La somme de toutes les peurs

Chapitre 1 : La somme de toutes les peurs

Chapitre final

7008 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/01/2021 18:00

Cette fanfiction participe au Défi d'écriture d'octobre-novembre 2020 : Le jardin maléfique

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LA SOMME DE TOUTES LES PEURS

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Il ne faisait pas si moche, pour un début octobre.

Malgré le fond de l'air qui fraîchissait, il pouvait encore rester en t-shirt à manches sous un petit blouson jean et, la marche aidant, il parvenait à se réchauffer. Le collège où il allait n'était pas la porte à côté. Il était donc obligé de traverser une partie de la ville et surtout éviter les remarques équivoques sur ce que fabriquait un joli petit gars dans ces quartiers louches. Heureusement qu'il pouvait courir vite avec ses jambes qui prenaient un centimètre par mois…

Machinalement, il jeta un coup d'œil sur le bas de son jean : le porter taille basse ne ferait plus illusion très longtemps. Ses baskets fatiguées récupérées dans une friperie non plus… Il soupira.

Le truc, c'était que pour rentrer plus vite à la pension où ils avaient réussi, par miracle, à trouver une chambre pour deux, il fallait couper par le vieux parc. Sinon ça faisait un détour qui rallongeait. Et un détour qui rallongeait, ça voulait dire moins de temps pour les devoirs, ou pas de télé avant de se coucher. Non merci.

En plus, il savait bien qu'il fallait se tenir à carreaux avec la logeuse. La vieille bique n'avait pas trop apprécié de voir deux garçons débarquer. Surtout Dean qui allait avoir dix-sept ans. Elle était stricte. « Pas de filles ici ! » avait-elle prévenu en faisant les gros yeux. L'aîné avait poussé son cadet devant lui et Sam avait fait sa bouille de grand bébé perdu pour bredouiller : « Des filles ? » Il tenait bien le coup de la lèvre tremblante indignée. Dean avait dégainé son sourire charmeur (celui qu'il prenait justement avec les filles…) et très clairement sous-entendu « Quoi ? Devant mon petit-frère ?! » Enfin bref, ils avaient une chambrette à lits jumeaux pour quelques semaines, plus ou moins. Leur père n'était jamais très loquace quant à la durée de ses absences.

Les dernières maisons étaient dans son dos depuis dix minutes et le parc s'étendait devant lui. Ce n'était pas super compliqué de crocheter la serrure de la grille. Le plus casse-pied, c'est qu'elle était rouillée alors ça faisait du boucan. Quand il s'en était plaint, Dean lui avait posé sur la table une bouteille de dégrippant où il restait un fond de produit… Bosser à la quincaillerie avait ses avantages et sa logique : son frère était bon en outils. Il aurait même pu faire mécano plus tard.

Le long de la route menant au parc et qui le longeait d'un côté, il y avait un arrêt de bus isolé où quelqu'un était assis. Même s'il n'était pas là depuis longtemps, Sam savait que les horaires étaient limités à un aller le matin et un retour l'après-midi, point barre.

En fait, ce n'était pas « quelqu'un » c'était une fille. (Et oui, il savait ce que c'était, merci). Elle n'était pas dans sa classe mais il l'avait vue aux récrés.

Pas de couettes avec des élastiques brillants à chatons, pas de jupettes avec chaussettes blanches ni de petit cartable propre sentant le neuf… Non. Elle avait un jean aussi, un blouson aussi, des cheveux pas attachés qui pendaient sur les côtés (euh… aussi…) et son sac à dos avait des bouts déchirés, cachés avec des badges de hard rock. Et là encore, il connaissait la technique comme personne... Un garçon manqué, ça lui allait. Il aurait été encore plus nerveux avec un modèle traditionnel parce qu'il savait qu'il bafouillait quand il était nerveux, et du coup ça lui collait la honte. Et quand c'était le cas, il rougissait par-dessus : l'enfer ! Dean ne rougissait jamais, lui.

Il s'approcha et elle le bombarda d'un œil suspicieux, façon « Hey, d'où qu'on se connait ? Pourquoi tu crois que tu peux venir me parler ? »

— Euh, salut… commença-t-il. Je crois que… il n'y a pas de bus à cette heure-là.

Elle haussa les épaules et son expression muta pour afficher « Oh merde, c'est un crétin ».

— Je sais. Je vis dans ce trou depuis mes sept ans…

Sam pratiquait bien la communication non verbale. A son tour, il pencha la tête de côté pour rétorquer sans un mot un « Bah alors, pourquoi t'es là ? » suivi de très près d'un clignement de paupières : « Mais c'est vrai que c'est pas mes oignons ». Et miraculeusement, elle comprit. Grognon, elle soupira en poursuivant de mauvaise grâce :

— Faudrait que je passe par là, sinon je serai pas à l'heure. Mais cet endroit me file les chocottes. Alors j'attends un peu ici et je pense à des trucs qui me foutent bien en rogne. Après, j'ai la niaque et j'y vais.

Sam esquissa un sourire. Il appréciait l'aveu sans fard. Avec celle-là, il avait peut-être une chance d'entamer une vraie conversation. Dieu sait que ça n'arrivait pas souvent. Il déglutit.

