Fer de Lance

Chapitre 24 : La revanche de Kévin

2263 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 14/07/2018 18:33

Cette victoire forcée face à Kévin transforma le quotidien de Peter. Puisque ses bourreaux recommençaient à lui faire vivre l'enfer, il n'avait plus jugé utile de continuer à perdre ses combats, ce qui était une erreur. Après avoir enchaîné les défaites, c'étaient désormais les succès qu'il collectionnait, et cela lui attira les foudres de bon nombre d'autres élèves, à mesure qu'il les surpassait.

Comme ils se contentaient seulement de lui jeter des regards noirs ou de maugréer sur son passage, Peter ne se souciait pas vraiment d'eux. Le seul qui l'inquiétait vraiment, c'était Kévin. Ce dernier avait beau avoir repris son harcèlement de plus belle, le garçon était persuadé que le pire était encore à venir.

Quand M. Johnson annonça qu'ils devraient mener un nouveau combat l'un contre l'autre, trois semaines après celui que Peter avait remporté, l'Ébèlien se décomposa. Il avait un très mauvais pressentiment. Ce fut en tremblant comme une feuille qu'il s'avança sur la portion de terrain où leur match se tiendrait.

Drake fouetta l'air de sa queue dans une manœuvre d'intimidation, tandis que Junior le Débugant entrechoquait ses poings. Le visage de Kévin n'exprimait rien, ce qui était loin de rassurer Peter. D'habitude, il y avait toujours quelque chose à y lire, qu'il s'agisse de cruauté ou de fureur, raison pour laquelle cette neutralité fit monter son appréhension d'un cran. Elle était trop peu naturelle pour ne pas aiguiser sa méfiance.

Quel que soit ce que Kévin avait en tête, cependant, Peter voyait mal comment le contrer, ou même anticiper son action. S'il n'avait jamais été capable de se soustraire aux vendettas de son adversaire, ce ne serait pas maintenant qu'il y parviendrait.

Le coup de sifflet de Johnson lança le combat. Peter hésita une fraction de seconde, puis songea que, de toute façon, une défaite ne suffirait pas à ramener un certain calme entre Kévin et lui. Pour la plus grande joie de Drake, il lui ordonna de passer à l'offensive avec Ouragan.

Il fut toutefois devancé par le Débugant, qui utilisa Bluff. Surpris, le jeune dragon recula jusqu'à percuter les jambes de Peter. Kévin, tout en laissant échapper un ricanement, invita son pokémon à poursuivre avec Charge.

- Ligotage !

Au moment où le type combat heurta Drake, celui-ci enroula sa queue autour de sa cheville et l'enveloppa progressivement de son corps, son étreinte se contractant un peu plus à chaque seconde. Le Débugant poussa un gémissement de douleur, avant de réussir à dégager son poing et à marteler les écailles solides du Minidraco.

- Junior, reviens par ici, ordonna Kévin quand son partenaire se fut libéré.

L'intéressé obéit aussitôt, pendant que Peter fronçait les sourcils. Qu'est-ce que c'était que cette stratégie ? Depuis quand un dresseur rappelait-il son pokémon vers lui en plein match ? Kévin avait forcément une idée en tête, mais laquelle ? L'Ébèlien ne tarda pas à avoir la réponse, à son grand dam.

Ce fut cette fois-ci un véritable hurlement qui franchit la bouche du Débugant quand Kévin saisit son bras entre ses mains pour le tordre violemment. Le cri s'accompagna d'un craquement sinistre, produit par un os. Peter, horrifié, plaqua une paume sur sa bouche, pendant que Drake fondait sur l'autre élève.

Il en oublia totalement que Junior était son adversaire, car il n'aimait pas voir un pokémon souffrir aussi cruellement et injustement. Prêt à s'en prendre à Kévin, il fut toutefois interrompu non par Peter, trop choqué pour réagir, mais par un sifflement strident, émis par M. Johnson.

- Que se passe-t-il ici ? interrogea ce dernier en se précipitant vers eux.

- C'est lui, monsieur ! accusa aussitôt Kévin en pointant sa victime de prédilection du doigt. Lui et sa sale bête, ils ont blessé Junior.

L'intéressé était prostré aux pieds de son maître. Ses yeux troubles ne fixaient rien d'autre que son membre brisé, qu'il serait contre lui de sa patte valide. Drake l'observa avec un mélange de fureur et de compassion. De fureur, parce qu'il ne fit rien pour rétablir la vérité, et de compassion parce qu'il sentait que quelque chose s'était cassé en lui, de bien plus grave qu'un os.

