L'hirondelle de Chine

Chapitre 2 : La consécration d'un futur.

Chapitre final

4198 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/12/2023 15:06

Affronte, survis, protège…



Chacun de ces mots résonna en elle comme un gong sur lequel on frappe pour lancer un appel.

Trois mots, trois notes, trois hirondelles... qui s'envolèrent brusquement, pour rejoindre à tire-d’aile la voûte bleutée où les attendaient leurs congénères. Shunrei les suivit des yeux, le cœur battant et des larmes plein les joues. Elle se sentait déchirée entre plénitude et bouleversement.


Apaisée par les trilles des oiseaux et la sérénité du ciel azur, elle respira profondément. Elle relut plusieurs fois et avec grande attention cette lettre avant de remiser l’inestimable parchemin dans son coffret qu'elle garda sur ses genoux. Elle y posa un instant ses mains, comme pour lui transmettre sa gratitude d'avoir protégé l’incroyable courrier des affres du temps.


La jeune femme alla vérifier que son amie et son enfant se reposaient bien et rangea le précieux coffret à sa place. Elle connaissait déjà les mots qu'il contenait pas cœur. Elle n'avait aucune idée du temps qu’elle avait passé à lire le lègue de son ancêtre, mais Xiaoling et Shoryu étaient encore endormis. La fièvre avait disparu chez la Saintia et le bébé agitait ses membres potelés sous l'effet d’un rêve.


Affronte, survis, protège…


Elle ignorait ce qu'elle devrait affronter, comment elle serait amenée à survivre, mais elle savait qui elle protégerait... Elle se demandait toujours ce qui avait bien pu mettre la Saintia dans cet état, ce qui lui était arrivé, d’où elle venait et où elle avait passé ces derniers mois, mais Xiaoling avait clairement voulu trouver refuge aux Cinq Pics. Il était du devoir de Shunrei de veiller sur elle bec et ongle, comme elle le ferait pour Shoryu. Oui, viendrait le temps où elle devrait assurer la protection que Shiryu ne pourrait pas assurer. Elle en était certaine… Mais serait-elle prête ?


Elle ressortit pour regarder à nouveau le ciel et le vol des hirondelles.


Dans les heures qui suivirent, la vie de Shunrei fut rythmée par la convalescence de son amie et ses tâches habituelles. Elle était dans son élément, ayant toujours aimé se rendre utile aux autres. Quelle plus belle façon de se sentir indispensable que de veiller sur des vies incapables de prendre soin d’elles-mêmes ? Elle préférait de loin ce type de soutien à tous les combats possibles. Heureusement, de sa vie, elle n’avait jamais eu besoin de se servir des arts martiaux qu’elle avait appris. Ces compétences médicales lui avaient été bien plus nécessaires. Et elle excellait en médecine traditionnelle chinoise.


Grâce à cela, Xiaoling retrouva rapidement assez de force pour raconter à Shunrei ce qui lui était arrivé.


Avec quatre de ses consœurs Saintias, Erda de Cassiopée, Mii du Dauphin, Shôko du Petit Cheval et Katya de la Couronne Boréale, Xiaoling avait dû combattre la déesse Éris qui avait attaqué Athéna et la Terre. Les Saintias, soutenues par Artémis, avaient décroché la victoire. Pour récompenser sa petite sœur Athéna et les valeureuses guerrières, la déesse de la Lune avait plongé Xiaoling et ses amies dans une profonde stase lunaire, censée leur redonner les forces et la vitalité qu’elles avaient presque intégralement perdues au combat. En contrepartie, la stase devait durer jusqu'à ce que les épreuves d’Athéna sur cette Terre soient terminées. C'était une condition qu’Artémis avait imposée à Athéna, et cette dernière avait approuvé. Le pacte avait été scellé. Xiaoling ne l’avait pas entendu de cette oreille et elle avait réussi à s'échapper, une fois qu’elle eût recouvré suffisamment d’énergie.


Callisto, aussi scrupuleuse que formaliste, et bras droit d’Artémis, ne l’avait pas supporté. Attachée à faire respecter le contrat divin, elle avait envoyé ses Satellites, la troupe de combattantes de la Lune, à la poursuite de la Saintia récalcitrante de la Petite Ourse. Xiaoling en avait combattu certaines et avait réussi à en semer d'autres. Elle s'était épuisée dans cette course poursuite et c'était dans cet état de fatigue avancé que Shunrei l’avait trouvée.


