A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 12 : Le Galaxy Express 999

5419 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/08/2023 18:58

Chap 12 : Le Galaxy Express 999


- Tu vas rester plantée là longtemps ?


Reiko sursauta en faisant volte face.


- C’est toi… Tu m’as fait peur.

- Le mécanisme est hors service ?

- Non… Non…


Manabu haussa un sourcil étonné.


- Ben… Tu attends quoi alors ?

- Rien, j’étais perdue dans mes pensées. Allons-y.


Toujours dubitative concernant la véracité de ses souvenirs de la veille, elle s’était arrêtée, bras ballants, devant l’entrée de la salle de pause, incapable de faire un pas de plus.

Personne n’avait jamais partagé ses sentiments.

En tout cas, personne qui ne l’attirait autant.

D’ailleurs, elle ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui lui plaisait chez elle.

“Je suis pas particulièrement intelligente ou jolie. Pas vraiment drôle ou spirituelle. Et clairement, je dois être la novice la moins dégourdie de la SDF…”

Une petite voix lui souffla que Bruce pouvait trouver mieux qu’elle. Bien mieux qu’elle.


La porte automatique se referma derrière eux.

En apnée, Reiko marcha comme un robot vers la cuisine pour se servir un verre d’eau.

Du coin de l'œil, elle nota que David et Bruce jouaient aux cartes et que Louise feuilletait un magazine.


- C’est la liqueur à la framboise qui t’as asséché la gorge ?

- Ouais, c’est ça…


Le nez au-dessus de l’évier et les doigts crispés sur le meuble, elle sentit le feu lui monter aux joues. Elle s’obligea à inspirer et expirer lentement jusqu’à ce que la veine de sa tempe cesse de tambouriner contre sa peau.

Elle se retourna, un brin crispée, tandis que Louise l’interpellait. 


- T’es rentrée à quelle heure hier ? Schneider t’as cherchée un moment avant de partir.


Reiko hoqueta en plaquant une main contre sa bouche.

Elle l’avait oublié.

Complètement oublié.

Comment avait-elle pu commettre une telle omission ?

Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai. Elle savait très bien comment c’était arrivé, ou du moins elle croyait le savoir.


- J’ai… Euh… Zappé qu’on était venu ensemble.

- Zappé ?, répéta David, ébahi. C’est pas le genre de choses qui se zappent.

- Elle avait mieux à faire, c’est tout, intervint Bruce en portant une canette de lait à la fraise à ses lèvres.


Reiko, qui avait cette fois-ci viré à l'écarlate, attrapa un journal pour se cacher derrière.


- Mieux à faire ? Qu’est-ce qu’il veut dire ?, l’interrogea Louise en se levant brusquement.


David, qui avait parfaitement saisi l’allusion, asséna une grande claque dans le dos de l’artilleur, qui recracha sa boisson sucrée sur la table. 


- Champion !

- T’es complètement malade, ma parole ?


Le regard de l’officière radar allait et venait entre le sniper et la pilote.


- Non, est-ce que c’est bien ce que je crois ?, bredouilla-t-elle avec une voix plus aigüe que la normale.

- Non, pas du tout, s’empressa de répondre Reiko.

- Oui, c’est exactement ça, la contredit Bruce avec un sourire en coin.

- Pas possible… Vous… Vous…


Manabu s’approcha, visiblement perdu.


- De quoi vous parlez ? Qu’est-ce qu’on est supposé comprendre ?

- Que Reiko a laissé tomber Schneider pour une bonne raison aux yeux bleus et aux cheveux blonds, railla David.


Louise abattit son poing sur le journal de Reiko, déchirant quelques pages au passage.


- Vous sortez ensemble ?

- Oui, confirma Bruce. Maintenant calme-toi, j’aimerais me concentrer. J’ai une bonne main.

- Que tu dis, rétorqua David.

- Tu verras. Je te parie cent éblus que je te mets la misère.

- Tenu. Et si je gagne, tu me racontes en détail ta soirée d’hier.

- Non !, protesta Reiko.

