Ô nuit, étoiles, Revenez!

L’eau de la douche était si chaude que Rey du baisser la température. C’était curieux  de se trouver complètement nue dans une cabine privée, propre, sous une cascade d’eau chaude. C’était curieux, et c’était merveilleux. Au début, elle resta simplement debout à regarder les gouttes d’eau s’écouler sur sa peau, et elle se demanda si les gens qui grandissaient avec de l’eau en abondance connaissaient leur chance. 

Elle se rappela finalement qu’elle pouvait se savonner, et ça aussi, fut une expérience. Ce savon n’avait rien à voir avec le pain abrasif suspendu au robinet, sur Jakku. Il avait l’odeur de la pluie qu’elle avait sentie dans la vision transmise par Kylo Ren, sur le vaisseau. Il avait d’autres notes parfumées, quelque chose de plus diffus, qu’elle ne parvint pas à identifier. Elle se barbouilla de savon et se frotta avec la brosse à poils doux suspendue à un crochet. Puis elle se lava les cheveux, quelque chose qu’elle ne se souvenait pas avoir déjà fait. Elle connaissait la théorie; elle savait qu’elle devait frotter son crâne avec la crème, puis rincer. Elle se retrouva à le faire trois fois, tant sa chevelure semblait une source inépuisable de crasse et de poussière. 

Lorsqu’enfin elle quitta la salle de bain, emmaillotée dans une serviette, elle comprit ce qui signifiait ‘se sentir propre’. Cette sensation ne lui avait jamais manquée, elle ne l’avait jamais recherchée, parce qu’elle ne l’avait jamais connue. Maintenant qu’elle se trouvait la peau rose, les cheveux propres et une sensation nouvelle de légèreté, elle savait qu’elle était propre. Et ça lui plaisait bien. 

Kylo Ren lui avait dit qu’elle trouverait des vêtements dans l’armoire. Elle contourna l’énorme lit et ouvrit les portes du placard, écarquillant les yeux devant le contenu. Il y avait quatre paires de leggings noirs, et deux tuniques noires à manches longues. Il y avait une élégante veste noire et plusieurs gilets à manches courtes, qui avaient l’air destinés à être portés par dessus d’autres vêtements. Il y avait aussi deux robes amples coupées dans un tissu doux, probablement conçues pour dormir dedans. Rey se demanda bien pourquoi qui que ce soit avait besoin d’autant de choix. Consacrer autant de matière première à vêtir une seule personne lui parut un gaspillage ridicule. 

Elle pouffa en découvrant un ensemble de sous-vêtements dans les tiroirs au bas de l’armoire. Elle rougit en se demandant depuis combien de temps ils étaient là, et si c’était Kylo Ren qui avait ordonné qu’on les y mette. Elle tira une paire de leggings et une tunique du placard. Elle admira un long moment la façon dont le col montant mettait en valeur la ligne de son cou, et apprécia la qualité du tissu des leggings. Rey ramassa les pinces à cheveux qu’elle avait déposées avant de partir dans la douche, et noua rapidement ses cheveux en trois chignons à l’arrière de sa tête. 

Ensuite, elle observa la pièce. Tout était silencieux, en dehors du léger ronronnement des éclairages et de la climatisation. Tout était propre, comme elle désormais, et le luxe apparent de l’endroit était ahurissant. Mais Rey ressentit un frisson de chagrin à l’idée d’être si loin de Jakku, à l’idée d’être ici. Elle était sur une base de la taille d’une planète, aux bons soins d’une organisation dont elle ne savait presque rien, et elle avait été assez inconsciente pour accepter qu’ils l’entraînent. Qu’il l’entraîne, corrigea-t-elle. Elle avait accepté d’être entraînée par Kylo Ren, et à vrai dire, elle ne savait à proprement parler rien de lui. 

Elle se laissa tomber sur le lit trop mou, et songea à l’AT-AT qui lui servait de foyer depuis des années. Elle songea aux lignes interminables de petites marques qu’elle gravait dans la paroi, attendant le retour d’une famille dont elle mettait en doute jusqu’à l’existence même. Elle songea à la sensation de la soif des jours durant, qui provoquait une faiblesse abrutissante et des pleurs sans larmes, des battements de cœur désordonnés, et la tête qui tournait. Cette sensation était devenue familière, année après année. Comme celle du ventre vide pendant des jours. Rey ne connaissait que trop bien le cycle de la faim. Ça commençait par une douleur dans le ventre, accompagnée d’épuisement et de pensées incohérentes. Ensuite, il y avait une accalmie pendant laquelle son esprit et son corps semblaient aller mieux, le temps de basculer dans le chaos.

