De l'autre côté de la frontière

Chapitre 9 : Chapitre IX — Le tobi-kadachi éborgné

4446 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/09/2022 11:53

Chapitre IX

Le tobi-kadachi éborgné

 

 

L’atterrissage n’était pas des plus agréables, mais Elenaril préférait de loin se retrouver sur la terre ferme plutôt que suspendue à une corde tirée par une créature ailée. Certes, la présence de Randall à ses côtés la rassurait, mais il y avait quelque chose de déroutant pour une Altmer comme elle de ne plus avoir les pieds sur le sol que les Mens et Mers n’étaient pas censés quitter. Si les Divins avaient voulu qu’ils pussent voler, ils les auraient alors dotés d’ailes. Dompter des créatures pouvant les transporter ainsi ne lui semblait en aucun cas naturel.

Ils atterrirent dans une clairière abritée de toutes parts par des fondations naturelles. La pierre et les végétaux s’assemblaient dans un ballet formant une frontière séparant l’espace sécurisant du campement de la nature sauvage peuplée de monstres en tout genre. Elenaril inspectait scrupuleusement chaque recoin, découvrant pour la première fois ce lieu de repos des chasseurs en vadrouille. Non loin de là, Randall, Aiden et Uthyr discutaient une dernière fois de la méthode à adopter. Enfin, en ce qui concernait le dernier d’entre eux, il se contentait juste de secouer la tête pour communiquer son approbation ou son désaccord, sans détailler plus.

« Elenaril, vous êtes prête ? Nous allons pouvoir y aller. »

L’Altmer se hâta de regagner leurs côtés, près d’un foyer recouvert de cendres, que certains avaient dû utiliser par le passé pour y préparer un dîner ou pour se réchauffer lors d’une expédition nocturne par un temps glacial. Chacun avait achevé d’apprêter l’équipement ; les lames étaient affûtées, les armures sanglées, il n’y avait plus qu’à retrouver la trace du monstre et à se charger de lui. Et c’était là la partie la plus difficile de l’expédition.

« Avant que j’oublie, prenez ça, vous en aurez grandement besoin. C’est une cape de camouflage. C’est particulièrement utile lorsqu’on veut observer les monstres sans qu’ils nous détectent en retour. Revêtez-la dès que vous apercevrez le tobi, et que nous engagerons le combat. Vous n’aurez rien à craindre tant que vous l’aurez sur le dos.

— C’est très gentil, Randall. Mais vous n’en aurez pas vous-même besoin ?

— Nous avons pour ordre de chasser et de tuer ce tobi. Dans tous les cas, je devrai l’affronter, ça ne servira à rien de me cacher dans les fourrées et attendre que ça se passe. C’est mon devoir en tant que membre de la Cinquième. »

Voyant qu’Elenaril peinait à revêtir la cape, dont certains pans s’accrochaient inlassablement aux sacoches sur ses hanches, il lui donna un coup de main. Étirant le tissu de la couleur des feuillages – était-ce même là de vraies feuilles qu’elle apercevait, ou bien faisait-elle face à une illusion d’optique finement tissée ? – afin de parfaitement le disposer sur ses épaules, il vint soigneusement nouer le col au niveau de la clavicule de l’Altmer. Leur différence de taille fit qu’il dut relever la tête et, à observer ses mimiques, cela le dérangeait quelque peu d’être face à un individu qui le dépassait d’une bonne douzaine de centimètres. Peut-être n’était-ce pas seulement un problème de hauteur, mais aussi de genre ; les individus masculins de cette ethnie faisaient-ils eux aussi face à un complexe d’infériorité dès lors que leurs partenaires féminins étaient plus grands ? L’Altmer devinait que la question était plus qu’indiscrète, et choisit de la garder pour elle.

« Faites attention, indiqua-t-il en réajustant le tissu de chaque côté des épaules d’Elenaril. Les effets de la cape de camouflage se dissipent dès lors que vous tentez un mouvement offensif en direction du monstre. Décocher une flèche, envoyer une bombe aveuglante, ou même poser un piège, tout cela peut se retourner contre vous. Alors restez discrète, cachez-vous dans les buissons, et prenez la fuite si le tobi vient dans votre direction. »

Il tira un dernier objet de sa sacoche, et le lui tendit de sa main gantée de cuir qui grinçait à chaque mouvement de ses doigts.

