Barbie Bleue

Chapitre 1 : Barbie Bleue

Chapitre final

4725 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/06/2018 19:04

Ce texte est la réponse au Défi d'écriture de février 2017 à savoir la réécriture d'un conte populaire. Une difficulté supplémentaire consistait à le rédiger à la première personne.

Continuité : Saison 3 (épisodes de fin) + Saison 4 épisode spécial : La prophétie de Noël


BARBIE BLEUE

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Prologue

Il était une fois, la plus blonde et la plus bête des princesses qui faisait le désespoir de son père le bon roi Cole. Avec la reine, il se tourmentait chaque jour que Dieu faisait sur ce qu'il allait advenir de leur fille unique car elle atteindrait bientôt l'âge de se marier. Hélas, ils savaient l'un comme l'autre qu'aucune bonne fée ne s'était penchée sur son berceau, car l'intelligence de leur pauvre enfant frêle et crédule n'était pas plus grande qu'un petit pois tout vert, et que cette fragile graine ne germant pas, jamais elle ne pourrait gouverner le royaume comme il convenait.

« Qu'allons-nous faire, ma reine ? se lamentait-il dans le secret de leur alcôve. La princesse Lucy qui a si peu d'attraits féminins, a encore moins d'esprit ! Elle n'est guère habile aux travaux d'aiguille et ne sait pas tenir une maison... Auquel de nos voisins malchanceux pourrions-nous la proposer en mariage sans qu'il nous la renvoie en se sentant bafoué ?

— Mon bon roi, répondit un jour la reine qui avait longuement consulté les augures, nous avons fort heureusement quelque fortune. Pour assurer l'avenir du royaume, dotons-la généreusement afin d'attirer quelque prétendant qui n'aurait point ouï parler de son infirmité ! »

Le roi Cole acquiesça et il en fut décidé ainsi. Il fit placarder des portraits aux quatre coins de ses terres et paya des troubadours pour qu'ils écrivent des chansons sur ses grands yeux et son pied menu. Mais aucun prince des environs ne restait plus d'un souper lorsqu'il réalisait combien la princesse était sotte.

Les infortunés parents n'avaient plus guère d'espoir lorsque le Ciel entendit enfin leurs prières et leur amena le riche souverain fantasque d'une lointaine contrée passant par leur domaine, à la recherche d'une alliance profitable pour ses affaires.

Ambitieux, le prince se réjouit sous cape du traité que lui proposa le roi Cole, il accepta la dot de bonne grâce car, à la vérité, il pensait en secret que tout le monde était stupide mis à part lui, et qu'il serait bien assez intelligent pour deux si la princesse se montrait obéissante et soumise, et si elle pouvait servir rapidement son ascension aux plus hautes fonctions du royaume...

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1.

"Règle n°43 de l'whonivers cosmique : toute épouse légitime d'un Seigneur du Temps finira en prison pour avoir vidé un chargeur sur lui" (Compendium Davies-Moffat)

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Je n'ai plus beaucoup de temps. Presque plus.

Je suis en prison, et me voilà étendue par terre sur le sol gris, avec une fleur écarlate et douloureuse sur le côté de ma migraine. Dans quelques heures, si tout se passe bien, ma sentence sera exécutée et moi avec. Pourquoi ? Vaste question ! De temps en temps, je me la pose encore, vous savez ?

Faites-vous partie de ceux qui se souviennent du monde quand il est devenu dingue ? Avez-vous entendu parler de la femme qui s'est laissée charmer et puis corrompre par un fou venu d'une autre planète, l'a épousé sans savoir et n'a pas eu finalement d'autre choix que de lui tirer une balle ?

Non ? OK. Bon. Imaginez-moi il y a quelques minutes, recluse dans une sombre geôle, qui a tout du cachot médiéval et où je suis enfermée depuis des mois. Condamnée sans procès et mise au secret, j'ai été escamotée purement et simplement, cachée aux yeux du monde qui se souvient à peine de mon nom. Et je n'ai plus aucun espoir.

