De l'autre côté de la frontière

Chapitre 8 : Chapitre VIII — Le trio de chasseurs

4307 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 31/08/2022 16:42

Chapitre VIII

Le trio de chasseurs

 


Il y avait une règle sociale implicite chez les Altmers ; passées les premières dizaines d’années de son existence, l’enfant devait réprimer ses exaltations les plus immatures et commencer à se comporter de manière socialement acceptable, c’est-à-dire comme un adulte raisonnable, dans la démonstration de ses idées et émotions. Était-ce une réelle loi de la société altmeri, ou bien simplement une règle propre à la famille Danelis, Elenaril l’ignorait.

Peu importait tout cela, car à présent, elle était aussi terriblement excitée qu’un enfant à l’approche de son anniversaire – pour peu qu’il était d’usage de le célébrer au sein de sa famille. Elle avait patiemment suivi Randall à droite et à gauche, aux quatre coins d’Astera, afin de préparer le départ en chasse. La quête était simple : d’après ce qu’il lui avait rapporté des dires du commandant Gareth, le tobi-kadachi que le chasseur avait été chargé d’observer, et que l’Altmer avait éborgné d’un tir de flèche bien placé, était devenu incontrôlable, s’en prenant à divers monstres avec qui il cohabitait, et devenant un réel danger aussi bien pour la faune que la flore alentours, ainsi que pour les chasseurs partis en quête dans les environs.

En passant devant l’aile médicale, Elenaril aperçut une femme se présentant pour des brûlures dues à de violentes décharges électriques, ainsi qu’une écaille pointue longiligne plantée dans sa cuisse. Si cela était du fait du tobi-kadachi, elle commençait alors à redouter cette mission. Elle avait suspecté que la créature usât de magie en voyant les arcs électriques illuminer les écailles parsemant son dos à la première rencontre, mais cela devenait terriblement réel en voyant cette femme blessée, et la crainte montait peu à peu, alors que l’impatience, elle, ne décroissait guère.

« Allons faire un tour à la forge. Mon fusarbalète réclame une petite révision, » déclara Randall, avant de l’entraîner en la tirant par le poignet, cette fois-ci d’une manière bien plus douce que la première fois qu’il le lui saisit, dans cette immense forêt.

Elle le suivit sans protester, bien au contraire. Curieuse de voir tous ces préparatifs, et de découvrir comment les chasseurs s’apprêtaient pour aller au combat, elle se contentait de le suivre, l’observant et prenant de temps à autres quelques notes dans son carnet.

« Oh, et peut-être voulez-vous déposer vos affaires quelque part ? En attendant de vous trouver un coin où dormir – car j’imagine que c’est là votre nécessaire de voyage ? – vous pourrez sûrement laisser ça dans mon coffre.

— C’est bien gentil. Je doute que j’aurai besoin d’autant d’affaires que celles que j’ai là. Je vous ai d’ailleurs ramené un petit souvenir d’Eyévéa – ou plutôt, de Tamriel. Nous verrons cela plus tard ; j’espère que cela vous conviendra.

— Vous êtes bien trop gentille, Elenaril. Comment vous remercier ? »

Le forgeron observait la scène depuis son atelier d’un air amusé et légèrement irrité ; l’Altmer et le chasseur discutaient sur le seuil de son bâtiment duquel émanait une chaleur étouffante, gênant le passage de possibles autres clients. Lorsqu’elle le remarqua, Elenaril fit signe à Randall d’entrer, lui emboîtant aussitôt le pas, concluant leur courte discussion.

« Vous me permettez d’observer une chasse sur le terrain, c’est une source inestimable d’informations pour mes recherches. Croyez-moi, Randall, cela suffit amplement. »

Il lui adressa un sourire franc et ravi, avant d’échanger auprès du maître des lieux au sujet de son arme à feu, dont le canon nécessitait apparemment d’être réajusté, ou quelque chose dans ces eaux-là auxquelles l’Altmer ne comprenait pas tous les détails. Au même moment, un individu passa le seuil, saluant d’un signe de main celles et ceux déjà présents dans la forge. Elenaril le reconnut assez rapidement ; c’était l’homme qui avait échangé avec le commandant avant que Randall ne la présentât à ce dernier. Le fameux « gars prometteur » qui avait fait un raffut particulier à son arrivée à Astera, dans un bateau autre que celui de son camarade.