La vision trouble, les irritations de l’épiderme, les gencives endolories et l’incapacité à rester éveillée. Une fois que Rey trouvait enfin de la nourriture, son corps était bouleversé pendant trois jours, durant lesquels elle peinait à respirer tant la douleur était lancinante. Et pendant ce temps, pendant la faim et la soif, pendant les tempêtes de sable et les nuits glaciales, pendant la solitude étouffante, les marques sur le mur continuaient de s’aligner. 

Rey ouvrit les yeux, assise sur le bord du lit, et son étrange moelleux ne lui parut pas si mal, après tout.

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Il poussa le bouton sur la porte, notifiant Rey qu’un visiteur demandait à entrer, mais il n’était pas certain qu’elle sache comment réagir. Donc après une longue attente dans le couloir, il composa simplement le code et entra. 

Tout était silencieux, et Kylo Ren se demanda, inquiet, si elle s’était blessée ou simplement endormie.

Il espérait qu’il s’agisse du second cas, et aurait difficilement pu le lui reprocher. Lui même se sentait épuisé, et était pressé de pouvoir aller se coucher, le plus tôt le mieux. Il se mit à sa recherche à travers la pièce, silencieux comme une ombre, et s’arrêta à l’entrée de la chambre. Il eut même un mouvement de recul et envisagea de faire demi-tour et de quitter la pièce. Mais ses pieds refusèrent de lui obéir, il était tout simplement fasciné. 

Elle était endormie sur le lit, roulée en boule sous la couverture duveteuse, la tête dans le creux d’un oreiller. Ren oublia de respirer. Découvrir ce qu’était devenue la petite fille aux fleurs, celle qui n’avait pour Ben Solo que des sourires et des taquineries, avait été une expérience douloureuse. Cette petite fille avait été brutalement contrainte à une vie de solitude et de misère, et cette seule idée causait à Kylo Ren une douleur presque physique. Elle avait déclaré que le lit était trop moelleux pour lui convenir, après tant d’années à dormir sur du sable, ou à même la paroi rigide d’un marcheur impérial. Elle avait voulu lui dire qu’elle n’avait même pas besoin d’un lit, qu’elle dormirait par terre. Et pourtant, elle était là, propre et paisible, les paupières closes. Kylo Ren commença à s’éloigner, bien conscient qu’il était déplacé de se tenir debout dans sa porte à la regarder dormir. 

“Oh… Hum… Vous m’aviez dit que vous reviendriez,” l’entendit-il dire la voix ensommeillée, et il se tourna à nouveau pour la voir s’asseoir lentement et s’étirer. Elle secoua la tête et rougit légèrement en balbutiant, “Je suis désolée de m’être endormie. J’ai juste voulu m’allonger un instant.” 

Elle fit mine de se lever du lit, et le cœur de Ren s’emballa à la vue de ses vêtements noirs. Il s’éclaircit la gorge et tendit la main pour l’interrompre. Elle le regarda fixement, ses yeux noisette semblant chercher sur son masque ce qu’il essayait de lui dire. 

“Rendors-toi,” Dit-il d’un ton bourru. “Demain matin, je reviendrai te chercher et nous commencerons l’entraînement. Nous ferons six heures d’exercice quotidien jusqu’à ce que tu sois prête à rencontrer le Leader Suprême, donc repose toi bien.” 

Elle approuva en silence, puis se laissa glisser de nouveau contre l’oreiller. Ren sentit sa poitrine se serrer en la voyant se blottir sous la couverture. Il sortit de la pièce d’un pas vif, et sa voix était déjà lointaine lorsqu'il lança par dessus son épaule, 

“Bonne nuit.” 

De retour dans son propre appartement, Kylo Ren fut accueilli par la sonnerie, basse et régulière, d’un comlink avec un message en attente. Il se dirigea droit vers la bibliothèque et détacha le comlink de son support sur le mur. Il pressa une série de touches, et un enregistrement de la voix grave et froide du Suprême Leader Snoke retentit.

“C'est avec grande satisfaction que j’ai été informé de votre retour sur la Base, accompagné de la fille. Je dois reconnaître, Kylo Ren, que vous faites un excellent travail… À mon âge, il est rassurant de savoir qu'un apprenti aussi puissant et dévoué ne cesse de s’améliorer. Une fois la fille prête à rejoindre nos rangs, amenez la moi. Et d’ici là, n’oubliez pas de dormir un peu.” 

