Indiana Jones et le Monde de demain

Chapitre 1 : Le Monde de demain

Chapitre final

9635 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/08/2023 19:51

Indiana Jones et le Monde de demain

 

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Une bouteille à la mer - (juillet août 2023).

 

En cette chaude soirée d’été 1939, les Silver Lake Sisters étaient à l’affiche du South Seas Club. C’est en usant de leurs charmes et de leurs voix mélodieuses qu’elles avaient conquis le tout Hollywood. Par leur pouvoir angélique, le restaurant se drapait d’une ambiance feutrée, presque magique, qui animaient les clients d’une ferveur incandescente. Dans l’énorme coquillage en plâtre qui servait d’estrade, les trois filles faisaient danser toute la piste rien qu’avec leur jeu de jambe, leur déhanchement voluptueux et leurs sourires exquis, telles des Venus de Botticelli. L’orchestre de cordes et des cuivres qui les accompagnait, perchés sur la scène devant leurs pupitres en forme de coquillage, jouait pour elles un air gai et entraînant.

En entrant dans le restaurant baigné d’une lumière éclatante, de fragrances florales et de plats exquis, le professeur Jones détourna le regard du show pour le laisser se promener parmi les tables du restaurant, à la recherche de la sienne. Indy n’était sûrement pas venu jusqu’à Los Angeles pour voir un spectacle, il avait un rendez-vous qu’il ne pouvait pas manquer. Après tout, il en avait fait la promesse à son pilote Jock Lindsey.

Dans un coin du luxueux palace style Art déco, il le repéra enfin et lui adressa un signe de la main. Lindsey était déjà assis en compagnie d’une jeune femme ravissante, pomponnée dans sa robe pailletée, les lèvres maculées d’un rouge à lèvres éclatant, une chevelure d’ébène et un regard à tomber. Elle était actrice, il l’avait déjà vu jouer dans un film qui était sorti quelques mois auparavant, pour son tout premier grand rôle.

Cependant, elle n’était pas venue seule et il ne fallut à Indy que quelques secondes pour reconnaître le célèbre Howard Hughes, l’inventeur et aviateur de renom, assis à ses côtés, arborant un air soucieux. Ses cheveux plaqués en arrière, sa fine moustache et son regard intense ne pouvaient tromper personne, tant son visage avait défilé dans les tabloïds ces dernières années.

Indy déglutit, rempluma la fleur rouge accrochée sur sa boutonnière et épousseta un peu sa veste blanche. Il redressa les épaules et respira un bon coup. Non pas que rencontrer cette fille le rendait nerveux, c’était surtout Howard Hughes qui l’impressionnait. Indy était familier avec le monde du show-business, mais Hughes était d’un autre acabit. D’ailleurs, le professeur Jones avait hâte de connaître la raison de sa venue.

Séance tenante, il se pressa à la table située assez loin de la scène, à l’abri sous une colonnade. Parfait pour discuter affaires, se dit l’archéologue. Et d’après ce que lui avait annoncé Jock, l’affaire était déjà dans le sac, justement.

La fille qui lui souriait maintenant qu’il s’approchait se trouvait selon ses dires en possession d’un ancien artefact amérindien : une flèche d’artisanat unique en son genre, qu’elle désirait faire authentifier contre une belle somme d’argent, car elle en avait assez de subir les avances mercantiles de plusieurs acheteurs un peu trop insistants, dont l’unique objectif était de placer cette flèche dans leur salon. Dans toute cette histoire, ce n’était pas tant la fortune ou la gloire qui intéressaient le professeur mais plutôt l’artefact en lui-même. Une pièce rare et unique, qui devait absolument trouver sa place dans un musée et pas entre les pattes d’un riche ignare.

« Vous êtes Indiana Jones, le célèbre archéologue ? lui demanda la jeune femme d’une voix douce, presque candide, en le regardant avec de grands yeux curieux.

— En personne, très chère, lui répondit Indy d’un ton un peu moqueur en posant les mains sur sa chaise. Et vous êtes ?

— Jenny. Jenny Blake. »

Il adressa une révérence à Howard Hughes en opinant du chef.

« C’est un honneur, monsieur Hughes », salua Indy, espérant briser la glace avec ce grand homme qu’il admirait tant. Mais quand il vit qu’il ne soufflait pas un mot, le professeur s’assit à la table et reporta son attention sur l’actrice. « Mon ami m’a dit que vous aviez besoin de mon aide pour authentifier une pièce de votre collection. Autant vous dire que je suis votre homme, mademoiselle. »

Le front de la jeune femme se plissa et ses dents d’un blanc pur se refermèrent sur sa lèvre inférieure. Elle adressa un regard empli de reproches à Jock, qui baissa les yeux vers son reflet déformé dans une fourchette d’une propreté remarquable.

« Je ne sais pas vraiment ce que vous a dit monsieur Lindsey, mais en vérité, ce n’est pas exactement pour cette raison que je vous ai fait venir, monsieur Jones et je…

— Appelez-moi Indy.

— Très bien… euh… Indy. Je crois que ce que je m’apprête à vous demander ne sera pas aussi simple. »

Cette fois, ce fut Indiana qui fusilla Jock du regard.

« Jock, dans quoi tu m’as embarqué cette fois ? le réprimanda Jones entre ses dents.

— Ecoute-la, Indy, je t’en prie, le supplia son pilote.

— Votre ami a raison, Jones, renchérit Howard Hughes. Vous feriez mieux de prêter une oreille attentive, ça pourrait sans doute vous intéresser.

Indy lui opposa un regard intrigué. Il soupira, leva les yeux au ciel et joignit les mains sur la table drapée de blanc, avant d’acquiescer.

« Très bien, je vous écoute. »

La jeune femme avala une grande goulée d’air frais. Elle croisa légèrement les bras d’un air gêné et se mit à faire glisser son doigt sur la peau nue au-dessus de ses longs gants, comme si c’était un patineur sur un lac gelé. Indy commençait à s’en vouloir de l’avoir mise dans de telles dispositions.

« Mon petit-ami a disparu et je suis persuadée que vous êtes l’homme idéal pour le retrouver et le ramener sain et sauf. »

Un petit sourire en coin se dessina au-dessus de la barbe de trois jours qu’arborait Jones. Comme il commençait à se lever, Jock le retint soudainement par la manche.

« Ecoutez, mademoiselle, se justifia Indy en retirant son bras de l’emprise de Jock d’un coup sec, je suis archéologue, pas policier, ni même magicien du reste. Je vous conseille de commencer par la police, vous aurez sans doute plus de chance. Bonne soirée, mademoiselle. »

Indy se leva sans même prendre le temps de ranger sa chaise. Il venait à peine de quitter la table quand la jeune femme l’interpela à nouveau.