Il avait revêtu une armure qui rappelait grandement le tobi-kadachi ; elle comprit alors qu’il en avait déjà chassé plusieurs afin de faire concevoir une tenue à partir de la dépouille des congénères du monstre. Dans son dos, ajustée sur un harnais, trônait une paire de courtes épées qui évoquaient grandement des nageoires – Randall lui fit savoir par la suite qu’elles avaient été créées à partir de matériaux extraits d’un monstre semblable à un gigantesque poisson doté de deux membres inférieurs, un certain jyuratodus.

Tandis que Randall réglait quelques derniers points avec le forgeron – revissant certaines parties de son arme améliorée pour l’occasion, et payant la somme demandée –, Elenaril suivit du regard l’autre chasseur qui allait et venait, attendant tranquillement son tour. Son visage, marqué par les chasses, se distinguait par une cicatrice pâle qui barrait son visage, s’étirant de la partie gauche de son front jusqu’à la pommette, et par un œil grisâtre, probablement aveugle bien qu’Elenaril ne pût en avoir la confirmation. Ses traits durs lui donnaient un air peu commode, et quelque part l’Altmer éprouvait une sorte de crainte à son égard.

« Oh, salut, fit Randall en se retournant et en dévisageant l’autre chasseur. Toi aussi tu te prépares ? Qu’est-ce que tu comptes emmener ? »

Silence de la part de son vis-à-vis, qui se contenta de simplement lui désigner ses épées.

« Oh, des doubles lames en jyuratodus, pas bête. C’est vrai que le tobi craint l’eau. Et Aiden ? Il avait mentionné du poison, je crois bien… »

Un haussement des épaules lui parvint comme seule réponse. Mais le chasseur n’en démordit pas.

« On se retrouve là-haut pour le départ. Je pense que nous serons prêts d’ici une heure, juste le temps de s’équiper et de faire le plein de munitions et potions. »

Et l’éternel silence de l’autre individu se prolongeait, faisant peu à peu naître chez Elenaril un malaise comme elle en avait rarement éprouvé. Pourquoi cet individu s’acharnait-il à se taire et à ne jamais donner de réponse claire ? Il ne s’exprimait pas par signes, il n’était donc pas muet – si toutefois les individus sur cette terre usaient d’une langue des signes quelconque – et n’avait donc aucune raison à garder le silence. Était-ce car il ne jugeait pas cela pertinent d’adresser la parole à Randall ? Si tel était le cas, elle était prête à aller lui en toucher quelques mots, et le secouer pour lui apprendre les bonnes manières s’il le fallait.

« Ah, Elenaril, merci d’avoir attendu, fit un Randall aux joues légèrement rougies, probablement par gêne. Je n’ai plus que mes munitions à charger, et ce sera bon de mon côté.

— Vous n’avez pas d’armure comme cet homme, là-bas ?

— Ah, non, celle que j’ai là, en cuir, me suffira. En tant que fusilleur, je reste à distance et évite la plupart des coups, contrairement à ceux qui seront au corps à corps qui doivent mieux se protéger.

— Nous ne serons pas seuls ? »

La question d’Elenaril sembla déranger Randall. Il jeta un coup d’œil en direction de l’autre chasseur qui faisait savoir au forgeron par divers signes de main ce qu’il attendait de lui, avant de l’entraîner dehors, sur le ponton qui longeait la forge.

« Nous serons accompagnés par deux de mes camarades de la Cinquième. Il y a Uthyr, que vous avez croisé là-bas, et qui se bat avec des doubles lames faites en jyuratodus. Le tobi-kadachi ne supporte pas l’eau, et ses épées ont la propriété aquatique du jyuratodus.