« Voilà une fusée de détresse. Tirez sur cette cordelette en la dirigeant vers le haut. Elle dégagera une fumée colorée qui nous permettra de vous retrouver si vous vous perdez. Gardez-la soigneusement au cas où vous en auriez besoin. »

C’était, expliqua-t-il brièvement, un vieux prototype abandonné au profit des capsules à fixer sur les frondes dont était équipé chacun des chasseurs de la Commission. Un tube de bambou abritait un petit mécanisme dont la réaction chimique entraînait une déflagration colorée grâce à un savant mélange de poudres et de pigments dont lui-même ignorait les noms. Tout ce qu’il y avait à savoir était qu’en arrachant la ficelle qui scindait les différents composants le mélange se créait, et la fusée brûlait haut dans le ciel, laissant dans son sillage une traînée rouge visible à des kilomètres ou presque. Elle voulut demander s’ils pourraient apercevoir le signal depuis les sous-bois, où le ciel se cachait par-delà les hautes cimes, mais préféra garder cela pour elle, une fois de plus. Uthyr signalait par son langage corporel une impatience, un début d’irritation de devoir les attendre avant de partir au combat. Aiden, à ses côtés, regardait nonchalamment l’herbe et la terre à ses pieds, comme s’il guettait l’instant où une pousse émergerait des sols pour venir goûter au soleil.

« J’espère que vous n’en aurez pas l’usage. Mais il faut être prudent. Le commandant Gareth vous a placée sous ma responsabilité, je dois tenir ma parole.

— Sauf votre respect, je suis très certainement bien plus âgée que vous Randall. Je ne suis pas une petite chose à protéger. Je saurai réagir comme il se doit, et nous rentrerons tous les quatre sains et saufs à Astera une fois ce monstre vaincu. Vous avez ma parole d’Altmer.

— Un tobi ne se prend pas à la légère comme ça ! » tenta de raisonner le chasseur, en vain.

Ignorant ses conseils, elle s’avança en direction d’Uthyr et Aiden, qui croisèrent son regard. Une lueur dans leurs yeux lui demandait discrètement s’ils avaient fini, ou s’ils devaient patienter encore longtemps avant de prendre en chasse le tobi-kadachi. Elle vint se planter face à eux, poings sur les hanches, et un grand sourire illuminant son visage.

« Messieurs, si vous voulez bien ouvrir la voie, je vous emboîte le pas volontiers !

— J’ai bien cru que ce moment n’arriverait jamais ! scanda Aiden en riant. Je me disais qu’on finirait par prendre racine ! »

Il indiqua le chemin à suivre, sur les traces d’Uthyr qui s’était faufilé le premier en rampant sous un enchevêtrement de racines formant un minuscule espace permettant tout juste le passage d’adultes équipés d’armes et armures imposantes. C’était curieux qu’aucun monstre ne vînt se glisser dans le repaire agréable des chasseurs – Elenaril s’imagina alors qu’ils étaient bien trop gros pour rentrer, ou alors trop stupides pour tenter de forcer le passage. Quoi qu’il en fût, elle emboîta le pas à Aiden, et Randall ferma la marche. Il se hâta cependant de regagner le groupe, aux côtés d’Elenaril. Aiden et Uthyr avançaient tranquillement côte à côte, à la même allure, et le premier se permettait moult remarques et moqueries amicales au sujet de son acolyte. Face à son absence de réponse, il reprenait, visiblement incapable de se lasser de ses piques.

« Vous vous connaissez depuis longtemps ? fit l’Altmer en réajustant une sacoche dont les secousses la dérangeaient.

— On s’est rencontrés pendant la traversée jusqu’à Astera. J’étais dans le même bateau que lui. Par contre Randall tu étais dans un autre, non ?