— Moi, je passe par là tout le temps, dit-il en frottant la semelle de sa basket dans l'herbe jaunie par l'été. Si tu veux… on peut traverser ensemble. J'ai pas peur.

A sa tête impatientée, énervée, boudeuse, il comprit que ce n'était sans doute pas la chose à dire.

— Gnanagna, fais pas ton petit caïd à la manque. Tout le monde a peur du VPF. Même des adultes. Même le shérif, il en mène pas large et il y va pas tout seul...

Il sourit encore un petit peu, caché derrière sa mèche qui lui tombait au ras des yeux. Et puis un truc bizarre se passa. Ce n'était pas ce qu'il avait l'intention de dire mais c'était ce qui était sorti comme ça :

— Je sais pas ce que c'est le VPF, mais je crois que je suis plutôt doué pour te mettre en pétard. Tu dis merci quand tu veux.

Cette fois, ce fut elle qui sourit en daignant le considérer de face pendant dix secondes.

— Ok, t'as gagné petit malin.

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Sam s'agenouilla devant la grille en fer et sortit une épingle de sa poche. Non, ce n'était pas pour attacher ses cheveux « longs » qui lui valaient des moqueries, c'était pour crocheter. La fille n'avait pas l'air convaincue et le regarda faire sans comprendre.

Puis les yeux plissés, elle se focalisa sur les branches compactes des cyprès touffus encadrant la grille et qui captaient toute son attention.

— Tu sais qu'on gagnerait du temps à sauter par-dessus ? En plus, la grille grince à mort. Et puis ces machins-là, c'est des nids à araignées. C'est connu. Regarde, il y a des grosses toiles tellement épaisses qu'elles arrêteraient une balle dum-dum.

Elle pointait la haie du pouce. Impressionné qu'elle s'y connaisse en armes, Sam leva le cadenas comme le ferait un magicien et fouilla son sac. Il en sortit la bombonne donnée par Dean pour pshitter un coup sur les gonds. Il savait qu'ils n'en avaient pas besoin mais pour une obscure raison, il sentait qu'il avait un peu envie de l'impressionner.

Et pour une autre obscure raison parano, il se mit à penser que si la grille couinait comme un vieux crincrin enroué, c'était peut-être pour prévenir les squatteurs que quelqu'un arrivait.

Parce que Sam n'était pas né de la dernière pluie. Ou alors c'était une vieille pluie parce qu'il venait d'avoir treize ans. Et il était aussi assez vieux et assez au courant que rien n'était plus pratique qu'une bonne légende locale, pour empêcher les gens de fouiner dans des magouilles que d'autres gens préféraient garder secrètes. Son père lui avait dit ça. C'est pour ça qu'il était vigilant : pour éviter de se faire tirer dessus par un vétéran barjot ou un conspirationniste paranoïaque.

Il lui tint galamment la grille en s'effaçant pour la laisser passer et elle leva les yeux au ciel.

Aussitôt passé de l'autre côté, il referma le cadenas d'un coup sec. Et elle le regarda encore comme s'il était débile avec de grands yeux fixes du genre : « Alors toi tu bloques notre seule issue de secours si jamais il y avait un pépin ? ». Et il lui répondait pareil en essuyant les mains sur son t-shirt façon John Wayne. « Mais tu ne crains rien... » en rajoutant après, encore plus sous-entendu « … parce que tu es avec moi ». Et là aussi elle a eu l'air de comprendre parce qu'elle a encore plus levé les yeux au ciel.

Il hésitait à se trouver vraiment nul parce que ce n'était pas son genre d'agir comme ça, ou à s'extasier parce que cette fille était un vrai trésor. Absolument aucun risque qu'il se mette à bafouiller s'il n'ouvrait pas la bouche ! Elle pigeait tout au quart de tour. Bonus surprise : il découvrait qu'il se sentait un peu plus audacieux quand il n'avait pas à prononcer le moindre mot. Elle le ramena brutalement à la réalité.

— Oh putain mais c'est dégueu ! J'ai marché dans un truc mou et glissant… Ah ça pue ! Tu vas voir que c'est une bouse !

Il fit la moue en se tenant le menton sans un poil de barbe, en tâchant d'imiter Fox Mulder dans X-Files.*

— Hmm, non. Techniquement, la bouse est de la merde de vache. Et il n'y en a pas dans le coin…

Il se pencha en ramassant une brindille par terre et touilla un peu l'endroit où elle avait mis le pied, avant de la sentir avec précaution. Elle avait raison, sauf que ça puait la charogne. Un tronçon d'opossum mort ? Pas question que cette bestiole ruine ce petit moment.

— … par contre, on dirait bien une merde de… wendigo. Ou de stryge. Je ne peux pas être formel sans faire des analyses plus poussées en laboratoire, continua-t-il d'un ton tranquille.

— T'es con, dit-elle avec un sourire mi-figue, mi-raisin mais pas l'air de lui en vouloir vraiment.

Elle s'essuya la semelle dans l'herbe et puis donna un coup de menton vers le gazon.