- Désolé, mon gars, mais ça c’est pas tes oignons, dit-il en abattant ses cartes.


David lâcha ses cartes en soupirant.


- Ma déesse de la chance ne m’a pas aidé sur ce coup-là, râla-t-il en jouant avec une pièce dorée sur laquelle figurait le profil d’une très belle femme couronnée.

- C’est vrai ce qu’il raconte, Reiko ?, chuchota Manabu.


Se liquéfiant sur place, la jeune femme hocha la tête doucement. Si ses jambes n’étaient pas autant en coton, elle aurait sans doute pris la fuite depuis un moment.

Elle abaissa son journal froissé et le redressa presque aussitôt lorsqu’elle capta un clin d'œil de Bruce. À la fois mortifiée et gênée par l’attitude de son équipier, qu’elle ne pouvait se résoudre à appeler “petit-ami”, elle se focalisa sur sa lecture bancale.

Le cerveau en ébullition, elle ne parvenait pas à aligner deux idées cohérentes ou à déchiffrer les symboles sur le papier.

Au moins, elle était certaine que la scène d’hier n’était pas le fruit de son imagination.


“Pelotons Spica et Sirius, départ immédiat !”


Elle accueillit l’alarme de départ en mission avec un soulagement perceptible et bondit sur ses pieds comme un ressort.

Elle emboîta le pas à son unité, qui se précipita à l’extérieur de la salle de repos.


- Hé, y’a un problème ?, la questionna Bruce en lui entourant la taille avec le bras.

- Au-aucun !, dit-elle en se raidissant. J’ai juste.. Pas l’habitude de ce… Enfin…

- Ça viendra. Et si c’est l’autre qui te tracasse, il ne t’ennuiera plus longtemps.

- Euh, non, c’est pas ça… En fait, je voudrais savoir… Hier… Mes souvenirs sont un peu flous.

- C’est quoi la dernière chose dont tu te rappelles ?

- On.. On..


Impitoyable, le sniper patienta jusqu’à ce qu’elle formule sa phrase.


- On s’embrassait. Et après, c’est un peu… Confus.

- En fait, ce que tu me demandes, c’est ce qu’on a fait de notre nuit ?, lui murmura-t-il à l’oreille.


Proche de l’apoplexie, Reiko tourna la tête avec un mouvement saccadé.

Face à l’air affolé qui se peignait sur le visage de sa partenaire, il renonça à la charrier.


- Rien du tout. Comme t’étais soûle, je t’ai portée sur mon dos jusqu’à chez toi et tu as absolument tenu à me chanter l’hymne de l’Arcadia. 


“L’hymne de l’Arcadia. Misère.”


- Vraiment ? Il ne s’est rien passé de plus ?

- Pourquoi, t’en aurais eu envie ?, dit-il en lui glissant un baiser dans la nuque.


Il se retint de pouffer en la voyant s’empourprer.

C’était mignon. 


- C’est pas du tout ce que je voulais dire !

- Dommage, tu sais pas ce que tu rates. Allez, faut pas traîner ou Bulge va pas nous rater.


Alors qu’ils couraient en direction des quais, l’artilleur se prit à sourire bêtement. Il n’était pas peu fier d’avoir damé le pion à cet imbécile de Schneider et il ne se priverait pas de le lui faire comprendre le moment venu.

Pour l’instant, il comptait bien profiter des débuts de sa relation avec Reiko et il se fichait de l’avis des autres, y compris de celui d’un certain hors-la-loi, réputé comme la terreur de l’univers.

Malgré tout, il redoutait que l’ombre de sa réputation ne les poursuive à chacune de leurs missions.

“Tu verras bien. De toute façon, c’est trop tard pour douter. Je vais juste garder un oeil sur elle. J’ai l’habitude avec Manabu. Donc bon, un de plus, un de moins…”


- Qu’est-ce que vous fichiez ?, grogna Bulge quand ils s’installèrent à leur place. Vous avez pas entendu l’alerte ?

- Désolée !

- Valves en position.

- Circuit principal connecté.

- Pression de la chaudière interne, ok !

- Système all-green !


Le Commandant tendit le bras.