Kylo Ren retira son casque. Depuis des années, la considération de Snoke était son unique source de joie, ou du moins, de satisfaction. Quand il n’était qu’un adolescent maigre et boutonneux confronté quotidiennement aux enseignements de Luke Skywalker, c’était le murmure constant de Snoke dans sa tête qui lui avait donné la force de continuer. Aujourd'hui même, bien que son esprit soit perturbé par Rey, les félicitations de Snoke provoquaient au fond de lui une fierté indicible. D'expérience, il savait qu’il y avait peu de choses pires que de déplaire au Leader Suprême, mais il y en avait encore moins de plus valorisantes que de lui plaire. 

Allongé sur son lit, les yeux fixant le plafond uniformément gris, il se demanda si Rey était ou non en train de rêver. Et si c'était le cas, rêvait-elle de Jakku? De la nourriture qu'elle avait découverte dans le réfrigérateur? Il ferma les yeux et essaya de penser à autre chose. Il remonta mentalement une frise chronologique, se remémorant les moments clés de l’histoire de Sith. Il récita l’histoire de Darth Bane et de la création de la Règle des Deux. Il remonta jusqu’à Darth Vader, son grand-père, celui qui avait été conçu par la Force elle-même. Et il repensa à la première fois qu’il s'était servi purement du côté obscur de la Force - la fois où il avait concentré un éclair de Force et avait foudroyé un garçon qui le malmenait. 

Toutes ces pensées s’entremêlant dans son esprit, Ren finit par s’endormir, se sentant pour la première fois de sa vie, étrangement seul dans son lit.

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“Bonjour.” 

Rey mordit dans un fruit Ghibli en observant Kylo Ren s’avancer vers le coin cuisine. Elle mâcha longuement la chair juteuse, savourant le parfum sucré. Elle laissa même échapper un léger gémissement d’aise, mais se tut en voyant le casque de Kylo Ren s’incliner légèrement sur le côté. Elle étouffa un petit rire et jeta les épluchures dans le vide-ordures. Elle fit un geste en direction du clapet et dit à Kylo Ren, 

"Ça me paraît aberrant de jeter ainsi les épluchures. Il doit bien y avoir un moyen de les consommer une fois le fruit terminé, hmm?” 

Il la dévisagea en silence un long moment, derrière son masque inexpressif. Finalement, il dit doucement, “ton désir d’efficacité et d’économie est admirable. Ça te sera utile lorsque tu travailleras ton potentiel dans la Force.” 

Rey eut un large sourire, et s’adossa au plan de travail, “Est-ce que vous venez de me faire un compliment?” 

Il resta silencieux et impassible, mais elle vit son souffle s'accélérer sous son épaisse tunique. Il se retourna et aboya, 

“Viens. Il est important que nous commencions tôt, chaque matin.” 

Rey le suivit à petites foulées dans le couloir, levant parfois la tête et envisageant sérieusement de lui demander de ralentir. On aurait dit qu’il marchait aussi vite que possible, en faisant des foulées aussi longues que ses immenses jambes le permettaient, juste pour l’obliger à courir derrière lui.

Ils prirent un turbolift pour descendre de quelques niveaux, et cette fois Rey ne fut pas aussi impressionnée que lors de son arrivée sur Starkiller. Elle le suivi à travers un dédale de couloirs aux murs inclinés, de passages étroits et obscurs qui s’entrecroisaient en un motif imprévisible. 

“Je serais incapable de revenir à ma chambre, d’ici,” admit elle au bout d’un moment, et elle aurait pu jurer l’avoir entendu rire sous son masque. En arrivant devant une porte, il répondit, 

“Tu t’y habitueras.” 

Rey haussa les épaules et lui fit un demi-sourire. “Il ne vous reste plus que douze jours pour me convaincre de rester.” 

Il ne lui répondit pas, tapa un code sur le boîtier à côté de la porte, et elle s’ouvrit avec un chuintement.  Kylo Ren entra à l'intérieur, et une fois que Rey fut entrée aussi, il entra un autre code sur un boîtier situé dans la pièce. La porte se referma avec un violent claquement métallique, et Rey s'inquiéta, 

“Vous nous avez enfermés à l'intérieur?” 