- Peter, explique-toi ! intima Johnson.

- Je n'ai rien fait, monsieur. C'est...

- Il a utilisé Ligotage, coupa Kévin. Son dragon a enroulé sa queue autour du bras de Junior et a tiré jusqu'à l'entendre hurler.

- C'est faux ! protesta Peter. Je ne... Je...

Il était tellement perturbé qu'il ne trouvait plus ses mots. S'il avait l'habitude de souffrir à cause de Kévin, voir son ennemi juré faire étalage de sa violence et de son sadisme sur un pokémon, de surcroît le sien, était à ses yeux le comble de l'immondice.

- Peter, rappelle Drake dans sa pokéball et va t'asseoir dans un coin, ordonna le professeur. Les autres, le cours est terminé, rendez-vous immédiatement en salle d'étude. Quant à toi, Kévin, tu vas me suivre. Nous allons conduire Junior à l'infirmerie.

D'ordinaire parfaitement docile, Peter fut incapable d'exécuter l'instruction qui venait de lui être donnée. Les autres élèves le foudroyèrent du regard en passant près de lui, pendant que Johnson s'éloignait en tenant Kévin par l'épaule d'une main paternaliste. Resté seul, l'Ébèlien se laissa tomber au centre de la salle, pendant que Drake posait sa tête sur ses genoux, d'une façon qui se voulait réconfortante.

***

- Pauvre Junior, gémit Kévin, assis à côté de la table d'auscultation où l'infirmière, après avoir réduit la fracture, était occupée à bander le bras du Débugant blessé. Est-ce qu'il va s'en remettre ?

- Avec du temps et du repos, affirma la jeune femme.

Elle s'appelait Johanna et était une parente éloignée des Joëlle qui avaient la charge des Centre Pokémon. Ses cheveux n'étaient pas roux, mais blond vénitien, assortis à ses sourcils épais. Elle avait un visage doux, prévenant, éclairé par deux yeux émeraude qui débordaient de bienveillance.


- Ça va aller, Kévin ? demanda M. Johnson. Je peux te laisser ici ? J'ai... pas mal de choses à voir avec le principal, alors...

- Oui, c'est bon, monsieur, même si ça n'ira vraiment totalement que lorsque Peter aura payé pour ce que son pokémon a infligé au mien.

Le professeur observa son élève avec une expression indéchiffrable, puis tourna les talons. L'infirmerie était située dans le bâtiment où le personnel était chargé de prendre soin des pokémon des élèves en dehors des heures où ils étaient autorisés à les avoir avec eux. L'endroit jouxtait la partie administrative de l'école.

Johnson toqua un coup sec contre la porte de M. Fontaret et fut aussitôt invité à entrer. L'homme, installé derrière son bureau, leva les yeux vers son enseignant, tout en désignant d'un geste de la main la chaise qui lui faisait face.

- Un problème ? s'enquit-il avec gravité.

- Et pas des moindres. Un... incident est survenu pendant le cours de dressage. Un pokémon a eu le bras cassé, et d'après son jeune dresseur, cette blessure aurait été causée délibérément.

- Aurait été ?

- Je n'ai pas assisté à la scène, révéla Johnson, et ce que j'en ai entendu me laisse dubitatif. Les élèves n'ignorent pas qu'une telle action mène généralement à un renvoi définitif et si des accidents arrivent parfois, dans un excès de zèle ou d'impulsivité, ça ne conduit jamais à un membre brisé.

- Qui sont les concernés ?

- Peter Lance et Kévin Trudeau.

- Peter Lance ? répéta Fontaret avec un froncement de sourcils. Voilà un moment que je n'avais plus entendu parler de lui, et heureusement, parce que j'ai fort à faire avec sa cousine Sandra. C'était madame Elmire, je crois, qui se plaignait le plus souvent de son attitude.

- Je pense qu'il se passe des choses étranges autour de ce garçon. Il est brillant, mais il a obtenu des résultats calamiteux en cours pendant plusieurs semaines, avant de se mettre à remporter brusquement tous ses matchs.

- Autrement dit ?

- J'ai l'impression qu’il a fait exprès d'être mauvais, mais j'ignore pourquoi. En tout cas, Peter n'est pas le genre de garçon que j'imagine faire volontairement du mal à quelqu'un, encore moins à un pokémon.

- Il a un Minidraco, c'est ça ? fit Fontaret en consultant le dossier de l'intéressé. Les dragons sont parfois impulsifs et colériques, il a peut-être échappé à son contrôle.