- Big1, décollage immédiat !


Ses roues se mirent en mouvement et le chien de garde de la galaxie fusa à travers l’atmosphère de Destiny en poussant un sifflement retentissant.


***


Toujours sous le coup de l’émotion de ces derniers jours, Reiko peinait à se concentrer sur son travail et acheva tant bien que mal la vérification des systèmes des chasseurs.


- Nous avons reçu un signal de détresse d’un train proche du grand nuage de Magellan. Il semblerait qu’une prise d’otage ait lieu à bord. Une femme en particulier serait visée. La section Spica nous fournira toutes les données nécessaires à notre intervention. Il va sans dire que nous respecterons chacune des consignes du Commandant Reinhart.


Schwanhelt Bulge s’éclaircit la voix avant de reprendre.


- Faites preuve de prudence car cette passagère doit demeurer saine et sauve. Je n’ai pas tous les détails alors je vous recommande la plus grande vigilance.

- De quel train s'agit-il ?, demanda Louise.

- C’est le 999.

- Le 999 ?


Reiko s’était mise debout, fébrile.


- Quel est le nom de cette voyageuse ?


Elle quitta sa console, angoissée, pour se camper devant le Commandant.


- Dites-moi… Elle est blessée ? Il y a un jeune garçon avec elle ? À quoi ressemble-t-elle ? Avez-vous…

- Reiko ?, la coupa David, surpris. Tu connais quelqu’un à bord ?


Bulge se pencha en avant, intrigué.

Comment Reiko avait-elle eu vent de son existence ?

Même lui, malgré son ancienneté et la confiance que lui témoignait le Quartier Général, n’avait jamais pu mettre le nez dans le dossier de cette femme.

Tout ce qui la concernait était classé secret défense. Seule Layla Destiny Shura avait accès à ces informations.


- C’est Maetel ? C’est ça ?, insista Reiko en se rapprochant.

- Il y a de fortes chances.

- Oh.. Non…


Instinctivement, elle porta une main à sa poche.

Fallait-il prévenir Harlock ?

Indécise, elle demeura inerte au milieu de la “control room”.


- Reiko.


Et si le pire était déjà arrivé ?

Elle se frotta le poignet avec anxiété.

Si elle avait intégré la SDF, c’était en partie grâce à Maetel et ses conseils.

Pourvu qu’elle soit indemne…


- Reiko !

- Oui, Commandant ?

- Es-tu trop impliquée émotionnellement ? Si c’est le cas, tu ne peux pas participer à cette opération.

- Non. Laissez-moi y aller, s'il-vous-plaît !


Il réfléchit un bref instant avant d’acquiescer. 


- Reprends ton poste.

- Compris !


Il observa sa nouvelle pilote dont la tension raidissait les membres.

Zero, Harlock et maintenant, Maetel.

Il devait en apprendre plus à son sujet. Pour le bon fonctionnement de son peloton, il avait le sentiment qu’il était vital de percer le mystère entourant cette fille.

Surtout au vu de l’attachement que certains d’entre eux lui témoignaient.


- Une communication en provenance du Flame Swallow.

- Accepte-la


Le visage de Julia Reinhart s’afficha sur l’écran central.


- Nous sommes déjà sur place. La situation est plus délicate que prévue.


Un hologramme du 999 prit forme devant leurs yeux.


- Des individus ont investi le train lors de sa dernière escale. Nos détecteurs organiques ont dénombré sept personnes armées et neuf civils, dont le contrôleur. Il semblerait que la femme prise en otage soit accompagnée d’un adolescent.


Des points lumineux se mirent à clignoter au niveau du sixième wagon.


- Et voici les assaillants. Un dans la locomotive, deux avec les otages et les autres dans les voitures de tête et de queue. Nous vous suggérons de tenter une approche multiple à ces exacts emplacements.


Des flèches se matérialisèrent autour de l’express.


- Merci Julia.

- Bonne chance, unité Sirius.


Une fois la communication coupée, Bulge établit un plan d’action.