“Non. C’est à tous les autres que l’accès est interdit.” L’informa-t-il. Rey s'apprêtait à lui demander en quoi c'était nécessaire, quand elle le vit abaisser sa capuche et appuyer ses doigts sur les côtés de son casque. Alors qu’il le retirait, Rey réalisa que probablement personne, sur cette base, n’avait vu le visage de Kylo Ren. Elle ne le connaissait que depuis quelques jours, et pourtant elle avait eu le privilège de voir sa peau, des yeux jusqu’aux lèvres, et d’entendre sa voix sans le filtre du masque. Pourquoi elle? 

Il déposa son masque sur le bandeau lumineux qui faisait le tour de la pièce. Rey s'intéressa finalement à la salle autour d’elle et remarqua deux armes en duracier rouge posées contre un des murs noirs. Il y avait aussi quatre ou cinq grands panneaux de verre qui avaient l’air fragiles, et un imbroglio indescriptible de caisses, pièces d’ordinateurs, et d’objets divers qui semblaient être des outils  et matériaux de construction. 

“Tout compte fait, Hux s’est plutôt bien débrouillé,” L’entendit-elle murmurer derrière elle. Elle se demanda qui était “Hux”, mais ne dit rien, supposant que si elle avait besoin de cette information, il la lui donnerait. Elle le regarda se déplacer rapidement à travers la pièce. Il se saisit des deux lames de duracier au mur par leur garde métallique. Il lui dit un geste du menton pour avoir son attention, puis lui en lança un. Elle sursauta, mais le saisit au vol. Elle observa la garde, lisse et brillante, dans sa main, et sentit sous un pouce un petit bouton. Immédiatement, la lame rouge de duracier se mit à briller et Rey sentit une légère vibration dans la paume de sa main. Le souffle court, elle fit quelques mouvements avec l’arme, la sentant tressauter et trembler. 

“C’est un sabre-laser d’entraînement à faible tension”, lui expliqua Kylo Ren. “Il pèse le même poids et est équilibré de la même manière qu’un vrai, mais le contact avec la peau provoquera des bleus et de simples brûlures, au lieu de… Enfin mieux vaut ne pas débuter avec un vrai.” 

C’est alors qu’il lui disait cela que Rey remarqua qu’il avait déposé son propre sabre à la garde en croix à côté de son casque. Il marcha vers elle, son sabre d’entraînement allumé à la main, et elle lui fit un geste entendu du menton.

“Voyons simplement ce que ça donne. Je vais tester tes compétences, et on avancera à partir de là.” 

Les yeux de Rey glissèrent de Kylo au sabre, puis de nouveau à Kylo. Voir ce que ça donne? Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle était sensée faire. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait là, enfermée dans une pièce verrouillée avec un inconnu, un sabre laser d’entraînement à la main. Mais une petite voix au fond de sa tête lui chuchota qu’elle n’avait qu’à se laisser porter, alors elle agit sans réfléchir. Elle leva son sabre et l’abattit sur l’épaule de Kylo Ren, mais il para son attaque avec une telle fermeté qu’elle du reculer pour ne pas perdre l’équilibre. Il ne fit rien d’autre, se tenant debout immobile, son arme allumée à la main, bien qu’il ait largement eu le temps de l’attaquer en retour. Elle serra les dents et se jeta en avant, portant un coup d’estoc vers son ventre. Il parut ne faire aucun effort pour balayer son sabre d’un grand moulinet sur le côté, envoyant les bras de Rey dessiner un demi-cercle par-dessus sa tête. Elle gronda et abattit de nouveau son sabre, visant la jonction de son cou et de son épaule. Il frappa sa lame de la sienne, et le choc fut tel que Rey sentit l’arme lui échapper. Le sabre qu’elle avait en main fendit l’air, retomba au sol avec fracas, et s’éteignit lors de l’impact. Rey le vit tomber, et poussa un cri indigné, 

“C’est très différent de mon bâton. Je me débrouille plutôt bien avec mon bâton, figurez-vous.” 

“Je le sais. Je t’ai vue t’en servir.” Il marcha jusqu’au sabre et le ramassa, et le tendit à Rey. Alors qu’elle s’en saisissait, les doigts gantés de Kylo Ren glissèrent le long des siens. Rey eut un frisson et se figea, se sentant ridicule d’être plantée ainsi les yeux écarquillés. Elle se consola en lisant le trouble dans les yeux noirs de Kylo Ren, et pensa qu’au moins, elle n’était pas la seule à réagir à ce contact. Puis elle se souvint qu’il lui avait caressé la joue, la veille, qu’il avait posé la paume de sa main sur son visage, et elle se sentir plus troublée que jamais. 