— Tu fais comme tu veux, moi je vais traverser bien au milieu. Voire, courir bien au milieu. Si tu veux mourir jeune d'une attaque, je te conseille de passer par le chemin qui longe du côté de la fête foraine. Tu vas en pisser dans ton froc mais c'est toi que ça regarde.

Elle n'avait pas l'air de blaguer mais elle faisait peut-être ça pour le charrier. Dean le charriait tout le temps. Et lui faisait prendre des grosses crottes de chevreuil pour des phalanges desséchées de pied de sasquash. Parfois, il se demandait si ça faisait partie de son entraînement pour apprendre à rester cool.

Comme elle l'avait dit, elle se lança sur l'étendue herbeuse en marchant vite, tête basse et le cou rentré, les doigts crispés sur la sangle de son sac à dos.

Resté immobile, il observa le parc. Honnêtement, ce n'était pas affreux. L'herbe était tondue, les gros arbres semblaient vigoureux et en forme, pleins de feuilles vertes. Bon, ok, le plan d'eau avait de la mousse d'algue qui flottait. Et aux abords, on voyait plus de mauvaises herbes que de fleurs dans les parterres. Les bancs avaient la peinture qui s'écaillait mais il avait vu pire. Le plus dégradé, c'était le petit bâtiment des toilettes cadenassées par de grosses chaînes. Volets et portes fermés semblaient avoir été attaquées à la hache tellement ils étaient entaillés profondément, et bien entendu les vitres étaient cassées…

Sam se dit que les gangs étaient vraiment une plaie, même dans les petites villes où ils ne respectaient rien. La mairie avait dû en avoir assez et fermé les lieux.

A petites foulées, il se dépêcha de rattraper… la fille. Il n'avait même pas demandé son nom.

— J'ai oublié de te demander… c'est quoi VPF ?

— Vieux Parc Flippant. Grouille.

— Et c'est quoi ton nom ?

— Jenny Padalecki. Mais t'as pas intérêt à m'appeler Jenny.

— Okay, Mlle Padalecki. T'es polonaise ou un truc dans le genre ?

Elle s'arrêta et le regarda encore de travers, un poing sur la hanche. C'était sûr qu'il était l'homme de la situation pour maintenir son niveau de niaque.

— Je crois que tu piges pas. Tais-toi et arrête de lambiner, tu vas nous faire zigouiller à parler tout fort !

— Par quoi ? Les écureuils sont menaçants ? Bon ok, ok, je la ferme, déclara-t-il avec un peu d'amertume avant de se remettre à marcher en la plantant là.

Ils continuèrent à avancer d'un bon pas en silence et Sam ne desserra plus les dents. Cela faisait cinq jours qu'il traversait ce parc à l'aller et au retour, et il n'y avait jamais rien vu de suspect, à part qu'il était désert – et c'était normal, vu qu'il était fermé. Il n'était pas là pour s'y promener.

La zone était bordée d'un haut grillage sur un côté. Derrière, on apercevait des attractions de fête foraine. Ce ne devait plus être la saison, ou alors le lieu avait fermé faute de repreneur. A force de faire le tour de tous les Etats, il finissait par apprendre des trucs… Là où il trouvait que c'était quand même abuser, c'était que le grillage était soi-disant électrifié. A dix contre un, c'était plutôt un coup des Parents Paranos. Ils s'imaginaient – et ça pouvait être vrai – que leurs gosses ne trouveraient rien de mieux que d'essayer de remettre en marche des manèges tout déglingués, qu'ils se blesseraient et qu'il n'y aurait eu personne à qui extorquer des dommages et intérêts... Alors le maire, qui ne voulait jamais d'ennuis (aucun maire n'en voulait en fait), et bien il faisait poser une clôture, interdisait le parc, et il avait la paix… Dean lui expliquait toujours plein de choses comme ça.

— Tu fais la gueule maintenant ? demanda mademoiselle « T'as pas intérêt à m'appeler Jenny ».

— Ouais, confirma-t-il.

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Il était en train de penser que tout se passait très bien, exactement comme tous les autres jours depuis le début de sa rentrée scolaire, quand il entendit deux craquements derrière eux. Gros et consécutifs. D'abord simplement curieux, il sentit l'adrénaline commencer à monter plutôt rapidement rien qu'en voyant la tête de la fille. Il ne voyait rien de spécial, ni derrière eux, ni devant sur l'étendue de la pelouse. Le bruit venait des côtés, sous le couvert des gros arbres aux troncs droits. Pas moyen de savoir si ça s'était produit à gauche ou à droite. Et la mauvaise nouvelle, c'était qu'il avait la chair de poule parce qu'il se sentait épié.

— Et là t'as toujours pas les foies ? chuchota Miss P, provocatrice.

— Si, un peu. Mais mon père dit toujours que la peur n'évite pas le danger… Continue à avancer, on devrait être à dix minutes de la sortie…

— Ah tiens c'est marrant. Le mien il dit que la peur, c'est ce qui nous empêche de mourir jeune…

Sam aurait bien souri en coin mais cette fois, il entendait distinctement des pas qui faisaient craquer les brindilles à couvert, là où on ne distinguait rien. Quelque chose fourrageait dans les arbustes. Un sanglier ? Ce n'était pas forcément bon car c'était le genre de bête qui fonçait dans le tas si elle se sentait menacée…

— Écoute, on va faire un truc. Tu vois la zone où il y a des fleurs là ? On va s'en rapprocher le plus possible et courir tout le long.