- Je ne veux pas y retourner, conclut la Saintia. Ma place est auprès d’Athéna, au Sanctuaire.


Elle tenta alors de se lever du lit, mais n’y parvint pas.


- Je dois partir ! Je te mets en danger en restant ici, argua néanmoins la Saintia avec insistance.


Shunrei baissa les yeux et se leva pour aller s'accouder à la fenêtre.


- Ici, à Lushan, on ne laisse pas des amis blessés s'en aller sans soin. Je manquerais à tous mes devoirs et à tous les enseignements de mon maître si je faisais ça. Quand tu seras totalement remise, tu pourras faire comme bon te semble, mon amie.


- Je dois pouvoir patienter jusque-là, capitula Xiaoling sans trop de difficulté et avec une grande considération pour l’engagement de Shunrei. Mais quand je serai totalement remise, je rejoindrai Athéna. Entre temps, si mes poursuivantes me retrouvent, je te protégerai.


Sa verve laissa la Saintia rouge et essoufflée… ou bien était-ce la fièvre qui revenait ? Shunrei la regarda, amusée. Son amie sembla soudainement presque penaude de sa propre déclaration.


- C’est que tu es seule ici... Enfin presque, ajouta Xiaoling en se tournant vers le berceau dans lequel le bébé dormait paisiblement. Où est Shiryu ?


- Reparti combattre aux côtés Athéna.


L'amertume dans la voix de son amie était évidente ; Xiaoling resta alors muette, afin de lui laisser la place dont elle avait besoin pour s'exprimer.


- Je pensais que c'était fini tout ça... J’avais espéré, sans trop y croire, qu’il n’aurait plus à partir, mais il est chevalier avant tout. Et cette fois, je ne perçois même plus son cosmos. C'est étrange. Je n’ai jamais réussi à me l’expliquer. Avant, quand il partait, même très loin, je continuais quand même à sentir sa présence. Mais plus aujourd'hui...


La voix de Shunrei s'érailla soudain :


- Shoryu est là mais... parfois... je me sens si seule...


Xiaoling se leva et alla prendre son amie dans ses bras :


- Cesse de t’inquiéter, Shunrei. Tu te rappelles ce que je t'ai dit un jour ?


Shunrei retint ses larmes et sourit, tristement mais elle sourit :


- La première fois que tu es venue aux Cinq Pics ?


La Saintia s'écarta de Shunrei, puis la prit par les épaules pour l'inciter à la regarder dans les yeux :


- Exactement. Que t’ai-je dit avant de te quitter ? T’en souviens-tu ?


- Bien sûr que je m'en souviens... Tes mots ne m'ont jamais abandonnée.


Les paroles exactes étaient restées gravées dans sa mémoire et son âme :


« Dans le cœur des Saints, il y a une étoile du matin qui brille, qui les rend plus forts. Grâce à elle, ils surpassent tout. Au milieu des combats, ils deviennent plus puissants pour prendre soin de cette étoile et ils sont capables de produire n'importe quel miracle pour la protéger. C'est pourquoi, Shunrei, fais confiance à Shiryu et prends soin de lui

Comme cela, tu peux le protéger ! »


- Tu es son étoile du matin, insista Xiaoling. Il le sait et tu le sais. Ce n'est pas pour rien qu'il est devenu un Chevalier aussi exceptionnel. Et je ne dis pas ça pour te rassurer. J'en suis intimement convaincue. Pour rester en vie et te revoir, il accomplira un miracle s'il le faut.


Le cœur de Shunrei se réchauffa un peu. Oui, elle pouvait avoir confiance en lui. Après tout, Shiryu lui avait promis de revenir en vie !


À cet instant, trois petites hirondelles voltigèrent tout près d'elles et lancèrent leurs trilles à leur intention. Shunrei retrouva immédiatement le sourire.


- Elles ne sont pas farouches, ces hirondelles, s'étonna la Saintia.


- Oui, ce printemps, elles semblent omniprésentes !


