Guren

Chapitre 11

Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/08/2009 10:37

Et hop ! un nouveau chapitre !
J'avais envie de taper celui-ci depuis un sacré bout de temps... J'espère qu'il vous plaira ^^
Si tout se passe comme je l'aimerai, l'histoire devrait être nettement moins poussive, soit au niveau de l'action, soit au niveau du scénario en lui-même.
Je  m'excuse si, jusqu'à présent, le rythme était assez lent: il m'a fallu bien plus de temps prévu pour pouvoir planter le décor tel que je le voulais et mettre en valeur la personnalité propre de chacun des personnages du récit, en tant qu'individu et non pas comme couple. Maintenant que tout ceci est bien lancé, on va pouvoir passer à quelque chose de plus vif (même si vous n'êtes tuojours pas à l'abri d'un peu d'introspection au détour d'un chapitre...)
Encore merci à Briseglace pour sa prélecture !
Enjoy ^^


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Natsuki nageait en plein cauchemar.
Elle avait passé toute la nuit au poste de police. Le soleil se levait lorsqu’on la laissa partir, avec pour consigne de ne quitter Fuuka sous aucun prétexte. Mai l’attendait dehors avec une thermos de café. La solitaire avait l’air hagard et épuisé.

La rouquine s’empressa de lui mettre une tasse brûlante entre les mains et la fit asseoir sur un banc à côté d’elle.

- Midori ne va pas tarder, elle sera là avec sa voiture d’une minute à l’autre. Comment ça s’est passé ?

Mal, si elle en jugeait l’expression de son amie et son manque de réaction.

- Ils m’écoutaient à peine lorsque j’ai abordé le sujet d’Asward, murmura Natsuki. Ils s’en fichaient complètement. Quand je leur ai parlé de Miyu, pour leur expliquer pourquoi Alyssa vivait avec moi, ils m’ont regardée comme si j’étais folle.

Elle remit quelques mèches de cheveux en place d’un geste nerveux. Natsuki avait dit le minimum sur Alyssa et elle mais ça suffisait, à raison, à la faire passer pour une illuminée.

- Tu leur as dit quoi ?

- Qu’Alyssa était ma sœur. Qu’Asward avait fait des manipulations génétiques sur ma mère pour la créer. Qu’elle s’était échappée de leur labo avec une cyborg. Que ce cyborg avait explosé après m’avoir raconté toute l’histoire et qu’elle habitait chez moi depuis.

- Et tu espérais qu’ils allaient avaler un truc pareil ?

- Merde, Mai, c’est pas comme si l’histoire originale était plus facile à gober !

Natsuki plongea son visage dans ses mains et laissa échapper un soupir saccadé.

- Désolée. Je suis à cran.

- Que vont-ils faire ?

- Ils ont monté leurs propres hypothèses : pour eux, il y a eu un accident sur la falaise et je ne veux pas l’admettre. Point final.

Elle serra les poings et sa voix se chargea de dégoût.

- L’un d’eux a même dit que je l’avais balancée de là-haut moi-même et que j’avais inventé toute l’histoire.

Mai ouvrit des yeux scandalisés. Son amie prit une grande inspiration et pressa ses mains jointes contre ses lèvres qui s’étaient plissées en une ligne mince et dure : elle avait dû faire appel à toute sa maîtrise pour ne pas démolir le policier qui lui avait jeté cette accusation au visage.

- Si au moins ils m’avaient dit qu’une descente serait organisée dans les locaux d’Asward pour vérifier…mais ça a l’air d’être le cadet de leurs soucis.

La jeep de Midori apparut à l’angle d’un virage et s’arrêta devant elles avec un chuintement fatigué.

- Je vous dépose juste les filles, prévint la jeune professeure. Il faut que je revienne ici, ils m’ont convoquée pour un interrogatoire.

- Passons chez moi, proposa Mai. Tu vas faire une sieste, pendant que je prépare un petit déjeuner digne de ce nom, d’accord ?

Mai, toujours là pour aider les autres. Toujours prête à ouvrir sa porte et remonter le moral de ses amis, avec sa compréhension et ses bons petits plats…Natsuki faillit refuser en prétextant qu’elle préférait rester un peu seule mais ne s’en sentit pas le courage.