— Pourquoi ? On ne va pas faire un détour ! La sortie n'est plus loin et si on glisse on finit à la flotte…

— La pelouse n'est pas mal, concéda Sam, mais j'ai vu des monticules et ça veut dire qu'il y a des trous de taupe. La dernière chose dont tu as envie, c'est d'avoir une foulure ou la cheville pétée en mettant le pied dedans pendant qu'un truc non identifié te poursuit…

Elle ne rétorqua rien et Sam la poussa devant lui en scrutant toujours les alentours. Ils marchaient très vite tous les deux, constamment un œil par-dessus l'épaule pour vérifier qu'on ne les suivait pas. Parce qu'il était occupé à ça, le jeune garçon ne fit pas attention et buta sur Jenny qui cria en tendant le bras pour montrer quelque chose derrière lui. Sam se retourna pour voir de quoi il s'agissait et resta immobile les yeux fixes, brusquement pâle comme un linge. Ce n'était pas un sanglier. C'était plus grand et plus… bariolé.

Cette fois Sam en était convaincu, la fille avait raison, ils n'auraient jamais dû mettre les pieds dans ce parc public. A moins de trois mètres d'eux, le couteau rougi levé selon un angle bizarre, se trouvait… un clown.

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Sam Winchester était coulrophobe.

A partir de ce moment, tous les sages conseils qu'il avait pu donner à Jenny s'évanouirent d'un seul coup alors qu'il sentait un froid glacial envahir ses bras et ses jambes. Il claquait des dents. Le voyant dans cet état Jenny le poussa aussitôt pour faire très exactement le contraire de ce qu'elle lui avait déconseillé plus tôt : vouloir s'écarter pour passer par un chemin latéral, présumé sans trou de taupe.

L'un et l'autre coururent comme des dératés en longeant le grillage, persuadés que le clown les suivait car il y avait des craquements derrière eux. Ils freinèrent sec pourtant, un peu pris entre deux feux : Il y avait une masse en travers juste devant eux. Un bonhomme à plat ventre. Jenny se mit la main sur la bouche pour ne pas crier parce qu'il avait l'air mort.

Le clown était arrêté. Il les regardait avec une grimace démente. Il allait venir, il ne faisait que jouer avec eux. C'était un taré.

Haletant, le garçon porta la main à sa chaussette et en sortit un petit couteau dont la lame dérisoire n'était pas plus haute que sa main.

« Ce n'est pas très impressionnant, mais tu peux quand même faire des dégâts avec » avait assuré Dean en le lui offrant. « Et puis tu te sentiras plus rassuré d'en avoir un au cas où ».

En tremblant, il brandit son couteau devant le malade mental déguisé en clown, façon « Tu vois, j'en ai un aussi ». A côté de lui, Jenny qui se tenait toujours la bouche en tout en bouchant le nez, avait repoussé du bout de sa basket le corps qui gisait par terre. Elle poussa un nouveau cri étouffé en tirant sur le blouson de Sam.

— Je le reconnais, c'est Joe Down. Sa figure est barbouillée de maquillage et il a du sang étalé sur sa chemise devant.

— Egorgé, souffla le garçon d'une voix blanche. Ok, écoute-moi bien Jenny, tu vas te mettre à courir jusqu'à l'autre sortie, pendant que le taré ne bouge pas. Tu cours jusqu'à ce que t'aies plus de poumons et tu ramènes des secours. Moi je vais me débrouiller en attendant.

— Mais t'es malade ! Il a déjà eu le vieux Joe et on sera les suivants. De la merde ! On se sépare pas !

Sam était tenté. Le décès n'avait pas l'air de remonter à plus d'une journée. Mis à part ce visage barbouillé de blanc et un avant-bras en moins, le cadavre avait l'air en bon état. Que faisait là ce pauvre vieux que « T'as pas intérêt à m'appeler Jenny » semblait connaître ? Il devait donc bien être au courant pour cet endroit, si c'était un habitant ?

D'autorité, elle lui empoigna la main et ils se mirent à fuir à toute allure en faisant très exactement ce que Sam avait dit qu'ils ne devaient pas faire : foncer à toute berzingue en coupant par le gazon.

Le cœur en déroute cognant comme un dingue et les poumons en feu, ils galopèrent jusqu'à être enfin en vue de la seconde grille verrouillée. Dans un éclair de lucidité, Sam réalisa qu'il n'aurait jamais le temps de la crocheter...

Il respirait par saccades, à la limite du vertige en raison de la suroxygénation. Pas bon. Vision trouble. Le clown se rapprochait. Gémissement. Ah merde, c'était le sien, les boules. Tant pis. Jenny lui arrachait à moitié le bas…. Non mais non ! Il allait tomber dans les pommes ! Que dirait Dean, et papa surtout ? P'têt rien, si le psychopathe les trucidait dans les dix minutes…

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Jenny bascula sans transition la tête la première et Sam, déséquilibré, fut embarqué dans le même mouvement. Elle avait mis le pied sur une bâche recouverte de résidus de tonte et de feuilles qui recouvrait… du vide. Ils chutèrent lourdement au fond dans un trou carré excavé sur deux mètres de profondeur.

