La ville éternelle

Chapitre 11 : Kleptomanie

865 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/10/2023 16:40

Kleptomanie

クレプトマニア

 

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Le bip incessant des portes d’entrée de la supérette irritait Tomoe. Combien de fois par jour entendait-elle cette insupportable mélodie répétitive ? Autant que le bruit de la caisse, des pièces qu’elle rangeait dans le tiroir ou encore la vague radio dont elle entendait la musique diffusée à travers l’unique pièce où elle travaillait, ce signal sonore la rendait folle.

« Bienvenue ! » scanda-t-elle une nouvelle fois, tandis qu’un vieil homme voûté sur sa canne entrait d’un pas lent.

Il ne lui répondit pas, bien trop concentré sur sa marche pour lui adresser n’était-ce qu’un sourire. Ça n’était pas ce qu’elle attendait des clients, d’ordinaire, mais elle avait l’habitude de la douce gentillesse de ces papis et mamies qui venaient acheter quelques bricoles, si bien que la distance de celui-ci l’étonnait un peu.

Elle n’en avait que faire, au final. Ce travail à temps partiel servait juste à payer ses frais d’université, ça n’avait aucune importance que les clients fussent agréables. C’était une de ces journées paisibles, où rien d’intéressant ne se passerait, comme elle en avait l’habitude, encore et toujours…

Remarquant que la vitrine à nourriture frite était quelque peu vide, Tomoe s’affaira à la remplir de nouveau. Retournant dans l’arrière boutique afin de préparer une fournée de poulets et croquettes panés, elle s’absenta le temps d’une minute de son poste. En revenant derrière sa caisse, rien n’avait changé. Le vieil homme s’était avancé un peu plus dans la supérette, regardant les étals et les produits, prenant parfois une boîte dans sa main ridée avant de la reposer, et de recommencer.

L’étudiante laissait balayer son regard, allant et venant ici et là. Mis à part ce client, il n’y avait personne – c’était d’un ennui… Les minutes et les heures qui la séparaient de la fin de sa journée s’étiraient, devenaient des semaines et des mois entiers. Si seulement quelque chose d’intéressant pouvait se passer…

Il y eut un bruissement faible, mais qui retint malgré tout son attention. L’homme était en-dehors de son champ de vue, si bien qu’elle dut s’en remettre aux caméras de surveillance pour pouvoir l’observer et vérifier qu’il ne fît rien d’illégal. Il arrivait, quelquefois, que des enfants mal éduqués ou des personnes âgées qui n’avaient plus toute leur tête se crussent permis de piocher dans les paquets, notamment de bonbons. Le bruit du sachet que l’on ouvrait suffisait à les trahir.

L’image grisâtre que lui renvoyait le moniteur était des plus claires. L’homme jeta des regards à droite, puis à gauche, avant de se permettre de glisser dans la poche de sa veste un petit sachet de gommes à mâcher. Il releva la tête un instant, et son regard croisa la caméra de surveillance. Tomoe remarqua le sourire qui s’afficha sur ses lèvres, comme s’il était heureux de voir qu’il avait été pris sur le fait.

Sa réaction fut rapide, et simple. Elle contacta les autorités, le commissariat de quartier le plus proche, d’une simple pression du bouton installé à cet effet, avant de bloquer l’ouverture automatique des portes de l’intérieur comme de l’extérieur. Le vieil homme, quant à lui, semblait ne rien avoir remarqué, et continuait à vadrouiller d’un pas paisible, sa canne heurtant le sol, comme si elle battait un tempo bien lent.

Un officier parvint sur les lieux bien assez vite, et réagit comme il le fallait. Tomoe lui indiqua que le vieil homme avait commis du vol à l’étalage, ce que ce dernier ne démentit pas, bien au contraire. Levant devant lui les poignets, comme s’il n’attendait plus que d’être menotté pour être envoyé au commissariat, il gardait un petit sourire au coin des lèvres.

Sous les yeux ébahis de Tomoe, qui regardait cette scène se dérouler comme dans un rêve tant elle ne parvenait à croire à ce à quoi elle venait d’assister, l’officier emmena l’homme âgé au poste, le forçant à monter dans la voiture de police avec laquelle il s’était rendu sur les lieux.

Et, alors qu’ils disparaissaient de sa vue, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de dévisager le vieil homme qui s’éloignait. Ses yeux souriaient, l’air de dire qu’il était heureux d’avoir été arrêté. Il écoperait peut-être d’un temps de prison, bien que ce fût un faible larcin.

Elle refusait de croire que ceci fût une réalité si tangible, mais force était de constater qu’elle avait été témoin de ce genre de scénette – un acte de kleptomanie digne des personnes âgées, qui voyaient en celui-ci une issue pour lutter contre leur solitude, et améliorer leurs conditions de vie.

Dans quel monde vivaient-ils… ?

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