose franchit prudemment le seuil de la pièce dans laquelle elle venait de voir l’étrange petit homme se réfugier, et resserra son emprise sur son arme improvisée. L’air humide et vicié du donjon imprégnait tout ici, étouffant même les vagues senteurs de désinfectant qu’elle portaient sur elle depuis l’ascenseur.

Passant à travers un piètre rideau de rabats en plastique qui était suspendu devant l’entrée voûtée, elle fut surprise d’entendre de la musique. Il y avait des rires, aussi – le tintement de verres, et les mélodies sophistiquées d’un orchestre classique.

Aussi étrange que cela pouvait paraître, on aurait dit les sons d’une fête…

OK, se dit Rose. Juste un petit coup d’œil. Je peux toujours me sauver s’il le faut

C’était un projecteur de cinéma. Droit devant elle, surmonté de grandes bobines déroulant lentement leur pellicule argentique. Obsolète même au 21ième siècle, le vieux dispositif était posé sur un chariot médical rouillé et n’avait pas l’air d’avoir bougé de sa place depuis des années.

Mais, chose incroyable – impossible – il fonctionnait encore. Un minuscule solo de piano crépitait faiblement de ses enceintes rayées et Rose pouvait voir un vieux film, maladroitement filmé, en train d’être projeté sur le mur blanc sale en face. Des images granuleuses d’une soirée, datant clairement d’autrefois, défilaient devant elle : une soirée cocktail, et bien élégante d’ailleurs. Sous le regard de Rose, la caméra se faufila à travers une foule glamoureuse de dames et de gentlemen impeccablement habillés, entretenant tous des conversations rieuses et trinquant avec leurs flûtes de champagne.

Elle se demanda à quoi tout ça pouvait-il bien rimer. Un documentaire sur la haute société ? Des vidéos de vacances d’un passé lointain ? Ca lui paraissait si incongru et fantomatique dans ce sous-sol crasseux...

L’objectif contourna l’épaule d’un invité et sembla se focaliser sur une seule et même femme, riant et papotant comme les autres. Rose avait du mal à discerner son âge – ça aurait tout aussi bien pu être la trentaine que la soixantaine – mais elle était très belle. D’élégantes boucles dorées, sous lesquelles se devinaient des bijoux en diamant, tombaient en cascade le long de son dos gracile. Son visage exquis semblait être fait de porcelaine, avec des pommettes très hautes et de somptueuses lèvres rouges. Et sa longue robe argentée était quasiment une seconde peau, chacune de ses perles étincelantes épousant parfaitement les formes de sa silhouette.

Brusquement complexée, Rose réajusta malgré elle le chemisier de marque qu’elle avait enfilé ce matin-là sous sa veste. Elle avait toujours rêvé de faire une taille de moins, et se sentait tout à coup très laide et minuscule devant cette sublime créature.

Sans grande surprise, la beauté blonde du film était entourée d’un attroupement de jeunes hommes élégants en smoking, qui avalaient tous chacune de ses paroles. Elle paraissait extrêmement à l’aise au cœur d’un tel public. Au point où, selon Rose, elle semblait se nourrir de l’attention…

N’est-ce pas merveilleux ? s’exclama la dame en riant, sa voix riche et assurée et sinistrement familière. On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Ja-mais ! Tenez, ce verre m’ennuie… (Sans même un regard, elle repoussa impoliment son cocktail à moitié vide vers celui qui la filmait :) Bref, que disais-je… ? Oh ! Salut, chéri !

Un autre invité élégant venait de l’approcher et lui passer un bras autour de la taille comme s’ils étaient de vieux amants.

Oh, non ! gloussa la femme d’un air faussement pudique, faisant semblant d’être offusquée par ce que son nouveau compagnon lui murmurait à l’oreille. Arrête ça voyons, petit coquin ! Ce n’est simplement pas vrai du tout !

Rose cligna des yeux et son souffle s’étriqua dans sa gorge :

― Une petite minute, c’est...

Et puis vint le déclic.

Ce rire. Ce petit rire aigu d’écolière qui lui glaçait les sangs.

La jeune femme l’avait déjà entendu quelque part – lors de son tout premier voyage, de la bouche de celle qui avait failli la brûler vive sur la Plateforme Un – et avait espéré ne plus jamais l’entendre de sa vie.

C’était elle.

Rose fit brusquement volte-face lorsque, dans son dos, une voix identique à celle de la dame à l’écran chantonna :

― Surpriiiiiiise !

La jeune femme resta bouche bée.

