Le Royaume des Rats

Chapitre 78 : Premier assaut sur Ysibos

6250 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/06/2023 19:09

Marjan Gottlieb ouvrit les yeux en grand. En moins d’une seconde, elle était pleinement réveillée, et parfaitement alerte. Elle tendit l’oreille, et sourit dans la semi-obscurité lorsqu’elle entendit l’agitation au loin.

 

Les rats sont en panique, les renforts rappliquent !

 

Elle s’approcha à pas de loup de Balin, l’aîné des petits prisonniers, et le secoua doucement par l’épaule.

 

-         Réveille-toi, Balin !

-         Mhh ?

 

Le petit garçon-rat se redressa.

 

-         Que se passe-t-il ?

-         Écoute ! Tu entends ?

 

Balin écouta attentivement, et perçut à son tour les cris, les glapissements et les bruits de pas de course.

 

-         Qu’est-ce qu’ils disent ? Je ne comprends rien !

-         Ils sont en train de se préparer à affronter l’armée qui arrive. Tu comprends, Balin ? Les soldats du Prince sont à leur porte !

 

Le cœur de Balin se mit à battre la chamade.

 

-         C’est vrai ? Alors, on va être sauvés ?

-         Je l’espère.

-         Mais… et si ce Prophète Gris décide de tous nous massacrer ?

 

La jeune femme tourna la tête vers le petit garçon-rat qui semblait paralysé de terreur.

 

-         Non, ne t’en fais pas. Les Skavens Sauvages sont bien trop égoïstes pour ça. Leur vie passe avant tout. Si Karhi voit que notre armée entre dans son terrier, la seule chose à laquelle il pensera, c’est sauver ses fesses quoi qu’il arrive.

-         Vous êtes sûre ?

-         Je ne peux pas être sûre à cent pour cent, Balin, mais j’ai participé à de nombreuses bagarres contre les Skavens Sauvages pendant les Récoltes, quand les choses tournaient mal. Jamais ils n’ont tenté de coup tordu. Seul un esprit particulièrement malfaisant pourrait nous faire une mauvaise surprise, mais je doute que Karhi soit un esprit de ce genre. Il est trop bête pour ça.

 

Balin sursauta en entendant la voix du Prophète Gris geindre au-dessus d’eux, derrière la lourde grille.

 

-         Allez, bande d’incapables-idiots ! Rassemblez-vous à la porte vers la surface ! J’arracherai moi-même la peau du premier que je vois reculer-fuir !

 

Marjan put voir le Skaven Blanc à travers les interstices de la grille. Celui-ci gesticulait.

 

-         Toi et toi, vous restez ici-ici ! Surveiller, garder, arrêter les fuyards !

 

Sans dire un mot, deux Guerriers des Clans prirent place chacun d’un côté de la fosse circulaire, et le Prophète Gris se retira. Marjan fronça les sourcils quand elle repéra l’éclat verdâtre inquiétant qui émanait de leurs yeux.

 

-         Il a laissé deux de ses quatre gardes spéciaux, murmura-t-elle à Balin.

 

Le petit Skaven leva le museau, et frissonna.

 

-         Ils ont un drôle de regard, ça me fait peur.

-         M’étonnerait pas qu’ils aient subi une sorte de traitement à la malepierre.

-         Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ?

-         J’en sais rien. Si ça se trouve, ils peuvent cracher des flammes et péter des éclairs, ils sont plus rapides, plus forts... En tout cas, il vaut mieux se méfier d’eux.

-         Ils ne nous feront rien tant qu’on bouge pas, n’est-ce pas ?

-         Je pense. Mais il vaut mieux se préparer à l’action. Commençons à réveiller doucement les autres, et prions Ulric pour que nos gars viennent vite.

 

 

Les vingt cavaliers étaient dans le tunnel. Il ne fallut que quelques minutes pour arriver aux abords du portail autrefois érigé par les Nains. Joop van Habron faisait partie des volontaires. Sigmund l’avait désigné pour mener cet assaut.

 

-         On arrive, les gars ! Attention, je vois déjà des jezzails à malepierre !

 

Quelques coups de feu claquèrent du haut du rempart. Des balles sifflèrent dans l’obscurité, et laissaient derrière elles des sillons de poussière verdâtre. Les chevaux se cabrèrent.

 

-         Allez, fléchez-moi ces bâtards !