À cet instant, Shoryu s'éveilla de sa sieste. Xiaoling le regarda bailler et s’étirer, puis elle se tourna vers sa guérisseuse.


- Je suis contente de te découvrir maman, Shunrei. Ce rôle te va si bien... en plus Shiryu a trouvé là une deuxième étoile à protéger.


Shunrei rougit :


- Je l'ai trouvé abandonné près d'un sentier il y a quelques semaines.


- Mon dieu ! Qui peut faire une chose pareille ?


- Je ne sais pas. Je n'ai aucun indice quant à son identité. Mais mon instinct me dit que sa place est ici, avec nous. Shiryu et moi savons combien il est dur de grandir sans famille. Il sera donc la nôtre et nous la sienne.

- Je comprends.


Une fois le petit changé et rassasié, les deux femmes sortirent de la maisonnette, Xiaoling en appui sur le bras dévoué que lui offrait Shunrei. À peine la convalescente installée sur le fauteuil de l'entrée, le petit tendit des bras impatients vers elle. Il n'en fallut pas plus à la Saintia pour le prendre sur ses genoux. Dès qu'il fut en contact avec le tissu de sa robe blanche, il la caressa d'un air intrigué.


- Ma robe te plaît ?


Le rire enthousiaste qui lui répondit confirma que c'était le cas.


- C'est une robe lunaire. Elle est imprégnée des bienfaits de la Lune. Elle a des propriétés réparatrices et renforçantes.


Shoryu éclata de rire et lui tira les cheveux. En représailles, Xiaoling le fit rebondir sur ses genoux pour la plus grande joie du petit garçon.


Soudain, Shunrei se redressa et guetta les alentours.


- Quelque chose ne va pas ? s'enquit la Saintia, sans quitter le bébé des yeux.


- Les oiseaux... Ils se sont tus.


- Qu'est-ce que tu rac…


Soudain, un sifflement aigu transperça l'air et une flèche se planta entre les pieds de Xiaoling. Shunrei cria, la Saintia serra Shoryu contre elle, le protégeant de ses bras.


- Enfin nous t’avons retrouvée, parjure ! cracha une voix.


Rauque et profonde, mais pas moins féminine, elle provenait d’une guerrière qui avait surgi de derrière un rocher. D’autres archères se révélèrent ensuite d'un même mouvement, bandant leur propre arc, une flèche menaçante encochée dans chacun d'eux. Toutes les pointes étaient dirigées vers Shunrei et Xiaoling.


Les protections des assaillantes rappelaient des lapins pour certaines, des reptiles pour d’autres. L'armure de celle qui avait interpellé la Saintia avait une allure serpentine inquiétante et portait encore des stigmates d’un affrontement récent. Derrière Shunrei, Xiaoling trembla.


- La Scoumoune, souffla-t-elle. La cheffe des troupes commandos des Satellites. Elle est redoutable. Je t'avais dit que je te mettais en danger en restant ici.


Shunrei déglutit. Ils étaient encerclés. La Saintia de la Petite Ourse déposa le bébé. Elle déchira le bas de sa robe et utilisa le bout de tissu pour l'entourer, autant pour le protéger lui que pour libérer ses mouvements à elle. La suivante d’Athéna vint au côté de son amie et les deux jeunes femmes formèrent un mur entre les agresseuses et le jeune enfant.


Shunrei jeta un regard à son fils et ses yeux se posèrent sur la flèche qui l’avait manqué de peu. Une flambée de colère peu coutumière l’envahit. Elle se retourna, alla retirer rageusement le projectile du sol et reporta son attention sur les Satellites, brandissant le trait devant elle. Elle les désigna une par une, pour finalement pointer La Scoumoune. Elle brisa l’arme de jet en fixant la guerrière d’Artémis.


- Repartez d’où vous venez. Vous n'êtes pas les bienvenues.


- Je suis la Scoumoune, commandante en cheffe des troupes d’assaut de la grande déesse Artémis ! Je n'ai pas besoin de ton autorisation pour aller où bon me semble, humaine. Je suis à la poursuite de Xiaoling qui doit répondre de ses actes.