Ce qui était bien, c'était que ses glapissements horrifiés étaient incompatibles avec toute forme d'évanouissement... Les notes aiguës vrillaient les tympans du jeune garçon en accroissant sa propre tension. Déboussolé, choqué, il se traîna à genoux pour essayer de la rejoindre, tâtonnant à l'aveuglette autour de lui. Pendant l'opération, il se cogna le nez de plein fouet sur un genre de poteau qui n'avait rien à faire là, à moins que… Il respira plus fort par la bouche, levant les mains pour ausculter la chose. C'était en bois, lisse et plat, taillé en pointe, comme une palissade. Mauvaise nouvelle, ce n'était pas le seul. Bonne nouvelle, ni lui ni Jenny ne s'étaient empalés dessus.

Illico, l'idée qu'un cadavre de la veille ou de l'avant-veille puisse se trouver à moisir dans le trou lui occasionna une petite remontée de bile. Il ravala en faisant la grimace… Seigneur ! Et s'il avait survécu toute la semaine au prix de la mort d'autres gens innocents ?

Ses dents claquaient, sa gorge s'asséchait, ses jambes tremblaient, mais il devait se reprendre. Il y avait une fille avec lui, c'était pas le moment de passer pour une chochotte ! En cas de nouveau cadavre, il n'était pas sûr que Jenny tienne le coup. Surtout s'il avait des gros asticots gigotant dans le nez... Par sécurité, il n'allait pas en parler.

Le soleil venait de se coucher, on n'y voyait plus bien. La tache plus claire que faisait les cheveux de l'intéressée lui permettait de savoir qu'elle était recroquevillée le long de la paroi la plus proche. Il crapahutait dans sa direction quand il entendit au-dessus d'eux un genre de froissement. Avant l'obscurité totale, il eut le temps de voir la face hilare du clown qui remettait la bâche en place pour cacher le trou. Et les feuilles par-dessus.

Son cerveau bugua pendant trente secondes. Il ne savait plus s'il devait être soulagé que le clown ne descende pas ou désespéré s'il comptait les laisser mourir de faim ici. Il resta sans réaction, presque tenté de rire devant l'absurdité de la situation…

Et allez, enterré vivant. Super ! Il n'avait pas perdu sa journée, hein ?…

Le garçon grinça des dents et se demanda si la niaque rageuse de miss Banshee n'était pas finalement un très bon tuyau.

Pendant dix secondes, son cerveau fit une autre pause incongrue pour se demander si c'était romantique de mourir avec une fille chouette qu'il n'avait même pas eu le temps de connaître… ou d'embrasser. Romantique, non. Mais glauque à fond. Ça valait quand même le coup de se poser la question parce qu'il n'aurait probablement plus l'occasion. Soudain, l'attitude de son frère envers les filles plus âgées lui paraissait beaucoup plus compréhensible. Si ça se trouvait, il avait eu peur de mourir puceau. Sam voulait bien reconnaitre que ça craignait.

Il s'ébroua et farfouilla dans son sac en sortant un objet oblong et tâta la terre autour à la recherche de son canif minable.

— Padaleki, est-ce que t'as une lampe de poche ? La mienne a plus de jus.

Elle fourragea dans son sac pendant cinq secondes, il entendit un ploc et une inspiration sifflante.

— Y a le verre qui s'est cassé quand on est tombés !

Grâce au noir d'encre, elle ne put pas voir le « Mais on s'en fout! C'est pas le plus important ! » que faisait Sam.

— File ! lui ordonna-t-il. La pile doit être encore bonne…

— Au cas où ça t'intéresse, je me suis coupé le doigt. Ça saigne. Je vais faire une hémorragie doigtale, maintenant...

Elle la tendit un peu au jugé et leurs phalanges se frôlèrent. Il entendit ensuite un bruit de succion très perturbant.

— Et qu'est-ce que tu comptes faire avec, si c'est pas trop te demander ?

Sam était en train de chercher une réponse plus intelligente que « Je n'y ai pas réfléchi » quand elle poussa couinement rauque de désespoir parce que « une bête avait couru sur sa jambe »… Et pas moyen de savoir si la « bête » était un serpent, un rongeur ou un insecte, ce qui pouvait faire une grosse différence niveau venin paralysant, choc anaphylactique ou transformation en rat-garou…

— La ferme ! Euh… je veux dire, chut ! Tu vas faire revenir le tueur !

Elle couina de plus belle. C'est ça. Comptez sur les filles pour ne jamais faire ce qu'on leur disait. Ne marche pas au milieu : elle marche. Fais gaffe où tu mets les pieds : elle fait pas gaffe. Ne crie pas pour attirer le psychopathe : elle crie.

Il inspira fort.

En manipulant la lampe de poche entre ses mains pour en sortir la pile de Jenny, Sam songea très concrètement à la difficulté que c'était d'être la personne qui était « en charge ». Il n'avait pas besoin d'éprouver un plus profond respect pour son frère qu'il n'en avait déjà… Mais devoir être celui qui décide alors qu'il était au bord de l'évanouissement pendant qu'il était inquiet de s'être éventuellement pissé dessus, c'était dur… Il trouva l'interrupteur et vérifia que ça s'allumait. OK.