- Merci, allons-y.

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La sonnerie du téléphone la tira sans douceur de ses rêves. Natsuki promena un regard embué de sommeil autour d’elle. Mai avait décroché. Mai. Elle était chez son amie et s’était endormie sur son canapé. C’était la première fois que ça lui arrivait, constata-t-elle en se redressant.

- Tiens, le thé est encore chaud et on a sauvé quelques tartines de Mikoto, lança une voix à ses côtés.

Nao poussa le petit plateau devant elle, sur la table basse et Natsuki se demanda depuis combien de temps la jeune fille était ici.

- Suis arrivée il y a 10 min. Tu ronflais déjà dans ton coin. J’ai ramené ta moto, elle est en bas de chez Mai.

- Depuis quand est-ce que tu conduis une moto, toi ?

- Depuis ce matin, rétorqua-t-elle avec un grand sourire. Un peu de sucre ?

Natsuki déclina en secouant la tête, trop endormie pour s’engager dans une joute verbale. Nao, toujours prête à la faire tourner en bourrique, même dans les moments les plus incongrus. Surtout dans les moments les plus incongrus. C’était sa façon de manifester sa sollicitude. Mai s’agitait, au téléphone. Elle finit par raccrocher et leva un regard paniqué vers Natsuki.

- C’était Midori. Elle est au commissariat. Il…elle a entendu qu’ils allaient te convoquer pour te placer en garde à vue.

- C’est une blague ? bondit la solitaire, parfaitement réveillée. En garde à vue…mais pourquoi ?

Mai garda un silence gêné.

- Hors de question…

Natsuki regarda fébrilement autour d’elle, comme si c’était la première fois qu’elle se retrouvait ici et que des policiers auraient pu surgir des placards.

- Hors de question, répéta-t-elle en sortant de sa transe. Je me casse. Je vais à Kyoto.

- Natsuki, arrête, ça n’arrangera pas la situation ! Ils vont prendre ça comme une preuve de…de culpabilité, bégaya Mai comme si ce mot lui arrachait la gorge, et ça sera encore pire !

- Et si je reste, ils vont me garder à l’œil et me cuisiner pendant des jours, pour rien, au lieu de filer à Kyoto et aller y chercher ma sœur ! contra Natsuki, une pointe de désespoir dans la voix. J’y vais.

- Alors je viens avec toi.

Mai la fixait le plus sérieusement du monde, dressée devant elle comme pour la mettre au défi de trouver quelque chose à y redire.

- Moi aussi, renchérit Nao.

Elle regardait par la fenêtre, comme si elle s’en fichait éperdument mais son ton ne laissait pas envisager de discussion.

- Les filles…merci…merci, vraiment, commença Natsuki, à court de mots. Mais vous ne pouvez pas faire ça…Mai, tu as Mikoto et Takumi, Nao, tu as ta mère.

- Ecoute…

- Non, vous, écoutez-moi. On ne peut pas y aller ensemble. Que va-t-il se passer si on se retrouve toutes les trois en cavale ? On va se faire avoir, à tous les coups. Restez ici, défendez-moi puisque vous savez ce qu’il se passe et ce que j’ai déjà raconté à la police. Vous m’aideriez beaucoup plus en tant que témoins, plutôt que suspects.

Mai plissa les lèvres et hocha rapidement la tête, hésitante. Nao eut un reniflement de dédain.

- A la première occasion, je filerai te rejoindre à Kyoto. D’ici là, pas de bêtises, pigé ?

Sa voix était lourde de menaces. Natsuki acquiesça d’un geste sec. Elle devait partir, maintenant, ou ses amies trouveraient d’autres raisons de l’accompagner. La solitaire attrapa son casque et fila comme si l’enfer était à ses trousses.