En pleine nuit, un groupe de gardiens pénètre dans ma cellule sans même allumer la lumière et se jette sur moi pour me plaquer au sol, m'arrachant à un mauvais sommeil déjà entrecoupé de cauchemars prophétiques. Je sens qu'on pèse sur mes bras et mes jambes pour m'empêcher de bouger. Sous moi, la pierre est froide et rêche. Comme j'essaie de crier et de me débattre, je prends des coups dans les côtes et des mains aux doigts durs s'enfoncent dans mes joues pour me faire ouvrir la bouche. Tout se passe si vite et c'est si brutal.

Un long coton-tige épais est approché et je m'agite vainement sous la lourde pression des corps inflexibles qui me retiennent. Ce bâtonnet me donne des haut-le-cœur à force de fouiller et gratter rageusement dans mes joues et sur ma langue. Dans un mouvement réflexe de rage impuissante, je crache au visage de la grosse Gertrude platine qui est en train de me faire ça. Dans la pénombre mal éclairée par une insuffisante lanterne d'évacuation d'urgence, je crois pourtant la voir sourire ; est-elle folle ? Parce qu'elle est en train de me remercier pour ma coopération...

Je comprends enfin, mais trop tard. Ils vont le faire ! Ils vont le faire ! Les insensés ! Et aussi brusquement qu'ils sont arrivés, les gardes anonymes se retirent et m'abandonnent là, souffrante et humiliée, pendant que j'entends la lourde porte torturer sinistrement ses gonds dans le silence et les cliquetis caverneux du loquet de la serrure. Seigneur ! Ils vont le faire bientôt !

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Je l'avais toujours suspecté. J'avais entendu des rumeurs. Les adorateurs du Seigneur du Temps étaient prêts à tout tenter pour l'espoir de son retour. Ils vont avoir une surprise.

Encore faible sur mes jambes et étourdie, je me relève péniblement en me frottant la tête. Je n'ai jamais été très épaisse, mais la nourriture de la prison n'arrange rien. La vue du sang qui tache mes paumes ne fait pourtant que raffermir ma résolution. Mon père me disait toujours : si tu veux que quelque chose soit bien fait, fais-le toi-même ! Il ne m'a pas parlé de devoir s'y reprendre à deux fois… Je titube jusqu'à la pierre descellée du mur où je tiens secrète une fiole qu'il m'a fait passer lors de son unique visite autorisée. Dans mes mains tremblantes, la liqueur incertaine et funeste du flacon transparent brille comme l'espoir d'en finir avec ces cauchemars. Je suis prête.

Ah oui, au fait : mon nom est Lucy Saxon.


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2.

« Toute la ville m'appartient, tu le sais bien, la ville m'appartient, tu le sais bien, hein, Lucy ? »

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Au début, je ne me suis doutée de rien, mais il faut dire que sans doute un peu comme tous les autres, j'avais la tête... particulièrement vide. Les manipulations télépathiques qu'Harold avait opérées à grande échelle sur la planète par l'intermédiaire de son réseau Archange, n'y étaient sans doute pas pour rien. Mais vous allez sans doute dire que je me cherche des excuses, et vous auriez raison. A la vérité, mon mariage n'a été qu'une lente dégringolade par étapes, une œuvre au noir de petite envergure qu'on aurait pu sous-titrer : le déni guidé par l'aveuglement…

Lorsque je l'ai rencontré et que j'ai accepté qu'il me fasse la cour, je me disais que ce n'était pas pour son aura de pouvoir ni pour l'avenir politique qui se dessinait devant lui mais parce qu'il s'intéressait à moi. Même si j'étais issue d'une famille aisée et donc habituée à un certain train de vie oisif, mon père tenait à ce que j'aie « une occupation ». J'occupais donc une modeste fonction dans une maison d'édition où je ne brillais pas. Et puis, du jour au lendemain, je me suis vue confier la rédaction de la biographie de l'étoile montante de la politique (Kiss me, kill me – tout un programme, scrupuleusement suivi). Tout le monde en parlait comme du prochain Premier Ministre de Grande-Bretagne.