- Je suis une Saintia d'Athéna, rétorqua la femme traquée. Je n'ai rien contre Artémis mais je refuse de retourner parmi vous. Je ne suis pas faite pour attendre passivement que mes forces reviennent alors que ma déesse continue de se battre !


- Ta volonté m'importe peu, Xiaoling. Nos maîtresses respectives ont fait un pacte. Et je n'hésiterai pas à employer tous les moyens à ma portée pour te forcer à t’y conformer.


La seule intonation de sa voix suffit à ce que les archères fassent un pas en avant. La cheffe des guerrières claqua des doigts et désigna les deux jeunes femmes. Aussitôt, les flèches les pointèrent.


Shunrei répliqua, les poings serrés, les joues roses, les sourcils froncés. Sa voix résonna étrangement dans la vallée bercée uniquement par le grondement lointain et immuable de la cascade :


- Mon amie a clairement exprimé sa volonté de ne pas retourner au temple de la Lune, annonça-t-elle avec détermination. Il n’y a rien pour vous ici. Quittez mon domaine, je ne vous le demanderai pas deux fois.


La Scoumoune éclata d’un rire franc.


- Ton domaine ? Cette bicoque sans valeur ! Allez, écarte-toi, humaine. Tu n’as pas ta place dans ce qui nous oppose à la Saintia. Sois humble devant nous et prends tes distances.


Le ton condescendant de la cheffe du commando piqua Shunrei au vif.


- Je suis on ne peut plus sérieuse. Quant à la valeur de mon domaine, tu n’es même pas en mesure de la saisir, toi qui n’as aucune autre ambition que d'être aux ordres de tes supérieurs. Toi et tes sbires, quittez ces terres !


- Ou sinon quoi ? railla La Scoumoune. Il n'y a plus un seul défenseur valable à Lushan. Le Vieux Maître est mort. Le chevalier du Dragon est prisonnier du passé. Et ton amie… n’est pas encore assez remise pour nous opposer une résistance digne de ce nom.


Shiryu ? Prisonnier du passé ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Elle n’eut pas le temps de pousser le raisonnement que Xiaoling passait devant elle. Elle lui sourit au passage.


- Va mettre Shoryu à l’abri, Shunrei. C’est moi qu’elles veulent.


Elle redressa ensuite fièrement la tête et défia les Satellites :


- Je ne vous accompagnerai pas ! Je suis une Saintia du Sanctuaire ! Ma place n'est pas de végéter au temple de la Lune !


- Tu n’as pas le choix, fugueuse. Callisto et Artémis réclament ton retour ! Le contrat passé avec Athéna doit être honoré ! Ma mission est de te ramener, de gré ou de force, en bon état ou amochée ! Je te laisse deviner ma préférence… Crimson Viper ! [La vipère pourpre]


La Scoumoune décocha une flèche ornée d’un serpent torsadé. Le trait fila à toute allure vers Xiaoling. Avant même que la pointe n’ait atteint Xiaoling, une étoile filante tomba du ciel et la Cloth de la Petite Ourse voulut s’interposer entre la flèche carmin et sa porteuse.


- Mon armure… s'étonna la Saintia avant de sourire de satisfaction parce que son totem intervenait pour la protéger.


- Cela ne te sauvera pas ! rugit son adversaire en tendant sa main libre vers son projectile, paume grande ouverte.


Le projectile sembla alors se déformer, contourna, aussi agile qu’un serpent, l’obstacle sacré et atteignit Xiaoling entre le cœur et l’épaule. La Saintia fut projetée en arrière par le choc et retomba aux pieds de Shunrei. Elle serra les dents pour retenir un gémissement de douleur.


Shunrei cria de surprise et serra son bébé contre son cœur. Sentant l'inquiétude et la colère de sa mère adoptive, le petit commença à pleurnicher. La Saintia, le haut de sa robe ensanglanté, voulut se relever mais vacilla sur ses jambes encore fragiles. Elle se retourna vers son amie et lui sourit tristement, comme si elle lui demandait pardon. Avant de sombrer dans l’inconscience, elle versa quelques larmes de frustration puis s’effondra. La guerrière n'était pas encore assez remise pour supporter la douleur.


- Xiaoling ! s'exclama Shunrei.


La Cloth de la Petite Ourse vint se poser à ses côtés.