 

Les cavaliers saisirent arc et flèches, et rapidement, une vingtaine de flèches s’abattit sur la construction Naine. Les cris de colère et les piaillements de douleur résonnèrent sur les parois du tunnel.

 

-         On y va carrément ! Plus c’est gros, plus ça marche !

 

Et Van Habron se mit à crier en queekish quelques insultes bien senties que le capitaine Steiner lui avait apprises. Ceux qui avaient une bonne oreille répétaient les claquements de langue, les chuintements et les sifflements, et les autres se contentaient de ricaner et de huer.

 

Une deuxième salve de balles en malepierre répondit à leurs moqueries. Deux des chevaux furent touchés, et un des soldats tomba de sa selle, le crâne transpercé par le projectile. Van Habron ordonna :

 

-         Achevez-les, vite !

 

Conscients des terribles effets de la redoutable matière sur les êtres vivants, les soldats aguerris n’hésitèrent pas un instant. Quatre d’entre eux mirent pied à terre, et s’empressèrent d’égorger les deux infortunés animaux, tandis que le Skaven Noir dégaina son épée et transperça la poitrine du soldat qui convulsait dans la poussière.

 

-         Éloignez-vous, et continuez !

 

Les combattants de Vereinbarung reculèrent, et envoyèrent une nouvelle volée de flèches. Van Habron visa plus précisément un des tireurs, et l’atteignit à l’épaule. Le Skaven Sauvage tomba à la renverse. Ragaillardi, Van Habron beugla de plus belle des injures.

 

 

Karhi était de l’autre côté du portail, au pied du rempart. À côté de lui se tenait l’immense Lennart Sang-de-Feu. Le Guerrier du Chaos en armure, les poings sur les hanches, grondait d’impatience.

 

-         Eh bien, Prophète Gris Karhi, une petite bande aussi pitoyable vous ridiculise à ce point-là, et tu ne fais rien ?

-         Nous sommes en train de les repousser, grand-fort guerrier, tu ne le vois pas ?

-         J’entends surtout qu’ils sont en train de se foutre de ta gueule, et pas qu’un peu !

-         Attention !

 

Karhi bondit et se cala entre les jambes de Lennart, tandis qu’une autre pluie de flèches meurtrit les rangs des Fils du Rat Cornu. Une flèche rebondit sur la lourde armure rouge de Lennart. Celui-ci attrapa le Skaven Blanc par le cou, et le souleva.

 

-         Tu vas ordonner à tes Guerriers des Clans de débiter en rondelles ces fanfarons, ou je te jure que je me taille une nouvelle paire de gants dans la peau de ton cul !

 

Le Prophète Gris Karhi serra les dents, gémit, mais il se rappela quel était son rang, et décida de protester.

 

-         Si tu veux… qu’on travaille ensemble… tu dois… combattre-lutter… avec mes forces !

 

Lennart jeta Karhi par terre, puis il appela :

 

-         Fershitt ! Où es-tu, sale petite raclure de fond de marmite ?

 

Le Skaven masqué, resté quelques yards en arrière, rejoignit le guerrier en armure au pas de course, et se jeta à ses pieds.

 

-         Je suis ici, ô magnifique-merveilleux Maître suprême !

 

Lennart repoussa le technomage d’un léger coup de pied.

 

-         Va retrouver mes hommes, rassemble-les, et ramène-les ici ! Maintenant, on va se battre !

-         À vos ordres, sublimissime champion du Dieu chose-bizarre du Carnage !

 

Le Skaven masqué s’enfuit vers l’arrière.

 

-         Et toi, le rat blanc, bouge tes troupes ! Fais-les sortir en premier !

-         Et pourquoi ce serait mes Guerriers des Clans qui doivent se faire tuer les premiers, et pas les tiens ?

-         Parce que si tu n’envoies pas tes rats de guerre tout de suite, je t’arrache les cornes et je te les fais avaler par les oreilles !

 

Le Prophète Gris Karhi couina :

 

-         Blokfiste ! Viens ici-immédiatement !

 

Lorsqu’il vit le grand Skaven ocre s’approcher, il n’attendit pas de le voir devant lui pour gesticuler et ordonner :

 

-         Blokfiste, appelle les troupes et envoie un bataillon s’occuper de ces pathétiques choses-hommes et ces traîtres au Rat Cornu !