— Je vois. On dirait une forme d’enchantement qui donnerait à vos armes la capacité des monstres à user des éléments. Et il semblerait que vous fassiez cela sans gemmes, seulement avec des matériaux obtenus sur les créatures que vous avez chassées. C’est formidable.

— Et l’autre, poursuivit-t-il sans relever, c’est Aiden. Vous aurez le temps de lui parler avant que nous partions. Lui, au moins, vous répondra. »

L’amertume était décelable dans son ton, mais l’Altmer n’en tint pas compte. Elle se contenta de suivre Randall jusqu’à leur prochaine destination, scrutant sa silhouette élancée par l’armure de cuir qui recouvrait son corps, et émettait quelques légers grincements à chacun de ses mouvements. Elle éprouva de la peine à son égard, plus pour l’irritation dont il était victime par la simple idée de chasser avec ces deux autres personnes que pour sa réelle situation. Après tout, Randall n’était-il pas reconnu par sa Guilde ? Son commandant avait l’air fier lorsqu’il avait vanté ses prouesses…

« Venez, vous allez déposer votre sac. Il est trop gros, et trop chargé, il vous gênera, en plus de vous faire repérer plus vite. Les tobi-kadachis ont l’ouïe fine, comme la plupart des prédateurs. Il suffit d’une branche effleurée par le cuir pour qu’il vous fonce dessus. »

Elenaril plaisanta au sujet des connaissances très larges du chasseur quant aux monstres qu’il avait eu à rencontrer. Un tel exemple relevait assurément de l’expérience personnelle, et cette simple évocation eut raison de la moue de Randall, qui se changea en un petit rire plutôt discret.

« C’était un peu après ma promotion pour devenir chasseur de classe A. Ma première vraie quête dans le Nouveau Monde. Posie était avec moi, elle n’en menait pas large non plus.

— Posie ? répéta l’Altmer, resituant difficilement le nom dont elle ne gardait que peu de souvenirs, incertaine de l’avoir déjà entendu.

— Ah, suis-je bête, je ne vous l’ai pas présentée, vous devez avoir du mal à la resituer. Posie est mon palico, ma fidèle compagne de chasse. Elle se repose dans l’aile médicale, notre dernière expédition ensemble a mal fini pour elle – une patte cassée, autant dire qu’elle a dû rester immobile longtemps. À notre retour de cette chasse, nous irons la saluer, je pense qu’elle s’est complètement remise depuis le temps, et qu’elle pourra m’accompagner à nouveau. »

Conscient de sa digression, il se reprit et retrouva le fil de l’anecdote qu’il s’apprêtait à raconter.

« Nous étions juste partis observer des petits monstres, quasiment inoffensifs. Mais voilà, j’avais emmené avec moi bien trop d’affaires, entre les munitions, les potions et kits de premiers soins, des rations et tout l’attirail qui va avec. Par précaution, mais j’avais prévu plus que ce dont j’avais besoin. Ma sacoche, bien trop grosse, m’empêchait de me déplacer dans les petits espaces. Et au final, les monstres que je devais étudier m’ont couru après à travers toute la forêt où j’avais été envoyé. »

Il lâcha un soupir, secouant sa tête et les quelques mèches qui se dégageaient de sa chevelure de par leur longueur, avant de pousser la porte d’entrée de la chambre qu’il occupait.

« Sacrée histoire. J’ai longtemps refusé de me charger de quêtes concernant les monstres après ça.

— Qu’est-ce que vous faisiez alors ? J’imagine qu’un chasseur qui ne chasse pas ne gagne pas d’argent, non ?

— Je me chargeais des quêtes de livraison. Aller récupérer des plantes, des minéraux, ce genre de trucs dont personne n’aime s’occuper. Personnellement, ça me plaisait bien, j’étais tranquille. Et Posie aussi appréciait – je crois qu’elle n’aime pas tant que ça la chasse. »

Elenaril sourit, lui emboîtant le pas à travers la pièce sombre où les quelques rayons de soleil qui pénétraient ne le pouvaient que grâce à la porte maintenue par la main du chasseur.

