La cour des grands

Chapitre 68 : Mitor

4620 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/11/2018 16:27



Mitor



Des voix. Des cris de douleurs et de peine. Des émotions. De la colère, de la peur, de la tristesse. Un sentiment de détermination puis d'insécurité et d'appréhension. Mitor semblait nager dans un tourbillon confus, écrasant et remplie de mille et une choses effroyables et splendides en même temps. Il lui fallait remonter à la surface. Ne pas sombrer dans les abysses. Il sortit la tête de tout ce chaos. Il venait d'ouvrir les yeux. Il reconnut le plafond de sa chambre, éclairé par une chandelle bientôt en fin de vie. Couché sur son lit, il se demandait bien comment il avait atterrit ici. Il ne se souvenait pas être allé dans sa chambre. Mitor se souvenait de tout. Comment oublier une chose pareille? Il avait tué Izzir mais pas seulement. Il avait également arracher le cœur de Rasar. Il s'en souvenait mais il avait du mal à le croire. Comment toutes ces choses étaient-elles possibles? Il avait l'impression d'avoir été lié à des choses qui dépassait la simple notion d'humain. Arrachant un cœur enflammé du corps d'Izzir dans son rêve, il s'était réveillé en ayant dans ses mains celui de Rasar. Quelque chose l'avait contrôlé pendant son sommeil. Était-ce cela que l'on appelait le somnambulisme? Mitor tentait de trouver une raison explicable mais jamais il n'avait fait de crise de somnambulisme au cours de sa vie. Il sentit ses poils se hérisser tout le long de son corps. Il ne comprenait rien et cela lui faisait peur. Il ne savait pas quoi penser. Qu'allait-il se passer désormais?


Lentement, tremblant, il se leva de son lit. Lorsqu'il s'était écroulé sur le sol de la cellule de Rasar, il s'était cogné la tête et il ressentait encore une petite douleur au crâne. Il vit soudain sur sa table de chevet un bout de papier qu'il ne se souvenait pas avoir mis là. Il l'agrippa et le déplia. Il posa son regard sur la signature avant de lire ce qui était écrit. C'était les mots d'Apa. Ils étaient fermes et disaient que Mitor devait le rejoindre dans son bureau «immédiatement» après son réveil. Mitor comprit que c'était lui qui l'avait ramené dans sa chambre. Il avait donc déjà découvert la dépouille de Rasar. Mitor ne pouvait cette fois s'y soustraire. Il devait répondre à cet ordre. Il enfila de quoi s'habiller. Pour la première fois depuis longtemps, il avait froid dans sa chambre où il faisait d'ordinaire si chaud. Lorsqu'il sortit dans les couloirs du QG des Partisans, il se rendit compte que la sensation de froid ne se dissipait pas mais les vêtements qu'il portait lui donnait un tant soit peu de chaleur. Il marcha vers le bureau d'Apa. À en croire le soleil éclairant la Salle des Torturés, il devait être aux environs de midi. Il était bientôt l'heure de manger et Mitor sentit la faim dans son estomac.


-Tu as une mine affreuse, Mitor. Tu vas bien? Lui demanda l'un des gardes postés devant la porte du bureau d'Apa.


-Oui, j'ai juste eu une dure nuit.


Mitor toqua à la porte d'Apa. Celui-ci lui somma d'entrer. Lorsqu'il passa la porte, Mitor vit le visage d'Apa prendre un air sévère. L'intendant des Partisans ordonna alors à ses gardes de se retirer de leur poste. Les gardes se doutaient que quelque chose n'allait pas car Apa donnait très rarement cet ordre mais ils obéirent et laissèrent Mitor entrer. Ce dernier s'approcha peu à peu du bureau et s'arrêta au milieu de la pièce. Apa se leva et se plaça devant son bureau. Mitor savait qu'une longue discussion allait s'enclencher. Même s'il ne l'appréciait pas, il savait qu'il devait donner des explications. Il se demandait cependant s'il devait mentir ou dire la vérité.


