La flèche du destin

Chapitre 4 : La quête

1429 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/12/2023 15:42

Le brouillard étouffait le paysage. La tristesse de l’automne prenait d’assaut le palais d’Acrisios, roi d’Argos – une pauvre masure en comparaison avec l’Olympe -, mais indéniablement un signe de civilisation, ce qui signifiait que des arbres avaient dû être abattus ou des animaux bannis. Bien sûr, les mortels devaient bâtir leur foyer, mais quel besoin avaient-ils de viser si grand, si haut ? Artémis fixa d’un œil noir les colonnes à la couleur sanglante, les murs écrasants. Là-haut, les balustrades semblaient la narguer, tout comme les fresques géométriques décorant les portes. Il y avait pire encore ! Dans sa robe de servante, si longue et encombrante, elle avait l’air ridicule. Même sa chevelure avait été domestiquée : elle ne cascadait plus, libre et sauvage, jusqu’à ses reins, mais était rassemblée en chignon, une lanière en cuir empêchant ses boucles de tomber sur son front. La bonne nouvelle, c’est que comme la pièce qu’elles avaient choisie était déserte, personne ne les avait vues surgir de nulle part, Aphrodite et elle. Il fallait maintenant trouver Danaé.

-       Reste là et attends-moi, ordonna-t-elle.

Elle allait parcourir discrètement le palais, utilisant ses talents de chasseresse, mais c’était sans compter sur le garde qui entra soudain dans la pièce. Aphrodite lança aussitôt d’un ton soulagé :

-       Les dieux soient loués ! Je vous en prie, aidez-nous, nous nous sommes perdues. La princesse Danaé nous a envoyées acheter du parfum au marché, et nous n’arrivons plus à retrouver le chemin du retour. Ce palais est un vrai labyrinthe.

Était-ce une blague ? Mais l’expression du garde passa du soupçon à la sollicitude, surtout quand son regard s’attarda sur la silhouette scandaleusement impudique d’Aphrodite – étant donné que la déesse de l’amour dégageait une aura de sensualité quoiqu’elle fasse. Son pouvoir était aussi à l’œuvre, emprisonnant le soldat dans une toile de charme.

Artémis emboîta machinalement le pas au duo, jusqu’à arriver à l’entrée d’une tour. Aphrodite se répandit en remerciements d’une voix suraiguë, puis fit le même numéro aux deux gardes devant l’entrée, qui les laissèrent passer sans discussion.

L’intérieur de la tour était richement décoré. Des fresques s’étiraient le long des murs, une mosaïque s’étalait sur le sol, tandis que des victuailles débordaient des tables. Cette splendeur ne faisait que masquer la fonction réelle du lieu : c’était la prison de la jeune princesse Danaé.

-       Qui êtes-vous ? Et comment êtes-vous entrées ? balbutia la jeune fille, aussi ravissante qu’une nymphe, en se levant d’une chaise.

Artémis libéra sa longue chevelure, qu’elle secoua avec satisfaction et laissa apparaître son aura divine. Le changement d’expression de Danaé fut aussi soudain que chez le premier garde : elle passa de la surprise à une terreur mêlée d’émerveillement, puis tremblante, tomba à genoux. On ne voyait plus d’elle que son chignon, son peplos azur et ses bracelets d’or.

-       Relève-toi, nous ne te voulons pas de mal, lança Artémis d’une voix douce.

-       Nous sommes là pour t’annoncer que tu as attiré l’attention de Zeus, enchaîna Aphrodite en s’approchant.

Artémis en profita pour inspecter la pièce. Zeus leur avait demandé de trouver une entrée qui lui permettrait de faire une entrée aussi discrète que spectaculaire. N’arrivant pas à croire qu’elle collaborait à ce projet méprisable, la déesse se força à regarder partout, en songeant que quoiqu’ait fait cette pauvre fille, elle ne méritait pas cet emprisonnement. Elle devait certainement être victime d’une prophétie, ou alors, elle s’était montrée trop farouche et en avait payé le prix, selon les ignobles règles des mortels. C’est en redescendant du deuxième étage qu’une idée germa enfin. 