« Et mine de rien, ça me rapportait assez pour vivre. Je pense que c’est en partie pour ça qu’ils m’ont fait passer en classe A et choisi pour intégrer la Cinquième. Je suis celui qui s’occupe des tâches dont personne ne veut se charger. Finalement ça me va, ça m’évite d’aller me frotter aux grands monstres qui pourraient me tuer d’un coup de griffe ou de crocs. »

C’était une belle manière de relativiser, aux yeux d’Elenaril. Il était vrai que pour les chasseurs, comme leur titre l’indiquait, chasser était essentiel pour vivre, puisque c’était leur métier. Elle s’était posé la question des recherches sur le terrain – comment faisaient-ils pour amasser assez d’informations sur les créatures avant de passer à l’action – mais Randall venait d’y répondre. Certains étaient chargés de traquer, observer les bêtes, avant de faire un rapport et de mettre en commun les découvertes. De cette manière, ceux qui allaient au combat pouvaient mieux s’équiper, en revêtant des armures enchantées les protégeant des attaques « magiques » des monstres, ou bien en améliorant leurs armes afin d’user des faiblesses de ces mêmes monstres. Un processus tout à fait remarquable, nota-t-elle.

« Bon, voilà mon coffre, fit-il, la coupant de ses réflexions, en ouvrant une malle conséquente après y avoir inséré une clé minuscule en comparaison de la structure massive de l’objet. Je pense que votre sac peut aller là – il lui montra un recoin laissé vide, inutilisé – et à la place, vous pourrez prendre ça. »

Il lui tendit une sacoche de cuir, semblable à celle que lui-même portait à la ceinture. Si celle qu’Elenaril nouait à présent à sa taille était entièrement vide, Randall affichait fièrement sa besace pleine d’outils divers. Un énorme carnet, aux nombreuses feuilles volantes – un compendium regroupant toutes les informations connues de la Guilde concernant les monstres mais aussi des cartes des environs, régulièrement mis à jour par les érudits et autres scientifiques qui dirigeaient les recherches, d’où les feuilles volantes –, une petite boîte dans laquelle était plié un filet de capture – il lui suffisait de le fixer à sa fronde pour pouvoir l’utiliser –, ainsi qu’une seconde, plus grosse cette-fois ci, qui dissimulait en son sein une fine cape de tissu. Quelle utilité pouvait-il en faire, Elenaril se le demandait. Une troisième et dernière renfermait quelques capsules aveuglantes, de simples petites sphères un peu plus grosses qu’une baie à l’allure métallique ; elle supposa qu’elles éclataient en heurtant une surface dure comme le sol ou des murs, et provoquaient ce flash lumineux dont elle se souvenait encore très bien, tout comme ses yeux.

Quoi qu’il en fût, il attendit tranquillement, bougie à la main, qu’elle transférât quelques fioles de potions de regain magique – et elle en but une en passant, sentant que sa régénération était au point mort depuis son arrivée – dans la sacoche, ainsi qu’un carnet et un crayon de fusain. Tout juste de quoi faire une petite virée sur le terrain et prendre autant de notes qu’elle le désirerait sur l’instant. Les potions n’étaient là qu’au cas où quelque chose dégénérerait, s’il lui fallait user de sa magie pour se défendre ou protéger l’un de ses camarades d’expédition. Mais elle était certaine qu’elle n’en aurait pas l’utilité – tout du moins, elle l’espérait au plus profond d’elle-même.

Randall insistait cependant pour qu’elle revêtît une armure, et lui montra une petite pile de vêtements soigneusement pliés qui attendaient sur un lit voisin – le sien.