-Je suppose que tu sais pourquoi je t'ai fait appelé. Commença Apa, le regard dur et le ton ferme.


-C'est à propos de Rasar, je présume. Répondit Mitor qui tentait de prendre un ton sérieux et de cacher une incroyable fatigue qu'il ressentait en lui.


-En effet. Ma question est simple. Que s'est-il passé?


-Je ne sais pas, Apa. Beaucoup de choses m'échappent encore.


-Que veux-tu dire par là? Réponds-moi avec des mots simples, sans énigme ni divagation. Que s'est-il passé?


-Vous souvenez-vous de mes rêves? Demanda Mitor qui comprit qu'il devait révéler la vérité, du moins, une partie.


-Bien entendu. Ton ami Izzir, les cris de Drusila. Je m'en rappelle. Quel rapport?


-J'en ai eu un nouveau hier soir. Je ne vais pas vous raconter tout ce qu'il s'est passé mais dans ce rêve, j'ai arraché le cœur d'Izzir. Je me suis alors réveillé, dans la cellule de Rasar, son cœur dans ma main.


-Je ne comprends rien. Que me racontes-tu là? Questionna Apa en plongeant sa tête dans ses mains. Tu as juste fait du somnambulisme? C'est cela que tu me dis?


-Je n'en sais rien. Tout cela est si confus.


Un long silence s'installe. Apa perdit son air sévère et le remplaça par un air blasé, dépité mais également furieux. Mitor estima qu'il en avait assez dit désormais.


-Je ne te reconnais plus, Mitor. Tu es bizarre. Quelque chose ne va pas. Et je crois savoir ce que c'est. Je sais tout. Je sais que tu as appris l'ex….


Avant qu'il ne puisse finir sa phrase, un membre des Partisans, l'un des gardes, entra en trombe dans le bureau d'Apa, essoufflé et apeuré.


-Que se passe-t-il?! Je vous avais interdit d'entrer ici! S'exclama Apa, énervé.


-Je sais, monsieur! Répondit le garde. Mais il faut à tout prix que vous veniez dans la Salle des Torturés! On a récupéré quelqu'un! Il prétend venir de Qohor. Ce serait un de nos membres postés là-bas. Et il est blessé!


Apa laissa échapper sa stupéfaction et suivit le garde, ordonnant, en passant, à Mitor de les suivre. Celui-ci devinait ce que ce membre, venu de Qohor, allait apporté comme nouvelle. Il l'avait attendu pendant plusieurs semaines. Il commençait à douter si cette nouvelle allait bien arriver un jour aux oreilles des Partisans de Lys. Il se demandait même si, en réalité, Drusila ne lui avait pas menti rien que pour lui faire peur ou pour d'autres plans obscures. Après tout, plus le temps passait, plus il avait du mal à lui faire confiance. Et pourtant, voilà que les prédictions de Drusila allaient être vérifiées.


Beaucoup de membres s'étaient regroupés autour du Partisan de Qohor. Blessé, on l'avait transporter sur l'estrade. À voir les flèches brisées qui se trouvaient à côté de lui, on lui avait certainement tirés dans le dos. En effet, couchés sur le ventre, la plupart des personnes autour du blessé ne voyaient qu'une nappe de sang sur lui. Il avait été également touché à la jambe gauche. Apa, en arrivant, monta sur l'estrade et examina les blessures. Il déduisit:


-Vous avez essayé de vous enfuir, cher ami. Déduisit-il. Comment vous appelez-vous? Que vous est-il arrivé? Que s'est-il passé à Qohor?


Apa tenta doucement d'asseoir le blessé. Celui-ci se tordit de douleur et vit les membres le fixer d'un air inquiet.


-Je m'appelle Boris, monsieur l'intendant. Répondit-il d'une voix tiraillée. Je suis venu vous prévenir d'un grand danger. Les Chasseurs ont attaqué notre QG principal.