-         J’entends-accepte vos ordres, ô Messager de notre seule et unique Dieu.

 

Il ne fallut au Seigneur de Guerre que quelques minutes ponctuées d’aboiements et de menaces pour rassembler devant la lourde porte une centaine de Guerriers des Clans – il fallait bien autant de troupes pour assurer la victoire. Au passage, quelques Guerriers des Clans furent transpercés par les flèches des envahisseurs, ce qui accentua davantage la colère de Karhi. Le gros Skaven Blanc, à l’abri derrière un mur, trépignait de rage.

 

-         Allez-allez ! Jezzails incapables de tuer-tuer les archers ! Dépêchez-vous !

 

Puis il leva le museau.

 

-         Esclaves, ouvrez la porte !

 

Le dispositif d’ouverture était au bout du rempart, installé dans un renforcement creusé à même la roche, et donc protégé des attaques extérieures. C’était une roue verticale munie de quatre poignées, autour de laquelle s’enroulait une lourde chaîne. Trois misérables Skavens pratiquement nus et à l’oreille gauche coupée tournèrent de toutes leurs maigres forces la roue. Le mécanisme cliqueta bruyamment, et les deux énormes pans de la porte coulissèrent.

 

 

Sur les chevaux, les soldats pouvaient tout voir. Van Habron leva le poing.

 

-         Attention, préparez-vous à galoper ! Sikkov, prenez le cheval de Zorzi ! Kalev, montez derrière moi !

 

Les deux soldats dont le cheval avait été abattu s’empressèrent d’obéir à l’ordre.

 

Aussitôt que le portail fût complètement ouvert, une marée composée de dents, de griffes, de poils, et d’agressivité déferla en un odieux concert de couinements rageurs. Le Skaven Noir fut violemment assailli par les effluves de panique émis par ses camarades.

 

-         Retraite !

 

Les cavaliers galopèrent en direction de la sortie, poursuivis par la centaine de Skavens Sauvages. Van Habron tourna la tête un bref instant pour s’assurer que tout son régiment le suivait. Horreur ! L’un des chevaux reçut une balle de jezzail dans le flanc et roula sur les cailloux, avec son cavalier – un Humain entre deux âges. Celui-ci resta coincé, sa jambe écrasée par la pauvre bête. Les deux soldats sans monture

 

La seule chose intelligente à faire, selon Van Habron, était de fermer son cœur et focaliser son esprit sur une seule chose : fuir. Il concentra son attention sur la petite lumière au bout du tunnel, et talonna davantage sa monture.

 

Le malheureux soldat ne souffrit guère longtemps. Les Skavens Sauvages n’eurent besoin que de quelques secondes pour les réduire en une pulpe sanglante, lui et son cheval.

 

Les cavaliers restants jaillirent du tunnel à toute vitesse. À leur vue, la commandante Renata leva un deuxième pistolet à fusée qu’elle avait préparé. Celui-là était peint en vert. Une fusée de couleur verte fila vers les cieux, et explosa à la hauteur du Brave Griffon.

 

 

Les Nains avaient bien reçu et compris le message. Maître Barisson cria :

 

-         Bombardiers, tenez-vous prêts ! En avant, toute !

 

Son ordre fut aussitôt relayé par ses assistants. Le vaisseau volant avança jusqu’à se trouver pile au-dessus du grand trou.

 

-         Halte !

 

Le Brave Griffon s’immobilisa juste au-dessus de l’ouverture béante. Barisson leva lentement le bras.

 

-         Attention…

 

 

La commandante Renata et Sigmund attendaient côte à côte, chacun sur son destrier. Le fils Steiner serra les dents quand il entendit les crissements des fils du Rat Cornu. Il ne sut toutefois déterminer si c’était la peur ou la colère qui crispait sa mâchoire.

 

Enfin, le flot de Skavens Sauvages jaillit à l’air libre, impatient d’en découdre.

 

 

-         Lâchez tout ! ordonna Barisson.