- Yûki, reste à bord de Big1. Manabu, Bruce et Reiko vous infiltrerez le 999 par l’arrière. Il y aura deux hommes à neutraliser ici et là. Je m’occupe de la locomotive avec Louise et David. Nous finirons par le sixième wagon avec une manœuvre en tenaille. Pas d’imprudences, compris ?

- Oui, Commandant !

- Combien de temps jusqu’au grand nuage de Magellan ?

- Quinze minutes !, les informa Louise.

- David.

- En avant toute !, déclara-t-il en actionnant le levier principal.


***


Reiko remonta la fermeture de sa combinaison cosmo, déterminée à porter secours à son amie malgré l’inquiétude qui lui rongeait l’estomac. 

Si elle ne connaissait pas intimement Tetsuro, il n’en était pas de même pour Maetel. 

Elle lui avait sauvé la vie. 

Ça ne s’oubliait pas facilement.

C’était l’occasion ou jamais de lui renvoyer l’ascenseur. 


- Qui est Maetel ?, demanda Louise. C’est une diplomate ? Une célébrité ?

- Pas exactement. C’est plutôt une voyageuse professionnelle.

- C’est un métier, ça ?


Elle ne préféra pas répondre. Maetel suivait sa propre destinée et son rôle dans l’univers était aussi crucial qu’inénarrable.

À l'instar d'Harlock veillant sur la Terre, elle se la figurait parfois comme une gardienne cosmique de la grande roue du Destin. 

Mystérieuse et énigmatique, voyant l'invisible et comprenant l'indicible, elle endossait inlassablement le rôle de guide envers ceux qui en avaient besoin.

Voilà qui était Maetel.  


Les deux femmes sortirent des vestiaires pour rejoindre leur peloton.


- Prêtes ?

- Oui, Commandant, s’exclamèrent-elle en cœur.

- Une fois suffisamment proches, nous nous introduirons dans le train, à commencer par vous trois, annonça-t-il en désignant l’équipe dirigée par Bruce. Vous entrerez par le wagon de queue puis Big1 survolera l’express pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi. Quant à nous, nous emprunterons la trappe de la locomotive. Des questions ? Non ? Au travail.


La porte automatique s’entrouvrit.

Manabu sauta le premier sur la plateforme extérieure du 999, suivit par Bruce qui prêta son bras à Reiko pour l’aider à monter à bord.


- Bon courage, ajouta Bulge alors que Big1 reprenait de la hauteur. 


L’artilleur darda un regard froid et sévère sur ses partenaires.


- D’après les filles de Spica, les terroristes ne sont pas dans cette voiture mais dans la prochaine. Ils risquent d’utiliser des passagers comme bouclier donc personne ne bouge avant mon signal. Vu ?


Il ponctua ses paroles avec un tir laser sur la poignée et un puissant coup de pied qui fit voler le battant

Par sécurité, Reiko dégaina son cosmo-gun, puis l'abaissa en constatant que le wagon était vide. 


- On avance. Manabu derrière moi. Reiko, tu fermes la marche.

- Oui !


Ils sillonnèrent précautionneusement les lieux en scrutant chaque renfoncement. Puis, Bruce risqua un œil à travers la fenêtre.


- Deux individus armés et un civil recroquevillé coin arrière droit, derrière les sièges.

- Une adolescente, douze, treize ans ?

- Elle doit être terrifiée, souffla Reiko.

- Ils nous tournent le dos. On va franchir la passerelle, s’embusquer et les prendre par suprise. Manabu désarme le plus éloigné. L’autre, j’en fais mon affaire.

- Et moi ?

- Tu nous couvres.


Reiko fit la moue mais ne protesta pas.

Elle avait conscience qu’elle n’était encore qu’une novice et qu’elle avait énormément à apprendre de ses aînés.

Emboîtant le pas à ses collègues, elle s’accroupit derrière la porte pendant que Bruce et Manabu se postaient de part et d’autre du battant.