À cette annonce, tous les membres écarquillèrent les yeux. Mitor, lui, fit semblant d'être surpris. Une partie de lui était soulagée que cette nouvelle lui parvienne. Les choses allaient enfin bougées.


-Ils sont entrés par surprise pendant la nuit. Continua Boris. Ils….Ils ont un nouveau chef. Une femme incroyablement solide. Elle s'appelle Méridia. Elle a décidé de faire bouger les choses. Alors elle a décidé de foncer chez nous. Beaucoup d'entre nous sont tombés. J'ai été chargé par notre chef de venir vous prévenir. Il est mort au combat. Apa dar Lijus, vous êtes notre nouveau chef. Le cinquante-deuxième maître des Partisans.


Tout le monde se tourna vers Apa. Il semblait déboussolé par cette nomination surprise. Il resta quelques temps silencieux, abasourdi. Boris termina son récit et ses mauvaises nouvelles.


-Plusieurs Partisans, les survivants, vont venir à Lys. Mais les Chasseurs aussi. Ils rejoindront nos ennemis dans cette ville. C'est bientôt la fin de cette guerre, maître. Il faut appeler les Partisans d'Astapor pour qu'ils viennent nous prêter main-forte. Je suis persuadé que nos ennemis feront de même.


-Vous avez raison, Boris. Je suppose qu'ils ont essayer de vous stopper vu vos blessures. Mais vous avez réussi à leur échapper pour nous prévenir. Je vous félicite. Annonça Apa, se relevant. Mes amis, occupez-vous des blessures de ce brave homme. Je parlerais de tout cela au déjeuner.


Apa descendit de l'estrade, plongé dans ses pensées. Il se tourna soudain vers Mitor et lui dit tout bas:


-Nous parlerons plus tard.


Apa retourna à son bureau tandis que Mitor prit la direction de sa chambre. Lorsqu'il se retrouva de nouveau seul, il ne put s'empêcher de lâcher un petit sourire. Il était content. Une grande bataille allait arriver, mettant fin à cette stupide guerre. Cette Méridia en avait certainement aussi marre que lui de tout cela. Elle allait en mourir. Apa aussi allait mourir. Il y aura plus d'un millier de morts. Il ne savait pas de combien d'effectif cette bataille allait inclure, mais il était heureux. Tout allait prendre fin dans ce bain de sang et…. Tout à coup, Mitor comprit que quelque chose n'allait pas. Adossé à la porte de sa chambre, il resta immobile. Ce n'était pas possible. Il connaissait ce sentiment. Il aurait préféré ne plus jamais ressentir cela. Il pensait qu'après tout ce qu'il s'était passé avec Rasar et Izzir, la veille, il n'aurait plus à connaître ce sentiment. Celui du sang. Celui qui le rendait heureux de tuer, d'anéantir, qui ne se manifestait que durant les moments de combat et de stress. Lorsqu'il regarda sa table de chevet, il se rendit compte de la présence de sa dague. Elle était ensanglantée. Elle avait donc servi lorsqu'il avait arraché le cœur de Rasar. Il prit la dague et essaya de voir son reflet dans la lame couverte de sang séché. Il décida de prendre un torchon et d'aller nettoyer sa dague dans la salle d'entraînement où un coin était réservé à des seaux d'eau prévus à cet effet.


Nettoyant de toutes ses forces tout en faisant attention de ne pas se couper, il réfléchissait. Jamais cette envie de sang ne s'était manifesté dans des moments aussi calmes. Il comprit alors quelque chose. Il avait beau avoir ce sentiment de destruction, il ressentait tout de même de l'apaisement. Il se sentit soudain capable de profiter de ce sentiment seulement quand le moment sera venu. Alors qu'il avait du mal à contenir sa colère il y a peu, il sentit que l'apaisement qu'il ressentait lui permettait de contrôler sa haine et ses envies de meurtre. Mitor ne savait pas comment un tel changement s'était produit. Il semblait bien trop incroyable qu'un rêve, aussi intense soit-il, ait cet effet sur son esprit.