Lorsque son prestige croissant a commencé à rejaillir tangiblement sur moi et que des obséquieux se sont mis à me considérer d'un autre œil alors que j'avais toujours été invisible, je ne me suis pas sentie opportuniste. Pas plus quand je voyais que je n'avais aucun effort à faire, semblait-il, pour l'intéresser ou être au centre de ses attentions. Ni barbant, ni vieux, ni chauve, ni bedonnant, ni complètement laid, Harold savait au contraire se montrer charmeur, impertinent et largement imprévisible.

Lorsqu'il a invité ma famille dans sa somptueuse demeure à la campagne pour faire étalage d'à peu près tous les biens qu'il avait en quantité, je me suis dit que je le méritais. Je me suis persuadée que j'étais bien heureuse qu'un tel homme veuille bien de moi et qu'il n'y avait rien de bizarre à ce que notre mariage soit organisé et officialisé en moins de deux semaines… Je ne voulais juste pas laisser passer ma chance.

L'étape suivante, quand nous avons commencé à vivre ensemble, ce fut quand il m'a révélé qu'il avait des amis extraterrestres et que lorsqu'il serait Premier Ministre, il arrêterait de mentir au peuple sur leur existence... Celle-là, c'était déjà un plus gros morceau. J'avais l'habitude de l'entendre dire des choses folles et un peu choquantes, mais je croyais encore que c'était une attitude, un créneau marketing, un personnage qu'il cultivait pour séduire la frange la plus jeune de la population, afin qu'elle vote pour lui. Qu'ils votent tous pour lui. A regarder les sondages et les résultats des élections : ça payait manifestement. Tout le monde l'adorait, lui et ses petites excentricités. Il a été élu.


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3.

"Règle n°39 de l'whonivers cosmique : avant de s'y attacher, tout Seigneur du Temps veillera à tester la résolution d'une nouvelle compagne en lui faisant assister à

la destruction de sa planète, ou mieux : à la mort de l'univers" (Compendium Davies-Moffat)

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Ensuite, il y a eu la destination de notre voyage de noces. Il m'avait promis de l'exotisme et un dépaysement total… Il n'avait pas menti sur ce point ! Mais je n'ai pas voulu voir qu'en fait de se réserver un petit moment à nous dans son planning chargé de nouvel homme d'État, il ne s'agissait que d'une visite « diplomatique ». Je me suis focalisée sur l'émerveillement que je ressentais face à l'impossible portail en forme de cabine bleue avec lequel il m'avait fait voyager, et la surprise face à la réalité vertigineuse d'être à des millions d'années-lumière de la Terre, sur un monde si étrange... et si terrible. Ce n'était rien qu'une planète morte, traînant sa désolation sous un ciel noir d'encre sans aucune étoile, et où il n'y avait pas âme qui vive à la ronde dans un paysage presque lunaire, à force d'aridité. Et c'était sous ces auspices-là que débutait notre mariage ?

J'ai choisi de le croire quand il m'a parlé des derniers survivants de cet univers et de quel bienfaiteur il avait été pour eux en les envoyant dans un coin plus reculé où ils avaient pu survivre un peu plus de temps. J'ai repoussé les questions inquiètes qui me venaient quand il m'assurait que la Terre était assez grande pour être partagée avec eux, car même s'ils étaient nombreux, ils étaient plus petits et ne consommeraient pas de ressources.

Et j'ai fait taire mon angoisse profonde de découvrir que l'univers était condamné à ne plus jamais exister un jour, même s'il était extraordinairement lointain. Je l'ai faite taire tragiquement car cette condamnation était pour très bientôt, en réalité, et cela par sa faute.