Après s’être assuré de la place de chacun dans la voiture, le sniper leur fit un décompte de cinq. Lorsqu’il forma un rond avec son pouce et son index, Manabu enfonça l’ouverture. Il tendit son cosmo-gun et un rayon laser percuta le pistolet du premier assaillant. Reiko s’engouffra juste à temps dans le wagon pour voir Bruce dévisser la mâchoire de son adversaire avec un direct du droit féroce. D’un coup de pied agile, Manabu écarta l’arme et mit en joue le terroriste.


- Allonge-toi, lui intima-t-il férocement.


Un brève oeillade confirma à Reiko que, de son côté, Bruce maîtrisait parfaitement la situation. De ce fait, elle s’approcha de la jeune fille, les mains en évidence.


- Space Defence Force, tu ne risques plus rien. Comment tu t’appelles ?

- A-Anna…

- Moi, c’est Reiko, dit-elle en posant un genou à terre. Tu as mal quelque part ?

- Non.


La pilote activa son communicateur. 


“Reiko pour le Commandant, numéro dix, sécurisé. Une civile saine et sauve. Deux individus K.O. À vous.”

“‘Ici Bulge. Locomotive sécurisée également. Trois hommes à terre. Nous avons mis un couple à l’abri ainsi que le contrôleur. Rendez-vous au numéro six.”


Elle se releva en enveloppant les épaules de l’adolescente.


- Des humanoïdes ?, constata-t-elle avec dégoût en détaillant les deux bandits.

- Manabu, attache solidement le tien, ordonna l’artilleur en montrant l’exemple.

- Oui !

- J’ai prévenu le Commandant.

- Parfait. On continue.

- Anna, tu vas nous accompagner, d’accord ? Tout va bien se passer.

- O.. Okay.


Ils parcoururent les wagons les séparant du numéro six, Reiko et Anna patientant à l’arrière le temps que Manabu et Bruce inspectent les lieux.


- On y est.


Soucieuse, Reiko se rua vers la vitre.


- Maetel…


Solidement encadrée par deux armoires à glace, la jeune femme aux longs cheveux blonds gardait un visage de marbre. Tetsuro, ligoté et baillonné, avait été jeté en vrac contre un strapontin. Reiko compta également trois autres voyageurs, une famille visiblement, entassés sur une banquette.


- “Ici, Bruce. Nous sommes en position. Quels sont les ordres ? Terminé.”


Pendant que les deux groupes se coordonnaient, Reiko tournait en rond comme un lion en cage.


- On conserve la même formation. Comme ils nous ont en visu, c’est l’équipe de Bulge qui les prendra à revers. On évite les tirs au maximum. Le risque de victimes collatérales est trop important.

- Compris !

- Anna, cache-toi sous les porte-bagages, lui conseilla Reiko. Oui, juste là.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps avant que le Commandant ne donne l’assaut. Moins de dix secondes plus tard, ce fut au tour de Bruce d’exploser la serrure et de faire irruption à l’intérieur de la voiture.

Reiko laissa Manabu passer devant elle et, n’y tenant plus, s’engagea à sa suite.

Schwanhelt Bulge avait plaqué leurs adversaires au sol tandis que Louise et David les désarmaient. Elle jeta un regard circulaire et avisa une silhouette qui se mouvait derrière un siège.

Un éclat métallique.

Un unique œil rose sans âme.


- Attention ! Il y en a un autre !

- Reiko, non !, hurla Bruce en bondissant vers elle.


Il n’eut pas le temps d’abaisser le canon du cosmo-gun et elle tira dans le fauteuil, le perforant de part en part. 

Un cri perçant, s’achevant par un effroyable gargouillis, s’éleva alors que Bruce assénait le tranchant de sa main sur les poignets de la pilote pour l’obliger à lâcher son pistolet.


- Aïe ! Mais qu’est-ce que tu… ?


Elle comprit sa faute lorsque le Commandant aida l’être mécanisé à se mettre debout. Son bras était déchiqueté et de l’huile coulait de son épaule à nue. Des fils électriques s’agitaient de la plaie ouverte.


- Oh merde…

- Un civil. Tu as blessé un civil, s’écria Louise, hébétée.

- Je croyais… Je croyais…

- Comment c’est possible que Spica ne l’ait pas détecté ?, cracha Bruce.