Il était midi lorsqu'il eut fini de nettoyer son arme et tous les Partisans se dirigeaient vers la Salle des Torturées, une grande partie d'entre eux ne sachant pas encore qu'Apa allait leur faire une terrible annonce. Mais Mitor décida de ne pas y aller et de partir manger à la taverne qui se trouvait au-dessus du QG plutôt qu'écouter Apa annoncer des choses qu'il savait déjà. Il retourna donc dans sa chambre et y prit sa bourse, qui était son salaire de Partisan, et contourna la Salle pour rejoindre la taverne. Là-haut, il commanda au barman une jolie assiette de riz et de charcuteries diverses. Il n'avait pas beaucoup l'occasion de dépenser son argent alors, cette fois, il avait décidé de se faire plaisir avec un bon repas. Dans le QG, le repas était souvent les mêmes légumes pas frais et les mêmes ailes de poulets bien trop crues. Il mangea sur le comptoir et le barman lui annonça qu'il n'avait pas l'habitude de voir les membres des Partisans manger chez lui, ce à quoi Mitor répondit tout en mangeant:


-S'ils ont tant envie de rester étouffer là-dessous et de bouffer tous les jours les mêmes merdes, tant pis pour eux. Votre cuisine est bien meilleur.


Le barman le remercia de ce compliment pendant que Mitor, lui, s'étonnait lui-même de sa réponse aussi vulgaire envers ses camarades. Trop absorbé par ce qu'il mangeait, il n'en prit pas compte bien longtemps.


Il avait presque fini son repas lorsqu'il sentit une main se poser sur son épaule. C'était Karak. L'homme au manteau d'émeraude s'assit à côté de lui, commanda un verre de vin de Dorne au barman et entama la conversation avec Mitor.


-Tu n'es pas venu manger dans la Salle, Mitor?


-Non, j'avais envie de rester un peu seul ce midi.


-Oh, tu veux que je parte? Demanda Karak, un peu gêné.


-Non, ne t'inquiètes pas, tu peux rester. Rassura Mitor.


-Tu as loupé une nouvelle assez incroyable ce midi.


-Je sais. J'étais là quand le dénommé Boris est arrivé couverts de blessures.


-Ah. Alors tu sais déjà qu'une grande bataille se prépare?


-Et oui, en effet.


-Et tu n'as pas peur?


-Non, pas trop.


-Et bien tu devrais. Tout le monde l'est lorsque l'heure où nous mourrons approche. Lorsqu'Apa a fait l'annonce, la Salle est devenu assez bruyante. Apa a dû ordonner au moins cinq fois à tout le monde de se taire. Lorsqu'il a finit son discours, la plupart sont partis dans la salle d'entraînement. Elle n'a jamais été aussi pleine. Et…


Karak s'arrêta. Mitor ne semblait écouter qu'à moitié ce qu'il disait. En réalité, Mitor entendait bel et bien chaque mot que son interlocuteur prononçait mais il s'en fichait un peu. Mitor ne s'était jamais senti très proche de Karak car il était le membre du Cercle qu'il connaissait le moins. Mais il ne le détestait pas. Au contraire, il savait que lorsque le jour de sa mort arriverait, une partie de lui sera triste. Il décida donc de s'informer sur lui et d'amener une conversation plus intéressante pour lui.


-Dis-moi, Karak, que fais-tu ici? Pourquoi avoir rejoint les Partisans et pas les Chasseurs? Pourquoi t'es-tu engagé dans cette guerre?


Ces questions semblaient faire plaisir à Karak qui lâcha un sourire.