 

 

Les Skavens Sauvages furent coupés dans leur élan par la lumière du jour. Ils ralentirent, certains clignèrent des paupières ou se frottèrent les yeux. Mais ce qui les perturba le plus était la vue du Brave Griffon. Aucun d’entre eux n’avait jamais vu un tel engin. Ils n’eurent pas l’occasion de s’interroger bien longtemps ; de petits éclats de lumière dorée scintillèrent autour du bateau volant, et les fils du Rat Cornu découvrirent bien vite la vraie nature de ces lumières. En réalité, c’était une myriade de globes de verre jaune. Ils s’écrasèrent sur le régiment de Skavens Sauvages par dizaines, certains se brisèrent sur un crâne ou un dos. Des panaches de fumée couleur moutarde s’élevèrent au milieu des hommes-rats.

 

Il y eut des grognements surpris, puis des cris de panique. Les soldats de Vereinbarung, à quelques dizaines de yards de distance, purent voir les Skavens Sauvages s’écrouler, tomber à genoux en toussant bruyamment, et rouler dans la boue. Les quintes de toux et les glapissements se firent de plus en plus faibles. Puis… plus rien. Le silence retomba sur le champ de bataille.

 

La fumée jaune se dissipa, révélant l’entrée du tunnel, et tout un parterre de Skavens Sauvages inertes, étalés par terre, ronflant plus ou moins bruyamment.

 

Les Humains et Skavens Libérés crièrent de joie et applaudirent en direction du Brave Griffon.

 

Certains Skavens Sauvages plus endurants semblaient avoir résisté aux effets du gaz, mais ils étaient si peu nombreux qu’ils s’enfuirent de tous les côtés dès l’instant où ils se rendirent compte de leur infériorité numérique. Trois d’entre eux, les plus proches du tunnel, filèrent se mettre à l’abri dans leur base.

 

La commandante Renata se tourna vers Sigmund.

 

-         Capitaine, à vous l’honneur.

-         À vos ordres, répondit le Skaven Noir avec un sourire carnassier.

 

Il brandit Cœur de Licorne en avant, et beugla :

 

-         Chargez !

 

Il talonna fermement Okapia, qui courut au grand galop vers le tunnel. Les cavaliers lui emboîtèrent le pas, suivis par les quelques dizaines de fantassins qui constituaient le premier bataillon. Ils zigzaguèrent entre les corps des Skavens Sauvages endormis, puis redoublèrent d’ardeur une fois devant l’immense ouverture vers les tunnels d’Ysibos.

 

-         Allons, les amis ! Au travail ! ordonna le prieur Romulus.

 

Rapidement, les douze personnes chargées de réduire à l’impuissance les Skavens Sauvages commencèrent leur opération de neutralisation.

 

 

Depuis son passage à Friedrichsdorf, Sigmund était avide de commettre un carnage chez les Skavens Sauvages. Aucun d’entre eux ne lui faisait peur, contrairement aux paysans qui avaient subi leurs attaques. Il était déterminé à renverser la situation et à contracter le faciès de chaque Skaven Sauvage sous l’effet d’une puissante peur avant de mettre fin à ses jours.

 

Okapia approuvait pleinement ce désir de revanche, et ne ralentissait pas son galop.

 

Le tunnel était long et obscur, seulement éclairé par-ci par-là par les rayons de lumière visible à travers quelques trous dans la voûte. Les Humains, contrairement aux Skavens, ne pouvaient pas distinguer aussi bien le chemin, aussi devaient-ils se fier à l’avancée de leurs camarades à fourrure pour ne pas trébucher. Peu à peu, cependant, ils purent distinguer au loin les lumières des braseros qui encadraient le grand portail de la place-forte volée au peuple des karaks.

 

Sigmund fit tournoyer son épée, la lame sinusoïdale fendit l’air en sifflant.

 

-         Pas de pitié !

 

Des cris guerriers firent écho à son invective.

 

 

Sur le rempart, au-dessus de la grande porte, le Prophète Gris Karhi écarquilla les yeux.

 

-         Qu’est-ce que c’est que ça ?!

-         Un bataillon, votre immensité-grandeur, répondit Blokfiste, debout à côté de lui.

 

Furieux, le Skaven Blanc gifla le Seigneur de Guerre.

 

-         Je le vois bien, que c’est un bataillon, triple idiot-crétin ! Fais quelque chose !

 

Sans perdre son calme, le grand Skaven ocre pointa un doigt menaçant vers les esclaves affectés à la roue.

 

-         Fermez !

 

L’un des esclaves se jeta sur le cran d’arrêt, et se laissa tomber dessus de tout son poids pour le relâcher. La chaîne se rembobina bruyamment, et les portes se remirent en place en quelques secondes, avant de claquer dans un fracas tonitruant. Blokfiste s’empressa de descendre l’échelle la plus proche, tandis que le Prophète Gris resta en haut, à ricaner.