“Ferme les yeux et pare mes coups”, dit-il, et Rey resta muette un instant. Finalement, elle pouffa, 

“De quoi? Vous voulez que… Je quoi?” 

“Tu dois pouvoir sentir mes attaques, les ressentir avant qu’elles n’arrivent. Tu dois pouvoir distinguer mon arme dans l’obscurité, et la frapper avec ta propre lame. Ferme les yeux.” 

La bouche de Rey se pinça, à l’entendre une fois encore lui demander ce genre de chose, fermer les yeux et lui faire totalement confiance, bien qu’il ne soit qu’un inconnu. Mais le grain de folie dans l’esprit de Rey l’encouragea à le faire, aussi leva-t-elle son sabre d’entraînement et ferma les yeux. 

“Si vous me brûlez le visage, ça va mal aller,” lui dit-elle, et il répondit doucement,

“Je ne vais pas te brûler le visage.” 

Rey crut que son esprit volait en éclat, lorsqu’elle sentit, sans se l’expliquer, qu’il avait levé son arme. Instinctivement, elle porta un coup en haut à droite et sentit leurs deux lames de duracier s’entrechoquer. Il dégagea sa lame, et elle sut qu’il attaquait à gauche, vers sa taille. Elle serra la garde de son sabre des deux mains, para le coup, puis fit un vif moulinet vers le haut pour frapper l’emplacement où elle devinait son épaule. Elle l’entendit pousser un grognement bestial et ouvrit les paupières lorsqu'il s'éloigna vivement d'elle. Il couvrit son épaule de sa main droite, et laissa échapper un gémissement avant de prendre une profonde inspiration à travers sa mâchoire serrée. 

“Je suis désolée!” S’exclama Rey, et elle agita la tête d’un air malheureux, lorsqu’elle croisa son regard noir. Il eut un sourire difficile, la bouche grimaçant de douleur, puis sembla reprendre du poil de la bête et fit rouler son épaule en arrière. 

“Juste une brûlure superficielle,” dit-il. “Ce n’est rien.” 

Rey vit l’accroc dans la tunique, sur son épaule, et dit sur la défensive, “Je n’ai pas fait exprès.” 

“Tu n’as pas fini de me faire des brûlures, et je suis sûre que je t’en ferai aussi, au cours de nos entraînements. Ce n’est rien, vraiment.” Dit-il à nouveau. Puis il eut un petit mouvement du menton et dit avec douceur, “Bien joué… Tu as su anticiper les mouvements de mon sabre. On va réessayer sans les armes, voir si on peut se concentrer sur cette notion.” 

Rey resta perplexe un instant, mais déposa son sabre de duracier à côté du sien contre le mur, et revint au milieu de la pièce. Une fois de nouveau face à face, Kylo Ren expliqua d’un ton professoral, “Le combat à mains nues, un art dans lequel je sais que tu excelles. Mais ce que tu viens d’accomplir - ressentir les attaques avant qu'elles n’arrivent, voir des choses dans l’obscurité -, ça demande l'usage de la Force. Montre-moi encore. Ferme les yeux.” 

Rey était déterminée à en découdre, en abaissant les paupières. En effet. Elle était une combattante accomplie, après toutes ces années à affronter des aspirants-voleurs, ou pire. Elle était assez impatiente de montrer à Kylo Ren ce qu’elle savait faire. Elle ferma les yeux aussi fort qu’elle le pouvait, et lança sa jambe droite vers sa taille. Mais elle le sentit saisir sa cheville et son genou et les faire pivoter, si bien qu’elle eut le souffle coupé en basculant lourdement sur le sol. Elle grogna en se relevant et grommela, 

“J'espère que je ne suis pas la seule à me battre les yeux fermés!” 

“Je peux te voir même les yeux fermés,” répondit-il, et cela ne fit qu’amplifier la détermination de Rey. Elle fut soudain consciente du poing qu'il avait lancé dans sa direction, et se baissa instinctivement en esquivant vers sa gauche. Elle sentit le léger courant d'air au-dessus de son visage lorsque le coup la manqua. Elle concentra ses pensées sur un coup de poing, mais au dernier moment frappa un coup de pied, qui le heurta dans la cuisse. Elle l’entendit rire et murmurer, 

“Petite futée. Ça me plaît.” 

Avant que Rey n’ait le temps de répondre, il poussa des deux mains sur ses épaules et elle fut projetée à travers la pièce pour retomber au sol avec un bruit sourd. Elle voulut se relever, mais une force immuable et irrésistible l’avait clouée au sol. Rey voulut ouvrir les yeux, lever des bras et ses jambes du plancher, mais elle était totalement paralysée. 