« Il était à la recherche du Pétase de Mercure ! » assura-t-elle sur un ton désespéré.

Jones se figea et fit volte-face.

« Vous dites… ? »

Jock tapota le siège vide en hochant la tête. Lentement, Indy se rassit et s’adossa sur la chaise en croisant les bras d’un air songeur. Il regardait la jeune femme mais ce n’est pas Jenny Blake qui répondit. Howard Hughes qui, jusqu’à présent, n’avait fait que transpercer Indiana Jones de son regard vif et puissant, les jambes croisées, avec son index collé à sa joue, se décida à poursuivre la conversation.

« Il y a un mois, Professeur Jones, expliqua-t-il en s’emparant de sa coupe de champagne, j’ai personnellement envoyé une expédition en Europe — en France plus précisément — dans l’espoir de trouver un objet de légende. Certains témoignages affirmaient qu’il se trouvait caché au fin fond du Temple de Mercure. 

« Les premières fouilles n’avaient rien donné car les explorateurs n’avaient pas cherché au bon endroit, ou pas assez profondément du moins. Mais en utilisant les outils que j’avais mis à leur disposition, mes hommes ont fini par trouver ce pour quoi ils avaient fait tout ce chemin : le Pétase de Mercure. »

Il siffla la coupe d’un seul trait, comme si son histoire l’avait assoiffé.

« Vous connaissez les propriétés de ce casque, j’imagine, n’est-ce pas, Docteur ? » demanda le milliardaire.

Jones souffla et récita son texte à la manière de l’un de ces cours, d’une voix plate et posée.

« Le Temple de Mercure a été construit par les Arvernes au IIe siècle après Jésus Christ et a été découvert en 1872 à l’occasion de la construction d’un observatoire météorologique. Selon la légende, le lieu abriterait un objet inestimable nommé le Pétase de Mercure, un artefact que ses adeptes auraient façonné grâce au pouvoir du dieu des messagers et des voyageurs. On dit qu’il confère à quiconque le possède une vitesse et une agilité surhumaines.

— Bien ! dit Hughes, en levant son verre vers le professeur. Je vois que vous êtes familier avec la légende, cela montre au moins que vous n’avez pas usurpé votre titre.

— Je ne prends jamais ces fables à la légère, grogna Jones, tant qu’elles peuvent servir d’avertissement. Mais ce ne sont que des fables, rien de plus. Des histoires à dormir debout inventées par des fous. Ce qu’il faut, c’est faire la lumière sur les faits, c’est tout ce qui importe.

— Mais quand les faits rejoignent la fiction, il faut parfois s’avouer vaincu. N’est-ce pas ? »

Jones détourna le regard d’un air las. Il en connaissait un rayon sur la réalité qui dépasse la fiction ! Une arche qui abrite la vengeance de Dieu, des pierres sacrées ou une coupe qui donne la vie éternelle, Indy savait que dans toutes ces histoires, c’était l’irréel qui prenait le pas sur le réel. Mais le Pétase de Mercure n’était qu’un mythe, un objet que les gardiens du Temple avait inventé de toutes pièces. Même s’il existait, il ne possédait aucun pouvoir, Indy en était persuadé.

Néanmoins, il devait avouer que la perspective de participer à exposer cet artefact au commun des mortels lui paraissait être une entreprise honorable.

« Quelque chose m’échappe, monsieur Hughes : pourquoi faire appel à moi si vous avez déjà trouvé le Pétase ? Et quel est le rapport avec le petit ami de mademoiselle Blake au juste ? »

Hughes reposa délicatement son verre sur la table. D’un geste du doigt, il le fit légèrement glisser dans l’axe du bouquet qui se trouvait au centre de la table, de sorte que son verre, le bouquet, Indiana et lui-même fussent parfaitement alignés. Ses traits s’illuminèrent et son sourire satisfait irradia la table.

Indiana haussa un sourcil : il avait lu dans la presse que ce type était un peu… siphonné du bocal et pour Jones, ce détail ne faisait que le confirmer.

« Après sa découverte, le Pétase a été chargé dans un bateau rempli de marchandises que j’ai moi-même affrété, le SS Aviator. Il est parti du port de Marseille, a passé le détroit de Gibraltar et s’est mis en route vers New-York. Ou du moins, c’est ce que nous pensons, car après le détroit, nous avons perdu toute trace de ce dernier. Hélas, le petit ami de mademoiselle Blake, Cliff Secord, qui se trouve également être un très bon ami à moi, faisait partie de l’expédition. Il a accepté de garder un œil sur le Pétase et toute la marchandise.

— Qu’a-t-il de si particulier, ce monsieur Secord, pour l’envoyer ainsi protéger un objet inestimable ?

— Avez-vous entendu parler du Rocketeer, professeur Jones ? s’enquit l’aviateur.

— Ma foi, pas que je sache, répondit Indiana.

— Vous ne suivez donc pas les actualités ? s’étonna Hughes. Il y a un an, Cliff a déjoué un complot nazi qui visait à s’emparer de la roquette que j’avais créée, en usant de cette même roquette avec une habileté remarquable. Ce petit est incroyable ! Il suffit qu’il la porte sur le dos pour faire des merveilles. C’est à peu près à ce moment-là que la presse a commencé à le surnommer le Rocketeer.

— Quel surnom ridicule ! pouffa Jones.

— Toujours est-il que Cliff et le SS Aviator ont tous les deux disparus. Depuis une semaine, nous n’avons plus aucune nouvelle de tout l’équipage.

— Se pourrait-il qu’ils soient pris dans une tempête ? demanda Jones, en caressant son menton de l’index.

— Aucune tempête n’a été signalée dans les parages, docteur Jones. Je crains cependant que le navire ait été détourné de sa course et je vous demande de résoudre ce problème au plus vite… »

Indy profita de l’arrivée du serveur en uniforme blanc, qui leur apportait un plat de fruits de mer offert par la maison, pour commander un verre de champagne. Hughes attendit que le serveur soit parti avant de continuer, presque en murmurant.

« …et de la façon la plus discrète possible.

— Et comment voulez-vous que je résolve cet épineux problème à moi tout seul ?

— Je viendrai avec toi, Indy, bien sûr ! s’enjoua le pilote qui n’avait pas soufflé mot depuis un moment.

— Surtout ne le prend pas mal, Jock, mais ce n’est pas à nous deux que nous réussirons cette mission. Tu me suis ?