 

 

-         Halte ! Arrêtez !

 

Sigmund tira sur les rênes de sa jument, l’obligea à ralentir, avant de stopper complètement son avancée. À côté de lui, Joop van Habron ne cacha pas son impatience.

 

-         Mais qu’est-ce qu’on attend, Capitaine ? On fonce, et on les démolit !

-         C’est justement ce qu’ils veulent qu’on fasse, Soldat Van Habron ! Ils ont fermé les portes, vous le voyez bien ! Quand nous serons bloqués devant, que croyez-vous qu’ils feront ?

-         Enfonçons les portes ! Comme à Pourseille !

-         Les portes de Pourseille étaient fabriquées par les Humains. Ça, c’est de l’ouvrage Nain, je peux vous garantir que quelques coups de pied dedans ne l’abîmeront pas !

-         Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Ickert.

 

Sigmund réfléchit quelques instants.

 

-         Personne ne bouge. Restons en dehors de portée de leurs jezzails. Tant que nous sommes là, ils n’oseront pas bouger, ce qui nous permettra de gagner un peu de temps. Himmelstoss ?

-         Présent, mon Capitaine !

-         Retournez à la surface et demandez à Kürbis d’amener les catapultes.

 

Himmelstoss leva un sourcil surpris.

 

-         On a des catapultes ?

-         La commandante Renata me l’a dit avant notre assaut ; le Brave Griffon en a apporté, ce sont des petits modèles que nous pourrons assembler et utiliser dans ce tunnel. À l’heure où je vous parle, les gars de Kürbis devraient être en train de les décharger. Exécution !

-         À vos ordres, Capitaine !

 

*

 

-         C’est bon ! C’était la dernière caisse ! retentit la voix de Gunnar Simensson dans le cornet.

-         D’accord. Que Grungni vous aide à reprendre ce qui nous appartient !

 

Puis, Aghnar Barisson cria par-dessus son épaule.

 

-         Allez, les gars, relancez-moi ce moteur, on décolle !

 

Il se réinstalla à la barre.

 

-         Vous en faites pas, Dame Heike, dans moins d’une minute, on sera complètement hors de portée des Thaggoraki !

 

Les Nains volontaires au combat venus à bord du Brave Griffon venaient de finir de descendre le matériel. Le navire volant, resté à quelques pieds en suspension au-dessus du sol pendant l’opération, s’ébranla, et s’éleva lentement. Les nuages de brume allaient constituer une bonne couverture.

 

Heike ne semblait pas rassurée pour autant.

 

-         Était-ce nécessaire, Maître Barisson ? Vos ouvriers n’avaient pas besoin de mettre leur vie en danger !

-         Sauf votre respect, ma Dame, ça fait partie de notre religion. C’est un des commandements de Grungni : ne jamais manquer une occasion de reprendre une citadelle tombée entre les mains d’un ennemi. C’est le cas pour Karak Helliglys aujourd’hui ; y a des Thaggoraki dedans, et les Thaggoraki sont les troisièmes ennemis jurés de notre peuple, après les Grobi et les Dawi Zharr.

-         Les quoi ?

-         Les Nains du Chaos. Je vous souhaite de ne jamais en rencontrer, ma Dame, ce sont les créatures les plus viles qui hantent les tunnels ! Y a pas pire ! Les Thaggoraki et les Grobi sont plus nombreux que nous, mais ils ne surpasseront jamais notre génie technologique. Les Dawi Zharr pervertissent la science des Nains et la souillent avec leur magie noire !

-         Vous me rappelez ce que m’a raconté une fois Maître Brisingr Mainsûre à propos des Elfes Noirs.

-         Mouais, faut croire que ça fait au moins une chose en commun entre mon peuple et le sien. J’espère qu’il n’y en aura pas davantage !

 

Le Brave Griffon était de nouveau à la hauteur des nuages. Heike se leva, et voulut regarder par la baie vitrée. Au loin, en contrebas, elle distingua la petite silhouette vêtue de blanc du prieur Romulus, en train de donner des directives à la sergente Lescuyer et ses assistants.

 

Ils sont nombreux, je ne suis pas sûre qu’il y aura suffisamment de corde pour tous les ligoter ?