De l’autre côté de la pièce – étendue comme une peau d’animal sur un cadre en métal rouillé, branchée sur perfusion intraveineuse mais sinon toujours la même – était une peau vivante ! Aussi plate qu’une couverture de magazine ; brillant d’un éclat rosâtre, quasi-translucide dans la faible luminosité. Des veines sombres pulsaient visiblement dans la chair tendue, se suivant toutes vers le centre où se dessinait un visage féminin aplati. Les yeux étaient alourdis de maquillage et ressortaient de la peau, bien trop larges pour la surface qui les soutenaient, et une bonne quantité de rouge à lèvres recouvrait ce qui passait pour une bouche. Le visage battit des cils face à Rose, provoquant chez elle une vague de déjà-vu.

La jeune femme avait déjà été confrontée à cette approximation bizarre et effroyable d’un corps dans le passé. À l’époque où elle et le Docteur étaient sur la Plateforme Un, cet observatoire spatial décadent qui l’avait forcée à accepter le tout : les voyages dans le temps, les voyages dans l’espace… et les extraterrestres ; toutes sortes d’ambassadeurs riches et rocambolesques, venus de part et d’autre de la galaxie pour assister à la fin naturelle de la planète Terre et la dissolution du système solaire. Des aliens à tête d’oiseau, des boules de graisse bleues parlantes, des choses vertes aussi gluantes que courtoises… ça lui avait donné le tournis ! Et à l’époque, Rose avait eu du mal ; elle s’était sentie totalement désemparée. Avant d’apprendre finalement à accepter ces choses avec sang-froid.

Tout lui avait semblé si inconcevable ce jour-là ! Il y avait eu des petits bonhommes bleus, une femme-sapin en écorce de la Forêt de Cheem (que Rose aurait juré avoir surprise en train de flirter avec le Docteur et ses larges épaules), et une grosse tête désincarnée flottant dans un aquarium qui se faisait appeler Face de... quelque chose. Ce n’était pas important.

Ce croquis rudimentaire d’une créature, cependant, s’était autoproclamé « Le Dernier Être Humain ». Lady Cassandra O’Brien Point Delta Dix-sept était, de son propre aveu, une adepte malheureuse de la plus radicale des chirurgies esthétiques. Dans un effort désespéré de rester la plus jeune, la plus fine, la plus belle forme de vie qui soit, elle s’était taillée et charcutée et littéralement amincie au fil des années – jusqu’à ce qu’elle ne soit qu’ un simple bout de peau avec des lèvres et des yeux et rien d’autre, accrochée à la verticale dans un cadre en métal telle une bâche sur un morceau d’échafaudage.

Ou plutôt, se rappela Rose, un trampoline psychopathe.

La femme dans le film ne pouvait qu’être la Lady Cassandra comme elle était autrefois. Dans la fleur de l’âge, avant que son égocentrisme ne la rende cruelle, et qu’elle ne commence à regarder les autres de haut et les traiter de « bâtards » tout en profanant et ruinant son propre corps jusqu’à en devenir méconnaissable. Rose voyait déjà assez de ce genre de choses dans son époque, chez elle à la télé : une culture toute-pourrie de régimes et de liftings réduisant des femmes à néant ; des actrices hollywoodiennes injectées de botox, de collagène et de silicone à la poursuite d'un idéal tordu et inatteignable de perfection physique que leur imposait le reste du monde…

Peut-être le plus mémorable concernant cette dernière rencontre, cependant, était que Rose l’avait vue mourir. Dans le cadre d’un projet de fraude meurtrier, Cassandra avait essayé de saboter les boucliers de la Plateforme Une et d’utiliser la chaleur du soleil pour tuer tout le monde à bord, dans l’espoir d’en tirer un énorme profit financier sur le dos des victimes. Elle était presque parvenue à ses fins, d'ailleurs : motivée comme elle l’était par son besoin obsessionnel de continuer à financer ses interminables procédures chirurgicales, tout au nom de rester « pure »...

Mais dans la foulée, la « Dernière Humaine » s’était retrouvée dépourvue de son duo habituel de serviteurs humidifiants. Incapable de lui venir en aide, Rose avait regardé la peau tendue de Cassandra se dessécher rapidement jusqu’à ce qu’elle explose, décorant les murs d’une éclaboussure sanglante de chair humaine.[1]

De toute évidence, elle avait survécu.

― N-Ne t’approche surtout pas de moi, Cassandra ! siffla Rose, s'adossant au mur le proche et brandissant son bout de métal en direction du visage macabre qui la fixait depuis l'autre côté de la pièce.

