Un écho du passé

Chapitre 10 : Seeing The Real You At Last

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:13

 

Chapitre neuf
Seeing The Real You At Last
 
Well, I sailed through the storm
Strapped to the mast,
But the time has come
And I'm seeing the real you at last.
 
Quantico
3 juin 6H02 AM
 
Jason Gideon pensait arriver dans des bureaux vides et silencieux. Le silence est bien présent, presque respectueux, mais la lumière qui se diffuse sous la porte close du bureau d’Aaron Hotchner laisse peu de doute. L’agent a passé la nuit dans son bureau, loin de ses tracas familiaux mais au plus près de ses angoisses quant au devenir du docteur Reid. Docteur… Gideon l’a toujours présenté ainsi, pour le vieillir, pour l’affirmer, pour l’imposer aussi. Pourtant cette notion semble galvaudée en cet instant où Spencer n’est rien d’autre qu’un gamin aux prises avec un démon de son passé. Quelque soit le titre que Gideon pourrait lui affubler, réel ou inventé, il ne changerait rien à cet état de fait. Gideon s’approche doucement et jette discrètement un œil dans le bureau de son collègue et ami. Hotchner est assis à son bureau. Il ne bouge pas. Sans doute a-t-il passé la nuit ainsi, à ne rien faire d’autre que regarder une vieille photo. La photo, celle que lui destinait Leland. Gideon ignore ce qu’elle représente. Lorsque JJ la lui a remise, Hotch s’est refermé d’un coup, sans mot dire, puis l’a rangée comme on clôt un dossier, sans laisser la moindre possibilité de questionnement. Maintenant il est grand temps de lever le mystère. Gideon pénètre dans le bureau sans frapper, sans s’annoncer mais sans pour autant se faire discret. Il pousse la lourde porte, s’installe face à Aaron et attend, simplement… Au bout de dix bonnes minutes, une éternité, l’agent Hotchner daigne enfin lever le regard. Gideon ne s’attendait pas à cela. C’est la première fois qu’il voit Aaron aussi abattu. D’une voix douce il tente d’amener son ami à se dévoiler. Chose rare pour Aaron, rare mais d’autant plus précieuse.
-Bon, et si tu m’expliquais ?
Aaron Hotchner se contente de poser la photo face à Gideon. Elle le représente en tenue réglementaire du FBI, installé dans une de ces traditionnelles chaises d’amphithéâtre. Il semble attentif. Aux coins de ses lèvres, un petit rictus traduit une satisfaction certaine. Gideon ignore en quoi cette image peut provoquer une telle culpabilité chez Aaron.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Cette photo a été prise lors d’une soutenance de thèse. Je te laisse deviner qui était l’étudiant.
-Spencer.
-Oui, je l’avais repéré depuis un moment et je suivais attentivement ses études et ses recherches. Au quotidien il est difficile d’accès et fuit des yeux le regard des autres, mais quand il est lancé sur un sujet qu’il maîtrise, et Dieu sait qu’il y en a, il est intarissable, passionnant et presque à l’aise, même devant des centaines d’étudiants plus âgés que lui. Ce jour-là, j’étais fasciné, presque envoûté… Tu as lu ce que Leland a écrit derrière la photo ?
Gideon n’a pas remarqué l’écriture. Celle-ci est si légère qu’elle n’a pas marqué le papier brillant. Il retourne la photographie et lit l’inscription à voix haute.
-Nous étions deux chasseurs pour la même proie. Je vous ai laissé l’approcher, la humer et l’apprivoiser. Mais quand vient le moment ultime du coup de grâce, je reprends mes droits. Spencer m’appartient. Je vous enverrai les restes…