 

Elle secoua la tête, et regagna son siège. Elle venait de se rappeler que son fils était dans le tunnel, et ne voulut pas y penser davantage. Elle ne put retenir quelques larmes de perler à ses yeux. Les larmes de la peur.

 

Si seulement Psody était à mes côtés !

 

Elle rouvrit les yeux, et soupira. Faute du Skaven Blanc, elle allait devoir se contenter de…

 

Tiens ? Où est Gabriel ?

 

*

 

-         Mettez les caisses sous la grande tente !

 

Les Nains obéirent au sergent Kristian Kürbis. Alerté par le bruit du galop d’un cheval, il pivota sur ses talons.

 

-         Himmelstoss ? Que se passe-t-il ?

-         Le capitaine Steiner ordonne qu’on amène les catapultes, Sergent !

-         Préparez les chariots de transport, ordonna la commandante Renata. Je vais mener nos troupes.

 

La grande Tiléenne mit les mains en porte-voix.

 

-         Sergente Lescuyer ?

 

La sergente s’empressa de rejoindre la commandante, et se mit au garde-à-vous. Renata monta sur son destrier.

 

-         Je sais que ce n’est pas très ragoûtant, mais vous allez devoir déblayer la route pour permettre à nos chariots de passer. Arrêtez de ficeler les Skavens Sauvages, et portez-les pour nous ouvrir la voie. C’est pas que ça me gêne de leur rouler dessus, mais je n’ai pas envie de prendre le risque de voir un chariot se retrouver coincé. Ouvrez-nous une voie de trente pieds de large. Quand ce sera fini, vous reprendrez l’opération de neutralisation.

-         À vos ordres, Commandante !

 

Lescuyer retourna auprès de Romulus. Kürbis entra dans la grande tente, et regarda les caisses rassemblées. Il y avait plusieurs ensembles de boîtes avec des caractères runiques pyrogravés dans le bois, le sergent supposa qu’il s’agissait des pièces en bois et en métal des catapultes. Plus loin, plusieurs sacs de toile contenaient les cordages. Des caisses renforcées abritaient les munitions. Kürbis ouvrit l’une d’elles, et sourit en voyant leur contenu. Au cours d’un exercice, il avait eu l’occasion de voir ce genre de projectile : c’était de petits tonnelets remplis d’un liquide explosif. Les Skavens Sauvages allaient prendre cher !

 

Kürbis s’apprêta à quitter la tente pour faire venir un chariot, lorsqu’un bruit de froissement derrière lui l’arrêta net. Il se retourna, et vit l’un des sacs de toile bouger comme si quelque chose de vivant était à l’intérieur.

 

-         Hé, c’est quoi, ça ?

 

Le nœud qui fermait le sac se desserra – d’ailleurs, il n’avait pas l’air spécialement bien attaché – puis une petite main sortit, et finit de dénouer la corde. Le sac s’ouvrit, et un étrange petit Skaven au pelage gris clair, vêtu d’une combinaison de cuir avec une sacoche de bricoleur, se retrouva à l’air libre.

 

Les yeux marron de Gabriel clignèrent deux fois, puis se retrouvèrent pile devant ceux, abasourdis, du grand Humain. Aussitôt, le petit garçon-rat sentit sa sueur geler dans son dos.

 

-         Dis donc, toi ! Qu’est-ce que tu fous ici ?

-         Heu… je…

 

Gabriel commençait déjà à trembler. Mais soudain, il sentit quelque chose cliqueter au fond de son crâne. Comme s’il venait de comprendre que l’importance de sa mission prévalait sur un soldat dont il ne connaissait même pas le nom. Il regarda l’Humain droit dans les yeux, et articula :

 

-         Je pars me battre avec vous.

-         Quoi ? T’es pas sérieux, fiston ?

 

Gabriel serra les dents. Cet homme n’allait pas être si facile à convaincre ! Mais il tint bon.

 

-         J’ai une mission capitale à accomplir dans l’enceinte de cette forteresse, Soldat !

-         T’es complètement fou !

-         Mon honneur et la vie d’une innocente victime sont en jeu.

-         Tu n’as rien à faire sur le champ de bataille ! Là, dehors, ce sont des enragés qui n’hésiteront pas à t’étriper !

-         Mon honneur et la vie d’une innocente victime sont en jeu ! répéta Gabriel.

