A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 13 : Mise à pied

5588 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/08/2023 20:38

Chap 13 : Mise à pied


- Tabito ?

- Oui.

- Mais… Je vais déranger ta maman.

- Absolument pas. Je lui ai déjà posé la question.

- Et si tu refuses d’appeler Harlock, c’est la seule solution.

- C’est très généreux de ta part, Manabu, dit Reiko en reniflant.

- Bois ton thé. C’est chaud. Ça te fera du bien, ordonna Louise.


La crise de larme terminée, le trio avait investi la cafétéria du quartier général, peu fréquentée en ce début de soirée.


- J’arrive pas à croire que le Commandant ait été si dur, reprit l’officière radar.

- Et que Bruce ait enfoncé le clou à ce point, ajouta Manabu.

- On peut pas leur en vouloir, j’ai été d’une nullité absolue.

- Reiko… On a tous déjà fait des erreurs, ça méritait pas un renvoi aussi catégorique.

- J’en suis pas si certaine. Je n’ai peut-être pas ma place parmi vous.

- C’est le chagrin qui te fait dire ça, rétorqua Louise.

- Elle a raison. Rien n’est perdu, c’est temporaire.

- Si tu veux mon avis, ça risque bien de devenir permanent, répliqua Reiko, complètement découragée.


Un silence morose s’abattit sur les membres du peloton Sirius.


- Que vas-tu faire ?, l’interrogea Louise.


Elle soupira, désabusée.


- Accepter l’offre de Manabu. Rester ici et regarder Big1 décoller tous les matins depuis la fenêtre de ma chambre serait sans aucun doute la pire des tortures.

- Je t’ai déjà expliqué que ma mère tient un restaurant proche de la gare. Elle sera ravie de t’accueillir.


La pilote se leva, vacillante.


- Dans ce cas, je vais prendre le train dès ce soir.

- Tu es sûre ?, demanda Louise. Je ne suis pas rassurée à l’idée de te laisser partir dans cet état.

- Ouais, je dois juste récupérer des affaires au vestiaire.

- Est-ce qu’on prévient Bruce ?

- Non, pas la peine, déclina-t-elle radicalement. J’ai pas la force de l’affronter encore une fois.

- Mais… Je pense qu’il aimerait savoir…

- Non, Louise. Je lui ai déjà fait assez honte comme ça.

- Tu exagères, il ne…

- Tu ne l’as pas entendu, il était vraiment déçu.


Sa voix se brisa et elle attendit quelques instants avant de poursuivre.


- Merci à vous deux pour tout ce que vous avez fait pour moi. J’oublierai pas.


Louise essuya ses yeux humides et étreignit son amie intensément.


- On se téléphonera.

- D’accord.

- Le prochain train à destination de Tabito est à vingt-et-une heure, l’informa Manabu.

- C’est parfait. Au… Revoir.


Les épaules voûtées, elle se détourna et disparut dans le dédale de corridors du quartier général.


***


- Une démobilisation ?

- C’était la seule solution. Elle ne t’a réellement rien dit ?

- Non.


“Et moi qui en ai rajouté une couche… Je suis un imbécile.”


- Commandant, combien de temps prolongerez-vous cette sanction ?

- Je ne sais pas. Son attitude est compromettante pour le fonctionnement de notre unité. La réintégrer, c’est prendre de gros risques.


Connaissant Reiko, il était persuadé qu’elle vivait extrêmement mal cette punition.

“Elle va s’enfuir, j’en suis sûr.”

Le peu d’assurance qu’elle avait gagné ces derniers temps avait sûrement été réduit en miettes.

“Putain, quel merdier cette situation.”


- Je me porte garant d’elle. J’intensifierai son entraînement. Elle perdra toutes ses mauvaises habitudes.

- C’est davantage une question de mentalité. Et tu es loin d’être objectif la concernant.

- Elle manque de confiance et sa technique est mauvaise mais c’est un bon élément. Elle est pleine de bonne volonté.

- Parfois, ça ne suffit pas.


Bruce écrasa son poing sur le bureau, le fissurant au passage.


- Manabu a fait bien pire et il est encore là.


Schwanhelt Bulge soupira.


- C’est mon choix. Je te préviendrai quand j’aurai pris ma décision finale.

- C’est des conneries, fulmina le sniper, hors de lui.

- Bruce, je te conseille de te calmer immédiatement.


Seul le claquement brutal de la porte répondit au Commandant de la section Sirius.