— Ne vous en faites pas pour ça, Professeur, le rassura le milliardaire en agitant les mains. Je vais mettre à votre disposition mon tout dernier modèle d’avion-cargo, le H-3 Homeric. Il ne s’agit certes que d’un prototype pour un futur modèle en construction, mais je suis sûr qu’il fera parfaitement l’affaire. Si l’équipage a un souci, il y aura largement assez de place pour le ramener sain et sauf, lui et le Pétase.

— Et que faites-vous de la cargaison ?

— Le Pétase est ce qui importe le plus.

— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Hughes, pourquoi en faites-vous une affaire personnelle exactement ?

— Mon but est de présenter le casque à l’Exposition universelle qui se tient actuellement à New-York. J’ai déjà quelques pavillons à ma disposition et je souhaite que le Pétase soit le clou du spectacle.

— Ah oui, se remémora Jones avec une forme de dédain. C’est là que vous et vos amis présentez le “Monde de demain”, c’est ça ?

— En effet, répliqua Howard Hughes. Et les pouvoirs que pourraient nous octroyer ce casque, surtout avec la guerre qui se profile, sont inestimables. Le Monde de demain est à portée de main, docteur Jones. »

Hughes ponctua sa phrase d’un clin d’œil avant de se tourner vers la scène pour applaudir la fin du spectacle.

Jones acquiesça bien malgré lui. Il ne croyait toujours pas à ces balivernes sur le Pétase de Mercure. De plus, il sortait à peine d’une aventure au cours de laquelle il avait percé le mystère de l’Atlantide. Il pensait qu’il aurait enfin pu bénéficier d’un peu de repos en faisant ce pour quoi il était payé, c’est-à-dire enseigner. Hélas, Indy savait que l’aventure était un compagnon bien malicieux, qui n’hésitait pas à pointer le bout de son nez au moment où on s’y attendait le moins.

Et le voilà qui replongeait maintenant les deux pieds joints dans un périple qui s’annonçait ardu. Le lendemain, Indy et son ami découvrirent le H-3 Homeric, l’avion dernière génération qui devait les emmener à bon port en toute sécurité. Jones avait l’habitude de prendre l’avion, mais celui-là était d’un autre calibre : des ailes plus larges et plus grandes que les troncs d’arbres d’un sequoia centenaire, un fuselage lisse et massif, tel le doigt d’un géant. Une véritable forteresse volante. Même Jock en resta sans voix, lui qui avait plutôt l’habitude de piloter de bons vieux coucous.

Le H-3 s’envola depuis le port de Long Beach au petit jour. Indy et Jock assistèrent au décollage avec une boule au ventre, étant donné la masse que tous les moteurs de l’avion devaient soulever, mais aucun accident ne fut à déplorer. Quand il visita la soute avec Jock, juste après leur départ mouvementé face aux puissants embruns marins, Indy demeura interdit en voyant ce qu’elle renfermait.

« Un char ! s’exclama le professeur en mettant ses mains en porte-voix pour couvrir le bruit des moteurs. On avait vraiment besoin d’un char Sherman ?

— C’est monsieur Hughes qui nous l’a confié ! constata son ami avec enthousiasme. Il dit que ça peut servir !

— Que veut-il que l’on fasse d’un char ? Du tir au pigeon, peut-être ?

— J’en sais rien, moi ! »

Indy n’épilogua pas plus sur le sujet. Hughes avait été bien assez généreux, la moindre des choses était de ne pas discuter et de ne pas se creuser la tête pour des questions idiotes.

« Comment tu connais ce type, d’ailleurs ? demanda Indy en remontant vers la cabine de pilotage.

— Hughes ? Je ne le connais pas personnellement, avoua Jock. C’est Cliff qui a des accointances avec lui.

— Cliff ? répéta Indy. Parce que tu as déjà vu ce fameux Rocketeer ?

— Bien sûr ! On a fait une course aérienne ensemble, il y a quelques mois. C’est la raison pour laquelle sa copine m’a contacté.

— Tu aurais dû me parler de tout ça dès le début, le réprimanda Jones avec bienveillance.

— Je ne pensais pas que tu serais prêt à repartir pour une nouvelle aventure de sitôt. »

Indy et Jock s’installèrent à la grande table ronde situé au fond de la cabine pour se servir un café. Ils en auraient bien besoin pour un si long parcours. Indy posa son fédora sur la table et croisa les jambes sur la chaise en face de lui, enveloppant ses mains autour de la tasse en métal émaillé.

« Je ne laisse jamais tomber mes amis, Jock, et tu le sais. D’ailleurs, en général, c’est plutôt l’inverse. »    

Son ami se mit à rire de bon cœur et lui adressa une tape franche sur l’épaule, manquant de le faire tomber de sa chaise et de renverser le contenu de la tasse.

« Tu peux compter sur moi, Indy, sans aucun doute ! »

Durant le trajet jusqu’à New-York, Indy et Jock continuèrent leur discussion sur leurs vieilles aventures, stimulés par l’arabica bien serré. Le voyage au-dessus des Etats-Unis se déroula sans accrocs. L’hydravion se posa en délicatesse dans la soirée dans le port de New-York pour un petit ravitaillement en carburant et en vivres et redécolla le lendemain matin à l’aube, paré pour la périlleuse traversée de l’Atlantique.

***

Tandis qu’Indiana Jones et Jock Lindsey fonçaient dans un océan de nuages en direction de l’Europe à bord de l’avion, Cliff Secord, de son côté, se trouvait en bien mauvaise posture. Dépourvu de son réacteur dorsal et de son casque de vol, négligemment ligoté au fond du SS Aviator, il cherchait avec frénésie un moyen de sortir de ce bazar en détaillant la salle du courrier dans laquelle on l’avait enfermé. Et il n’était pas au bout de ses peines.

Le commandant allemand Ludwig von Schmoller avait pris le contrôle de ce cargo, quelques heures à peine après qu’ils eurent passé le détroit de Gibraltar et Cliff n’avait rien vu venir. Alors qu’il profitait d’une après-midi calme pour faire une petite sieste suite à la longue expédition et aux heures de garde interminables la nuit d’avant, trois agents nazis infiltrés dans l’équipe de Howard Hughes avaient réussi l’impensable : prendre le contrôle de l’imposant cargo en éliminant la plupart des gardes. Un navire allemand, le KMS Volks, n’avait eu qu’à s’approcher pour un abordage dans les règles de l’art et le haut gradé avait grimpé à bord, triomphant. Personne n'avait vu le coup venir.