-Il ne sont pas beaucoup ici à me poser toutes ces questions. À part Apa et Rika, personne d'autre ne m'a demandé tout ça. Et bien, par quoi commencer? Cela ne fait pas si longtemps que je suis arrivé ici. Cela va faire deux ans le mois prochain. Avant, j'étais un riche commerçant. J'étais même épaulé par la Banque de Fer de Braavos tant mon commerce fonctionnait bien. Je vendais du textile partout dans le monde. À Westeros, dans toutes les cités libres et esclavagistes d'Essos et même sur le continent de Sothoryos. Un jour, j'ai décidé que les vêtements que personne ne voulait pouvait être donné aux pauvres. Cette décision n'a pas plus à la Banque de Fer et à quelques seigneurs et magistrats, estimant que tous sans exception devaient payer ces vêtements. Je ne me suis pas résigné à abandonner cette idée et j'ai perdu de plus en plus d'aide, à commencer évidemment par la Banque de Fer. Petit à petit, j'ai vu mon commerce s'écrouler et j'ai dû la revendre à des idiots implantés dans les Terres de l'Orage. Depuis, j'ai appris qu'il n'avait pas réussi à gérer mon commerce et l'ont totalement coulé. Grâce à l'argent de la vente, je me suis acheté une maison à Lys. C'est dans cette taverne que j'ai rencontré Apa qui, pour une raison que j'ignore, savait qui j'étais. Quelques questions du même genre que les tiennes et voilà que je me retrouve enrôlé chez les Partisans. Et Apa m'a convaincu que les Chasseurs n'étaient pas un camp à rejoindre. Et après tout, je pense que je n'aurais jamais pu rejoindre les Chasseurs. C'est impossible de tout raser pour reprendre à zéro. Il vaut mieux juste aider les pauvres pour qu'ils soient au même niveau que les riches.


-C'est une jolie histoire. Estima Mitor qui avait cette fois écouté attentivement. J'ai donc devant moi un bon samaritain.


-Et oui. Je suis un expert en relations diplomatiques et commerciales. C'est grâce à ça que les Partisans ont continué d'avoir des partenaires financiers. Apa a su tirer parti de tout cela. Et il fallut que j'ai également quelques talents en combat armé grâce à mes entraînements que je faisais pour me détendre pour faire partie du Cercle.


-Très bien. Merci Karak pour ce récit. Moi aussi je crois que je vais aller m'entraîner un petit peu. Cela commence à faire longtemps que je ne me suis pas dépenser.


Mitor se leva, laissant son assiette vide sur le comptoir et Karak finissant son verre de vin. Avant qu'il ne parte vers le QG, Mitor fut interpellé par la voix de Karak.


-Mitor. J'ai du mal à te cerner, je l'avoue. J'espère seulement que tu te bats pour notre idéologie. Un ancien esclave se doit de se battre pour les autres esclaves, non?


-Je me bats pour nuire aux défauts de ce monde. Cette raison est valable, non?


Mitor passa derrière la tapisserie murale et entra dans le QG des Partisans, laissant un Karak qui tentait de comprendre les paroles de l'ancien esclave qu'il considérait désormais comme une bonne connaissance, voir peut-être comme un ami. Mitor avait dit à Karak qu'il allait s'entraîner mais en vérité, il ne resta pas même une heure dans la salle d'entraînement. Celle-ci était pleine au point qu'il était difficile de ne pas toucher un des ses camarades par mégarde. Mitor partit donc se détendre un peu sur le grand balcon de l’Œil de la Liberté, où il se rendit compte d'ailleurs à quel point ce nom était si ridicule. Ce moment de détente n'eut pas beaucoup d'effets sur lui. Déçu, Mitor redescendit les marches du balcon et partit vers sa chambre. Il avait soudain une grande envie de lire. Lorsque Karak lui avait parlé de se battre pour les esclaves, il avait pensé au livre de Mestre Raynal sur l'esclavage qu'Apa lui avait prêté et qu'il avait un peu délaissé ces derniers temps. Assis sur son lit, il prit le livre et reprit là où il s'était arrêté.