Silence. Même Gideon se sent profondément troublé par ces mots, ce qu’ils suggèrent, ainsi que la violence et l’agressivité qu’ils renferment. Il hésite un instant puis repousse la photo comme un vulgaire papier sans importance, ou plus vraisemblablement comme s’il risquait à son contact une quelconque contamination. Il plonge ses yeux dans ceux de l’agent Hotchner et ce qu’il y lit l’effraie. Culpabilité, rejet…
-Aaron tu ne vas pas le suivre sur ce terrain-là ?!
-Tu sais ce qu’il veut dire aussi bien que moi. Et il a raison.
-Non, il a tort et il joue avec nos nerfs. Il veut te blesser. Aaron ce n’est pas le moment.
-J’ai guetté Spencer pendant deux ans, attendant le meilleur moment pour me l’accaparer. C’était un môme, Gideon ! Un gamin de 21 ans et je l’ai utilisé. Ou plutôt j’ai utilisé ses capacités et connaissances, sans me soucier du mal que je lui faisais. Il a failli se laisser sombrer dans la drogue et malgré cela, je n’ai rien fait pour le soutenir.
-Tu avais confiance et tu as été patient. J’en ai fait de même et nous avions raison. Spencer n’est plus l’enfant qu’il était. Il doit apprendre à gérer son stress. Il s’en est sorti seul et cela l’a grandi, lui a donné confiance en lui.
-Non, je l’ai exploité. En avais-je la légitimité ? Et de quel droit ? En cela, rien ne me différencie de Leland. Je le voulais et une fois qu’il a été en ma possession je n’ai pas su prendre soin de lui… tout comme de ma famille !
-Aaron ! Tu ne vas pas te laisser entraîner dans ce jeu malsain ! Reid est fragile mais très intelligent. Il savait à quoi il s’exposait. Il aime son métier et aime travailler avec toi. Tu es ce qui ressemble le plus à une figure paternelle pour lui. Et un père se doit de laisser son enfant découvrir par lui-même quelles sont ses limites. Spencer est plein de ressources et grâce à toi, il en a conscience. C’est pour cela que Leland veut te détruire. Comprends cela Aaron. Leland veut posséder Spencer pour lui seul et tu es un obstacle. Peut-être devrais-tu envisager cela sous cet angle.
Aaron semble sortir d’une étrange transe. Soudain il n’est plus l’homme accablé mais l’agent chevronné du FBI.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Que cette photo n’a rien d’anodin. Cela traduit un processus de préméditation au-delà de tout ce que l’on avait imaginé. Je pense que Leland suivait Reid de très prés, et nous par la même occasion. Son objectif en t’envoyant cette photo est de te détruire et de détruire par là-même la seule image, ou autorité paternelle, qui pourrait encore se glisser entre Spencer et lui.
-Oui, mais Spencer est entre ses mains et je n’ai plus aucun moyen d’interférer. En quoi suis-je un danger pour lui ?
-En rien, en tout cas pas plus que nous tous. Mais dans l’esprit dérangé de Leland tu es un rival, un obstacle. Méfie-toi.
Sur ces derniers mots, Gideon se lève et quitte Hotch, le laissant pensif, perturbé mais également rassuré. Se savoir une potentielle proie d’un psychopathe comme Leland n’a rien de rassurant en soit, mais penser que Spencer, le gamin qui n’en est plus un, voit peut-être en lui une source de réconfort…cela oui, ça réchauffe les cœurs et donne envie de se battre.
-Spencer…
Gideon sourit en entendant Aaron prononcer le prénom de son émule. Il sourit encore en entrant dans son propre bureau. Mais ce qu’il y voit le saisit !
 