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Natsuki contemplait la ville s’entendant devant elle en une mer de buildings qui se découpaient en ombres gigantesques sur le ciel nocturne. Les immenses baies vitrées des tours étaient sombres et luisantes comme des carapaces de scarabées. Aux étages inférieurs, les néons criards des panneaux publicitaires s’y reflétaient en vagues bariolées tels d’énormes graffitis.
À cette hauteur, au sommet d’une tour, le vent sifflait en se heurtant aux arêtes sévères des bâtiments et des bourrasques glaciales emmêlaient ses longues mèches noires. Plusieurs dizaines de mètres en contrebas, des files de voitures s’étiraient, longues et fines comme les perles d’un collier multicolore, dans des avenues que la lueur des lampadaires nimbait d’or.

Penchée au-dessus de Kyoto, Natsuki se sentait minuscule. Elle avait retiré un maximum de liquide de son compte en banque tant qu’elle pouvait y avoir accès et elle avait acheté tout son équipement sur place. Autant laisser des traces visibles : avec un peu de chance, la police en profiterait pour faire un détour chez Asward lorsqu’on se mettrait à sa recherche. Cela faisait deux jours qu’elle se trouvait ici. Trois jours depuis qu’on avait enlevé Alyssa. Une éternité.

L’immeuble du siège social d’Asward se trouvait à une quinzaine de mètres juste en face d’elle, à peine plus bas de l’endroit où elle se trouvait. Natsuki vérifia une dernière fois son matériel et le serrage des boucles de son baudrier. Dès la tombée de la nuit, elle avait préparé son infiltration. Un câble oscillait doucement au-dessus du vide et se perdait dans les poutrelles d’aciers de l’antenne de communication qui se dressait au sommet de l’immeuble d’Asward. Natsuki l’avait tendu en utilisant un grappin d’acier et une arbalète d’alpiniste et priait sincèrement pour que l’arrimage soit solide. La dernière fois qu’elle avait réalisé ce genre d’acrobatie, elle avait manqué de se tuer en essayant de s’introduire dans un centre du First District. Elle ajouta une corde d’escalade au départ du filin métallique et l’attacha à son baudrier.

Natsuki installa les poulies qui lui permettraient de descendre le long du câble et prit une grande inspiration en passant ses jambes par-dessus le parapet. Le vide happa son regard et chaque fibre de son être lui hurla de s’éloigner du rebord. Elle tressaillit, riva ses yeux droit devant elle et attrapa les poignées des poulies. Pour Alyssa, songea-elle, comme un leitmotiv. Elle se laissa tomber en avant et glissa sans bruit, suspendue dans les airs.

Elle descendit en rappel du haut de l’immeuble d’Asward, après s’être démenée de longues minutes pour accrocher une dégaine dans le repli d’une poutre en métal entre deux plaques de verre. Le point d’attache était terriblement instable et Natsuki adressa une nouvelle prière silencieuse pour qu’il tienne bon : si elle décrochait maintenant, la corde qui l’assurait la rabattrait de plein fouet sur la façade de l’immeuble qu’elle avait quitté en tyrolienne.

Elle passa un quart d’heure suspendue le long des parois lisses et sans défaut avant de parvenir à percer un trou circulaire dans une fenêtre cachée à l’angle d’une baie vitrée. Natsuki n’en était pas à son coup d’essai mais manier un coupe-verre sans point d’appui, sans risquer le moindre coup d’œil vers le néant qui s’ouvrait sous ses pieds, demandait un sang-froid et une discipline sans faille. Un bruit de klaxon s’éleva, porté par une bourrasque et le son lui parut terriblement lointain, déformé par la distance. La corde d’escalade craquait doucement alors que le vent la faisait osciller lentement au-dessus du vide. Son sang tonnait comme un tambour, dans sa poitrine. Natsuki glissa une main tremblante à l’intérieur, ouvrit la fenêtre, et se faufila dans une vaste salle aménagée en bureau open-space, partagée par plusieurs emplacements de travail.

Si les informations qu’elle avait réussi à grappiller dans les environs étaient exactes, c’était à cet étage que travaillait une partie des responsables de la société.

La solitaire s’accorda quelques instants pour calmer sa respiration et les battements erratiques de son cœur. Ses jambes étaient en coton, Kami ! Elle haïssait le vide.

Alyssa.