- Peut-être, mais j'en doute. Drake est très bien dressé et il avait le potentiel pour gagner ce combat. Il n'avait aucune raison de faire montre d'une telle violence, d'autant que personne n'a jamais eu à se plaindre de lui jusqu'à présent.

- Qu'est-ce que vous essayez de me dire, Bill ? Si ce n'est ni Peter ni son pokémon qui sont responsables, alors quelle explication avez-vous à me fournir ?

- Je...

En réalité, Johnson n'en savait rien. Il était quasiment convaincu que le petit Lance n'avait pas agi ainsi, mais dans ce cas, cela signifierait que le coupable ne pouvait être que Kévin, or quel enfant irait casser le bras de son propre pokémon ? Pour accuser Peter, de surcroît ?

- Il va falloir réunir une commission d'urgence pour statuer sur le sort de ce garçon, indiqua Fontaret. Où est-il, en ce moment ?

- Je lui ai demandé d'attendre mon retour dans la salle de dressage.

- Allez le chercher et dites-lui que je veux le voir dans mon bureau. Je vais commencer par l'interroger, après quoi je m'occuperai de Kévin Trudeau. En fonction de ce qu'ils révèleront et de l'avis des autres professeurs, je prendrai une décision définitive. Les Lance ne sont cependant pas en odeur de sainteté, dans cette école, et j'ai peur que ça ne joue pas en sa faveur.

Johnson se contenta d'acquiescer, à défaut d'avoir des preuves à avancer pour étayer ses arguments, puis quitta le bureau. Quand il avait voulu interroger Peter, avant de mener Kévin et Junior à l'infirmerie, celui-ci était si troublé qu'il ne parvenait pas à s'exprimer. Il espérait que l'enfant se montrerait un peu plus loquace, à présent que son avenir au sein de l'établissement était menacé.

***

Sandra profita de ce que le surveillant avait les yeux rivés sur la fenêtre pour lancer l'avion en papier qu'elle venait de plier. Il plana pendant quelques secondes à travers la pièce, pour atterrir sur le bureau d'un autre élève, qui se tourna aussitôt vers elle. C'était l'un de ceux qui étaient arrivés un peu plus tôt, sans aucune explication, et qui avaient pris place sur les tables libres.

Elle était presque certaine qu'il s'agissait des deuxièmes années qui étaient dans la classe de Peter, mais comme son cousin ne se trouvait pas parmi eux, elle avait quelques doutes. Qui plus est, elle ne s'intéressait pas assez à ses condisciples pour les reconnaître à coup sûr.

D'un geste, elle fit signe au garçon, un jeune métis aux cheveux coupés très courts, de lui renvoyer son avion. Il s'exécuta et elle le remercia en levant un pouce, mais il avait projeté la feuille pliée avec un peu trop de force. Elle échoua au milieu de l'allée, deux mètres trop loin.

S'assurant que le surveillant était encore trop perdu dans ses pensées pour la remarquer, Sandra repoussa silencieusement sa chaise et se leva sur la pointe des pieds. Alors qu'elle était en train de se pencher pour ramasser son avion, une conversation, entretenue à voix basse par deux jeunes filles, parvint à ses oreilles.

- À ton avis, il va être exclu définitivement ?

- J'en suis sûre. De toute façon, ça ne me fait ni chaud ni froid, je ne l'ai jamais aimé.

- Moi non plus. Avec tout ce que Kévin a dit sur lui, il faudrait être fou pour avoir envie d'être son amie. N'empêche, je n'aurais jamais pensé Peter capable d'aller jusqu'à blesser son pokémon.

- Quoi ?

L'exclamation de Sandra brisa le silence monotone qui régnait dans la salle et les deux filles se tournèrent aussitôt vers elle. Dans son dos, la voix du surveillant s'éleva, lui ordonnant de retourner à sa place avant de recevoir une punition, mais elle l'ignora.

- Peter a fait quoi ? insista-t-elle.

- Il a ordonné à son pokémon de casser le bras du Débugant de Kévin. Eh, mais... Tu ne serais pas sa cousine, Sandra ? La petite peste dont tout le monde parle ?

- Où est Peter ?

- Monsieur Johnson lui a dit de rester dans la salle d'entraînement jusqu'à...

Sandra ne se donna pas la peine d'en écouter davantage. Elle tourna les talons et s'éloigna en direction de la porte qui menait hors de l'étude. Le surveillant tenta de s'interposer, mais elle feinta pour l'esquiver et, une fois dehors, se mit à courir. Quels ennuis son idiot de cousin s'était-il encore attiré ?

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