Mais Harry n'était pas dédaigneux et il semblait rechercher ma présence. A sa façon, j'ai l'impression qu'il éprouvait quelque chose pour moi, ou en tous cas, il semblait trouver naturel que je le suive partout. Il me confiait ses secrets avec plaisir, à moi la falote Lucy Cole, et je m'en sentais valorisée. Et puis aussi... j'étais faible face aux baisers fougueux qu'il prenait un malin plaisir à me donner devant les caméras.

J'ai descendu une nouvelle marche d'infamie lors de l'affaire de la journaliste fouineuse, Vivien Rook. Elle a essayé de me prévenir qu'il n'était pas celui qu'il prétendait être, de son identité forgée de toutes pièces, ce que je savais déjà. Je n'avais pas envie d'écouter cette femme, comme on répugne à être tirée d'un beau rêve agréable après des nuits d'insomnie. Je tenais à ce qu'il sache qu'il pouvait compter sur moi car je lui étais reconnaissante… A l'issue de notre entretien, j'ai voulu congédier la journaliste mais Harold a fait apparaître, comme par magie, trois sphères volantes et parlantes qui ont tué Mme Rook juste à côté de nous, et de la façon la plus vicieuse et cruelle qui soit. La brutalité négligente de ce meurtre m'a sidérée, l'insouciance qui était la sienne aussi. Comment pourrais-je oublier ce que je venais de voir ? Achevant de me désorienter, il m'avait juste serrée contre lui pour me réconforter. Comme si ce n'était rien. Comme s'il trouvait charmant que je sois choquée...

Je ne pensais pas qu'il irait si loin. Je ne le connaissais pas du tout, en fait ! Il ne faisait que s'échauffer. A certains moments, je pouvais douter, et croire qu'il n'était pas si mauvais. Je savais pour vivre avec lui qu'il avait ces étranges acouphènes qui influaient sur son humeur de la plus sinistre manière. J'avais accepté de garder le silence sur un meurtre. Qu'est-ce qui pouvait être pire que ça pour nous lier indéfectiblement ? J'étais devenue sa complice.

Ce que j'ai compris après, c'est que depuis le début, Harold avait un plan. Brûler impatiemment les étapes de la vie politique de notre pays ne devait le conduire qu'à se trouver en position d'être seul avec le Président des États-Unis. Je ne suis pas assez intelligente pour comprendre comment il a fait venir ses amis extraterrestres prétendument pacifiques, les Toclafanes, mais ils sont bien venus au rendez-vous avec Winters en tant que porte-parole des Nations-Unies. Ce dernier était furieux d'avoir été évincé, il brandissait des protocoles juridiques établis de longue date en cas de contact alien, et il voulait reprendre les choses en main. Harold le laissait faire avec un sourire modeste et retors… Les Toclafanes ont purement et simplement désintégré le président des États-Unis, en mondovision.

Nous étions tous médusés de découvrir qu'en fait de premier contact, il s'agissait d'une prise de contrôle brutale de notre planète. Les Toclafanes, puérils et capricieux, n'obéissaient qu'à lui. Et si vous pensez que la domination de notre Terre grâce à de puissants et terrifiants alliés était une fin en soi pour lui, vous vous trompez. Par une vaste crevasse qui s'était ouverte dans le ciel, des millions de ces petites sphères violentes s'étaient répandues sur la planète et il en était tout simplement ravi. J'ai été assez veule pour montrer que je m'en réjouissais avec lui.

Sur le porte-avions où nous nous trouvions, il y a pourtant eu des gens pour essayer de l'arrêter, en vain. Il leur avait tiré dessus avec une arme bizarre. Et moi j'ai assisté à tout, les yeux écarquillés et les bras ballants, abasourdie, incapable de savoir comment réagir autrement que stupidement face à l'énormité de ce qui se produisait.

Étouffant dans l'œuf les prémices de la moindre rébellion, il instaura très simplement une nouvelle dictature, exigeant que nous l'appelions tous comme le faisaient les petites créatures mauvaises : le Maître.