“Lève toi,” dit-il simplement, et Rey sentit la fureur la submerger. Lâchez moi, espèce de brute! Cria-t-elle dans sa tête, et elle l’entendit rire à nouveau, tandis que ses côtes retrouvaient subitement leur mobilité. Rey ouvrit les yeux et se redressa, et lui jeta un regard furieux en votant qu’il avait lui aussi les yeux ouverts. 

“C'est de la triche,” s’indigna-t-elle, le souffle court des suites de leur combat. Il pencha légèrement la tête sur le côté, et eut une expression boudeuse des plus agaçantes pour répondre,

“Tous les coups sont permis, il n’y a pas de triche. Allez… Attaque à nouveau.” 

Rey sentit alors une décharge d'énergie entre eux, et se sentit plus combative que jamais. Son regard se fit dur, et prenant son élan, elle bondit vers lui et accrocha ses deux bras autour de sa taille. Verrouillant les poings contre son dos, emportée par son élan, elle bascula son corps sur le côté et l’entraîna dans sa chute. 

L’attaque prit Ren au dépourvu, et l’expression de surprise sur son visage lorsqu’il tomba lourdement au sol fut assez drôle. Rey pivota, de manière à se trouver avec un genou de chaque côté du corps de son adversaire, et leva le poing, prête à le frapper au visage. Il saisit son poing en l’air et le serra si fort que Rey gémit de douleur, puis croisa son regard. Il avait la bouche entr’ouverte, les yeux écarquillés de surprise, les paupières battantes. Ses doigts se refermèrent sur le poing de Rey jusqu’à ce qu’elle grimace et retire sa main. Il la relâcha et ses yeux glissèrent sur son corps, de haut en bas ; Rey comprit qu’elle devait profiter de ce moment d'inattention. De sa main gauche, elle appuya de tout son poids sur son épaule, et resserra les jambes autour de ses hanches pour se stabiliser, puis elle frappa. Il n’essaya même pas d'empêcher le poing de Rey de lui cogner la mâchoire, ni de retenir les mouvements de sa tête sous les coups. Il ne la regarda pas, alors même que son visage commençait à porter des marques. Au lieu de ça, il ferma les yeux et Rey sentit son corps se raidir sous le sien. 

“Lâche moi,” chuchota-t-il, et Rey ne comprit pas tout de suite. Elle hésita avant de protester, 

“C’est vous… Qui m’avez dit de vous attaquer. J’étais juste -” 

“Rey. S’il te plaît. Descend.” Le son suppliant, enroué de sa voix, alarma Rey. Avait-elle tout gâché? La liberté qu’elle avait goûtée après avoir quitté Jakku, la sensation délicieuse de crainte mêlée de fascination dont elle faisait l’expérience depuis son arrivée sur la base, l’idée d'avoir des pouvoirs dont elle ignorait tout jusqu'alors… Avait-elle tout gâché? Parce qu'elle l’avait frappé au visage? 

Rey aurait pu en pleurer de frustration, bien qu’elle sache combien ça aurait été immature. Elle fit un mouvement pour s'écarter de Kylo Ren, mais se figea en sentant quelque chose de dur entre ses jambes. Le contact de son corps avec cette chose raide l'électrifia des pieds à la tête, et le bas de son ventre devint tout chaud. Lorsque sa cuisse frotta la bosse, elle se sentit devenir humide entre les jambes, et s’agenouilla à côté de lui, estomaquée. Elle le vit tressaillir, fuyant son regard, et il devint rouge écarlate. Il avait le souffle court, la bouche entrouverte, les poings serrés le long de son corps, mais il les remonta sur ses hanches. Il cachait la bosse raide, ou du moins essayait de la cacher, et soudain Rey comprit. 

Il avait envie d'elle. 

Elle avait déjà assisté, de manière involontaire et non-sollicitée, au spectacle de ferrailleurs sans gêne, allongés sur le dos pendant qu’une femme se trémoussait et rebondissait sur eux. Rey savait que c'était une des positions pour faire… Enfin pour faire ça. Elle fut soudain humiliée, prenant conscience de la façon dont son corps avait réagi au contact de son érection. Avait-elle envie de lui? Elle n’en était pas sure. Il était séduisant; ça ne lui avait pas échappé. Elle avait aimé la caresse de sa main sur sa joue, la veille au soir, et ça ne lui avait pas déplu de le voir debout devant la porte lorsqu'elle s'était réveillée. 