***
 
Il pose la main sur son épaule, la faisant sursauter.
-Oulala, ne me refais jamais ce coup-là mon chou, j’ai perdu quelques battements cardiaques !
Morgan sourit et se met à genoux aux pieds de Pénélope Garcia.
-Que fais-tu mon preux chevalier ? Une déclaration ?
-Non ma douce, je cherche tes battements, c’est si triste de t’imaginer avec un petit cœur dépouillé !
Derek se relève, prend la main de Garcia et y dépose un baiser. Celui-ci ne fait qu’effleurer la peau de la hackeuse la plus surveillée du FBI, mais l’atteint droit au cœur. Elle fait son traditionnel sourire, plein de couleur, celui qui habituellement illumine tout interlocuteur. Elle sait qu’aujourd’hui elle n’obtiendra rien de plus qu’un petit sourire, pincé, forcé, mais c’est déjà pas mal. Lorsque l’équipe était rentrée la veille, vers 23heures, heure locale, ils étaient épuisés et profondément accablés. Ils avaient déjà vécu cela tous ensemble, tous soudés devant un écran qui leur montrait un Spencer torturé, tué puis réanimé… mais cette-fois-ci, c’était différent. Leland leur avait laissé trop peu d’indices et beaucoup trop de temps pour cogiter sur leur impuissance. Garcia ne compte pas assister inutile à la lente agonie de l’agent Reid. Elle fouillera, jour et nuit s’il le faut, elle décortiquera la vie de Leland et trouvera ce qui permettra à l’équipe de le sauver ! Pour une fois, le preux chevalier ce sera elle !
-Derek mon sucre d’orge, j’ai quelque chose pour toi.
L’agent s’assied aux côtés de Garcia et tente de suivre son cheminement d’esprit. Ecran de droite, celui de gauche, données jetées ça et là dans un ordre compréhensible uniquement par les petits génies du binaire. Même Spencer s’y perdrait !
-J’ai analysé le rapport d’autopsie de feu madame Leland.
-Et ?
-Sais-tu que son utérus avait été gravide.
-Ce qui signifie ?
-Qu’elle avait été enceinte. Je ne retrouve aucune trace de grossesse, mais voilà, soit on n’a pas autopsié la bonne personne, soit madame Leland a eu un enfant.
Derek se jette sur Pénélope, l’embrasse…
-Merci, ô déesse de l’informatique.
… et quitte la pièce au pas de course.
 
***
 
Du jaune, du rouge et un soupçon de bleu. Gideon s’approche du bouquet qui trône sur son bureau. Une petite carte dépasse d’un grand ruban au nœud rouge brillant. L’espace d’un instant il imagine y découvrir l’écriture fluide de Leland, mais rapidement il réalise que jamais le professeur ne lui ferait parvenir un tel feu d’artifice de couleur ! Qui donc pouvait être capable de cette décharge multi chrome ? Malgré des années de profilage, rien ne lui vient à l’esprit. Est-ce cela le plus effrayant ?
Jason s’approche du bouquet, prend la carte, l’ouvre puis s’effondre sur son fauteuil. Evidemment, il aurait dû s’en douter !
Garcia, qui d’autre ? Le mot est gentil, surréaliste, typique de l’informaticienne.
« Votre œil poché vous va à ravir. »
-Une admiratrice ?
Gideon se retourne, mi gêné, mi amusé. Si Derek savait !
-Une erreur. Tu as du nouveau ?
-Oui. D’après l’autopsie de l’ex-femme de Leland, il semblerait qu’ils aient eu un enfant.
Gideon est extrêmement surpris. Tout en parlant à Morgan, il l’entraîne avec lui dans le couloir, direction, bureau d’Aaron Hotchner.
-Cela paraît peu probable. Il faut savoir ce qu’est devenu cet enfant. Hotch ! Madame Leland a eu un enfant !
-Un enfant ? Cela n’apparait nulle part ! Derek, où vit le nouveau mari ?
-Au Nevada, dans l’ancienne maison de Leland. En fait, sa femme avait gardé la maison après leur séparation. Une maison familiale. D’après Garcia cela avait été une source de conflit durant le divorce mais l’instabilité de Leland et son côté « nomade » n’avait pas joué en sa faveur. Le mari en a hérité au décès de sa femme. Il y vit toujours.
-Ok, ça tombe bien. Derek, tu prends Prentiss avec toi et vous allez au Nevada. Je veux savoir tout ce qu’il y a à savoir sur Leland, sur son éventuelle paternité et sur cette maison. Il nous reste moins de dix jours pour retrouver Spencer. Prentiss et toi allez rester sur la Côte Ouest. Inutile de perdre du temps à parcourir le pays en long et en large. Leland a assez joué avec nous !
Derek regarde sa montre puis fait un clin d’œil en direction de Gideon en voyant entrer Prentiss, des cernes aux allures de panda et un immense pancake entre les dents. Sans attendre le moindre commentaire, Morgan s’éclipse, attrapant Emily au passage.
-Salut ma belle, remise du décalage horaire ?
-Ho non, Derek ! Ne me regarde pas comme ça, tu me fais peur. Ne me dis pas qu’on repart ?
-Si mais cette fois, on s’installe. Allez viens, je t’expliquerai en route !
 