Natsuki se déplaça de bureau en bureau, plus furtive qu’une ombre. Un coup d’œil pour s’assurer de l’absence de caméra de sécurité. Une vérification rapide des documents abandonnés près des écrans d’ordinateur. Il lui fallait une piste. N’importe quoi qui aurait pu lui donner une idée de l’endroit où on détenait sa sœur. Une mallette étroite avait été oubliée près d’une plante verte. Natsuki la glissa dans son sac à dos, avec quelques feuilles de papier qui avaient attiré son attention lorsqu’elle avait forcé les tiroirs d’un bureau un peu plus imposant que les autres.

Une petite salle était installée à l’écart. Fermée à clé. Natsuki crocheta la serrure et entra à pas de loups. Elle fouilla rapidement. Un papier estampillé « confidentiel » qui gisait dans la poubelle et un CD gravé qui trainait dans un tiroir disparurent dans son sac. Natsuki souleva le sous-main de cuir qui couvrait le bureau et découvrit une large enveloppe brune. Elle en tira une feuille de papier et repéra le mot « Orphan ».

Bingo !

Natsuki l’ajouta à ses autres trouvailles, quitta la pièce, referma la porte…et l’alarme se mit immédiatement à hurler.

Son cœur manqua un battement. La solitaire se rua vers la fenêtre où elle avait laissé son baudrier et sa corde de salut. Elle dérapa à l’angle d’un bureau. La sonnerie lui vrillait les tympans. Les yeux fixés sur la baie vitrée, elle aperçut au dernier moment la forme sombre qui se jeta devant elle. La chose la percuta de plein fouet et elle retomba lourdement en arrière. Des griffes acérées déchirèrent ses habits et s’enfoncèrent dans sa peau et ses muscles. Natsuki hurla de douleur et roula sur le sol. La créature ouvrit une gueule béante. En un geste désespéré, la solitaire leva un bras pour protéger sa gorge offerte et les crocs se refermèrent juste sous son poignet. Elle crut qu’on allait lui briser les os et lui arracher la main.

Etourdie de douleur, Natsuki attrapa tant bien que mal son couteau de grimpeur et frappa aveuglément, aussi fort qu’elle le pouvait. L’orphan la lâcha avec un sifflement étranglé. La jeune fille rua pour se dégager. Elle se mit à genoux faiblement, le cœur au bord des lèvres. Elle serra son ventre entre ses mains et laissa échapper un gémissement alors que la souffrance pulsait entre ses doigts. Ses habits en lambeau étaient poisseux, trempés de sang. Devant elle, l’orphan s’était affalé sur le côté et essayait de se relever. Fuir. Maintenant.

Une porte s’ouvrit à la volée dans son dos et un coup de feu fit sauter un ordinateur à un mètre d’elle. L’adrénaline gicla dans ses veines. Natsuki se précipita en avant, courbée en deux. On cria. Une autre rafale déchira l’air. Des éclats de verres volèrent alors que des pans de baies vitrées explosaient sous l’impact. Son harnais. Natsuki glissa sa main valide dans l’un des passants et agrippa la corde aussi fort qu’elle le pouvait.

Elle plongea en avant en un réflexe complètement fou. Des stalactites de verres lui griffèrent la peau lorsqu’elle traversa la fenêtre brisée.
En haut de l’immeuble, la dégaine qui l’assurait à la paroi céda immédiatement. Pendant un moment, elle eut conscience du vent glacial, du rugissement des moteurs trente étages plus bas et des éclats lumineux qui s’accrochaient aux vitres des buildings comme des étoiles filantes alors que les néons formaient une constellation électrique aberrante, psychédélique. Elle tombait comme une pierre.

La corde se tendit et Natsuki traversa le vide en un arc de cercle désordonné. Son dos percuta l’immeuble d’en face et des gouttes de sang carmin volèrent. Sa main lâcha la corde. Les lanières de son baudrier se prirent dans son poignet, freinant sa chute une fraction de seconde. Plus morte que vive, Natsuki referma ses doigts meurtris autour d’un passant et se retrouva suspendue au-dessus du néant comme une marionnette brisée.