Mais il n’en était pas moins un inconnu, et Rey savait combien il serait idiot, et déplacé, de continuer dans cette voie avec lui. Alors elle se leva maladroitement, les jambes tremblantes, et balbutia un flot d’excuses inaudibles, comme quoi elle serait plus attentive à ses directives la prochaine fois.

Il finit par se lever aussi, et sans un mot se dirigea vers l’endroit où les grands panneaux de verre étaient alignés sur le mur. 

Le malaise et la gêne de Rey se dissipèrent un peu en le voyant tendre une main gantée vers un panneau de verre. Puis il renouvela ce qu'il avait déjà fait sur Jakku avec les coussins, mais à une toute autre échelle. Cette fois, Rey eut conscience de l'énergie qui s’écoulait de lui et vers lui, et observa avec fascination l'énorme plaque vitrée se soulever du sol. Kylo Ren avança vers le centre de la pièce, et la plaque le suivit, comme tirée par un fil invisible. 

“Prend la moi” Ordonna-t-il à Rey, et elle fit de son mieux pour ne pas montrer que ça lui paraissait impossible. Elle était habituée à ses ordres improbables, et que les tâches qu’il lui demanderait d’accomplir lui paraitraient irréalisables. Elle redressa donc les épaules et tendit la main, imitant ses mouvements et son expression concentrée. Prend la moi, avait-il dit. Alors Rey en fit un jeu. Elle prétendit que le verre n’était qu’une petite boite dans sa main, et qu’il était simplement en train de la lui donner. Elle fit comme si elle acceptait la petite boite, et dans sa tête, referma ses doigts sur elle. 

Subitement, elle réalisa que le panneau de verre n’était pas en train de léviter parce qu’il le retenait. Il était en train de léviter parce que elle, le tenait. Elle pouvait sentir sa volonté émaner d’elle, faisant flotter le verre. Du coin de l’œil, elle vit que Kylo avait abaissé sa main, et qu’il souriait discrètement. Rey sourit elle aussi, sentant la légère pulsation au creux de sa paume. Mais c’était trop beau pour durer. En un instant d'inattention, elle perdit la connexion entre son corps et le panneau vitré. Il se brisa sol comme si la ficelle à laquelle il était suspendu venait de rompre. Le bruit du verre brisé frappa Rey au cœur. Devant les millions de minuscules échardes de verre, elle abaissa la main dans un geste résigné. 

“Je n’ai pas pu le retenir”, soupira-t-elle devant l’ampleur des dégâts, mais Kylo souffla doucement à côté d’elle,

“Tu l’as retenu assez longtemps. Ce n’est pas un échec”. 

Elle le vit alors faire un geste de la main, et avec un bourdonnement dans la force, les morceaux de verre se soulevèrent du sol. Ils s’élevèrent un moment tel un nuage acéré, et Rey interrogea Kylo Ren du regard, fascinée. Elle vit sa bouche se pincer, ses yeux sombres briller de détermination. Elle parvint à s’arracher de sa contemplation, au moment où les minuscules morceaux de verre se soudaient à nouveau entre eux. Le panneau vitré se répara progressivement, et lorsque plus un seul éclat de verre ne bougea, Kylo ren tenait de nouveau sous son pouvoir une plaque de verre, intacte. Il poussa la main vers l’avant, et la vitre flotta en direction du mur, où elle reprit sa place initiale. 

“Là, c’est juste de la frime”, Protesta Rey, les mains sur les hanches et les sourcils hauts. Il se tourna dans sa direction, mais ne sourit pas à cette pique. Il s’avança rapidement vers elle, et soudain, Rey eut peur. Son regard était froid, sa mâchoire serrée. Instinctivement, Rey retira les mains de ses hanches et serra les poings, en position de défense. Il lui donnait l’impression qu’il allait de nouveau se battre contre elle, qu’il allait la frapper, et elle se prépara à riposter. Mais au lieu de cela, il s’empara de ses poignets et les serra forts, baissant les yeux sur elle, sans mot dire. 

Rey cligna des paupières. En fait, ça ne la dérangeait pas, qu’il tienne ses poignets dans ses mains, et ça ne la dérangeait pas qu’il soit soudain si près. A vrai dire, ça lui plaisait plutôt, ou à son corps, tout du moins. Elle étudia la ligne de sa bouche, le léger frémissement de sa lèvre inférieure lorsqu’il respirait. Elle observa les bleus sur sa mâchoire, qui marquaient l’endroit où elle l’avait frappé. Elle sentit les mains gantées relâcher leur poigne, puis la serrer de nouveau, et ses yeux se fermèrent. Elle avait un peu chaud, et sa tête tournait. Il y avait un léger sifflement dans ses oreilles, et son cœur battait la chamade. 