- Car il n’était ni fait de matière organique, ni armé, analysa David. Un défaut dans leurs réglages a dû empêcher le signalement des passagers humanoïdes.

- Putain, c’est pas leur taf d’anticiper ça ?


Reiko, stupéfaite, fixait la scène avec horreur.


- Koko.


Maetel se leva et l’enlaça avec douceur. Le nez dans le manteau noir de son amie, Reiko eut du mal à retenir ses larmes.

Qu’est-ce qu’elle avait fait ?

“J’ai signé l’arrêt pur et simple de ma carrière.”


- Merci d’être venue me chercher.

- Je.. Je…


Manabu trancha les liens de Tetsuro.


- Pas trop tôt, grogna-t-il. Vous êtes toujours aussi lents ?

- Pardon ?, protesta le jeune homme, outré par cette accusation injustifiée.

- Ben ouais, ils auraient eu le temps de nous tuer dix fois avant votre arrivée, les tança-t-il en époussetant son poncho brun et troué.

- Mais pour qui…


Le Commandant coupa court à la dispute.


- Louise, Manabu, escortez les rescapés à bord de Big1. Yûki va déployer la passerelle. Nous ramenons le 999 sur Destiny pour un chek-up complet.


Il marqua un silence.


- Reiko, je ne veux pas te voir dans la “control room”, déclara-t-il en s’approchant d’elle avec un air sombre.

- Co… Commandant…, balbutia-t-elle en s’écartant de Maetel. Ce n’est pas…

- Tu as désobéi aux directives de ton officier gradé en ouvrant le feu. Qui plus est sur un civil. C’est une erreur de jugement impardonnable. Je te mets à pied immédiatement.

- A-Attendez !

- J’emmène celui-ci à l’infirmerie. David, Bruce, enfermez les preneurs d’otage dans les cellules sécurisées et préparez le remorquage.

- Je peux.. Vous expliquer…

- Plus tard. Exécution !


***


- Je suis foutue, se lamenta Reiko, le visage enfoui dans ses genoux.

- C’est pas si grave, c’est qu’une boîte de conserve.

- Merci, Tetsuro, ça m’aide beaucoup.


Maetel posa une main rassurante sur la jambe de Reiko.


- Tous les novices commettent des bévues. Ce n’est sûrement pas aussi dramatique que tu le penses.

- Ils vont remplacer son bras et basta ! Pas de quoi en faire un drame. Il est pas mort. Et quand bien même, bon déba…

- Ce n’est pas ça le problème.


Elle inspira profondément, essayant de juguler les tremblements dans sa voix.


- J’ai visé un passager du Galaxy Railways. J’ai failli à la première règle. À la plus importante. “Les membres de la Space Defence Force de la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques doivent impérativement protéger les voyageurs qui empruntent les trains spatiaux.”

- Reiko…

- Si j’étais Bulge, je me virerais sans préavis.


Un sanglot perça à travers sa gorge.


- Je peux parler à Layla.

- Hors de question !, refusa-t-elle catégoriquement en abattant son poing sur l’accoudoir. Je l’ai déjà dit à Warrius. Je veux pas de traitement de faveur. J’ai pas d’autres choix que d’assumer mes fautes. J’ai choisi cette vie et j’accepterai la décision du Commandant quelle qu’elle soit.

- Et s’ils te renvoient ?, demanda Tetsuro. Tu retourneras sur l’Arcadia ?

- Impossible.


Imaginer le regard empli de déception d’Harlock lui donnait la nausée.


- Ne dis rien à Otto-san. Ou à Wawa.

- Si c’est ce que tu souhaites…


Et Bruce.

Que devait-il penser d’elle en ce moment même ?

Elle préférait ne pas y songer.

En tout cas, cette histoire avait eu le mérite de confirmer ce qu’elle savait depuis le début.

Il pouvait trouver bien mieux que la gourde qu’elle était.

Et, au vu des récents événements, elle ne doutait pas qu’il était aussi de cet avis.