La fenêtre dans laquelle elle s’était écrasée n’était plus qu’une vaste surface étoilée, ensanglantée. Au supplice, la solitaire invoqua le peu de force qu’il lui restait et cassa la vitre en assenant des coups de pieds et de poing désespérés. Elle se faufila à l’intérieur et s’éloigna du vide en rampant, incapable de se mettre debout.

Il y avait un escalier de service, derrière cet immeuble. Elle l’avait repéré lorsqu’elle avait préparé son infiltration. Quelques mètres à parcourir et elle pourrait quitter cette tour. Trouver une cachette. Elle serait en sécurité. Natsuki se redressa, à peine consciente, et traversa la pièce avec la raideur d’un automate.

***************

Elle s’était réfugiée dans le débarras poussiéreux d’une boutique. Natsuki ignorait comment elle avait trouvé la force de marcher jusqu’à cette petite ruelle isolée et de crocheter la porte de service. Elle s’affala contre le mur et se laissa glisser sur le sol. Les étagères et les cartons empilés un peu partout s’affaissèrent de façon grotesque alors que sa vision se mettait à tanguer et elle sentit un goût de bile amère dans sa bouche.

Ça irait. Natsuki était une HiME. Elle survivrait. Pour l’instant.
Elle plaqua une main sur les plaies qui s’ouvraient sur son ventre. La douleur était telle qu’elle avait cru que la créature l’avait éventrée, là-haut.

Qu’elle avait soif ! Natsuki passa des doigts poisseux de sang sur son visage, pour essuyer la sueur qui lui piquait les yeux. Elle jura. D’abord dans un souffle, puis de plus en plus fort. Parce que le son de sa voix était la seule chose qui empêchait son esprit de partir à la dérive. Il lui fallait de l’aide. De l’eau et de quoi panser ses blessures. Ou elle allait mourir ici, HiME ou non. Et personne ne pourrait sauver Alyssa.

La solitaire tendit la main vers son sac à dos. Il fallut plusieurs secondes avant que ses doigts engourdis n’arrivent à tirer la fermeture éclair et se referment sur son téléphone portable. Natsuki n’avait pas le choix. L’hôpital n’était pas une option : la police la retrouverait en un rien de temps. Une seule personne à Kyoto pouvait l’aider, à cet instant.
Le téléphone sonnait, à l’autre bout du fil. De longues sonneries pendant lesquelles elle supplia Shizuru de décrocher. La voix du répondeur téléphonique grésilla dans l’appareil.

- Shizuru, c’est Natsuki…

Sa voix était rauque et hachée.

- J’ai besoin d’aide…je suis à Kyoto…

Natsuki ferma les yeux en essayant de se rappeler le nom de la ruelle, qu’elle avait aperçue sur une petite plaque mangée par la rouille.

- Je suis dans une des boutiques…dans la remise. La porte…n’est pas fermée.

La jeune fille raccrocha, incapable d’ajouter un mot. Sa vision se moucheta de noir et elle pria pour que Shizuru ait son message avant la fin de la nuit. Elle s’évanouit.

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Shizuru s’engouffra dans la ruelle d’un pas rapide. La soirée avait été longue et il était une heure passée lorsqu’elle avait reçu le message de Natsuki et quitté les locaux du Fujino-kai. Il s’en était fallu de peu qu’elle ne l’efface avant même de l’écouter. La curiosité était la seule chose qui l’en avait empêché. Les mots de la solitaire étaient confus et saccadés et lorsque le message avait pris brutalement fin, Shizuru avait senti une panique sourde l’envahir. Elle avait essayé de la rappeler mais Natsuki n’avait pas décroché.

Elle se heurta à deux portes verrouillées avant de trouver la bonne. La jeune fille poussa le battant de la remise et ses yeux s’écarquillèrent d’horreur. Natsuki gisait devant elle, à demi-couchée sur un parquet poudreux, couverte de sang séché. Sous la lumière froide et acérée d’un néon blafard, elle était d’une pâleur mortelle. Shizuru resta un instant pétrifiée, persuadée qu’elle arrivait trop tard.