Lorsque Cliff s’était enfin réveillé de sa sieste avec les cheveux en pétard, il avait eu la surprise de voir, à travers ses yeux encore mi-clos, une armée allemande devant sa porte. Son premier réflexe avait été de s’emparer de son arme sur la table de chevet mais hélas, ils avaient été plus rapides que lui et la lui avaient confisqué ainsi que la fameuse roquette que son ami Peevy avait accepté de reconstruire pour lui, après qui l’avait plus ou moins volontairement détruite l’année précédente.

Maintenant qu’il était retenu contre son gré, les remords l’étranglaient. Si seulement il n’avait pas eu le sommeil aussi lourd, il aurait pu les entendre arriver à des kilomètres ! Ce qu’il pouvait être stupide et négligeant parfois ! Comme le jour où il avait osé dire à Jenny que le film dans lequel elle avait joué était franchement ridicule. Elle lui avait rabâché les oreilles avec cette histoire pendant des semaines. Désormais, il se demandait simplement s’il la reverrait un jour.

Après lui avoir laissé en cadeau un joli œil au beurre noir, le commandant l’avait laissé seul, avec les pieds et les mains attachés à la chaise, non sans lui avoir au préalable expliqué son plan dans les grandes lignes dans un excès d’hubris. Devant la porte, deux gardes étaient postés, mitraillettes à la main. Dans leur précipitation et leur allégresse prématurée, les nazis avaient cependant omis un détail : cette salle possédait une radio. Ils avaient même dû exproprier un pauvre opérateur radio pour en prendre le contrôle, ce dernier n’ayant même pas eu le temps de lancer un SOS ou un quelconque message de détresse.

Néanmoins, Cliff était bien trop loin pour l’atteindre. Il ne pouvait qu’entendre les grésillements des ondes qui se bousculaient dans l’appareil. Il devait trouver un moyen d’y arriver. Il s’apprêtait à pousser sur ses jambes pour tenter de se balancer sur sa chaise comme un pendulier en direction de la console de commande de la radio, mais une série de pas rapides dans le couloir lui intimèrent de reporter son premier essai. Les Allemands patrouillaient dorénavant sur le navire, il fallait être précautionneux. Néanmoins, cette marche militaire pouvait être une aubaine pour lui ! Le bruit de sa chute serait couvert par le vacarme grossier que produisaient leurs semelles épaisses. Alors il patienta, le temps qu’une autre patrouille se présente et salue les soldats à l’entrée avec leur sempiternelle ritournelle de salut au Führer, qui donnait à Cliff la chair de poule.

Lorsque le moment propice se présenta, il se balança à nouveau sur sa chaise et chuta brutalement au sol contre son flanc. La tête lui tourna pendant un moment, si bien qu’il eut l’impression de voir deux portes au lieu d’une. Puis, il se secoua et reprit ses esprits. Son cœur battait à cent-mille à l’heure. Aucun nazi n’était encore entré dans la salle, il en déduisit qu’il avait réussi à ne pas les alerter et souffla un peu. Il leva alors les yeux pour réaliser que le micro de la radio était hors de portée. Mince ! pesta-t-il pour lui-même, en serrant les dents pour éviter de le dire à voix haute.

Il força sur la corde en faisant un mouvement de va-et-vient et réussit à passer le pied entre les liens desserrés. Il le tendit alors pour donner un coup dans le bureau sur laquelle trônait la radio. Le micro était à un ou deux millimètres du bord, il ne suffisait de pas grand-chose pour le faire tomber. Un coup, deux coups, trois coups. Soudain, il reçut le micro sur la tête et réprima un gros mot. A cause des cordes qui le maintenaient en place, il n’arrivait pas à l’attraper : le micro n’était qu’à quelques millimètres de ses doigts. Allez, allez, tu peux le faire ! s’encouragea-t-il. Il poussa du plus fort qu’il pût pour que ses liens se dénouent, lui laissant juste assez d’amplitude pour toucher du doigt son objectif et le ramener à lui. Il appuya sur le bouton du micro et commença à parler. Peu importait qui recevrait le message, il devait envoyer ce SOS, comme une bouteille à la mer jetée à la merci des éléments.

***

Pendant que Cliff se débattait pour allumer la radio, le H-3 Homeric survolait encore l’Océan Atlantique. Indy et son ami s’étaient installés à une table de la cabine de pilotage pour examiner une mappemonde, évoquant ensemble l’éventualité de ne jamais retrouver le navire. L’océan était un vaste domaine, il se pouvait très bien qu’ils aient même manqué le SS Aviator en chemin sans même s’en rendre compte. En dépit du bijou technologique que constituait cet hydravion, il y avait des chances pour qu’on ne retrouve effectivement jamais ni Cliff, ni le bateau, ni la cargaison. Et cela mettait l’archéologue en rogne.

Ils avaient largement dépassé les îles des Açores, où Jones avait dû se rendre pour sa quête de l’Atlantide quelques mois auparavant, quand le poste radio reçut un étrange message de détresse. On demanda à Indy de venir écouter. L’homme qui l’envoyait chuchotait d’une manière décousue, puis il finit par se calmer et le message devint plus clair et audible :

« Si quelqu’un m’entend, je m’appelle Cliff Secord et je me trouve sur le SS Aviator. J’ai été fait prisonnier par des nazis qui ont abordé le navire. Il faut… Il faut que quelqu’un me vienne en aide ! Ils ont pris le contrôle, ils ont détourné l’Aviator et ils veulent se rendre à Hambourg avant d’apporter la cargaison jusqu’à Berlin. Je ne sais pas exactement combien ils sont mais ils… »

Tout à coup des voix se firent entendre, bien plus fortes. De voix d’hommes qui hurlaient des ordres en allemand. Et la transmission fut coupée pour de bon.

« Les nazis ! s’exclama Indy. Je hais ces gars-là !

— Est-ce que vous savez d’où provient le signal ? demanda Jock à l’homme qui s’occupait des télécommunications.

— Non, monsieur. Je peux seulement vous dire qu’il se trouve dans un rayon de trente kilomètres, sinon nous ne réussirions pas à le capter.

— Maintenant que l’on sait que le navire se dirige vers Hambourg, on devrait pouvoir retracer son itinéraire et le trouver, non ? remarqua Indy.

— Je suppose, oui, acquiesça l’homme au poste radio.

— Alors mettons nous au travail ! »

***

C’est ainsi qu’Indy et Jock se remirent à leur mappemonde, en essayant d’orienter le pilote du mieux qu’ils pouvaient. Pendant ce temps, les nazis amenèrent Cliff dans la cale contenant la précieuse cargaison, quelques minutes après son insubordination. Les trois agents infiltrés avaient indiqué l’emplacement du Pétase à leur supérieur, camouflé dans la paille au fond d’une petite caisse.