“Si j’étais lui, je m’éviterais comme la peste. Je fais honte à mon peloton. Je fais honte au Galaxy Railways. Ma nullité est si abominable que c’en est ridicule.” 


- Maetel, reprit Tetsuro. Qu’est-ce qu’ils te voulaient ces tas de boulons ?

- Je ne sais pas. 

- Est-ce que tu crois que…

- Il est trop tôt pour tirer des conclusions hâtives sur le commanditaire de ce détournement.

- Mais quand même…


Un long frisson parcourut le dos de Reiko.


- Tu fais allusion… À Elle ? Mais je l’ai vue… Mourir…

- Des mouvements suspects ont été observés sur Râ-Metal. Nous étions justement en chemin pour en apprendre davantage.


Des tressautements agitèrent les doigts de la pilote.


- Cette chose n’existe plus…

- N’en soit pas si certaine, intervint l’adolescent. Elle a plus d’une corde à son arc.

- Tu vas prévenir Harlock ?

- Si j’obtiens des informations concrètes. Pour l’instant, il s’agit surtout de garder la tête froide. Nous ne sommes sûrs de rien.


Un éclair de lucidité traversa l’esprit de Reiko et elle fit part à son amie de leur récente découverte sur Heavy Melder.


- Des pièces métalliques ?

- Ouais.

- Avec une activité électrique ?

- Exactement.

- Je vois. Merci de m’en avoir parlé. Harlock me transférera les données.


Reiko renifla, abattue.


- Je sais que je fais une fixette sur les humanoïdes… Mais, depuis que je travaille ici, j’en ai vus à plusieurs reprises. Sur la planète de glace deux d’entre eux avaient déjà kidnappé des passagers.


Maetel croisa les bras, perplexe.


- Nous allons enquêter, n’est-ce pas Tetsuro ?

- Et comment !

- Quant à toi, arrête de te morfondre.

- Plus facile à dire qu’à faire.


Le voyage jusqu’à Destiny fut rapide et Reiko abandonna à regrets Maetel et Tetsuro.


- Tout va bien se passer, Koko, lui assura-t-elle en l’étreignant une dernière fois.


Ces paroles, qui se voulaient pourtant réconfortantes, lui laissèrent un goût amer dans la bouche alors qu’elle se dirigeait vers le quartier général, ignorant ses collègues affairés autour du Galaxy Express 999.


***


- Entre.


Le souffle court et le cerveau en manque d’oxygène, Reiko s’avança dans le bureau de Schwanhelt Bulge.

Le nez plongé dans un rapport et la mine renfrognée, elle ne lui avait jamais vu une humeur aussi maussade. Son tempérament d’ordinaire paternel était devenu ombrageux et menaçant.


- Tu sais pourquoi tu es là.

- Oui.


Il s’extirpa de sa lecture et riva un regard peu amène dans celui, inquiet, de sa recrue.


- Insubordination. Utilisation abusive de ton arme de service. Le tout enrobé d’une bonne dose de stupidité et de jugements hâtifs.


Elle ferma les poings, mortifiée par la véracité de ce constat.


- Tu as quelque chose à dire pour ta défense ?


“Il n’y a rien à ajouter.”


- Non.


Le Commandant tamponna brutalement une feuille.


- Ton ordre de démobilisation.


“Voilà. C’est fini.”

À deux doigts de s’effondrer, elle obligea ses membres à rester droits et immobiles. Son corps était parcouru de spasmes irrépressibles.


- Il est temporaire. Je te ferai part de ma décision définitive en temps et en heure.


Elle acquiesça, la gorge nouée.


- Tu es libre de t’en aller et de faire ce que tu veux. Cet ordre prend effet immédiatement.


Incapable d’en supporter davantage, elle s’inclina avant de se détourner. 


- Reiko, ce que tu as vécu ne doit pas influencer ton travail ici. La Compagnie est une entité neutre qui ne prend pas part aux conflits animant l’univers. Chaque passager a la même importance et ce quelle que soit la race à laquelle il appartient.


La porte se referma derrière la pilote.