Natsuki ouvrit un œil, un morceau d’émeraude dans ce visage livide, et l’ombre d’un sourire étira le coin de ses lèvres.

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Le soleil levant colorait les nuages de tons pastel lorsque Shizuru vida pour la dernière fois une bassine d’eau rougie dans l’évier. Seule dans la cuisine, elle prépara un peu de thé et massa son visage fatigué.

Elle avait emmitouflée Natsuki dans une couverture abandonnée dans la remise, pour masquer grossièrement ses blessures, et avait essuyé le sang de son visage avant de la faire sortir de la boutique. Elle l’avait quasiment portée jusqu’à un taxi et tendu une liasse de billets au chauffeur avant même qu’il n’ouvre la bouche.

Et elles se trouvaient maintenant dans un des anciens logements de son grand-père, un appartement absurdement luxueux aux abords de Kyoto dont Shizuru était propriétaire depuis sa mort. Elle avait longuement hésité avant de venir ici plutôt que de se précipiter à l’hôpital mais Natsuki avait sûrement de bonnes raisons de l’avoir appelée elle, plutôt qu’une ambulance.

Elle soupira et revint vers elle en tenant sa tasse et un grand verre d’eau pour la solitaire. Shizuru avait nettoyé ses blessures du mieux qu’elle le pouvait, et suturé les plaies les plus ouvertes. C’était Kohei qui lui avait appris comment faire, le jour où l’un des yakuza du Fujino-kai était rentré tailladé d’un combat au couteau. La jeune fille avait des traces de griffures un peu partout sur le haut du corps mais les blessures au niveau de son abdomen étaient profondes et trop irrégulières pour être l’œuvre d’une arme blanche. Un orphan, Shizuru en aurait mis sa tête à couper.

Natsuki. Si belle. Son esprit avait marqué un temps d’arrêt lorsqu’elle avait découpé les restes de ses habits en lambeau pour soigner ses plaies. Shizuru doutait que ce soit uniquement à cause de l’effroi que lui imposait la vue de ses blessures. Elle secoua la tête, coupable et agacée, avant de lâcher un soupir défait. Était-elle donc si faible ? Elle n’avait vraiment aucune volonté lorsqu’elle se retrouvait face à elle, n’est-ce pas ? Où était passée l’amertume et la rancœur que lui inspirait sa chère solitaire quelques mois auparavant ? Si elle avait eu devant elle une Natsuki rayonnante de santé, les choses auraient sans doute été différentes, songea-t-elle. Elle ne pouvait tout de même pas la laisser mourir dans cette remise à l’abandon !

Pitoyable. Shizuru se laissa tomber dans le petit fauteuil qu’elle avait tiré près du lit et rendit les armes. Autant accepter ses propres faiblesses plutôt que de se chercher des excuses, philosopha-t-elle avec un fatalisme résigné. Il y avait des questions plus importantes, à cette heure, que celles concernant la légitimité de ce qu’elle pouvait ressentir.
Natsuki s’agita dans son lit et ouvrit les yeux.

- Comment te sens-tu ? demanda Shizuru.

- J’ai connu mieux, croassa-t-elle. Elle toussa pour s’éclaircir la voix et Shizuru lui tendit un verre d’eau qu’elle vida d’un trait. Merci.

Natsuki gardait un souvenir très confus des dernières heures. Il y avait eu des instants où garder les yeux ouverts avait été au-dessus de ses forces. Elle se sentait parfaitement consciente maintenant mais l’épuisement était encore là et le matelas moelleux sur lequel elle était allongée était une invitation scandaleuse à se laisser sombrer dans le sommeil. La séance de questions à venir allait être une véritable torture. Si elle n’avait pas été une ancienne HiME, elle aurait été incapable de seulement dire un mot. Elle passa une main sur ses blessures et sentit les pansements sous ses doigts. Cela avait un désagréable parfum de déjà-vu, songea-t-elle avec une pointe d’angoisse. D’un coup, elle eut l’impression que la température venait de perdre quelques degrés et l’air devint aussi pesant qu’une chape de plomb. Shizuru la regarda faire et garda le silence : Si Natsuki faisait la moindre remarque qui ferait écho à la nuit fatidique où son existence avait basculé, elle quitterait l’appartement sur-le-champ.