Pour un esclave, la lecture était un talent extrêmement rare. Avant de mourir, Izzir lui avait appris quelques bases que son maître, Vezel, lui avait appris également. Lorsque Mitor avait commencé ce livre, il lisait assez lentement. Désormais à la moitié de ce livre de plus de mille pages, il se rendit compte de son amélioration dans ce domaine. Il lisait plus vite et comprenait bien plus de mots que quelques mois auparavant. Ce jour-là, il lut assez longtemps. Il ne s'en rendait pas compte dans sa chambre mais le crépuscule était déjà arrivé. Ce fut Rika qui l'informa de l'heure lorsqu'elle vînt dans sa chambre pour le prévenir que le dîner était près dans la Salle des Torturés. Mitor était content de pouvoir lire autant. À l'heure du dîner, il avait lu deux cents pages à la suite et allait commencer un nouveau chapitre de «Les cités esclavagistes: Le dernier des anciens fléaux de l'Histoire». Mitor tenta de ne jeter absolument aucun regard à Apa. Il n'avait pas envie que celui-ci le dérange pour continuer leur conversation de ce matin. Pour ce faire, il mangea assez vite et s'en alla dès qu'il eut terminé. Rika se demandait bien ce qui pouvait bien le presser autant tandis que Karak, lui, croyait qu'il était seulement motivé pour aller s'entraîner. Mitor allait en fait retourner dans sa chambre et il poussa un profond soupir. Il se demandait comment était-ce possible qu'échapper au simple regard d'Apa soit si fatiguant. Il se coucha dans son lit quelques temps sans bouger avant de reprendre la lecture de son livre. Il allait entamer le chapitre qui avait comme titre «L'esclavage et la religion». Il apprit dans ce chapitre que les maîtres des esclaves utilisaient au début les Anciens Dieux, puis la religion des Sept pour justifier leur autorité. Dans les plus grandes cités esclavagistes qui se trouvent autour de la Baie des Serfs, la religion Ghiscari, est représenté généralement par une harpie, une créature au torse de femme, aux ailes de chauve-souris, aux pattes d'aigle et possédant une queue de scorpion. Cette harpie était utilisée comme symbole pour asseoir l'autorité des maîtres sur les esclaves et Mitor trouvait cela si ridicule.


Pendant que Mitor lisait assidûment ce livre, le crépuscule laissait place à une nuit éclairé par la pleine Lune à l'extérieur. Soudain, Mitor sursauta lors de sa lecture. Il relut le paragraphe qui l'avait fait sursauté pour être sûr d'avoir bien compris: «Alors que les maîtres faisaient obéir leurs esclaves par la force de leur religion, les esclaves, eux, suivaient une religion tout autre. Bien qu'au départ, les esclaves ne possédaient que rarement la Foi, une certaine religion naquit en leur sein. Cette religion existait déjà depuis plusieurs siècles mais pendant les dernières années de l'empire Valyrien, les esclaves furent de plus en plus nombreux à l'adopter. À l'heure où j'écris ces lignes, alors qu'Aerys II commencent à se faire surnommer le Roi Fou, tous les esclaves autour de la Baie des Serfs, presque sans exception, ont mis leur Foi dans la religion R'hllor, vénérant le Maître de la Lumière. Les prêtres et prêtresses rouges, comme on les appelle, parcourent les rues et chantent leur discours pour conserver leur Foi chez les esclaves et autres adeptes. Ils finissent souvent leur discours par leur dicton: Parce que la nuit est sombre et pleine de terreur. Mais le feu en a raison».