Schwanhelt Bulge se passa une main sur le visage. Il n’éprouvait aucune satisfaction à réprimander si durement les soldats de son unité mais, dans le cas de Reiko, cette mise au point était plus que nécessaire.

“Si elle ne parvient pas à faire la part des choses, elle ne pourra jamais s’intégrer ici.”

Il était de son devoir de se focaliser sur l’efficacité de sa section et de prioriser la sécurité des voyageurs du Galaxy Railways.

“Que vas-tu faire, maintenant ?”


***


Le poing de Reiko s’écrasa contre le distributeur.

Du sang perla de ses phalanges et tâcha l’image des fraises souriantes de la publicité.


- Toi aussi tu as décidé de me pourrir ?


Un déclic se fit entendre et la canette tomba dans le dévidoir. Elle arracha la capsule de protection et ingurgita le thé frais. Les tremblements qui agitaient son corps lui firent en renverser une bonne partie sur son menton et le col de sa veste.


- Tu as déjà vu le Commandant ?


Une sueur froide coula le long du dos de Reiko.


- Qu’est-ce que ça peut faire ? Ça ne changera rien au fait que mon comportement était déplorable.

- C’est vrai.


Elle s’obligea à faire face à son instructeur.


- J’aurais jamais cru que tu puisses commettre une bavure pareille.


“On y est.”


- Tu avais une trop haute opinion de moi. Maintenant tu sais à quoi t’en tenir.


Il ne répondit pas et la jeune femme eut l’impression qu’un poignard lui transperçait l’estomac.


- Je sais que je suis indigne de faire partie du peloton Sirius et de la SDF.

- À la longue, ta tendance à te rabaisser est fatigante mais ce que tu dis est vrai.

- Hein ?

- C’était un acte indigne d’un membre du Galaxy Railways.


Reiko avala de travers sa boisson et une quinte de toux lui secoua les épaules.

Ces mots étaient brutaux mais il se devait d’être honnête avec elle.

De toute façon, il n’était pas dans la nature de Bruce de mentir ou de jouer les hypocrites.

“Si elle ne prend pas conscience de la portée de ses actes, son avenir ici sera compromis.”


- Ouais. Ben t’as bien résumé, conclut-elle d’une voix morne en s’éloignant.

- Reiko, on a pas terminé.

- Moi, si.


“Elle a besoin d’air, ça sert à rien de lui courir après.”

Bruce enfonça une pièce dans le distributeur salement abîmé par la pilote. 

“Sacré punch.”

L’échec de Reiko était surtout le sien et celui de son enseignement.

Dire qu’il s’était promis de veiller sur elle… Quelle blague.

Il fallait qu’il en discute avec Bulge avant que celui-ci ne mette un terme à sa carrière. Bien qu’elle se soit tirée une balle dans le pied, cette erreur ne justifiait par un renvoi ferme puisque les dommages corporels de l’humanoïde n'étaient pas définitifs.

Il décapsula le soda en soupirant.

“Tu n’as pas fini de me causer du souci, idiote. Et ne crois pas une seule seconde que je vais te lâcher pour autant.”


*** 


Reiko déambula au hasard des couloirs puis, n’en pouvant plus, s’adossa à un mur et se laissa glisser au sol.

Les larmes qu’elle avait difficilement retenues jaillirent en un flot ininterrompu.

Ses ongles griffèrent vainement le carrelage tandis que de lourds sanglots s’étranglaient dans sa gorge.


- Okaa-san… Otto-san… Pardonnez-moi…, hoqueta–t-elle en renonçant à tout sang-froid.


Elle sentit vaguement un bras lui entourer la tête.


- Oh, je suis tellement désolée… Si je peux faire quoi que ce soit…


Louise l’attira contre sa poitrine et elle n'opposa aucune résistance, aussi molle qu’une poupée de chiffon.

Manabu s’agenouilla à son tour, désemparé.


- Ça va aller…, tenta-t-il maladroitement.

- N-non… C’est… Faux…


Il frotta le dos de Reiko pendant que les larmes de l’officière radar se mêlèrent à celles de la pilote.

Aujourd’hui, la déception avait le goût amer du thé de Tabito. 



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