— J’étais dans le dernier, celui qui a le moins été touché par le zorah magdaros. On a eu bien plus de chance que vous, c’est certain. Jusqu’à l’arrivée sur la terre ferme, certains croyaient vraiment qu’il y aurait des morts. Heureusement qu’on a de bons médecins, ça a limité les dégâts. »

Le bruit de leurs pas sur le sol meuble, entrecoupé du grincement des armures de cuir et du cliquetis des segments en métal des tenues et armes des chasseurs, berçait presque Elenaril. Ils restaient silencieux, marchant docilement, et regardant tout autour d’eux afin d’identifier des traces du monstre pour pouvoir le traquer. Des lucioles brillaient d’une aura verte autour d’eux, s’agglutinant auprès d’éléments de végétation ou des roches, comme pour attirer l’attention des hommes sur la nature et ce qu’elle avait à leur apporter. Face à l’air sceptique de l’elfe, Randall lui expliqua que ces « navicioles », comme ils les appelaient, étaient apprivoisées et dressées, d’une manière ou d’une autre, pour traquer les monstres ou rechercher des matériaux divers. En leur faisant flairer une piste ou une odeur, elles étaient capables de diriger les chasseurs jusqu’à l’objet ou la créature recherchée.

« Tenez, regardez ! s’exclama-t-il soudainement tandis qu’il lui expliquait doucement. Voilà des traces de tobi-kadachi. Notez combien les griffures sont peu profondes – ils ont des griffes plutôt courtes. Et là-bas, vous pouvez voir ces écailles et des touffes de poils. Il a dû se gratter contre l’un de ces arbres en se déplaçant.

— Vous montrez ça à vos lucioles et elles vous guident jusqu’au monstre ?

— Exactement, renchérit Aiden en prélevant une mèche blanchâtre pour la glisser près de la cage qui pendait à sa ceinture, et où revenaient sans cesse les insectes. Je doute que cela suffise pour qu’elles retrouvent sa trace, mais il ne faut rien lésiner. »

Uthyr leur fit un signe, d’un peu plus loin. Agenouillé, il faisait face à une empreinte de pas autour de laquelle s’affairaient ses navicioles. Les trois autres membres de l’expédition le rejoignirent, et Randall approcha sa cage de la trace du monstre. Les insectes se mirent à bourdonner, frottant leurs ailes à l’unisson – l’homme indiqua à l’Altmer qu’elles faisaient ainsi savoir qu’elles avaient repéré le monstre, et pouvaient les mener jusqu’à lui.

« Nous ferions mieux de parler moins fort, glissa Aiden. Il a l’air proche, et pourrait nous tomber dessus si on fait trop de bruit. »

Elenaril acquiesça, tout comme Randall et Uthyr, et ils se remirent en route, évitant le plus possibles les rideaux de lierre et de feuillages qui s’imposaient à eux. Le moindre bruissement trahirait leur présence, et le monstre n’hésiterait pas bien longtemps avant de les attaquer. Il leur fallait avoir l’avantage du premier coup – on relégua à Randall la charge d’assaillir le monstre avec des munitions paralysantes afin de l’immobiliser et de faire gagner aux deux autres un peu de temps pour s’approcher et lui porter quelques coups.

Lorsqu’ils trouvèrent enfin la wyverne, la teinte des lucioles vira au rouge, et elles se réfugièrent dans les cages de leurs chasseurs. Le tobi-kadachi se tenait là, dévorant goulûment une carcasse de monstre. Le quatuor était dans son angle mort, la créature leur tournait le dos. Randall ordonna à Elenaril de se glisser derrière des buissons voisins, avant de tirer la capuche de la cape sur sa tête – le tissu remontait à cause du chignon qui maintenait ses cheveux en place – et consulta silencieusement ses camarades.

La chasse était ouverte.

Les trois hommes commencèrent par se placer de manière stratégique ; Aiden et Uthyr s’éloignèrent de Randall qui apprêtait son arme, et chargeait ses munitions paralysantes. Le premier dégaina sa lance et son bouclier, et plaça une jambe en arrière afin de se préparer à courir, et à charger la wyverne à crocs ; le second restait sur le qui-vive, très certainement pour en faire de même et enchaîner quelques coups de ses épées doubles sur le corps écailleux de la créature.

Elenaril observa minutieusement, oubliant presque le simple fait de respirer, chacun des mouvements de Randall. Il s’avançait précautionneusement, pas à pas, étouffant chacun des bruits de son attirail. Lorsqu’il fut suffisamment près à son goût, il posa un genou à terre, cala son arme entre celui qu’il gardait plié devant lui et son épaule, et inclina la tête. Son œil ouvert fixait à travers un viseur afin de mieux cibler le monstre. Puis, lorsque tout fut fin prêt, il tira une première balle.