Pouvais-je descendre encore plus bas ? Comment pouvais-je être la femme d'un monstre ? Il s'est mis à asservir l'humanité qu'il n'avait que « décimée » pour l'exemple, en les mettant à travailler dans des chantiers navals. Car notre planète était loin de lui suffire. Il voulait ravager tout l'univers en nous faisant tous construire le plus vite possible les armes de sa conquête qui assiéraient sa domination universelle. Quelle revanche espérait-il prendre, et contre quoi ou qui ? Nul ne le savait. Et personne ne pouvait lui demander, tant le pouvoir absolu lui montait à la tête.


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4.

« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »

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Pendant des mois et des mois, nous avons vécu à bord du Valiant, dont il m'avait fait faire le tour du propriétaire, en me montrant chaque pièce. Il se flattait d'en avoir conçu les plans lorsqu'il était Ministre de la Défense. Il m'avait confié un badge qui m'ouvrirait l'accès à toutes les portes. Ce vaisseau était immense : salles de réception ou de réunion, cuisines, quartiers du personnel, et bien sûr, la passerelle. Je pouvais aller partout… sauf dans la section spéciale où étaient retenus les prisonniers de haute-sécurité.

J'avais de plus en plus peur de simplement croiser son regard parfois. Peur de la voracité de ses baisers, et de la douleur que je ressentais quand il encadrait mon visage dans ses mains. C'était comme une migraine lancinante, comme si mon cerveau était cruellement fouaillé encore et encore. Je pensais que c'était absurde et que j'imaginais tout ça. Mais son sourire dément et son œil rapace en disaient trop long. Quand j'ai voulu me défendre et le repousser, il m'a frappée. Il le refit autant et aussi souvent que bon lui semblait, affichant clairement son mépris. Et puis plus tard, achevant de me désorienter, il faisait comme si de rien n'était.

A d'autres moments, j'étais livrée à moi-même. Pendant que mon mari était occupé à planifier avec les Toclafanes le lancement d'une guerre ouverte qui menaçait à peu près tous les peuples de l'univers, je quittais souvent la passerelle pour m'aventurer au hasard dans le vaisseau. Je fuyais les nouvelles télévisées catastrophiques qui venaient de la Terre, les images de gens parqués comme des esclaves, celles des ogives nucléaires dressées et parées... Notre sort serait bientôt joué et avec le nôtre, celui de tous les mondes connus et inconnus. On ne pouvait pas lui reprocher de penser petit...

Il y avait aux cuisines deux servantes noires, Frances et Trish, je crois. Je ne savais pas pourquoi j'imaginais qu'elles pourraient faire quelque chose, quoi que ce fût, car elles n'étaient à peine mieux que des domestiques ici… Elles avaient une signification particulière pour Harry mais je ne m'étais pas intéressée aux gens qui nous entouraient et, par voie de conséquence, j'étais isolée. Et personne à bord ne me faisait confiance.

Lorsque j'ai essayé de leur parler, elles se sont fermées et m'ont plus ou moins accusée d'espionner pour le compte du « Maître ». J'ai eu beau essayer plusieurs fois de revenir vers elles, rien n'a marché. La plus âgée m'a juste dit avec des yeux incroyablement durs : « Vous cherchez quelque chose à faire ? Vous n'avez qu'à visiter la soute ! ».

J'y suis allée et j'en suis ressortie encore plus traumatisée. Je suis sûre qu'elles l'avaient fait exprès. C'était la petite galerie des horreurs là-dedans ! Dans une pièce, j'ai tout simplement trouvé un tas de cadavres en train de se décomposer, dans une autre, il y avait des sphères qui jouaient à découper des gens au laser en chantant des comptines infernales…

J'ai détalé pour regagner la passerelle désertée.

Dans un coin, la cage était là. Son occupant silencieux, le Golum horrible tout maigre et rabougri, pourvu d'énormes yeux globuleux marrons me jeta un regard qui semblait vouloir me happer toute entière. J'y lisais une immense compassion que j'ai pris comme une gifle et une insulte à la fois. Que me voulait-il à la fin ? Espérait-il que je le libère ?

Je me suis enfuie encore.