Tous les soldats s’agitaient maintenant dans le ventre du navire, dans des va-et-vient incessants, ouvrant les boîtes et autres contenants pour cataloguer le butin qu’ils venaient de récupérer. Assis sur une lourde caisse se tenait le commandant von Schmoller. Il s’était dévêtu de sa veste tout en gardant sur lui son fourreau et son sabre. Il tenait dans sa main le Pétase de Mercure, tel Hamlet contemplant le crâne de Yorik. On aurait dit que les années n’avaient aucune emprise sur l’artefact, tant le casque brillait de mille feux dans la lumière fade et terne du navire. Les petites ailes qui le surmontaient se tortillaient sous l’effet des courants d’air qui transperçaient la cale.

Deux soldats jetèrent Cliff contre le sol, face au commandant. Cliff toussota et grimaça en se mettant à genoux. C’est là qu’il remarqua sa roquette, apposée contre la caisse du haut gradé, juste à côté de son casque en bronze et de son pistolet. Avec les pieds et mains liés, il ne risquait pas de pouvoir s’en servir maintenant. Il devait trouver un moyen de s’échapper.  

« Vous les Américains, vous réussissez toujours à nous surprendre, commenta von Schmoller d’un ton amusé, avec un fort accent germanique.

— C’est ce que l’on fait de mieux, répliqua Cliff avec un léger sourire en coin.

— J’espère que vous n’attendez aucun remerciement de notre part pour nous avoir permis de mettre la main sur cet objet légendaire, lieber freund.

— Pas le moins du monde.

Gut, herr Secord ! Je n’avais pas l’intention de vous faire la moindre révérence, de toute façon », dit-il avant de rire.

Il se leva et porta le casque dans la lumière, pour l’examiner sous toutes les coutures.

« Et dire que grâce à ce bibelot, n’importe qui peut devenir l’homme le plus rapide du monde ! déclama le commandant. Imaginez, herr Secord ! Imaginez un instant un soldat du Reich, aux commandes d’une troupe avec ce casque vissé sur le crâne. Il serait inarrêtable ! Aucune balle, aucun obus, aucune torpille ne pourrait l’atteindre. »

Lentement, comme Napoléon se couronnant empereur, il posa le Pétase sur sa tête, un sourire béat se formant sur son visage anguleux. Il inspira un grand bol d’air par le nez et expira tout doucement, appréciant la vigueur que lui conférait l’objet. Durant un instant, Cliff crut que le Pétase était un leurre, qu’il n’avait aucun pouvoir et que les nazis allaient devoir se contenter d’un joli casque à exposer pour leurs soirées mondaines, mais il n’en fut rien. Le commandant se plaça devant une statue en albâtre, une pâle imitation de la Vénus de Milo reconstituée avec ses bras, que l’un de ses sous-fifres venait de déballer. Il se prépara, le pied gauche en avant et le pied droit en retenue, perpendiculaire à l’autre. Il dégaina son sabre. C’est là que Cliff assista à un spectacle incroyable, bien qu’il ne fît en réalité que l’entrapercevoir.

Le sabre fendit l’air à une vitesse phénoménale, atteignant sa cible en plusieurs endroits. Un effet de flou masquait l’action, qui ne dura que le temps d’un battement de cil. Son bras resta un moment tendu en l’air lorsque tout à coup, la tête et les bras de la statue, fissurés par une coupe nette, tombèrent brutalement du corps inerte réduit à l’état de tronc seulement pourvu de jambes.

Cliff resta ébahi. Le commandant laissa son regard traîner le long de la lame, les yeux écarquillés par la folie, enivré par sa puissance. Un rire machiavélique s’échappait maintenant de sa bouche. Son regard enflammé croisa celui de Cliff.

« Vous voyez, herr Secord. Je suis invincible ! Il me suffirait d’une petite minute pour éliminer une escouade entière, avant même qu’elle ne réalise ce qui est en train d’arriver. Je suis persuadé que le Führer sera satisfait de cette trouvaille. »

Sur ce point, Cliff était largement disposé à le croire.

***

Le temps pressait désormais. Et Indy et Jock en étaient conscients : ils faisaient de leur mieux pour orienter l’avion. Le H-3 titillait encore les nuages quand un signal radar leur parvint depuis la mer. Ils venaient de trouver le SS Aviator et le KMS Volks côte à côte, ce qui n’annonçait rien de bon. Malheureusement, le destroyer allemand ne tarderait pas à les repérer, lui aussi. Et en dépit de ses nombreuses qualités, le H-3 Homeric n’était pas à l’épreuve des projectiles.

Alors qu’ils amorçaient leur descente à basse altitude, ils repéraient encore les environs quand un bruit sourd écorcha le ciel et une gerbe de feu jaillit depuis le Volks. L’hydravion qui filait dans les airs valsa sous l’effet d’une violente secousse qui propulsa tout l’équipage à terre. La mappemonde se noya sous un torrent de café et tous les instruments de bord virèrent au rouge. L’avion commençait à perdre de l’altitude, sauf que cette fois, ce n’était pas le pilote qui demandait à l’avion de descendre.

« Nous sommes touchés ! » confirma ce dernier, comme pour appuyer l’évidence.

Le missile venait de perforer la voilure de l’aile droite, emportant dans l’explosion l’un des moteurs. Le H-3 allait se crasher, ce n’était maintenant plus qu’une question de minutes. Indiana Jones connaissait la chanson, ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait à bord d’un avion sur le point de s’écraser ; il avait donc fini par développer, au fil des années, un sang-froid à toute épreuve.

Le Homeric planait au-dessus de leurs cibles, le fuselage légèrement penché sur la droite. L’équipage commençait à s’affoler mais Indy savait ce qu’il fallait faire : frapper un grand coup et s’en sortir avec panache.

« Prenez tous un parachute et laissez-nous ! ordonna-t-il à la dizaine de membres d’équipage. Abandonnez l’avion, vite ! »

Ils se regardèrent tous dans les yeux, l’air à la fois effrayés et dubitatifs, avant que Jones ne tape du poing sur la table. Tout le monde s’exécuta sans discuter. Il y avait assez de parachutes pour tous et Jock insistait donc pour que Indy et lui s’emparent de l’un d’entre eux.

« Non, lui intima Indiana Jones, en le retenant par la chemise. J’ai une bien meilleure idée. »

Son ami pâlit brusquement : il connaissait les drôles d’idées qui fusaient dans l’esprit d’Indy et même si le jeu en valait généralement la chandelle, l’exécution du plan était souvent des plus bancales.