***
 
Spencer se réveille lentement, par paliers progressifs, comme on s’extrait d’une gangue multicouche. D’abord reprendre pied dans un univers tridimensionnel, a priori beaucoup moins en vrac que celui des songes, puis dans la réalité en cours, celle de Leland. Spencer est de retour sur son lit métallique. Leland est à ses côtés, genoux à terre, lové contre son torse. La respiration de son bourreau est paisible, tout comme ses traits qui pour la première fois depuis ce début juin lui rappellent le joyeux professeur qu’il aimait tant. Doucement, minimisant au maximum ses mouvements, contrôlant autant que possible sa propre respiration, Spencer cherche le petit détail, celui qui pourrait lui sauver la vie. Comme toujours, tous ses sens se retrouvent percutés de données, bruits, odeurs, lumières, autant d’éléments que son cerveau trie et range dans les cases « à traiter en priorité » ou « données à analyser ultérieurement ».   Première donnée : le volume de sa geôle a changé. Quelque chose a bougé. Une chose à la limite de la perception humaine mais qui coule et frôle la conscience Reidienne ! Spencer s’attarde sur la surface vitrée. Un léger reflet dessine une petite tâche sur l’angle qu’elle forme avec la faïence qui l’entoure. C’est donc cela. Le mur lui-même est une porte aux gonds dissimulés et à l’articulation particulièrement bien ajustée. Leland s’est endormi, laissant la porte légèrement entrebâillée. Un piège ? Spencer ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il s’agit encore d’un chausse-trappe de son bourreau. Quelques minutes s’écoulent sans que Leland ne réagissant. Spencer se laisse aller vers un espoir, modéré, canalisé. Pour accéder à la sortie il lui faudra s’extraire de la répugnante étreinte de son tortionnaire. La deuxième donnée classée dans les priorités découle directement de ce difficile constat. Une perfusion au liquide jaunâtre se diffuse dans son bras gauche. Un rapide coup d’œil lui apprend qu’il s’agit d’un bionolyte glucosé à 5%. La couleur jaune n’ayant aucun rapport avec le contenu probable, Spencer en déduit qu’il s’agit d’un additif, vraisemblablement au vu de la couleur, d’un poly vitaminé. Voila comment Leland compte le maintenir en vie sans eau, sans nourriture. Une vie artificielle… quel avenir !
Délicatement, de sa main droite, Spencer retire le cathéter de son bras. Le liquide jaune vient couler dans sa main, se mélangeant au sang de la veine ainsi mise à nue. Rapidement, avec une fluidité presque féline, Spencer clampe la tubulure puis exerce une pression sur l’origine du saignement. Inutile de laisser des traces derrière lui… si tant est qu’il arrive à s’échapper. Son poignet gauche le fait terriblement souffrir, mais l’espoir est le meilleur de tous les antalgiques. Avec fluidité, il se glisse au bord du lit, laissant Leland retomber doucement sur le matelas. Avec une difficulté qu’il ne mésestimait pas, Spencer se redresse, accommodant lentement sa vision à la position verticale. Doucement, millimètre, par millimètre, il se redresse et se lève, luttant contre le malaise vagal qui le guette. Une profonde inspiration, quelques pas et le voila devant la porte. Un rapide coup d’œil en arrière lui dévoile une vision toute nouvelle de sa prison. Elle est lumière, blancheur et neutralité. De l’autre coté de la porte, il y a la pénombre et l’inconnue. Il y a la liberté aussi. Une autre inspiration et Spencer Reid, vingt-quatre ans, profiler au FBI, quitte enfin l’antre de Leland.
 