« Une camarade de la Cinquième a accepté de me la donner pour vous, au cas où vous voudriez m’accompagner. Vous faites la même taille, à peu de choses près, j’imagine que ça vous ira. Je me doute bien qu’il vous sera difficile de venir sur le terrain dans vos robes. »

C’était une délicate attention qui toucha Elenaril, et elle le lui fit savoir. Il lui laissa alors quelques instants seule, afin qu’elle pût changer ses vêtements et essayer ceux gentiment récupérés par le chasseur. Elle devait admettre qu’elle n’était en rien habituée à porter des tenues en cuir et en lin, surtout aussi près du corps – elle aimait beaucoup l’ampleur du bas des robes et des jupes, et les braies serrant ses jambes lui étaient quelque peu désagréables. Il fallait cependant reconnaître que les hautes bottes sanglées autour de ses tibias étaient plutôt pratiques, et une petite sacoche maintenue sur sa cuisse gauche retenait une dague – Randall portait la sienne sur la droite, mais étant gauchère, Elenaril jugeait cela plus aisé que de la disposer sur son côté dominant, bien qu’elle doutât être capable de s’en servir.

Randall frappa à la porte lorsqu’elle achevait de nouer ses cheveux en un chignon comme elle savait si bien les faire, à l’aide de sa fidèle lanière de cuir adaptée pour cet usage. Elle lui ouvrit, fin prête à partir en expédition à ses côtés, sacoches sur la hanche et fioles de potion tintant à l’intérieur, et il resta un instant silencieux, étudiant soigneusement son allure, avant de lui faire un signe, le poing fermé et le pouce tendu. Probablement un message positif, à en constater son sourire.

« Nous sommes fin prêts, » dit-il en l’invitant à quitter la pièce, non sans s’aventurer à l’intérieur pour fermer à clé son coffre d’effets personnels, après l’avoir priée d’y ajouter ses vêtements.

Elle le suivit à travers Astera ; son fusarbalète sur l’épaule, il semblait à la fois impatient et peu pressé de quitter la colonie pour se rendre dans la forêt. Ils se stoppèrent, une fois parvenus au dernier étage, à la cantine, où ils trouvèrent déjà attablé un rouquin dans les mêmes âges que Randall. Des cheveux coupés courts, très soigneusement rasés, à l’exception d’une houppette soulevée par la brise, il leva ses yeux foncés vers le duo qui s’approcha de lui et s’apprêtait à s’attabler à ses côtés.

« Aiden, je te présente Elenaril. Elenaril, voici Aiden, notre lancier pour affronter le tobi-kadachi. »

Elle eut beau tenter de répéter ce prénom, elle ne put se détacher de l’idée qu’il sonnait bien trop comme un patronyme elfique.

« Enchantée, Áedán, fit-elle alors.

— Non, murmura Randall en lui donna un léger coup de coude, c’est Aiden… »

Le concerné partit dans un fou rire, et peina à se reprendre, sous les yeux stupéfaits de l’elfe et du chasseur qui l’accompagnait.

« J’aime bien Áedán, ça sonne original. Appelez-moi comme ça si vous voulez ! »

Sa bonne humeur était terriblement communicative ; ce jeune chasseur semblait incapable de perdre le sourire qui étirait ses lèvres.

« Quoi qu’il en soit ! reprit-il en tendant sa main dénudée en direction de l’Altmer, qui la serra sans trop de conviction, incapable de se faire à cette coutume. Je n’aurais jamais cru chasser un jour aux côtés d’une Wyvérienne !

— C’est une longue histoire, mais je suis ravie de voir comment vous comptez vous charger d’un monstre aussi rapide avec une arme aussi encombrante. »

Il rit à cette remarque, probablement conscient que ça n’était peut-être pas le choix le plus simple. Après avoir avalé quelques gorgées de sa boisson, il réajusta sa cotte de mailles et répliqua.

« C’est ce que vous croyez, mais sachez que lorsque le monstre me charge, je peux aussi bien parer avec mon bouclier qu’attaquer avec ma lance, dans le même temps. Et ce, même s’il est aussi rapide qu’un jeune tobi ! »

Tous trois s’esclaffèrent, seulement interrompus par l’arrivée d’un palico cuisinier qui vint apporter deux plateaux largement garnis – un pour le chasseur, l’autre pour l’Altmer. Bien que l’appétit ne fût pas à la hauteur de la profusion de nourriture, Elenaril s’efforça de ne pas en laisser une miette ; elle avait bien compris que le repas pré-chasse était des plus importants, d’autant plus que Randall semblait difficilement apprécier de jeter de l’argent par les fenêtres.