Jones demanda à Jock de se rendre dans la soute, d’ouvrir la porte-cargo, de libérer le char de ses liens et de le mettre en route. Son ami lui opposa qu’il ne savait pas conduire de char et Indy lui rétorqua que c’était un jeu d’enfant. Il retourna dans le poste de pilotage, tandis que tout l’équipage se jetait dans les airs, formant une pluie de parachutes, tels des tournesols épanouis dans le ciel cotonneux pour atterrir dans l’océan, loin des navires.

Indy réussit à reprendre rapidement le contrôle en dépit des tremblements qui parcouraient le manche de l’aéroplane, tout en faisant fi des balles de mitrailleuses lourdes qui commençaient à pleuvoir depuis le destroyer, perçant les vitres de la cabine, sifflant dans ses oreilles. Indiana opéra un demi-tour et plaça l’avion dans l’axe du destroyer allemand. Il bloqua le manche : l’avion piqua droit vers le navire blindé. Jusqu’à présent, son improvisation semblait fonctionner. Mais le plus dur restait à venir.

Il lâcha les commandes comme si elles étaient en feu, se précipita dans la soute, sauta dans le char et ordonna à Jock d’accélérer, d’une voix claire et assurée. Jock ne réfléchit pas une minute, ayant appris que quand Indiana Jones avait une idée en tête, il ne valait mieux pas tenter de le faire changer d’avis. Le char chevrota avant de s’élancer par la porte-cargo. Indy pria pour que ces calculs fussent bons en fermant les yeux. Et ils le furent.

Le char Sherman chuta sur plusieurs mètres, comme un rocher éjecté depuis un plateau montagneux. Indy eut l’impression de suspendre le temps à la volée. La gravité disparut momentanément et le monde entier sembla silencieux. Lorsque le fracas retentit et que les deux amis faillirent heurter le plafond du char, ils surent qu’ils venaient de s’écraser sur le pont du SS Aviator. Quelques instants plus tard, une énorme explosion souffla dans leurs oreilles. C’était l’avion qui venait de creuser un trou béant dans la cuirasse du destroyer.

Malgré l’exploit qu’il venait d’accomplir, il se sentait un peu honteux de ne pas avoir respecté les consignes de Howard Hughes : pour la discrétion, ils repasseraient ! Cependant, il était sûr que ce dernier ne lui en tiendrait pas rigueur, même s’il venait de détruire un prototype d’hydravion nouvelle génération et d’enfoncer son char Sherman dans le pont de son navire, d’autant plus que la suite du plan s’avérait encore plus périlleuse.

***

Personne ne put manquer l’atterrissage mouvementé. Pas même Cliff, bien qu’il se trouvât au fin fond de la cale au moment où le navire s’enfonçait brutalement sous le poids du char. Certaines caisses se plaquèrent contre la coque, emmenant avec eux certains nazis, ou se retournèrent. Le commandant von Schmoller, qui venait à peine de refermer la boîte en bois abritant le Pétase, emporta dans sa chute la statue qui se brisa en morceaux. Cliff se renversa face contre terre et sa joue se couvrit de rouille. Alors qu’un calme relatif s’était installé, l’explosion réduisit en cendres le KMS Volks, le haut gradé évitant de peu la mort lorsqu’une hélice de l’avion déchira la coque de l’Aviator et manqua de l’éborgner. Lui et Cliff se figèrent, comme deux patineurs sur un lac gelé quelques secondes avant que la fine couche de glace ne cède. Pourtant, chacun d’entre eux savait ce qui allait se passer. En une fraction de seconde, l’eau glaciale s’invita dans le navire, emportant les caisses dans son sillage. Dès qu’il aperçut la première vague se frayer un chemin à l’intérieur, le commandant ordonna à tout le monde d’abandonner le navire.

Cliff se releva et observa la scène d’un œil circonspect. La panique se répandait dans les rangs, mais le commandant gardait la tête froide. Avec de grands gestes, il enjoignit deux hommes de s’emparer de la caisse contenant le Pétase pour l’installer à bord d’un canot de sauvetage avec le reste des militaires. Il passa en vitesse la veste de son uniforme et emprunta l’escalier qui menait à la surface, en laissant Cliff aux prises avec l’eau qui commençait à grimper dangereusement et en lui souhaitant bonne chance. Ligoté comme il l’était, il ne risquait pas d’aller très loin. Un frisson le parcourut lorsque l’eau frappa ses genoux violemment. Tant bien que mal, le Rocketeer parvint à se lever. Il sautilla alors jusqu’à atteindre un empilement de deux caisses et commença à le gravir. Il devait trouver un moyen de se sortir de là, et vite !

***

Sur le pont, le carnage commençait. Le Sherman était toujours en parfait état de marche et Indy comptait bien l’utiliser. Il abandonna Jock aux commandes et lui donna carte blanche, avec un sourire entendu. Le pilote savait ce que cela signifiait. Jones sortit par la trappe au-dessus et se laissa glisser derrière la bête de métal, en se bouchant les oreilles. Ses dents s’entrechoquèrent sous l’effet de la détonation du canon du char qui retentissait. Jock venait de toucher la timonerie, projetant des débris de verre et de bois partout, ainsi que deux nazis malchanceux qui volèrent par-dessus une rambarde jusque dans l’océan.

Indiana Jones se délectait du spectacle avec un certain plaisir et il aurait bien continué à en profiter. Mais il avait à faire.

Il se hâta et rallia les escaliers qui menaient vers la salle du courrier avant de les descendre quatre à quatre. Arrivé devant la porte, il tenta de l’ouvrir mais elle était fermée à clef. Il jura, avant de défoncer la fragile porte d’un coup d’épaule. Hélas, la salle des télécommunications était vide. Où pouvait bien être Cliff Secord ? Ces fichus nazis l’avaient sûrement déplacé après l’avoir pris sur le fait en train de lancer son appel au secours.

Il sortit de la salle et tourna la tête à droite et à gauche, avant d’apercevoir un homme au bout du couloir. Il dégaina son arme mais se ravisa lorsqu’il remarqua que celui-ci n’avait pas l’uniforme habituel. Vêtu d’une veste d’aviateur en cuir, d’un pantalon de travail clair, de hautes bottes noires, avec un casque en bronze au look étrange entre les mains : pas de doute, ce type-là était bien le gars qu’il recherchait. De surcroît, il était trempé jusqu’à l’os, ses bottes couinant à chaque pas.

« Vous êtes le Rocketeer ? demanda Jones, par acquis de conscience, alors que le gars venait vers lui.

— En chair et en os ! affirma ce dernier, exténué. Et vous, vous êtes qui ? Pas un nazi, au moins ? »

Indy se sentit offusqué par la question.

« Est-ce que j’ai une tête de nazi ? s’enquit Jones, les traits durcis.