 

L’Humain fit rouler ses yeux.

 

-         Tu n’es qu’un gosse ! Et en plus… je te reconnais, tu es le fils du Maître Mage ! Ta mère a donné des ordres stricts : tu devais rester à bord !

-         Vous êtes sûr ? Moi, je ne vous ai pas vu. Vous essayez de me tromper.

-         Oh, arrête un peu ! De toute façon, tu n’es qu’un gosse, et mon boulot est de protéger les gosses.

-         Je ne suis pas un gosse, je suis Gabriel Steiner, fils du Maître Mage, petit-fils du Prince, et je dois réparer une grosse bêtise, et ce n’est pas vous qui allez m’en empêcher !

-         Tu crois ça ? Tu imagines si je te laisse te faire équarrir, et que le Prince l’apprend ?

-         Il n’en saura rien. Mais s’il apprend que vous m’avez empêché d’accomplir mon devoir, il ne sera pas content.

-         « Ton devoir » ? répéta Kürbis, incrédule. Tu te fous de moi ?

 

Encore une fois, Gabriel sentit comme une poussée de culot lui fouetter l’épine dorsale. Il eut presque l’impression de sentir des ailes lui pousser.

 

-         Non. Vous, par contre, vous avez l’air de vous moquer de moi, et ça, c’est pas bien. J’ai conçu le Brave Griffon, ainsi que le gaz à sommeil, c’est grâce à moi si la bataille sera moins meurtrière, vous me devez le respect !

 

Kürbis fut abasourdi. La colère remplaça vite la stupeur.

 

-         Attention, petit campagnol… Tu sais à qui tu parles ?

-         À un des soldats de l’armée de mon grand-père, le Prince Ludwig Steiner le Premier !

-         Pas un soldat, mais un sergent. Qui pourrait te plier en deux pour t’apprendre à être poli !

 

Encore ! Ils se sont tous donné le mot !

 

Mais cette fois, Gabriel ne faisait pas face à un ami de la famille noble de naissance ou à un Nain intimidant.

 

-         Si vous faites ça, mon grand-père vous fera écarteler ! Vous le savez très bien !

-         Seulement si quelqu’un me voit. Or, il n’y a que toi et moi, dans cette tente.

 

Rapide comme l’éclair, le petit homme-rat sortit son sifflet.

 

-         Faites un pas vers moi, et tout le monde m’entendra.

 

Kürbis s’immobilisa.

 

-         Tu joues avec le feu, petit.

-         Et vous avec votre vie. Maintenant, reculez. Laissez-moi sortir, ou j’appelle à l’aide, et je dirai que vous avez voulu me brutaliser. Lequel des deux sera pris au sérieux entre le petit-fils du Prince et un soldat parmi tant d’autres ?

-         Un sergent ! Pas un vulgaire troufion !

-         Quelle différence pour le Prince ?

 

Le sergent ne répondit pas, il ne bougea pas non plus. Devant son inaction, Gabriel mit le sifflet dans sa bouche et prit son inspiration. L’Humain leva les mains.

 

-         Ho ! Non, attends ! C’est bon, t’as gagné !

 

Et effectivement, Kürbis recula. Gabriel retira le sifflet, et expira profondément. Il regarda droit dans les yeux l’Humain, et ordonna calmement :

 

-         Laissez-moi sortir de cette tente.

-         D’accord, d’accord. Oh, et puis après tout, si tu veux vraiment te faire dévorer vivant, j’en ai rien à foutre !

 

Gabriel haussa juste les épaules. L’Humain sortit de sous la toile épaisse. Sans le quitter des yeux, le petit Skaven gris clair le suivit.

 

-         Fais gaffe à tes fesses, à l’avenir, fiston. Une autre fois, je te les réduis en compote à coups de pied !

-         Avec votre carrière, Soldat ?

-         « Sergent », c’est « Sergent », petit voyou ! Prie Sigmar pour que ton frère ne te voie pas, parce qu’autrement, il te tannera tellement le cuir que tu ne pourras pas t’asseoir pendant une semaine !

-         C’est mon problème.

 

Puis il pivota sur ses talons et fila à toute vitesse vers la forêt. Kürbis secoua la tête.

 

-         C’est ça, c’est ton problème. Pauvre petit inconscient !

Laisser un commentaire ?