Le lendemain, je suis retournée dans les soutes à l'aide de mon badge. J'ignorais ce que je cherchais là-bas, j'espérais que je le saurais en le voyant. Derrière une porte contre laquelle je faisais une pause, j'ai entendu appeler. Quelqu'un demandait de l'aide.

Bien sûr, j'étais pétrifiée et j'ai hésité mais j'ai ouvert quand même, poussée par quelque inexorable curiosité morbide. Dans ce hangar, il y avait un homme attaché par des chaînes courtes qui tombaient du plafond. Une puanteur âcre me saisit à la gorge comme je faisais quelques pas à l'intérieur. Retenu comme il l'était, il n'aurait pas pu me faire du mal. L'homme grand et brun, qui ne portait qu'un maillot et un pantalon, était repoussant de saleté et tout couvert de sang brunâtre. Il leva des yeux étincelants de colère sur moi, dont les iris bleus ressortaient d'autant mieux dans toute cette crasse, et son sourire arrogant et dur afficha des dents d'une blancheur presque incongrue.

— Alors, princesse, on vient rendre visite aux lépreux ? réussit-il à dire d'une voix éraillée.

J'ai sursauté et laissé tomber mon badge dans une flaque douteuse dont la substance laissa une tache indélébile sur le plastique. Je suis restée là, choquée, à respirer difficilement. Depuis combien de temps était-il là, tout seul, suspendu ainsi ? Le prisonnier enchaîné me regardait avec une vraie curiosité. C'était l'un des amis du Docteur, l'un des seuls qui avaient essayé d'arrêter Harold lors de sa prise de pouvoir et qui s'était fait tirer dessus juste après la désintégration du Président Winters sur la passerelle.

— Mais… vous n'êtes pas mort ?

L'homme laissa échapper un petit son de crécelle rouillée qui devait être un rire.

— Oh si, plusieurs fois ! Mais ça, chérie, c'est un peu le problème avec moi… Dites-moi plutôt, qu'est-ce que vous venez faire ici ? Vous encanailler ? Le Maître a décidé de vous laisser les jouets dont il s'est lassé ? Il se fatigue très vite de tout, vous savez. Ne croyez pas que vous vous êtes gagné une immunité parce que vous restez sa loyale petite épouse béate et sans cervelle… Vous serez la prochaine sur la liste ! prophétisa-t-il avec agressivité.

J'ai détourné la tête en fermant les yeux. Je n'aimais pas entendre cela mais je savais au plus profond de moi que cet homme avait probablement raison.

— Allons, princesse, soyez charitable, ça fait des semaines que je n'ai parlé à personne et qu'on me laisse crever répétitivement ici, sans eau ni nourriture… Parlez-moi, au moins !… Ce cocard violet mal maquillé sous votre œil, je sais ce que c'est… Il vous frappe aussi, n'est-ce pas ? C'est pour ça que vous êtes ici…

— Taisez-vous !

J'ai secoué la tête avec un sanglot, refusant d'en entendre plus et je me suis enfuie en refermant la porte sur lui. Mais sa voix continua à me poursuivre tout au long du couloir.

— C'est ça, bercez-vous d'illusions ! crachait le prisonnier avec hargne. Et surtout prenez le temps d'apprécier les locaux car vous rejoindrez bientôt tous ceux qu'il ne veut plus voir !

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5.

"Lucy, Lucy, dépêche-toi, tu vis, tu ne meurs qu'une fois ! Et t'as le temps de rien que c'est déjà la fin..."

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Par la suite, j'ai beaucoup repensé aux paroles de cet homme en colère et j'avoue que j'y repense encore, même aujourd'hui dans ma cellule.