- Je crois que je te dois une fière chandelle, dit simplement la solitaire, en espérant que ses mots sonnaient aussi sincèrement qu’elle le voulait.

- Un peu plus et je t’emmenais à l’hôpital. Mais je suppose que ça n’aurait pas été une bonne idée.

- Non. Non, en effet.

- Que se passe-t-il ?

Natsuki lâcha un profond soupir.

- C’est une histoire longue et compliquée. Tu ne vas pas aimer.

Natsuki commença son récit, du jour de la mort de Miyu jusqu’à l’enlèvement de sa sœur et son expédition dans les locaux d’Asward. Shizuru resta étrangement silencieuse et à la fin, Natsuki se sentait lasse et fragile. Elle n’avait même pas envie de se justifier et expliquer pourquoi elle lui avait caché toute l’histoire la dernière fois qu’elle l’avait contactée. L’excuse était sincère mais elle lui semblait pathétique et malvenue, à cet instant : Shizuru n’apprécierait pas du tout qu’elle ait gardé le silence sous prétexte que c’était pour son bien.

La fille de Kyoto prit le temps de réfléchir. Peser ses sentiments et ne pas faire l’erreur de les laisser balayer son jugement. Elle se sentait terriblement blessée que Natsuki et l’ensemble des autres HiMES ne lui aient rien dit de tout ceci : est-ce qu’on l’estimait encore si peu fiable ? Ce n’était peut-être pas totalement faux, songea-t-elle avec amertume. Elle avait un lot de secrets et de cachoteries qui rivalisait largement avec ceux de ses amies, après tout ! Shizuru considéra Natsuki dont le regard était obstinément braqué au plafond : la jeune fille n’avait pas l’air fière d’elle. En examinant sa propre conscience, elle se sentit soudain trop coupable pour lui en vouloir et elle se tendit, effrayée par l’inconstance de ses émotions.

Shizuru se reprit sévèrement : Il se passait des évènements trop graves pour qu’elle se permette de réfléchir à tout ça.
Ils avaient sous-estimé les Gurentai et leurs projets : que venait faire l’enlèvement d’Alyssa dans tout ceci ? La fillette était unique de bien des façons, voulaient-ils simplement retrouver l’enfant prodige des anciens dirigeants de la Searrs et s’en servir à nouveau de cobaye ? Une enquête s’imposait, et vite. L’idée qu’une petite fille soit aux mains de ce genre d’individus la faisait frémir d’effroi.

- Ecoute, nous reparlerons de tout ça plus tard, d’accord ? proposa-t-elle. Tu es épuisée, ça se voit.

Elle-même avait besoin de faire le point. Les yeux de Natsuki, agrandis de surprise, se rivèrent aux siens comme si on l’avait frappée.

- Tu…tu ne m’en veux pas ? lâcha-t-elle, interloquée.
Shizuru secoua la tête, désarçonnée par sa spontanéité.

- Je t’en veux de ne m’avoir rien dit, avoua-t-elle. Mais ce n’est pas le moment de se fâcher pour ces broutilles, il y a plus urgent.

Silence. Le malaise qui régnait dans la salle au moment où Natsuki avait repris ses esprits revint s’installer petit à petit, insidieux comme un poison. Shizuru avait raison mais la solitaire se sentait misérable. Des broutilles. Elle aurait préféré un éclat de colère que cette analyse détachée.

Shizuru se leva lentement. Natsuki était en sécurité ici et il fallait agir le plus vite possible pour aider Alyssa. L’inspecteur Nagoshi pourrait sûrement intervenir.

- Tu t’en vas ?

- Oui, je reviens dès que possible. Repose-toi. Tu peux compter sur mon aide pour retrouver Alyssa. Quant à toi…tu es en vie et c’est la seule chose qui compte, maintenant.

Une part d’elle-même était déçue, l’autre coupable, mais malgré la sévérité de sa tirade, Shizuru eut la certitude agaçante que le regard qu’elle adressa à Natsuki à cet instant trahissait un dévouement sans faille.

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