La peau roula ses yeux avec condescendance :

― Pourquoi ? De quoi as-tu peur ? Que je te gifle ?

Sur ce point-là, elle n’a pas tort… pensa Rose. Puis elle aperçut le petit bonhomme nerveux qui l’avait leurrée jusqu’ici, accroupi dans un coin, et pointa alors son arme sur lui :

― Ouais, mais... Gollum, lui, il a des mains... ?

― Oh, ne t’en fais pas pour lui, dit Cassandra d’un ton désinvolte. Lui, c’est Chip ; mon caniche.

― J’idolâtre ma maîtresse ! s’exclama fièrement le petit homme tapi dans l’ombre, comme un petit chien aboyant à une inconnue. Ses yeux écarquillés passèrent de Rose à Cassandra, tendres et brillants de révérence.

Maintenant qu’il était un peu plus visible, c’était évident que quelque chose chez lui ne tournait pas rond… Comme si certaines parties de son corps n’avaient pas été assemblées correctement. Il n’y avait probablement pas beaucoup de libre-arbitre là-dedans non plus, devina Rose. Ce n’était guère plus qu’un pantin ; transmuté dans cette forme tatouée humanoïde et jeté à la merci du monde – comme tous les autres sbires de Cassandra.

― Humidifie-moi, croassa la peau. Humidifie-moi

Toujours disposé à lui plaire, Chip ramassa un large vaporisateur sur le sol et se mit à délicatement asperger Cassandra avec son contenu. Quel couple dépareillé ils formaient, tous les deux… Gollum et La Peau. Visiblement, elle avait dû sérieusement réduire les effectifs après avoir tué tous ces gens sur la Plateforme Un.

― En réalité, il n’est même pas une vraie forme de vie, dit Cassandra, lâchant un petit soupir au contact de la brume hydratante. Ce n’est qu’un clone à croissance forcée. Je l’ai modelé d’après mon motif préféré…

Rose arrivait à voir au travers de sa bouche quand elle parlait, toujours avec cette manière aristocratique et distinguée dont elle se souvenait si bien la dernière fois. Mais il n’y avait aucun doute sur la qualité excessivement douceâtre de sa voix, ni la sorcellerie dans son ton :

― Mais il m’est entièrement dévoué ; c’est lui qui a dévié la trajectoire des ascenseurs pour t’amener ici. Chip s’occupe de mes besoins physiques...

― J’espère qu’on parle de nourriture, grimaça Rose en regardant Chip réhydrater la peau tendue avec adoration, s’efforçant de chasser toute image malsaine de sa tête. Mais… comment ça se fait que tu sois encore en vie ?

La peau la fusilla du regard :

― Après que tu m’as assassinée... ?

― Ça, c’était entièrement ta faute ! rétorqua Rose avec amertume.

Elle se souvint toutefois du regard implacable du Docteur, ce jour-là. Refusant sa demande timide de venir en aide à Cassandra alors que celle-ci se desséchait dans la chaleur, hurlant au secours. Rose avait été trop préoccupée à sauver sa propre vie pour assister à grand-chose à l’époque, mais Cassandra avait clairement commis l’impardonnable en son absence.

Dans les dernières secondes, le Docteur était parvenu à remettre les boucliers de la station en place avant que lui, Rose et les invités ne soient tous carbonisés par les éruptions du Soleil. Cependant, quelque chose – ou quelqu’un – qui lui était très cher avait été sacrifié ce jour-là, et il n’avait montré aucune pitié pour la meurtrière lorsque celle-ci s’éclaboussa de partout sur la Plateforme Une.

« Chaque chose a son temps, » avait-il dit froidement. « Et tout doit mourir un jour. »

― Le cerveau de ma Maîtresse a survécu, dit le petit larbin de Cassandra affectueusement. Et ses magnifiques yeux bleus ont été sauvés de la destruction...

Rose suivit le regard radoteur de Chip le long du cadre métallique jusqu’à une petite jarre en verre à son socle, et effectivement une grosse cervelle flottait là dans un liquide glougloutant ; rosâtre, écaillée et gorgée d’eau. L’organe avait l’air d’avoir commencé à pourrir depuis longtemps.

― Mais ta peau aussi ? (La jeune femme eut une soudaine envie de rigoler.) Je l’ai vue ! Tu... Tu as été déchirée en morceaux...

― Cette peau-là venait de l’avant de mon corps, dit Cassandra un peu précipitamment. Celle-ci vient de l’arrière...