Il n'était pas très tard, ils étaient plutôt du côté de la seconde grille d'accès, où il y avait une route plus fréquentée… Leur unique chance était que quelqu'un aperçoive des signaux en passant devant… Dans l'hypothèse où quelqu'un passerait, bien entendu. Il ignora la minceur des probabilités.

— Jenny, est-ce que tu peux me faire la courte échelle ? Je vais pousser à peine la bâche, et utiliser la lampe si je vois une voiture…

— Te porter ? Non mais tu rêves !

— Ah moi je veux bien le faire à ta place mais est-ce que tu connais le morse ?

— Je sais faire SOS !

Sam frissonna quand il sentit quelque chose lui voler autour de la tête. Il se dit qu'entre le tueur à l'extérieur et les bestioles ici, il allait crever d'une crise cardiaque. La fille qui semblait ragaillardie par le plan, le houspilla méchamment.

— Alors, c'est pour tout de suite ou pour demain ? On le fait ?

— Je réfléchis !

Elle allait demander à quoi quand il lui répondit de lui-même :

— Des signaux d'alerte ce n'est pas suffisant, il faudrait qu'on puisse sortir de là. Mais entre être à découvert sans arme ou être piégés dans ce trou, je ne sais pas ce qui est pire… D'autant plus que si l'un de nous deux arrive à se hisser sans glisser contre le bord, ce sera impossible de sortir l'autre de là, même en attachant nos blousons pour faire un genre de corde…

— On sait très bien que ce serait moi qui resterais ici, parce que je n'aurais jamais la force de te remonter…

A la lueur de la lampe qu'il savait pourtant devoir économiser, le garçon vit son expression et son bon cœur se serra. Il secoua la tête et repassa en mémoire ce qu'ils avaient. Des cahiers pour les cours, un briquet, un couteau, une lampe de poche qui marchait, des crayons, des bouquins… rien à manger… Il soupira encore. A part cramer les cours et les livres pour se réchauffer juste avant de s'asphyxier avec la fumée, il ne voyait pas…

Ses yeux restèrent dans la vague un instant.

— Tu réfléchis toujours ? Parce qu'il y a des millepattes ou des larves sous mes manches, j'en suis sûre, mais j'ai peur de crier et qu'ils rentrent dans ma bouche…

Il expira très lentement. Que faire avec ce qu'ils avaient ? Griller les millepattes pour voir s'ils avaient un goût de poulet ? Avec un regard désespéré qu'elle ne put pas voir, il s'appuya à un des pieux dressés qui garnissaient le sol. Il tapota nerveusement dessus, et puis retira sa main d'un mouvement vif.

— T'as senti un machin ?

— Non.

— Bah quoi ?

— Ça m'étonne mais… je crois que j'ai un plan.

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Au couteau pour lui et au double décimètre cassé pour Jenny, ils entreprirent de creuser frénétiquement le pourtour des pieux enfoncés au sol.

Le plan c'était d'utiliser les pieux en les plantant horizontalement pour faire un genre d'échelle ou de cage à poules en biais. Il fallait les manutentionner à deux, et que ce soit assez profondément enfoncé sur les côtés pour leur permettre de se hisser. Les parois gadouilleuses interdisaient toute grimpe à mains nues. Et Sam regrettait de ne pas avoir assez fait de pompes à l'entraînement avec Dean.

L'échafaudage construit, le nez au raz du gazon, ils pourraient guetter ce qui se passait en soulevant la bâche. Et si tout allait bien, faire des signaux aux voitures avec la lampe de poche.

Mais ce n'était pas tout. S'ils arrivaient à s'exhumer de là, Jenny, Sam et son vocabulaire pourraient faire une vraie torche avec un bout de bois, son blouson autour et le briquet. Elle empêcherait peut-être le serial psycho de s'approcher…

Le hic, c'était qu'ils ne creusaient pas vite. Ils attaquaient le deuxième poteau au bout de vingt minutes quand Sam demanda, pour éviter évacuer son angoisse :

— C'était qui « Joe Down » ? Quelqu'un que tu connaissais ?

Elle renifla.

— Si on veut. Tout le monde connait Joe Down, mais personne ne sait son nom. Nous on l'a appelé comme ça parce que c'est l'inverse de John Doe… expliqua-t-elle en s'activant énergiquement. Personne sait son nom, en fait.

— Mais qu'est-ce qu'il faisait là ?

— Oh ça c'est facile. Il avait un stand à la fête foraine avant que ça ferme. Le maire disait qu'il n'avait plus toute sa tête. Que c'était un vétéran devenu trappeur ou un machin dans le genre… Il était inoffensif mais il marmonnait des trucs bizarres tout le temps.

— Du genre ?

Elle s'arrêta un instant et essuya son front du dos du poignet.

— Du genre qu'il y avait des démons échappés de la fête foraine ! Un barjot, je te dis. Des démons ! Comme si les meurtriers n'étaient pas assez flippants comme ça.