En tous cas, j'y ai pensé quand une opportunité s'est présentée à moi le dernier jour avant la guerre totale. Quand une arme s'est retrouvée à ma portée ; quand, dans la panique d'une révolte surprise à bord, personne ne faisait vraiment attention à l'imbécile petite Lucy Saxon. Tous ces gens exceptionnels qui avaient secrètement ourdi un plan patient pour retourner le réseau Archange, avec lequel Harold manipulait l'esprit des gens, et s'en servir contre lui…

Être invisible a ses avantages, figurez-vous. Ils ont tous été extraordinairement surpris quand après des parlottes grandiloquentes interminables, j'ai pris le revolver qui avait providentiellement glissé vers moi et tiré sur Harold pour en finir avec tout ça. Je ne comprends pas pourquoi quelqu'un d'autre ne l'avait pas fait, alors qu'il était finalement si simple de l'abattre, et avec une arme des plus conventionnelles...

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Le prisonnier dont les mots durs m'avaient donné l'aiguillon nécessaire, j'y pense pour me donner du courage. Alors que les gardes viennent pour me reprendre et m'entraîner dans une grande pièce dégagée où trône une espèce de quoi ? Colonne tronquée ?

Une fois encore je le savais mais je ne voulais pas y croire. En voyant la figure d'Harold et son torse émerger des flammes pâles et surnaturelles où il reprend substance en volant la vie de ses adorateurs, tout me revient. A lui aussi, semble-t-il. Il me parle, il me reconnaît… Il agit comme s'il ne m'en voulait pas de ma trahison envers lui. Je ne vais pas me mettre à le croire…

Quel genre d'être était-il au bout du compte pour être capable de renaître de ses cendres après des mois, issu d'une vieille bague et d'un reste d'ADN ? Je n'avais pas été suffisamment curieuse, envahie par mes émotions, mais à cet instant je reconnaissais volontiers la clairvoyance de mon père qui avait été miraculeusement épargné lui aussi par l'amnésie collective lorsque le monde était redevenu normal. Mon père avait financé des recherches. Il n'avait eu le temps que de m'en parler brièvement lors de sa seule et unique visite. Une fois encore, je n'avais pas bien écouté, ça avait rapport avec un codage de l'ADN d'Harold. Il avait parlé d'un Lazarus… Tout est si confus. Je n'avais retenu que la fin : si jamais mon mari était de retour, je devais lancer cette fiole sur lui et ça devrait le tuer une bonne fois. Mon père m'avait averti que c'était hautement explosif et que je pourrais être gravement blessée. Il y avait une telle tristesse dans ses yeux que j'ai compris intuitivement ce qu'il me taisait. Et jusqu'à ce matin, fidèle à mon éternelle attitude de déni, j'ai cru que je n'aurais jamais à l'utiliser.

Mais en voyant Harold devant moi exécuter cette obscène renaissance, j'essuie les larmes qui coulent sur mes joues marbrées de bleus par les brutalités que j'ai subies un peu plus tôt. Je sors la fiole que j'ai cachée grâce à l'assistance d'un garde, avant d'être traînée ici pour assister à sa résurrection.

Encore une fois, personne ne me regarde ni ne fait attention à moi, sauf peut-être lui. Il crie quand il me voit faire, mais c'est trop tard : je lance le flacon dans sa direction avec la satisfaction de savoir qu'il ne va pas s'en tirer.

La violence du choc de l'explosion me déchire et me disperse en une seconde, tandis que sur le fantôme de mes lèvres, se murmure en vain l'écho imperceptible d'une dernière fervente prière d'excuse, pour les autres prisonniers que je n'ai pas su aider sur le Valiant.

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Au fond de la sombre geôle du noir donjon de Broadfell, la princesse Lucy sacrifia son existence afin que périsse à jamais le Mauvais Prince. Dans l'haleine infernale d'une fournaise sorcière créée par les magiciens de son père, elle se jeta en espérant entraîner avec elle dans son trépas et son époux dément, et ses adorateurs fervents…

Tout fut détruit alentours… À l'exception du Mauvais Prince Sanglant qui survécut, et se releva tout clignotant des décombres fumantes. Le cœur rongé par la folie et l'envie, ce dernier résolut de se venger et se mit en quête du frère renégat qui l'avait trahi...

Mais ceci est une autre histoire…

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