Rose s’esclaffa d’un rire grossier, ne pouvant se retenir devant un tel commentaire :

― Ah, c’est ça! tu parles plutôt de ton CU

― Culottée que tu es ! interrompit la peau d’un air scandalisé. N’en dit pas plus !

― La Maîtresse a eu la chance de survivre ! intervint le petit homme sur un ton protecteur, ses yeux serviles exorbités. Elle a embarqué clandestinement dans la navette de Face de Boe et s’est enfuie vers mes dévotions. Chip l’a secrètement introduite à l’hôpital…

Le sourire de Rose s’effaça aussitôt, et elle sentit alors une profonde angoisse lui saisir l’estomac. Bien sûr que Cassandra n’était pas là par hasard : elle aurait dû s’en douter… Mais que faisait-elle dans un trou pareil ? Est-ce qu’elle était réellement malade ?

― Donc ils savent pas que vous êtes là ?

Le petit homme tatoué hocha la tête :

― Chip vole des médicaments. Chip aide milady. Lui donne des forces. L’apaise. La caresse...

― OK, tu peux t’arrêter là, Chip, coupa Rose, pas sûre d’en vouloir entendre davantage.

Cassandra poussa un soupir dramatique, son regard errant tristement vers le plafond :

― Oh, mais je me sens si seule ! Cachée dans ce trou, le dernier être humain de la civilisation...

― Oh non, tu vas pas recommencer ! soupira Rose à son tour. Ils ont appelé cette planète Nouvelle Terre !

― Un placard à légumes ! cracha la peau avec venin.

― Et il y a des millions d’êtres humains, dehors. Des millions !

― Des mutants, rien d’autre !

Mais Rose refusait de l’entendre de cette oreille :

― Ils évoluent, Cassandra. Ils ne font qu’évoluer, comme il se doit. Mais pas toi. Toi, tu stagnes. Tu es restée idem, toute... ch’ais pas, punaisée et préservée, et qu’est-ce que ça t’a rapporté ?

La peau, cependant, ne l’écoutait plus. Plutôt que d’honorer Rose avec une réponse, elle tourna son regard hautain vers la projection sur le mur, suivant le déroulement du film devant eux. Rose vit la jeune Lady Cassandra à l’écran recevoir un baiser sur la main de la part d’un autre bel admirateur, et l’entendit rire gracieusement : « Comme vous êtes gentil… »

Elle essaya d’imaginer ce qu’aurait pu être une fête comme celle-là, sur un monde lointain quelque part. L’ambiance. Les sons. La chaleur des corps. Les boissons et les invités. Les bavardages et la musique. La jeune femme se demandait si Cassandra n’était pas restée prisonnière du souvenir de cette nuit ; si elle se repassait constamment le même film, encore et encore, comme pour revivre un passé qui était révolu depuis longtemps. Quand elle était encore elle-même… avant d’être réduite à un simple bout de peau.

Rose croisa les bras, maudissant la petite pointe de pitié qu’elle ressentait pour Cassandra. À la regarder maintenant – une parodie grotesque de la vie, punissant sans arrêt son propre corps tel un mannequin anorexique accro à la chirurgie, complètement perdue dans son petit monde personnel – c’était comme si elle n’avait jamais grandi. Peut-être qu’il fut un temps, autrefois, où Lady Cassandra était différente. Peut-être qu’elle avait été autre chose qu’un joli minois…

― Oh, je me souviens de cette soirée ! soupira Cassandra d’une voix rêveuse, perdue dans ses souvenirs de jours plus heureux. Une réception pour l’Ambassadeur de Thrace ! Qu’est-ce que je me suis amusée… C’était la dernière fois que quelqu’un m’a dit que j’étais belle. Après ça, tout est devenu... (Son ton nostalgique s’acheva sur une note plus malveillante.) …si difficile.

― Eh bien... (Rose haussa les épaules sous le regard accusateur de la peau.) Tu as un instinct de survie étonnant, je te l’accorde.

Durant tout ce temps, petit à petit, la jeune femme avait profité de l'inattention de Cassandra et son acolyte pour s’éloigner discrètement vers la porte, s’apprêtant à prendre la fuite. Elle en avait assez vu. Le moment était venu pour elle de se sauver et regagner les ascenseurs. Le Docteur était probablement en train de se demander où elle était passée, désormais. Il fallait à tout prix que Rose remonte à l’étage pour lui dire sur qui elle était tombée. Elle irait prévenir les infirmières aussi, tant qu’elle y était. Avec Cassandra dans les parages, il y avait de fortes chances que cette dernière manigançait quelque chose. Chip se lancerait peut-être à ses trousses – mais vu son allure, Rose jugea qu’elle serait plus rapide que lui…

― Mais je ne suis pas restée sans rien faire, Rose, lança soudain Cassandra, ses grands yeux bleus étincelants de malice. Cachée ici-bas dans l’antre de cet hôpital, j’ai été à l’écoute. Mes araignées t’ont retrouvée à la surface, mais même elles sont limitées dans ce qu’elles peuvent entendre. Vois-tu, les chères Sœurs cachent quelque chose d’important...