***
 
La maison est typique des habitations américaines qui se côtoient sans séparation évidente, sans intimité mais également sans charme. Une maison parmi tant d’autre. A la vue de tous, mais qui n’attire le regard de personne. Une maison neutre, sans signe distinctif, sans pancarte exhibant en rouge « ici vécu monsieur Leland, psychopathe ».
Derek frappe deux coups  contre la lourde porte en bois. Deux coups brefs mais fermes. Il est l’heure du déjeuner dans cette banlieue de Las Vegas, mais pour les deux agents du FBI, il est à la fois le matin et le soir, le midi et la nuit. Leur horloge interne est totalement perturbée. Leur mental et leur moral aussi ! Un homme d’une bonne soixantaine d’années ouvre la porte, laissant une chaînette de sécurité entre lui et les deux agents.
-Moui ?
-Monsieur Dempsey ?
-Hum, hum.
Morgan ne prend pas ombrage de l’attitude suspicieuse du vieil homme. Mieux vaut être prudent de nos jours. Si tout le monde agissait avec ce minimum de précaution, le FBI n’aurait pas tant de travail. Morgan sait évidemment qu’il n’en est rien. Les psychopathes, les déséquilibrés, les bras vengeurs et tous les malades de l’univers savent mieux que quiconque s’adapter. C’est ce qui fait la difficulté de leurs recherches quotidiennes, c’est ce qui en fait l’intérêt également. Pourtant, en cet instant, Derek aurait aimé qu’il en soit autrement. Qu’en ouvrant la porte, il découvre Leland et Spencer… mais cela aurait été trop beau ! Avec un petit soupir résigné, Derek tend sa carte. Emily fait de même avant de se présenter.
-Monsieur Dempsey, nous sommes les agents Morgan et Prentiss du département d’études du comportement. L’agent Jareau vous a annoncé notre venue n’est-ce pas ?
-Moui.
-Pouvons-nous entrer ?
-Moui…
 