Sam ne répondit rien et creusa deux fois plus vite.

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— Tu vois quelque chose ?

La nuit était tombée pendant qu'ils étaient six pieds sous terre. Sans le soleil pour réchauffer, la température avait vite baissé. A force de s'agiter pour dégager les pieux, Sam s'était réchauffé mais là, il était en nage et commençait à frissonner…

Il avait soulevé tout doucement la bâche de quelques centimètres et s'était immobilisé en entendant du bruit dans le parc. « Shhh » avait-il fait pour qu'elle se taise. Il avait sorti la torche du jean et commencé à émettre SOS en l'éteignant et la rallumant parce qu'il lui avait semblé voir des phares. Maintenant qu'il avait conscience que le clown meurtrier pouvait leur tomber dessus à tout moment pour leur couper un avant-bras, il avait bien plus peur malgré son plan.

Quand Jenny avait parlé d'un vieux bonhomme causant de démons et qui restait obstinément vissé à un coin où il y en aurait, Sam n'avait pu s'empêcher de penser que c'était peut-être un homme comme son père, un Chasseur. Mais, un vieux, à la retraite. Quelle personne normalement constituée ferait ça, sinon ?

— Sam, j'en peux plus, on sort ? Je te jure que je vais courir à toute vitesse vers la grille…

— Mhh, j'espère qu'il ne nous suivra pas au-delà !

— Non mais arrête à la fin ! T'es chiant à toujours imaginer le pire !

Il sourit alors que ce n'était pas drôle.

— Ah bien, tu recommences à t'énerver… parfait… Ok, on vire la bâche… Moi aussi j'ai envie de quitter ce trou maudit. J'ai peur de faire une crise cardiaque, j'ai tête me gratte depuis qu'un machin m'est tombé dessus tout à l'heure quand j'ai enfoncé le bois dans la paroi…

— Et t'as pas peur ?

— Mais si ! Je pisse de trouille.

— Bah comment tu fais alors ?

— Je sais p…

Deux pieds se matérialisèrent littéralement sous son nez. Comme une fumée qui serait devenue solide. A côté de lui, Jenny cria. Il leva la tête juste pour confirmer que vu la forme des chaussures, c'était bien leur cauchemar à large couteau. Il geignit à son tour (mais moins fort) et d'un geste réflexe, il retourna la lampe torche tenta de lui piler le pied de toutes ses forces avec le manche...

Le clown psychopathe n'eut pas l'air content et se pencha brusquement sur lui en l'attrapant d'une main par ses cheveux longs. Sam pensa qu'il allait mourir et leva les bras pour se protéger, se voyant déjà glisser de la poutre et finir la nuque brisée avec plus ou moins la gorge tranchée... Il ne vit donc pas Jenny lancer son bouquin d'histoire-géo sur le bras du tueur pour dévier le coup. Le bouquin rebondit un peu plus loin dans l'herbe avec un shplak satisfaisant.

Surpris d'être toujours en vie, il s'agrippa au bord et sentit bientôt un truc froid lui dégoutter sur le crâne. Le clown émit un drôle de gargouillis silencieux et s'effondra sur le côté. Derrière lui, un cri guttural retentit tandis qu'une silhouette noire triomphante brandissait deux grands couteaux à viande noircis. Sam vit la jeune fille immobile. Il comprenait. Si le clown sinistre avait un complice, ils étaient foutus.

Au contraire galvanisée par l'adrénaline, elle se propulsa dehors et rampa pitoyablement sur un mètre

— Jenny ? Jenny, ça va ?

— Oh mon dieu, Sam, il y en a un autre et il se passe… un truc horrible.

Deux baskets cradingues entrèrent dans son champ de vision. Une forme accroupie sortit les coutelas du corps et les essuya dans l'herbe. L'homme lui bloquait toute fuite en s'avançant tranquillement vers lui. Mu par l'énergie du désespoir, le garçon prit la lampe et lui flanqua le faisceau lumineux dans la figure pour l'aveugler.

— Aow ! Baisse ça, banane ! Magne-toi de virer ton cul. La demoiselle a raison, faut pas rester là.

— Dean ?

Sam commença à sentir tout mou. Avec un soupir, son frère le tira par le haut du t-shirt pour l'envoyer plus loin dans l'herbe.

— Faut se barrer, faut se barrer, les bestioles vont nous bouffer ! glapit Jenny.

Dean chopa la torche tombée, la secoua et tapa dessus pour l'inciter à se rallumer.

— Y a pas à dire, c'est de la qualité ce machin… Je vais en taxer une autre à la quincaillerie…

Puis il braqua le faisceau et distingua ce qui faisait crier la jeune fille : une masse grouillante de petits animaux à poils et à plumes : mulots, écureuils, lapins, corbeaux, pigeons, poules, mais aussi des insectes dont il ne connaissait pas le nom, s'étaient jetés sur le tueur en habit de clown. Tous ensemble, ils se glissèrent dessous et le déplacèrent sur un tapis roulant vivant. Le corps tressautait grotesquement en une gigue macabre mais les minus le firent basculer dans sa tombe. Un craquement sec et mouillé signala son atterrissage sur les bois épointés qu'il avait lui-même préparés.