La Scoumoune éclata de rire :


- Eh bien... ça n'aura pas été bien long finalement... railla-t-elle. Allez, ramassez-moi ça et rentrons.


- Je vous interdis de faire un pas de plus ! s'interposa Shunrei.


Jamais elle n'avait été si en colère. Elle déposa Shoryu, malgré ses pleurs, derrière l’armure pour le mettre à l’abri et se dressa entre les Satellites et le corps inerte de son amie. Elle était déterminée à faire tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher les troupes de Callisto d’emporter la Saintia. La Scoumoune la toisa et se détourna, dédaigneuse, allant se placer derrière ses soldates. La cheffe du commando leva un bras.


- Satellites… En joue !


Shunrei se campa sur ses jambes et écarta les bras, bien décidée à ne pas bouger d’un iota pour une raison qu'elle ignorait elle-même.


« Affronte. »


- Tirez ! ordonna La Scoumoune.


Les archères de la Lune décochèrent sans l’ombre d’une hésitation. Les flèches se fichèrent dans les bras et les jambes de Shunrei. Elle hurla et s’écroula. Une hirondelle trissa alors dans le ciel, transperçant le silence.


« Survis. »


La jeune femme surmonta la douleur, se releva, puis reprit sa posture défensive. La Scoumoune, qui avait toujours le dos tourné jusque-là, pivota lentement, intriguée. Elle réitéra son ordre. Une nouvelle volée de flèches fila vers Shunrei. Au même moment, des cris perçants d'hirondelles éclatèrent dans le ciel. Une révélation traversa l'esprit de la descendante de Mudan, comme un éclair illumine la nuit la plus sombre.


« Protège. »


- Yūyàn Sennin Enbu. [Danse des mille hirondelles enjouées] murmura-t-elle sans s'en rendre compte.


Son corps bougea alors instinctivement, ignorant la morsure douloureuse des pointes dans sa chair. Elle adopta sans le savoir des gestes séculaires issus de la conscience collective des Taonias. Ceux d’une technique qui ne nécessitait aucun cosmos. Elle stoppa ou dévia ainsi tous les traits. Les Satellites en restèrent bouches bées.


La Scoumoune reprit les devants, encocha rageusement une flèche serpentine sur la corde de son arc reptilien. Dans l’air autour des combattantes, des nuées de passereaux bifides trissaient férocement et s’évertuaient à gêner la visibilité des attaquantes. Dans son dos, Shunrei perçut des picotements étranges puis une chaleur intense. Elle ne pouvait pas le voir mais elle le sentait : le tatouage raffiné d’une élégante hirondelle était en train de se dessiner… Elle ne s'était jamais sentie aussi forte... aussi entière... Puis, la douce brûlure quitta son dos pour se matérialiser. Une Tattoo gracieuse recouvrit alors le corps de la compagne de Shiryu, la débarrassant des projectiles plantés dans sa peau et refermant ses plaies.


D’un vert sombre et profond, parsemée de reflets plus clairs et lumineux, une pointe de rouge comme touche finale, l'oiseau qui incarnait l’harmonie et le renouveau offrit sa protection à l'ultime héritière de la lignée de Mudan du Moineau et Feiyan du Hakutaku. En écho, la horde d'oiseaux vint voleter autour d'elle et forma des cercles harmonieusement bruyants.


« Affronte. Survis. Protège. »


- Tu t’es trompée, La Scoumoune, annonça Shunrei. Il reste une protectrice à Lushan. Moi.


Son cosmos s’épanouit, enfin libéré, et engloba les alentours. Les forces dichotomiques de la Nature le nourrissaient de leurs flots voluptueux et turbulents, ces flots à la fois salvateurs et destructeurs. Un peu plus loin, la cascade gronda plus intensément, le vent se chargea de ses embruns scintillants, pendant que des nuées d'oiseaux se joignaient aux hirondelles et nimbaient Shunrei d'une auréole virevoltante et ondulante.


- Satellites, avec moi !


Les Satellites brandirent de concert leurs arcs.


- Crimson Viper ! [La vipère pourpre] invoqua la guerrière et toutes lâchèrent leur corde en même temps, propulsant leurs flèches acérées.