Rose plissa le front, momentanément intriguée :

― Comment ça ?

― Oh, ces chats ont des secrets... dit la peau à voix basse, se délectant d'agiter l’information devant elle. Mais chut, je vais murmurer ! Approche-toi...

Rose aboya un rire moqueur devant l’audace d’un traquenard aussi évident :

― Non mais tu plaisantes ! Si tu crois une seule seconde que je vais m’approcher de toi...

Alors qu'elle reculait à grands pas vers la sortie, son corps se heurta soudain à un choc de lumière jaune, surgissant de panneaux métalliques accrochés aux murs de chaque côté d’elle. Brusquement, Rose se retrouva figée sur place – ses oreilles remplies des crachotements d’une ancienne machine au-dessus de sa tête qui venait tout juste de se mettre en marche. Le tisonnier lui glissa des doigts et roula au loin par terre dans un fracas de métal, tandis que la charge électrique s’enroula rapidement autour de ses poignets et les écarta ; la retenant prisonnière avec une force invisible et impitoyable. 

Rose lâcha un juron. Dans un élan de panique, elle se débattit de toutes ses forces, lutta désespérément pour essayer de dégager ses bras, tirant violemment sur ses liens – encore, encore et encore !

Mais en vain. Plus elle résistait, plus le flux d’énergie la maintenait en place.

Cassandra était triomphante :

― Chip, active la psycho-greffe ! ordonna-t-elle, et le petit homme tatoué bondit vers une paire de leviers qui étaient accrochés au mur non loin de là, ses mains prêtes à l’action.

C’est alors que Rose comprit qu’elle venait de tomber dans leur piège.

― Cassandra ! s’écria-t-elle, impuissante. Libère-moi !

Mais elle n’en fit rien. Chip abaissa les deux leviers avec un bruit sourd, et le grondement d’énergie s’intensifia. Rose étouffa un cri lorsqu’elle vit un rideau de lumière bleue descendre du plafond et envelopper son corps comme une cage. Tout à coup, elle se retrouva soulevée à quelques centimètres du sol, perdant toute sensation dans ses membres, et une pression insupportable commença à s’accumuler à l’intérieur de son crâne.

Rose avait envie d’hurler. Sa tête lui tournait à présent, son cœur battait la chamade. Mais les filaments lumineux ne la laissaient pas bouger d’un pouce.

Pour la première fois aujourd’hui, elle avait peur.

Elle était coincée. Absoluement et irrévocablement coincée.

Et rien, semblait-il – pas même le Docteur – n’allait lui venir en aide. 

― Cassandra, libère-moi ! cria-t-elle à nouveau, n’arrivant plus à cacher la terreur dans sa voix, désormais. Qu’est-ce que tu fais !?

― Justement, j’évolue ! exulta Cassandra. (Ses yeux bleus étaient fixés vers le plafond, comme si elle se concentrait de toutes ses forces.) Ne t’en fais pas, Rose ma chérie: dans un instant tu serais remise sur pied. Non pas que tu t’en souviendras, bien sûr… Quant à moi ? La Dame déménage ! Adieu le trampoline… et bonjour la blondasse !

Un sourire carnassier se dessina sur ses lèvres rouges. Puis, d’un mouvement soudain, un éclat de lumière fluorescente jaillit de la peau et fonça à travers la pièce lugubre… tout droit vers Rose !

Cette dernière tenta désespérément de l’esquiver, de se dégager – mais des petites tentacules lumineuses émergeaient maintenant du nuage étincelant pour venir s’accrocher à son visage. Rapides et vicieuses, elles s’insinuèrent dans sa bouche, ses yeux, sa gorge… Rose prit vaguement conscience d’une présence perfide en train de s’enraciner au plus profond de son corps, se glissant tel un serpent autour de son esprit ; l’étouffant, la suffoquant, lui faisant affreusement mal…

Puis elle perdit conscience pour de bon.


[1] Voir Doctor Who et La Fin du monde, dont le récit se déroule avant cette histoire mais n’a pas encore été écrit. C’est compliqué, les voyages dans le temps !

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