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Chapitre 10 : Épilogue: La pire des souffrances.

Chapitre final

1388 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 19:46

Épilogue : La pire des souffrances.

« Monotonie » fut le dernier mot prononcé. Le rédacteur en chef du London Times reposa les huit feuilles de papier empilées les unes sur les autres sur son bureau et releva le regard vers les huit personnes présentes dans la salle. Trois étaient assises sur les chaises prévues à cet effet ; les cinq autres étaient debout, soient devant le bureau, soit contre le mur.

Il marqua un silence, puis joignit les deux mains et reprit la parole.

« Voilà. Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai fait tant d’efforts pour vous réunir tous ici. Et que je me suis même donné tant de peine pour obtenir une dérogation spéciale pour ceux qui sont en prison. »

À nouveau, le silence s’installa. Quelques minutes, puis la jeune fille aux cheveux roux assise sur l’une des chaises, probablement la plus jeune du groupe, prit la parole.

« C’est tout de même impressionnant. C’est une énorme coïncidence.

-Je dois avouer que je n’ai jamais rien vu de tel, approuva la jeune fille aux cheveux courts et violets assise devant elle. »

Le rédacteur en chef se balança sur sa chaise.

« Moi non plus, figurez-vous. Au début, j’ai cru que vous vous étiez mis d’accord pour nous faire une mauvaise blague.

-Nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant ! » S’exclama le jeune homme brun coiffé d’une casquette bleue. Il avait été l’un des deux qui avaient obtenu une autorisation spéciale pour sortir de la prison pour une journée, grâce à l’influence de cet homme assis en face d’eux.

« Ne vous inquiétez pas, je vous crois, répondit ce dernier. J’en suis d’autant plus surpris que ce soit le cas. »

La troisième personne assise, une jeune fille connue pour être une célèbre cantatrice d’opéra, se leva.

« Ainsi, huit personnes qui ne se sont jamais croisées, qui souffrent chacune de son côté, ont décidé, de publier un petit texte sur leurs douleurs dans la rubrique d’écriture du même journal, à la même date. Pis encore, les textes finissent tous les huit par la même phrase, et ont une structure rapprochée ? 

-C’est ça. De toute ma carrière, je n’ai jamais rien vu de tel. »

Le journaliste qui les avait rassemblés reprit les papiers sur lesquels les huit textes étaient écrits. Il savait que chaque lettre, chaque ponctuation, chaque espace, même, représentait la douleur de son auteur. Il savait que les personnes présentes devant lui souffraient. Oui, plus que pour cette magnifique coïncidence, il les avait ramenés pour autre chose…

« Je dois vous dire qu’il est impossible de publier les huit textes le même jour, la page consacrée à cet effet n’étant pas suffisante. Je peux bien entendu en publier un chaque jour, mais j’ai pensé que je devrais vous en parler d’abord. »

Un autre moment de silence, puis un homme d’âge adulte, celui qui avait écrit le dernier texte sur la monotonie de sa vie sans objectif, avança vers le journaliste et reprit sa feuille qui était en haut de la pile.

« Ne publiez pas le mien, dit-il en regardant à nouveau ce qu’il avait écrit. Je pense que la monotonie n’est rien face à la perte d’un être cher, ou encore face à lamaladie et à la douleur physique. »

Les deux jeunes filles concernées par ces deux souffrances s’approchèrent à leur tour et prirent chacune son document.

« Il a raison. J’ai toujours cru que j’étais la seule à souffrir, mais j’ai eu tort.

-Je n’ai écrit cela que pour me plaindre ; c’était vraiment lâche de ma part. »

Les cinq personnes restantes, la fille aux cheveux violets courts, le jeune homme coiffé d’une casquette bleue, le vieil homme aux cheveux et à la barbe gris, la jeune femme aux longs cheveux violets qui portait un très beau pendentif autour du cou, et l’autre homme sorti de prison qui s’était tenu en retraite durant toute la discussion, s’approchèrent à leur tour et prirent leurs textes. 

Puis, s’échangeant un dernier regard, les huit personnes décidèrent qu’elles n’avaient plus rien à faire ici. Ils remercièrent ou dirent simplement adieu à celui qui les avait appelés, et sortirent de la pièce.

Le rédacteur en chef du London Times s’effondra sur sa chaise peu confortable, et les regarda sortir l’un après l’autre. Il avait un large sourire sur le visage. Lorsque la porte se ferma finalement, son sourire ne fit que s’élargir davantage, et il lâcha un soupir se soulagement.

Lorsqu’il a vu les huit textes arrivés en même temps, il a vraiment été surpris par une telle coïncidence. Mais ce qui l’a le plus frappé, c’était l’état dans lequel sombraient ces personnes désespérées.

Alors il a décidé que pour une fois, il allait faire une bonne action.

En les réunissant, il avait espéré montrer à chacun d’eux que la situation qu’il vivait n’était pas la pire qui puisse être, qu’il y avait d’autres gens qui souffraient. Si un tel acte pouvait apaiser leurs souffrances ne serait-ce qu’un petit peu, alors il était prêt à leur faire.

Car, après tout, ce sont huit vies entières qui étaient menacées.

Avait-il réussi ? Il ne le savait pas. Peut-être restait-il parmi eux quelques-uns qui continuaient à croire que la chose dont ils souffraient était plus douloureuse que celle des autres. Mais une chose était sûre, cependant.

Ils étaient tous les huit convaincus que leur souffrance n’était pas la pire qui puisse être. Tout simplement car, avant de sortir, ils s’étaient mis d’accord sur la nature du pire sentiment qui pourrait hanter la vie de quelqu’un. Ils n’avaient rien dit, mais le journaliste l’avait remarqué dans leurs regards.

Adieu, regret, solitude, trahison, échec, douleur, conflit familial, monotonie, c’étaient tous des états affreux, mais il y avait une souffrance bien plus affreuse. C’était, en réalité, la seule chose qu’ils avaient en commun. Mais ils avaient le pouvoir de la supprimer.

Le rédacteur en chef continua de sourire en regardant le tiroir encore ouvert duquel il avait sorti les huit textes. Oui, il avait commis une bonne action.

« Après tout, se dit-il en tendant la main pour fermer ce tiroir, y a-t-il pire dans la vie que le pessimisme ? »

 

 

 

 

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