« Est-ce que Sadie et Efa nous accompagnent ? demanda soudainement Randall, à l’attention du rouquin, en levant le nez de son plateau.

— Je n’ai pas jugé nécessaire que Sadie vienne, personnellement. C’est un tobi-kadachi, la Commission en a déjà tellement chassé que je doute qu’il reste encore des choses à découvrir à leur sujet. À moins de la soudaine apparition d’une sous-espèce, mais je n’y crois pas trop. Faudra demander à Uthyr si Efa vient avec nous, même si on connaît déjà la réponse.

— Sadie et Efa sont des chasseuses ? interrogea Elenaril en piquant un des derniers morceaux de viande juteuse qui trônaient dans son assiette, avant de le porter à ses lèvres.

— Nos assistantes, corrigea Aiden.

— Et vous n’en avez pas, Randall ?

— Marissa et moi… avons quelques divergences d’opinion, avoua-t-il en évitant son regard. Je ne l’ai pas vue depuis quelques jours, elle doit sûrement réfléchir à la possibilité de faire un changement de binôme. Ou une reconversion. »

Un léger rire émana de sa gorge, comme pour dédramatiser la situation, mais l’Altmer comprit bien rapidement qu’il y avait un problème dont il voulait parler le moins possible. Alors elle se contenta de garder le silence, acquiesçant sans relancer la conversation, et de patienter. Le départ ne devait plus tarder, il ne manquait plus que le dernier d’entre eux.

« Alors c’est vrai ce qu’on raconte ? Que vous n’êtes pas d’ici ? »

Aiden s’était penché vers elle une curiosité d’enfant faisant pétiller ses yeux. Il posa son coude sur la table, qui émit un couinement désapprobateur en s’inclinant dans son sens sous la pression.

« Vous ne connaissez pas les habitudes d’Astera, on ne vous a jamais vue avant hier, vous êtes tombée du ciel ou quoi ?

— En quelque sorte, si on peut dire. Cet endroit est comme un monde nouveau à découvrir, pour moi. N’avez-vous pas eu cette sensation en arrivant à Astera, Áedán ? »

Son vis-à-vis esquissa un nouveau sourire à l’occurrence de ce prénom quelque peu déformé – c’était plus fort qu’elle, Elenaril était incapable de l’appeler autrement. Et puisqu’il ne faisait rien pour la reprendre, pour rectifier, rien ne l’empêchait de continuer. Ce n’était pas comme si cela lui déplaisait.

Il s’apprêta à répondre à sa question, mais une silhouette imposante vint projeter son ombre sur leurs plateaux désormais vides, rapidement engloutis. Elenaril tourna la tête vers le nouveau venu, dont le regard scrutait les leurs.

« Oh, Uthyr ! Tu es enfin prêt ! Tu as mangé ? »

L’homme acquiesça, sans prononcer le moindre mot. Ses cheveux bruns, noués en une queue de cheval haute qui remua avec son visage, reflétaient les rayons du soleil de milieu de journée. Elenaril ne put s’empêcher de fixer l’œil blanchâtre traversé par une cicatrice pâle, vestige d’un combat passé dont il était sorti victorieux, mais à un certain prix.

« Dans ce cas, je pense que nous sommes fin prêts. Appelez vos drakes ! »

Chacun se leva de table, ramassa ses affaires, et se dirigea vers l’immense porte de bois qui indiquait la frontière de la ville, et le chemin à emprunter pour se rendre dans la forêt ou ses environs. Une fois cette dernière passée, chacun des trois hommes siffla, tous sur une tonalité différente, formant ainsi une petite harmonie très agréable aux oreilles de l’Altmer. Lorsque Henry s’approcha de son chasseur, Randall invita Elenaril à s’accrocher avec lui au harnais et, les yeux fermés, l’elfe attendit en prenant sur elle qu’ils arrivassent à leur destination.

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