Le coup de feu surprit l’Altmer, qui manqua de pousser un cri. Le bruit était violent, très intense, et surtout désagréable. Comment Randall faisait-il pour rester autant impassible avec cette arme juste à côté de ses oreilles ? Elle aurait à lui poser la question une fois leur quête achevée.

La balle vint se loger entre deux écailles de la créature, qui poussa un hurlement, à la fois de douleur et de rage. Il avait tourné la tête afin d’identifier le bruit, et semblait se souvenir de Randall puisque son œil rouge sang se plissa, et un semblant de sourire se dessinait sur sa face. Il siffla, laissant paraître sa langue bifide, semblable à celle des représentants de la famille des serpents dont Elenaril avait déjà pu observer quelques spécimens.

Un autre coup fut porté, toujours aussi bruyant que le premier. Cette fois-ci, la réaction du tobi-kadachi fut toute autre : il se figea dans son mouvement tandis qu’il s’avançait lentement vers le chasseur, et sembla trembler de tout son corps. Les munitions paralysantes avaient fait leur effet, et Aiden et Uthyr ne perdirent pas un instant pour profiter de l’avantage inconsidérable que cela leur octroyait.

Le lancier chargea. Son arme colorée – Elenaril apprit par la suite qu’elle avait été conçue à partir d’un pukei-pukei, un monstre amateur de fruits qui produisait naturellement un poison tenace en les digérant – pointée droit devant lui, il fonçait tête baissée ou presque en direction du tobi-kadachi paralysé. L’œil valide rougeoyant le fixait sans faillir.

Aiden commença par lui asséner un coup de bouclier en pleine figure ; le choc ne sembla rien faire à la wyverne dont le regard restait fixé sur le chasseur, minuscule à ses côtés. Puis, dans un ample mouvement, il abattit sa lance sur le poitrail du tobi-kadachi. Quelques écailles argentées se détachèrent, volèrent ici et là en reflétant les rayons du soleil filtrant par-delà les feuillages. Puis il enchaîna en portant une succession de petits coups, enfonçant petit à petit la pointe métallique de sa lance dans le cou du monstre. Chaque instant le rapprochait plus de la chair et du sang, qu’il ne tarderait pas à salir grâce aux poches à toxines dont était affublée son arme.

De son côté, Uthyr avait attendu le premier coup de son acolyte pour se jeter dans la bataille. Ses doubles épées fermement tenues dans ses mains, il effectuait des moulinets qui tranchaient un peu plus à chaque contact la queue du tobi-kadachi. On devinait, sous son armure, le gonflement de ses muscles afin de permettre un tel déchaînement de puissance. À force d’enfoncer ses lames, le sang du monstre jaillissait, de simples éclaboussures venant rougir son armure du même bleu-gris brillant que le corps du monstre dont les tremblements s’amenuisaient.

« Reculez ! hurla Randall à plein poumons. Il se remet ! »

Les deux autres obéirent, firent un pas en arrière, tandis que le tobi-kadachi s’ébrouait rapidement, les effets de la paralysie s’étant pleinement dissipés, et se débarrassant ainsi des derniers fourmillements qui subsistaient. Sans perdre plus de temps, il effectua un grand bond qui lui permit d’atteindre l’un des épais troncs voisins qui encerclaient le terrain. Il sauta ainsi d’arbre en arbre, sans perdre de vue ses trois proies. Puis, lorsqu’il jugea le moment opportun, il fondit sur Aiden. Le rouquin para le coup d’un mouvement de bouclier, et la wyverne recula, légèrement sonnée, mais encore en pleine possession de ses moyens.

Le monstre hurla une nouvelle fois, mais les chasseurs ne flanchèrent aucunement malgré la puissance de ce cri qui paralysait Elenaril tant il lui vrillait les tympans. Dressé sur ses quatre membres, il hérissa chacune de ses écailles et des poils de sa fourrure, sa large queue frémissant dans son dos. Des arcs électriques se formaient entre certains, parsemant son corps de petits éclairs inquiétants.