***
 
La transition entre sa prison et cette pièce est brutale. Spencer se retrouve dans une salle assez étroite, plus basse de plafond qu’il ne l’imaginait et aux murs de béton bruts recouverts de rayonnage et de bric-à-brac. Pas de lumière, hormis le projecteur qui noyait littéralement sa petite cage de faïence blanche, pas de fenêtre apparente, rien. L’espace est réduit mais exploité au maximum. Un recoin semble visiblement voué au bureau. Une table sommaire, métallique, rivée au sol par d’impressionnants boulons. Une table de type militaire. Au-dessus sont installés de multiples écrans d’ordinateur, comme une annexe au refuge de Garcia. Sans la couleur, la gaité et la touche enfantine. L’un montre une entrée, petite mais fonctionnelle. Un autre présente un salon, vieillot avec un canapé en gros velours marron recouvert d’un plaid écossais. Un troisième montre une cuisine aux couleurs oranges des années soixante-dix et au sol en linoléum. Un homme y mange tranquillement en lisant un journal replié aux trois-quarts. Spencer s’attarde peu sur ces images de voyeuriste qui lui rappelle un autre très mauvais moment de son existence. Il préfère se concentrer sur le présent et sa recherche de liberté. Il affine sa vision d’ensemble. Tout est scellé, fixé pour résister à tous mouvements intempestifs. Le mobilier est basique, utilitaire. Aucune touche personnelle ou simplement humaine ne transpire de ce qui semble être un véritable blockhaus, sans porte ni fenêtre. Une issue existe pourtant mais Spencer tarde à la trouver. Au plafond, dans un angle abandonné de toute lumière, se dégage une petite trappe d’où émergent quelques marches métalliques de ce qui semble être un escalier pliant de grenier. Spencer s’en approche mais trente bons centimètres séparent sa main tendue de la première marche. Spencer se retourne vers Leland. Celui-ci n’a pas bougé. Soudain l’espoir gagne du terrain. Peut-être finalement… peut-être a-t-il une chance de survivre.
Spencer Reid tente de sauter ces quelques centimètres qui l’éloignent de la liberté, mais son corps affaibli le soulève à peine. Ses genoux, incapables de le soutenir davantage choisissent ce moment pour l’abandonner. Spencer se retrouve avachi au sol, ses jambes repliées sous lui, en appui sur ses deux mains. L’une criant au calvaire, l’autre marquant le sol d’une empreinte ensanglantée. Son poignet gauche termine d’achever ses résistances. Sans guère d’autres choix, Spencer se laisse tomber au sol, espérant récupérer un peu d’énergie.
-C’est ici que mon père est mort.
Spencer ouvre les yeux mais ne dit rien. Que dire de toute façon ? Il ne regarde pas Leland qui s’est approché de lui. Il devine sa présence, c’est bien suffisant. Spencer fixe le plafond et le petit bout d’escalier qui le nargue.
-Papa a construit cet abri antiatomique au début des années soixante, dans le contexte de paranoïa qui a suivi la crise cubaine. Surtout qu’ici nous sommes assez proches du désert du Nevada et des essais nucléaires de nos gouvernements successifs. Mon père vivait dans la crainte d’un accident ou d’un conflit. Il est mort alors que l’un d’eux se déroulait, mais loin d’ici. Il venait régulièrement vérifier les stocks de vivres, de médicaments… Quand je suis rentré du Golfe, je l’ai retrouvé exactement là où tu te trouves, recroquevillé sur lui-même. Il avait dévalé l’escalier, se brisant les deux jambes et un bras. Quand je suis descendu, il était mort depuis plus d’un mois, sans que quiconque ne s’inquiète de sa disparition, du lait et des journaux qui s’entassaient devant la porte. Il est mort de faim, de soif, de peur ou de douleur … je ne le saurai jamais. Mais il est mort seul. Il ne le méritait pas.
Spencer regarde l’escalier qui avait été un temps son espoir de fuite puis la trace que sa main ensanglantée avait laissée au sol. La situation lui apparaît maintenant sous un nouveau jour. Cet endroit a été le tombeau de Leland père et sera sans aucun doute le sien, tel un caveau familial. Spencer y voit une certaine ironie et c’est avec un sourire espiègle qu’il imagine les générations futures de profilers, devant étudier la chose. Il regarde maintenant Leland, attentivement, comme on étudie un tableau. Il n’écoute pas les propos mais examine ses expressions, ses rictus et autres mimiques qui en dévoileraient davantage sur sa personnalité. Pour le moment tout traduit la nostalgie et la culpabilité. Les yeux du bourreau sont emplis de larmes et par moment sa voix chevrote. Spencer ne se laisse pas attendrir. Pas question d’un quelconque transfert. Ici il n’y a qu’une victime et c’est lui ! Spencer quitte Leland pour s’attarder davantage sur son nouvel environnement. Malheureusement il a maintenant tout le temps pour s’y employer. Ce genre d’abris est parfaitement insonorisé. Evidemment si des radiations atomiques ne peuvent y pénétrer, il serait incroyable que quelques décibels puissent s’en échapper ! Spencer examine de nouveau son petit coin de torture. Il tente de deviner quel sera son aspect lorsque ses amis le découvriront. Au bout d’un mois, comme Leland père ? Seul ? Il est plus que vraisemblable qu’ils découvriront deux cadavres enlacés. Leland éprouve une révulsion très marquée pour la mort solitaire de son père. Son plan est donc devenu limpide pour Reid. Ceci sera plus que jamais un caveau familial.
-Tiens tiens, regarde qui va là ?
La voix enjouée de Leland frappe Spencer. D’un mouvement de tête Leland lui indique le coin bureau et les multiples écrans. Ce que l’agent du FBI découvre sur l’un d’eux lui coupe la respiration. Derek et Emily, discutant avec le vieux monsieur, devant le canapé au velours marron.
-Qu’est-ce… ?
-Vois-tu, ce bunker est construit juste sous la maison de mon père. A sa mort j’ai condamné l’entrée que tu tentais stupidement d’atteindre. Elle donnait justement dans cette pièce, mais n’aie aucun espoir Spencer, il n’en reste aucune trace. Ma femme n’a jamais deviné l’existence de ce lieu, ni des caméras qui couvrent toute la maison. C’est mon père qui en était à l’origine. Il vivait vraiment dans une peur panique d’être agressé par des ennemis, surtout des communistes ! J’ai un peu amélioré le système. Ecoute.
« Pourquoi avez-vous demandé une autopsie de votre femme monsieur Dempsey ? »
Leland enclenche une touche, rendant brutalement muettes les images.
-Je vais te le dire, mon petit Spencer. Parce qu’il est loin d’être idiot.
Si Spencer Reid doutait de sa lucidité sur son avenir, maintenant les choses sont plus que limpides. Le professeur Leland a fait le vide autour de tout ce qui fut son passé. Sans pouvoir se contrôler, Spencer se met à trembler. Et si Leland décide de faire de même avec son propre passé ? Sa mère, ses amis ?

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