— V'la bonne chose de faite ! marmonna l'aîné Winchester en tapant ses mains l'une contre l'autre.

Leur épargnant cette vision de pantin désarticulé, Dean entraîna les deux gamins un peu en arrière. Les petits mammifères et les oiseaux ressortirent tous en sarabande désordonnée.

Ils pensaient tous que la fête était finie, mais sous leurs yeux dessillés, des racines sous-jacentes s'entremêlèrent dans l'excavation en tricotant un maillage serré et dense. Puis la terre s'effondra sur elle-même, le trou se reboucha tout seul et des buissons en reptation vinrent se planter dessus en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Eberluée, la fille regarda Dean qui lui sourit en coin, genre qu'il avait fait ça toute sa vie, alors que ça ne faisait que depuis l'année dernière que Papa l'emmenait parfois. Elle ramassa la torche pour la braquer sur l'aîné sur l'inconnu, qui était lui aussi beau garçon, si on aimait ce genre.

— T'es qui toi ? T'es un autre serial killer ?

— Non, mon frangin a des bons jours parfois, tacla Sam. Comment t'as su qu'on avait besoin d'aide ?...

— Ha… ça me fait de la peine que tu demandes…

Le cadet serra les poings et les dents.

— Sam… soupira Dean avec un petit bruit de bouche en secouant la tête. Depuis ton premier jour, je te suis pour voir si t'es OK. Pourquoi tu crois que j'avais du dégrippant quand tu m'en as demandé ?… En plus, j'ai discuté avec le vieux qui vivait là…

— Il est mort ! Qu'est-ce qu'on va dire pour expliquer ça ! s'inquiéta Jenny.

— On va aller à la police expliquer qu'on l'a trouvé en rentrant, proposa Sam. Ce n'est pas un mensonge.

Dean Winchester serra son frère par les épaules un peu trop fort et se pencha à son oreille.

— Oui, et si tu pouvais éviter de mentionner qu'un tueur fantomatique a fait le coup et que son corps sera difficile à trouver, ce serait pas mal. Il faudrait aussi quelque chose qui justifie votre présence tardive sur les lieux, dit-il en regardant la fille. Puis Sam. Puis re-la fille…

Jenny fronça les sourcils, toute en moue réprobatrice, et outrée de ce sous-entendu oculaire.

— Nan ! Je dirais pas que je suis venue ici pour flirter avec lui ! Il a treize ans ! dit-elle en se détournant pour filer vers la grille. Vous me prenez pour quoi ? Une cougar ?

Dean fit sa tête interloquée. Il toisa son petit frère de haut en bas et tâta son absence de biceps avec une grimace de sympathie qui signifiait « Bon c'est pas gagné, mais plus tard, si tu continues le sport… ».

— Hey ! la héla-t-il. T'es sûre ? Il est grand pour son âge ! Et il est malin !

Elle jeta un regard en arrière avec une mine indéchiffrable.

— Ha, fit l'aîné en entraînant son frère abattu vers la sortie. Encore une qui aime se faire prier… Tant pis pour elle ! Moi je trouve que t'as été super ! dit-il en lui frottant le poing sur la tignasse gluante.

Sam émit un borborygme qui voulait dire « Moui, peut-être, si tu le dis ». Puis à voix haute :

— Tu crois pas qu'il faudrait la raccompagner ? Ce serait pas… plus sûr ?

Dean Winchester lui adressa un sourire en coin en opinant lentement. Il ne disait rien mais Sam savait ce que ça voulait dire. Il le charriait avec son air de dire « Ah, alors comme ça, les filles ça t'intéresse, toi maintenant ? ». A quoi Sam répondait par un haussement d'épaules.

Ils marchèrent en silence le long de la route, espérant tomber sur un bus qui les rapprocherait de la pension. Au bout d'un moment, la frustration du cadet fit un feu de joie avec ce qui restait d'adrénaline.

— Et t'étais dans le parc depuis combien de temps au juste ? Pourquoi tu nous as fait mariner ? C'était horrible, Jenny avait peur. Je t'ai bien entendu marcher caché derrière les buissons, tu sais. Niveau discrétion et furtivité, t'as des progrès à faire ! Et… et… JE DÉTESTE LES CLOWNS !

— Quelque chose me dit que ça va pas s'arranger maintenant… Et tu comptes faire quoi avec ta petite amie ? L'emmener au parc pour une autre balade romantique ?

— Crétin ! C'est PAS ma petite-amie. Elle voudra plus jamais me revoir après ça. T'es vraiment nul ! Tu voulais prouver quoi ?

L'aîné encaissa les reproches sans broncher.

Les mains dans les poches, il sifflota d'un air dégagé et pressa le pas en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule à mesure qu'ils s'éloignaient du VPF. Sammy était furieux et amer, mais Dean préférait ça.

Tout valait mieux que d'avouer que les pas sur les brindilles n'étaient forcément pas les siens. Et qu'il ne savait absolument pas quoi d'autre avait pu les poursuivre, en même temps que le Rakshasa.

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FIN

Note

* Private joke : j'ai écrit un crossover entre les deux séries. Et dans le tout premier épisode, Dean l'appelle… Scully.

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