Ce qu’apprit l’Altmer plus tard, en feuilletant le compendium de Randall, lui permit de mieux comprendre le comportement du monstre à cet instant. Très territorial, le tobi-kadachi avait l’habitude d’arpenter son domaine depuis la cime des arbres – son corps agile et ses griffes aiguisées lui étaient plus qu’utiles à cette fin. Mais surtout, en faisant cela, il chargeait sa fourrure d’électricité statique, pour pouvoir la décharger lorsqu’il se retrouvait attaqué par un rival, ou un autre monstre venu empiéter sur ses terres. Et à ce moment-là, il considérait le trio de chasseurs comme une réelle menace dont il lui fallait se débarrasser au plus vite.

Car il savait que c’était une question de vie ou de mort. Pour chacun d’entre eux.

Le monstre chargea, d’abord en direction d’Uthyr. Ce dernier effectua un pas sur le côté et chercha à heurter la mâchoire d’un revers, mais la wyverne fut plus rapide. L’agilité et la vitesse de ce monstre étaient plus que redoutables, et l’anticipation était la seule réelle arme dont pouvait se munir un chasseur face aux représentants de cette espèce. Les crocs claquèrent dans le vide, quelques étincelles bleu pâle jaillirent de sa tentative de morsure.

Randall apprêta son arme une nouvelle fois, et se mit en position. Il avait chargé le canon de petites munitions perforantes qui virent, une fois la détente pressée, se frayer un chemin elles aussi à travers l’épais corps du monstre. Il visait principalement les zones où Aiden et Uthyr avaient déjà commencé le travail afin d’approfondir les plaies pour leur permettre de mieux blesser leur cible, mais les déplacements rapides jouaient contre lui, et rendaient le tobi-kadachi difficile à pointer. Le chargeur se vida, il rechargea aussitôt dans un rapidement mouvement du poignet, saisissant une des boîtes qu’il gardait sur lui pour l’enfoncer dans l’espace prévu pour sur son arme. Puis il recommença, encore et encore. Jusqu’à ce que, lassé de sentir ces ridicules piqûres d’insecte frotter ses écailles, le tobi-kadachi ne se détournât d’Uthyr – qui esquivait ses coups de crocs et de griffes avec une aisance déconcertante – pour foncer sur Randall.

L’homme ne perdit pas un instant. Il changea aussitôt de stratégie. Armant son fusarbalète d’une nouvelle poignée de munitions, il se mit en joue, et visa la tête du monstre. Il fit de son mieux pour garder son calme, mais le tremblement de son index tandis qu’il appuyait sur la gâchette ne trompait personne. Randall exprimait tout naturellement la peur rationnelle de voir sa vie balayée d’un coup de dent ou de griffe, si toutefois il ratait son coup.

« Antiblindage ! »

Il tira plusieurs munitions en direction de la tête, qui vinrent se loger dans les interstices des écailles du tobi-kadachi. Elenaril aperçut des flammes qui consommaient une mèche plantée jusqu’au cœur de la balle ; lorsqu’elle l’atteignit, la coquille éclata dans un bruit retentissant, et le monstre eut un mouvement de recul. Lorsque la dernière balle explosa à son tour, la créature s’effondra, complètement sonnée. Ses quatre membres, ainsi que sa queue, se débattaient dans les airs, comme si la wyverne espérait que cela lui permît de plus rapidement retrouver sa maîtrise d’elle-même.

« Aiden ! appela Randall en changeant une nouvelle fois ses munitions. Son cou est dégagé, tu devrais pouvoir l’empoisonner.

— Je savais qu’on pouvait compter sur toi pour creuser les écailles ! Merci ! »

Il resserra un peu plus sa poigne sur sa lance, et s’empressa de la ficher dans la gorge, là où la chair était visible et saignait. Des pics métalliques recouverts de poison, très probablement extrait du même pukei-pukei que celui qui avait permis de façonner l’arme, entouraient le bout de l’arme, et contaminaient, seconde après seconde, le sang du monstre. Lorsque l’affliction serait à son apogée, le tobi-kadachi n’en serait que plus ralenti et affaibli – l’idéal pour capturer ou tuer la cible de la quête.