Mitor avait bien lu. Il se répéta ce dicton: «Parce que la nuit est sombre et pleine de terreur. Mais le feu en a raison» jusqu'à même le répéter à voix haute. Il avait déjà entendu ce dicton. C'était les derniers mots d'Izzir, dans son rêve. Mitor plongea sa tête dans le livre. Il ne comprenait pas. Comment ce dicton religieux avait pu être prononcé dans son rêve alors qu'il ne l'avait jamais entendu de toute sa vie. Cela ne pouvait être une coïncidence. Sur la page suivante, il y avait une illustration. Elle représentait un cœur en flammes, faisant penser à Mitor à celui enflammé d'Izzir dans son rêve. Ce cœur de feu était le symbole de la religion R'hllor. Alors, Mitor décida d'arrêter sa lecture à la fin de ce paragraphe. Il ferma le livre et lorsqu'il leva les yeux, il poussa un cri d'effroi. Dans le fond de sa chambre, à peine éclairé par sa chandelle, une silhouette ténébreuse, fine et surnaturelle se tenait debout, immobile dans le coin le plus sombre de la chambre. En criant, et en sursautant, Mitor avait fait tomber son livre qui était tombé au sol. Il avait peur mais il était curieux. Il avait déjà vu cette silhouette quelque part. C'était le même genre de silhouette qui se trouvait dans son rêve, censé représenté le peuple de Lys. Comment, et surtout pourquoi, cette chose était-elle là? Soudain, Mitor estima qu'il y avait sans doute un lien avec ce dicton qu'il avait répété à voix haute et le fait que celui-ci, ainsi que le cœur en flammes, apparaissent dans son rêve. Alors, lentement, il se leva de son lit et fixa la silhouette. Hésitant, il demanda:


-Vous êtes… quelque chose envoyé par le Maître de la Lumière?


Aucune réponse. Le visage de cette silhouette était difficile à percevoir. Les yeux, le nez, la bouche, tout semblait perdu dans ce néant qui composait ce corps. Comme dans son rêve, Mitor avait l'impression que cette chose était composée d'une fumée noire extrêmement dense. Il s'approcha de quelque pas. Il faillit pousser un second cri d'effroi lorsqu'il discerna un peu mieux le visage de la silhouette. C'était lui. Cette chose avait les mêmes traits que Mitor. Elle était à peine plus grande en terme de taille. Mais Mitor reconnaissait sa bouche fine, ses yeux étirés, son nez allongé, ses cheveux très courts. Hésitant toujours, Mitor leva le bras pour toucher du bout des doigts cette chose qui lui ressemblait tant. Lorsqu'il plongea ses doigts dans cet amas de fumée, il eut la même sensation qu'il avait senti lorsque quelque chose l'avait traversé dans la cellule de Rasar. Alors qu'il s'attendait à s'écrouler comme la dernière fois, ce fut la silhouette qui, très vite, se dissipa dans les airs. Mitor sentit un coup de vent qui faillit éteindre sa chandelle. Tout à coup, il entendit un bruit dans la couloir, comme si quelque chose était tombé au sol. Il ouvrit la porte. Il n'y avait plus de garde dans son couloir. Apa les avait peut-être enlevé vu que cela faisait des jours qu'ils étaient absents. Mais il n'y avait plus de lumière non plus, ce qui était moins normal. Il prit la chandelle dans sa chambre et se risqua à sortir. Il marcha timidement. De la fumée s'échappait encore des torches éteintes. Alors, au détour de son couloir, il vit quelque chose au loin, posé sur le sol. Il s'approcha et vit la silhouette à côté de cet amas inconnu posé par terre. Il s'avança plus encore. Il reconnut soudain un corps, immobile. Du sang entourait le cadavre. Effrayé, Mitor le retourna peu à peu pour voir de qui il s'agissait. C'était Boris, le Partisan de Qohor. Il avait été égorgé. Mitor vit alors une sorte de lame d'ombre dans la main de cette silhouette qui lui ressemblait. Sans savoir comment, Mitor comprit que cette chose ne lui voulait pas de mal, qu'elle était même son allié. Tout à coup, la chose se dissipa de nouveau dans l'air. Un autre coup de vent se fit ressentir. La chandelle de Mitor s'éteignit. Un peu sous le coup de la peur, Mitor repartit dans sa chambre. Il lâcha sa chandelle éteinte et s'installa dans son lit. Ce n'est que lorsqu'il fut apaisé de nouveau, enroulé de ses draps, qu'il comprit quelque chose: Il allait revoir cette silhouette. Et elle sera là lorsqu'il combattra. C'était donc cela que voulait dire Izzir. La nuit est sombre et pleine de terreur. Mais le feu en a raison. Sert-en, mon ami.

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