Prise pour cible, Shunrei se concentra et rugit :


- Rozan Sen Yàn Ha ! [La colère des mille hirondelles de Lushan]


La volée de flèches fut soufflée et les guerrières d’Artémis emportées comme si elles ne pesaient pas plus que des plumes. Le silence retomba dans la vallée, la cascade retrouva immédiatement son flot régulier et le vent reprit ses douces arabesques. Les oiseaux avaient regagné les hauteurs, se contentant de tournoyer de loin . Bien que les Satellites eussent toutes été épargnées, seulement quelques-unes furent en capacité de se relever. Celles qui parvenaient à se mettre debout vacillaient, à l'instar de La Scoumoune qui cherchait déjà une nouvelle flèche dans son carquois à écailles argentées.


- Il suffit ! ordonna une voix impérieuse.


D’un geste, et quasi immédiatement, les troupes de la Lune s’agenouillèrent, se prosternant difficilement devant la silhouette qui venait d’apparaître. Callisto, son sceptre au croisant de Lune dans à la main, s’avança au sein de son commando en déroute jusqu’à Shunrei, à qui elle fit face. Après quelques instants d'observation silencieuse, elle s’inclina respectueusement et humblement. Plus loin derrière eux, on entendit un petit rire malicieux et un babillage presque inaudible.


- Nous ne savions pas qu'il restait une Taonia à Lushan. La volonté d’Artémis n’est pas de s’opposer à la Contrée Mystique, dit-elle à la jeune femme.


Callisto se tourna vers Xiaoling, toujours inconsciente :


- La Saintia a cependant rompu un contrat passé entre deux Olympiennes. Aurais-tu l’obligeance de nous la remettre afin qu’elle finisse de guérir auprès de ses amies toujours en stase lunaire ?


- Ce n’est pas le choix de Xiaoling, énonça Shunrei d’une voix douce mais ferme. Si vous voulez bien me confier les soins à lui apporter, je peux vous promettre qu’elle ne mettra pas les pieds au Sanctuaire avant le temps prévu initialement. Je suis persuadée que mon amie sera capable d’accepter cette clause, tout comme je suis convaincue que celle-ci conviendra à la déesse de la Lune.


Callisto réfléchit un instant.


- Soit. Xiaoling ne devra pas quitter les Wu Lao Feng tant que ses consœurs seront en stase au temple de la Lune, c’est-à-dire pas avant que les batailles de la présente incarnation d’Athéna ici-bas ne soient terminées.


- Cela me semble un compromis raisonnable, concéda Shunrei.


- Qu'il en soit ainsi, confirma Callisto. La Lune salue les Taonias.


Le bras droit d’Artémis, obéissant aveuglément aux désirs de sa déesse, tapa le sol de son sceptre et une lueur blafarde l’enveloppa, ainsi que toutes les Satellites. Les troupes de la Lune disparurent immédiatement.


Shunrei se retourna vers son amie et son fils, sa Tattoo réintégrant son dos. Elle s’avança vers eux, prit dans ses bras Shoryu qui, ravi, attrapa la natte de sa maman pour jouer. Elle alla le remettre dans son berceau, transporta Xiaoling dans son lit et la soigna une nouvelle fois.


Quand ce fut fait, elle prit le temps de vérifier que son amie était passée de l’inconscience au sommeil réparateur, avant de reprendre son petit garçon. Ce dernier l’enlaça de ses bras trop courts et frotta son visage contre sa joue. Elle eut un rire tendre et affectueux.


Sortant sur le perron, elle se tourna vers le crépuscule. Les hirondelles valsaient dans la lumière rouge orangé du soleil couchant, ombres chinoises virevoltantes qui passaient et repassaient dans le disque empourpré.


- Où que tu combattes, dans quelque monde ou époque que tu sois, Shiryu, tu n’as pas à t’inquiéter. Ni pour les Cinq Pics, ni pour moi, murmura-t-elle. J’ai moi aussi trouvé mon étoile du matin…


Le doux vent du soir transporta ses paroles jusque dans les moindres recoins des Wu Lao Feng et consacra l’avènement de la nouvelle protectrice de Lushan : Shunrei, la Taonia de l’Hirondelle.



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