De son côté, Uthyr se rapprocha de la queue qui battait les airs, et enchaînait ses mouvements rapides. Un œil amateur croirait qu’il tapait à l’aveugle, sans réellement réfléchir à la stratégie à adopter face à sa proie désavantagée. Un œil expert comprendrait qu’il entendait par là abîmer une plus grande surface. Car la queue du tobi-kadachi était redoutable, c’était un des points-clés à attaquer lorsqu’il fallait en chasser. Plus cet appendice était long et large et plus le monstre pouvait accumuler d’électricité statique. Et, bien évidemment, si sa fourrure était particulièrement chargée, les dégâts pouvaient être conséquents pour les chasseurs. Personne n’appréciait se faire électriser – électrocuter pour les plus malchanceux – après une mauvaise esquive, que ce fût par un coup de croc, de griffe ou juste par contact avec le corps du monstre et les électrodes qui parsemaient sa fourrure.

Enfin, Randall se plaça au niveau du dos du tobi-kadachi, et vint plaquer le canon de son arme contre le sol. Ce faisant, il y planta une capsule de la taille d’une gousse d’ail – ce fut la seule comparaison qui vint à l’esprit d’Elenaril, la faute à ses restes d’alchimie qui la hantaient – de laquelle s’extirpait une fumée grisâtre, et dont le corps métallique luisait d’une lueur rouge qui pulsait. L’Altmer le vit charger une nouvelle fois son arme, la brandir en direction de la fumée et de la wyverne, et il tira, à cinq reprises, une salve de munitions dites « grenaille ». Ces balles à grande dispersion infligeaient plusieurs impacts à la cible, à condition d’être relativement proche de celle-ci, sans quoi elles s’avéraient inefficaces. La détonation – et de ce fait, la puissance des munitions ainsi que les dégâts causés – était amplifiée par la mine plantée quelques instants plus tôt, dont la fumée explosait à chaque tir du fusarbalète. Le chasseur le lui apprit plus tard lorsqu’elle l’interrogea à ce sujet ; le souffle-du-dragon – tel était le nom de cette capsule chargée de poudre – était particulièrement utile pour blesser profondément une partie du corps du monstre grâce à ces explosions, surtout lorsqu’elles étaient provoquées à la suite avec très peu d’écart entre chaque.

Mais malgré leurs assauts, le tobi-kadachi finit par se remettre sur ses pattes – une griffe avait saisi une racine voisine, et il avait pu ainsi se hisser pour se relever. Son oreille interne, déstabilisée par les tirs de munitions de type antiblindage, s’était visiblement réajustée, et voilà que son œil valide fusillait tour à tour chacun des trois hommes qui avaient pris leurs distances à quelques pas de la créature. C’était à savoir lequel du monstre ou des chasseurs allait lancer la prochaine offensive.

Randall n’attendit pas que le tobi-kadachi le devançât. Posant un genou à terre, il apprêta son fusarbalète, changeant quelques paramètres au niveau du canon d’un mouvement d’expert, et se mit en joue. De là où elle se trouvait, Elenaril eut tout juste le temps d’entendre son cri à l’attention de ses coéquipiers, avant que le tir ne couvrît tout autre son alentour.

« Frag !! »

La balle, plus grosse que toutes celles que l’Altmer avait vues jusqu’à présent, partit dans les airs, et forma un bel arc de cercle, dans un bruit de détonation assourdissant qui lui fit, une fois de plus, se boucher les oreilles. À l’apogée de sa courbe, elle se divisa, sous le regard étonné de l’elfe, en trois parties ; trois bombes qui explosèrent en entrant en contact avec le monstre, avec grand fracas. Un nuage de fumée noirâtre obstrua la vision des chasseurs.

Lorsqu’il se dissipa, le tobi-kadachi se dressait là, de toute sa hauteur. La pupille, véritable fente, creusait l’iris rouge sang, et tremblait alors qu’il toisait Randall. Il avait choisi quelle serait sa cible prioritaire. Et il comptait bien régler cette affaire au plus vite.

Son corps tout entier se hérissa, écailles et fourrure redressées, tandis qu’un courant électrique d’un bleu pâle le parcourait. Et le monstre poussa un hurlement plus puissant encore que les précédents. Il avait fini de s’amuser. C’était à son tour de mener la danse.

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