“Regarde-moi, Rey” dit-il, et elle se força à ouvrir les yeux. Il serrait toujours ses poignets, et dans son regard, elle lisait encore la dualité, et le doute, qu’elle avait vus dans son esprit, sur le vaisseau. Il se mordit la lèvre, et Rey comprit qu’il luttait contre une impulsion irrésistible. Il cligna des yeux, plusieurs fois, et relâcha ses poignets, qui lui firent mal d’avoir été trop étroitement serrés. Rey les frictionna machinalement, et l’écouta murmurer, 

“Je dois avoir la totale certitude que tu es concentrée sur cette mission - sur ton entraînement. Le Leader Suprême serait très contrarié s’il découvrait ta distraction.” 

Rey eut envie de rire, mais se retint en le voyant rougir de colère. Elle baissa la tête avec humilité, et dit, “Je ne sais rien de vous, et je ne sais rien de la Force. Je suis aussi concentrée que peut l’être quelqu’un dans ma situation. Je suis désolée d’avoir cassé la vitre. Je suis désolée d’avoir brûlé votre épaule. Je vais faire de mon mieux, mais ne vous attendez pas à –” 

Elle s’interrompit, car une main tremblante venait de caresser sa mâchoire, et l’expression contrariée de Kylo Ren venait de se transformer en douleur physique. Il respirait vite, par saccades, par les narines, et Rey songea qu’il était de nouveau en train de lutter contre une certaine raideur dans son pantalon. Elle entrouvrit la bouche alors que les mots mourraient sur ses lèvres. Elle s’était amusée de cette façon qu’il avait eu de projeter sa propre distraction sur elle, et elle s’en était méfiée, mais elle avait maintenant une envie dévorante de quelque chose qu’elle n’avait jamais désiré avant. 

Elle repensa à la façon dont la bosse dans son pantalon avait frotté contre ses jambes quand ils se battaient, et elle eut un frisson. Elle prêta attention au toucher de son gant sur sa joue, et son estomac fit une pirouette alors qu’elle devenait humide à un endroit embarrassant. A cet instant, Rey se moquait bien d’à peine connaître cet homme. Elle se moquait bien de ne pas savoir d’où il venait, ou quel genre de littérature il préférait. Elle se moquait de tout, sauf de son regard brûlant et du contact délicieux de sa main sur sa peau. Il allait l’embrasser. Elle le sentait. 

Elle avança un peu, et en réponse, il poussa un gémissement malheureux. Il descendit les mains de son visage vers ses épaules, et y resta un instant, avant de glisser jusqu’à la taille de Rey. Enfin, pensa-t-elle, voyant l’expression désespérée de son regard, et consciente d’avoir le même. Il allait l’embrasser, et elle n’attendait que ça. Le démon irresponsable dans un recoin de la tête de Rey hurla à Ren de le faire, de l’embrasser, et de mettre fin à cette torture. 

“Il faut que je te montre la base,” dit-il dans un chuchotement mal assuré, et Rey resta ahurie un instant. Elle fronça les sourcils lorsqu’il retira les mains de sa taille. Il ferma les yeux, comme pour reprendre une contenance, et il dit, “Il y a… Il y a un tas de choses qu’il te faut apprendre qui… n’ont rien à voir avec les sabres, les vitres, ou le combat. Allons-y.” 

Mais il ne bougea pas. Rey recula d’un pas, mortifiée d’avoir été ainsi rejetée. Elle acquiesça fermement et répondit, “Évidemment. Il y a beaucoup de choses à voir, avec un millier de hangars. Commençons tout de suite.” 

Elle attendit près de la porte qu’il remette son casque de ses mains tremblantes, et glisse son sabre en forme de croix dans sa ceinture. Il resta silencieux en entrant le code qui déverrouillait la porte, et Rey lui emboîta le pas, muette, dans le couloir. 

De sa vie, jamais elle n’avait connue une telle incertitude, ni une telle frustration, et elle faillit lui demander de la ramener sur le champ sur Jakku. Mais il avait encore onze jours et demi pour la convaincre de rester. S’il espérait y parvenir, pensa-t-elle, il allait devoir changer de stratégie.