— Non, c’est vrai que vous n’avez pas vraiment le profil, concéda Cliff en regardant Jones de bas en haut.

— Je m’appelle Indiana Jones, dit-il, en le saluant avec son fédora. Je suis là pour vous sortir de ce pétrin. »

Un énième coup de canon indiqua à Indy que Jock n’avait pas fini de faire rugir la bête au-dessus de leurs têtes.

« Alors, il faut faire vite, Jones. Le navire risque de sombrer d’une minute à l’autre. Et je ne sais pas pour vous, mais moi j’en ai assez de faire mumuse dans l’eau. »

D’un pas décidé, Cliff longea le couloir et se hissa dans les escaliers, avec l’aventurier à sa suite. En grimpant, ce dernier remarqua que le navire prenait une dangereuse gîte à bâbord puisqu’il était obligé de s’accrocher aux rampes pour ne pas tomber. Tandis qu’il suivait le Rocketeer de près, il nota que Cliff portait sa célèbre roquette sur le dos.

« Vous avez réussi à vous libérer tout seul ? l’interrogea Indy.

— J’ai utilisé un pied-de-biche qui traînait par-là pour rompre mes liens. Il s’en est fallu de peu pour que je finisse noyé sous des tonnes d’eau ! »

Lorsque les deux hommes émergèrent sur le pont, Cliff remarqua enfin le char qui roulait sur le navire comme sur un champ de bataille.

« C’est donc ça qui a fait tout ce boucan ! observa Cliff avec de grands yeux ronds. Il est à vous ce char ?

— Il n’y avait plus de place pour le garer ailleurs », ironisa l’aventurier.

Jock continuait dangereusement son avancée près du rebord, écrasant les bidons, les caisses et la balustrade sans distinction aucune, chaque sillon qu’il creusait dans le sol en métal et en bois le rendant encore plus instable. Malgré toute la surface que le véhicule d’assaut avait rasé, on n’y voyait aucune trace des Allemands qui s’étaient emparés du Pétase.

Jock s’arrêta enfin et sortit la tête par la trappe.

« Cliff ! hurla-t-il en agitant les bras.

— Salut Jock ! Content de te voir, moi aussi ! lui répondit Cliff, en balançant sa main de gauche à droite.  

— Hey, Indy ! appela-t-il en désignant l’océan du doigt. Ils sont là-bas ! »

Indy et Cliff se rapprochèrent du bastingage. Au loin, sur la mer agitée, un petit scintillement brillait dans le soleil éclatant, tel une luciole dans les marais. Cliff reconnut l’un des aéroglisseurs à utiliser en cas d’avarie qui fonçait maintenant vers l’est. A son bord, Ludwig von Schmoller et la dizaine d’hommes qu’il avait pu emmener avec lui. Sans oublier le Pétase, bien-sûr.

« Mince ! Ils sont trop loin ! déplora Jones, les bras ballants. Comment on va bien pouvoir les atteindre maintenant ?

— Moi, j’ai une idée, intervint Cliff en enfilant son casque et en attachant la sangle sous son menton. Votre fouet là, il peut soutenir votre poids ?

— Evidemment !

— Alors faisons comme ça ! opina le Rocketeer. Déroulez-le et lancez-le-moi. Je vais vous amener jusque là-bas.

— Dites, vous ne seriez pas un peu cinglé par hasard ?

— Non, seulement un peu trop optimiste. »

Un peu à contre-cœur, Jones obéit. Il attendait que le Rocketeer soit prêt à s’élancer, les deux pieds bien ancrés dans le sol, une main sur son fédora, l’autre fermement agrippée à son fouet. Les deux grosses flammes derrière le dos de Cliff se mirent à crépiter avec une intensité de tous les diables et le Rocketeer s’envola, le fouet toujours entre les mains. Commença alors pour Jones le vol le plus intense de toute sa vie.

La roquette le happa avec une puissance telle qu’il eut l’impression que tous ses os étaient toujours sur le navire et que seuls ses muscles avaient décollé. Le vent marin, relevé par les vapeurs d’alcool provenant de la roquette, s’engouffrait par la bouche, les narines et les yeux de Jones.

Lorsque le Rocketeer arriva à la hauteur du petit bateau pourvu d’une immense hélice, il se maintint à bonne distance au-dessus de lui, avant de lâcher le fouet au moment opportun. Indy atterrit sans prévenir, en faisant vaciller le navire volé.

Alors qu’ils se croyaient débarrassés de Cliff et Indiana, les nazis eurent une sacrée surprise en voyant l’aventurier au manteau de cuir débarquer devant eux. Toute l’escouade en resta bouche-bée, si bien qu’il lui fallut quelques secondes avant de réaliser l’impossible. Indy dévisagea un-à-un les soldats, avec un sourire facétieux.

Les nazis eurent à peine le temps de dégainer qu’Indy faisait déjà claquer son fouet sur les commandes de l’aéroglisseur pour inverser la vapeur. Brusquement, le bateau effectua un demi-tour forcé si violent que l’un des soldats en perdit l’équilibre et tomba à la renverse, emporté par les vagues. Indy s’accrocha à son fouet du mieux qu’il put. Le bateau retrouva enfin une trajectoire rectiligne et l’escouade le mit en joue. Le commandant, à la proue du bateau, ordonna la mise à mort.

Un homme seul eut été facilement neutralisé dans cette situation. Mais c’était sans compter sur le deuxième membre du duo, que les nazis n’avaient même pas encore vu.

Le Rocketeer, pourfendant les airs, s’abattit sur l’un des hommes le fit passer par-dessus bord d’un seul coup de pied dans le torse. Indy profita du deuxième effet de surprise pour désarmer un blondinet inattentif, le tirer à lui et pour lui asséner un grand coup de poing qui l’envoya valdinguer dans l’eau à son tour, tandis que Cliff faisait de même avec un autre militaire. Il commença à dégainer son arme et en abattit un autre. Cette fois, ce fut Indy qui l’imita en sortant son revolver de son fourreau. En quelques secondes, tous les hommes furent mis hors d’état de nuire, excepté von Schmoller, qui attendait patiemment devant eux.

Cliff et Indy se placèrent côte à côte et pointèrent le canon de leurs armes vers le commandant, avec un sourire entendu. Ils pressèrent simultanément la détente. Mais rien ne se passa car leurs armes étaient tout simplement vides, après le carnage qu’ils avaient engendré. Un éclair de surprise passa sur leurs visages.