Zeus trouva la voie d’accès excellente. Il congédia aussitôt les deux déesses, leur assurant qu’elles avaient purgé leur peine.

Alors qu’Artémis pouvait enfin retourner dans ses bois, oublier le procès, lécher les plaies de l’humiliation, quelque chose la retenait au plus profond de ses entrailles. Quand elle mit le doigt dessus, la tête lui tourna. En donnant le moyen à son père d’accéder à une jeune fille sans défense, elle avait trahi tous ses principes.

Qu’avait-elle fait ?

Aphrodite était déjà partie avec un petit rire ravi, mais elle, elle restait au milieu du marbre glacé de l’Olympe, bousculée par les courants d’air, à hésiter. Sa gorge la brûlait et l’indécision nouait sa conscience.

Que faire maintenant ?

Le poids de son carquois dans son dos, familier, et la douceur de son arc dans sa main la décida.

Apollon ne serait vraiment pas content.

Quand elle revint dans la tour, elle trouva Danaé figée, regardant une pluie de pièces d’or se faufiler entre les barreaux d’une fenêtre. Artémis posa un doigt sur ses lèvres, et d’un air résolu, encocha une flèche alors que Zeus se matérialisait à partir des pièces. Son cœur battait si fort qu’il semblait vouloir jaillir de sa poitrine, mais heureusement, les réflexes de la chasse prirent le dessus : l’ivresse de la corde tendue, la certitude que la flèche atteindrait sa cible, parce qu’il n’y avait pas d’autre choix, si Zeus refusait d’obtempérer. Quant à ce qui se passerait ensuite… La flèche était enduite d’un poison capable de paralyser un dieu, concocté par Apollon à la suite d’un pari perdu. Mais si la substance n’agissait pas… Le courroux du maître de l’Olympe était légendaire et Artémis savait qu’elle avait peu de chances d’y survivre.

Pardonne-moi mon frère, souffla-t-elle, alors que Zeus tournait la tête vers elle. Ses doigts s’ouvrirent petit à petit, pour libérer la corde.

C’est alors qu’une deuxième personne pénétra dans la pièce.

Aphrodite.

-       Va-t’en, ordonna la déesse à Danaé en désignant les escaliers menant au deuxième étage.

Cette dernière mit un long moment à obéir, tandis qu’Artémis, interdite, brandissait toujours son arc et que Zeus tentait de se remettre de sa surprise.

-       Qu’est-ce que cela veut dire ? tonna-t-il.

-       Tu ne forceras pas cette pauvre fille à quoi que ce soit, gronda Aphrodite en se redressant de toute sa hauteur.

Artémis avait toujours vu la déesse de l’amour comme une écervelée, mais en l’occurrence, celle-ci dégageait une puissance plutôt impressionnante.

-       Je vous ai demandé de trouver un moyen d’entrer, vous n’avez plus rien à faire ici, lâcha Zeus.

-       Au contraire, mon cher neveu…

Alors Artémis se souvint. Aphrodite était la fille d’Ouranos, père des Titans, née dans l’écume ; elle devait être une puissance aussi primordiale que la mer, la terre … Ou même que la foudre. Il n’y avait aucune garantie que Zeus, malgré son statut de maître de l’Olympe, soit sur le même plan qu’elle...

-       … Au contraire, poursuivait la déesse. Si j’apprends que tu as pris Danaé contre sa volonté, que tu as trahi MA loi, tu seras affligé d’impuissance. Non ! Ne tente pas d’utiliser ton foudre, sinon Héra sera informée du but de notre quête.

Et c’est ainsi que les deux déesses se sortirent de cette situation. Zeus dut dès lors entreprendre de faire une cour aussi passionnée que tendre à Danaé, mais ceci était une autre histoire.


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