Pendant que les deux compères se chamaillaient futilement, Ludwig von Schmoller se mit à croasser. Il dégaina son sabre et l’agita devant eux d’un air triomphal. Ses traits se tordirent en un rictus ridicule, bientôt recouvert par une immense ombre. Cliff et Indy levèrent les yeux et comprirent d’où elle venait : ils fonçaient tout droit en direction du SS Aviator ! Les deux héros se jetèrent à l’eau à la hâte de chaque côté de l’aéroglisseur. Cliff activa son réacteur avant de toucher l’océan, tandis que Indy plongea la tête la première. L’aéroglisseur n’était plus qu’à quelques mètres de la coque saillante du navire quand von Schmoller stoppa net le ventilateur et fit machine arrière, afin de stabiliser l’engin juste avant l’impact. Indy émergea hors de l’eau, battant des mains pour se maintenir à la surface et observa von Schmoller, qui affichait toujours le même sourire machiavélique.

« Dommage pour vous ! hurla von Schmoller en tenant à bout de bras la petite caisse qui contenait le Pétase. Il faut croire que le Monde de demain n’est pas à la portée de tous ! Auf wiedersehen, Idioten ! »

Il reposa la caisse et appuya sur les commandes, prêt à redémarrer l’appareil pour se laisser porter vers des terres plus prospères. Hélas, il ne savait pas encore qu’il ne reverrait plus jamais aucune terre de sa vie. Car à mesure que le bateau avait continué son lent naufrage, le char n’était plus qu’à deux doigts du précipice. Le commandant eut à peine le temps d’adresser un signe de main aux perdants avant que le char ne glisse vers les abysses en grinçant. Il entendit l’énorme enclume lui tomber dessus, mais trop tard. Il brailla une dernière fois avant que le poids du char ne le réduise en bouillie en expulsant une immense colonne d’eau, emportant avec lui son embarcation et le précieux Pétase dans les profondeurs insondables.

Alors qu’il regardait le char couler lentement sous la surface vers les ténèbres, Indy ne pensait plus du tout au Pétase : il réalisa tout à coup avec affolement que Jock se trouvait encore à l’intérieur du ventre de la bête de métal. Il cria son nom en nageant vers l’immense machine qui prenait l’eau de toute part, atterré. Mais il était trop tard, le char avait déjà été submergé par les eaux avant même qu’il ne puisse le toucher du doigt. De même que le SS Aviator, dont seule la poupe était encore visible.

Indy s’apprêtait à plonger pour sauver son ami coûte que coûte. Depuis les airs, le Rocketeer tentait d’apercevoir le moindre signe de vie. Et, lorsqu’il discerna une forme bouger près de l’épave du navire, il sut qu’il restait une chance de retrouver Jock Lindsey.

« Jones ! Regardez ! »

En effet, le pilote était déjà en train de les rejoindre à la nage. Il avait sauté du bateau juste avant que le char ne rejoigne son tombeau sous-marin, sans qu’Indy et Cliff ne s’en aperçoivent.

« La prochaine fois, on prendra mon avion, Indy, plaisanta Jock, à bout de souffle. Il est beaucoup plus discret ! »

Jones éclata de rire. Rassuré, il pouvait enfin souffler : ils étaient tous sains et saufs, bien qu’il restât encore quelques milles nautiques à parcourir avant d’atteindre les côtes. Heureusement, Indy, en maître de l’improvisation, avait une idée. Il monta sur une planche de bois qui flottait au gré des courants, avec Jock à ses côtés, lança le fouet à Cliff et laissa le Rocketeer se lancer vers l’horizon.

***

Ils rentrèrent à New-York quelques jours plus tard en compagnie de tous les membres du Homeric, qui avaient pu trouver un bateau de pêche sur leur chemin pour les ramener à terre. Ils étaient tous épuisés, mais soulagés. Car même s’ils avaient perdu le Pétase pour de bon, ils avaient désormais la certitude que plus personne ne pourrait remettre la main dessus, pas même ces fichus fascistes. Le ciel était radieux et l’Exposition universelle ne faisait que commencer. Pour l’occasion, Howard Hughes avait même gracieusement offert trois invitations à nos deux héros ainsi qu’à Jenny Blake, toute contente d’avoir retrouvé son amoureux. C’était la moindre des choses, après tout. Il ne leur en voulait même pas d’avoir abimé son matériel, il avait bien plus d’estime pour Jones d’avoir ramené Cliff sain et sauf.

La jeune actrice attirait les foules autour d’elle et Indy se sentait un peu à l’étroit au milieu de tout ce public auquel il n’était guère habitué. Pour Cliff, en revanche, c’était la routine : il souriait de toutes ses dents devant les photographes. De plus, son numéro n’allait pas tarder à commencer. Il embrassa alors langoureusement sa tendre Jenny et se glissa dans la foule pour rejoindre le pavillon de Howard Hughes. Son visage se fondit parmi l’océan de chapeaux et de coiffures, pendant que Jones demeurait aux côtés de Jenny que ses fans avaient décidé de laisser souffler un peu.

« Je ne vous remercierai jamais assez, Indy, dit-elle avec un sourire complice.

— Pas de problèmes, vous savez, répondit-il en se grattant le haut du crâne sous son chapeau. Et puis, dans le fond, ces aventures me rappellent pourquoi je fais ce métier.

— Votre boulot a l’air passionnant ! s’étonna Jenny.

— Il l’est ! A quelques exceptions près, bien sûr. Mais je ne changerais pour rien au monde.

— Comme je vous comprends.

— Même si je commence tout de même à devenir un peu trop vieux pour ce genre de choses, si vous voulez mon avis, ajouta-t-il en frictionnant son bras endolori par la traversée vers l’Europe.

— Vous êtes très bien comme vous êtes, Indy. L’aventure n’a pas d’âge. »

Sur ces belles paroles, elle déposa un baiser au coin de sa joue. Indy, qui ne s’attendait certainement pas à cette gentille attention, écarquilla les yeux.

Ils passèrent les dernières heures ensembles, à profiter du spectacle que leur offrait le Rocketeer. Cliff avait enfilé sa tenue, son casque et sa roquette, avant de se lancer dans les airs pour une série d’acrobaties aériennes dont lui seul avait le secret, au milieu de l’éblouissant pavillon bâti par Hughes et sa volonté de fer. La foule s’émerveillait devant cette prouesse humaine et technologique, les enfants en devenaient fous, lançant en l’air leur barbe-à-papa, devant les regards amusés de leurs parents.

C’est donc ça, le Monde de demain, se dit Indy, avec un sourire aux lèvres en levant son chapeau pour mieux apercevoir le spectacle. Il se pourrait bien qu’il me convienne plus que ce que j’aurais imaginé.

Et avec un ami tel que le célèbre Rocketeer à ses côtés, demain s’annonçait rayonnant.

 

FIN

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