- Ils se sont passés le mot pour me compliquer la vie, grogna Bulge.


***


L’artilleur pénétra brusquement dans la salle de pause.

“Vide. Où a-t-elle bien pu aller ?”

Il traversa au pas de course les principales pièces du bâtiment, en terminant par la cafétéria, dans laquelle il tomba nez à nez avec Manabu.


- T’as vu Reiko ?


Le jeune homme sembla hésiter puis, il secoua la tête, le regard sombre.


- Ouais, mais elle a pas envie que tu saches où elle est. Et je la comprends.


Le sang du sniper ne fit qu’un tour dans ses veines et il attrapa son équipier par le col.


- Te fous pas de moi. Crache le morceau.

- Lâche-le !, s’écria Louise en s’interposant.


Bruce recula, les dents serrées.


- Je me répéterai pas deux fois.

- Elle est déjà partie, annonça précipitamment l’officière radar.

- Où ?

- Tabito.

- C’est trop tard, le train décolle à vingt-et-une heure, asséna froidement Manabu.


Il jeta un coup d'œil à la pendule.

“Dans cinq minutes. J’ai encore le temps.”

Sans plus de cérémonie, il quitta la cafétéria pour les quais de la gare centrale.


- T’aurais pas dû lui parler, Louise.

- Il veut retrouver la personne qu’il aime. J’allais pas l’en empêcher.

- Si tu le dis.


***


“L’express Sybil à destination de Tabito, départ dans quatre minutes.”


Reiko, le cœur lourd, empoigna la lanière de son sac-à-dos.

La porte automatique du train s’ouvrit. Alors qu’elle posait une chaussure sur le marche-pied, elle lança une dernière oeillade aux alentours

“Destiny… Dommage que tu n’aies pas voulu de moi.”

Puis, résignée, elle entra dans le wagon et s’affala sur une banquette.


- Je réalise toujours pas que c’est fini.


Le front appuyé contre la fenêtre, elle ferma les yeux, abattue.

“J’aurais aimé mieux faire, Otto-san.”


***  


Hors d’haleine, Bruce débarqua devant la gare. Dérapant dans les gravillons, il rétablit son équilibre in extremis. 


- Tabito… C’est quelle voie déjà ?, pesta-t-il, contrarié.


Il emprunta un passage souterrain en quatrième vitesse avant de repérer le panneau électronique des départs imminents.


- Voie Y6… Fais chier c’est à l’autre bout.


Retenant un flot d’insultes, il reprit son sprint.

Tandis qu’il enjambait deux à deux les marches menant jusqu’au quai, un sifflement strident retentit.

Il comprit immédiatement qu’il était trop tard.

Lorsqu’il déboucha à l’air libre, il ne put qu’assister, impuissant, au décollage de l’express.


- Reiko…, souffla-t-il, dépité.


***


- Vous paraissez bien triste, mademoiselle.


Reiko renifla en frottant ses paupières.


- C’est rien, madame, ne vous inquiétez pas.


La vieille dame prit place en face de la pilote.


- Ça vous embête si je m’asseois ici ?

- Je vous en prie.


Elle fouilla dans son sac à main volumineux et en sortit une petite boîte en bambou.


- J’emporte toujours des sucreries avec moi, je vous en offre ?

- Non, merci. C’est gentil.

- C’est un chagrin d’amour ?, lui demanda la passagère.

- Pas vraiment… Enfin, je ne sais pas… Peut-être en partie.

- Vous savez, tout contribue au bien. Tous vos soucis s’arrangeront le moment venu.

- J’aimerais beaucoup vous croire mais dans mon cas, les chances sont minces.

- “Mince” ne signifie pas “nul".

- C’est tout comme.

- Ne désespérez pas. Vous êtes jeune, vous avez la vie devant vous.


Reiko acquiesça peu désireuse de continuer cette conversation.

“Rien n’effacera mes fautes et encore faut-il savoir quoi faire de cette fichue vie.”


***


Reiko consulta le plan que lui avait remis Manabu.

Pas de doute, elle était au bon endroit.

Elle froissa le papier entre ses doigts et le fourra dans la poche de sa parka.

Puis, précautionneusement, elle frappa contre le bois du vantail du shoji.


- Excusez-moi, j’entre.


Une très belle femme se tenait derrière un comptoir traditionnel. Ses cheveux blonds, coupés au-dessus des épaules, étaient retenus par un foulard blanc. Ses vêtements étaient quant à eux surmontés d’un tablier et tout en elle respirait la douceur.

“La mère de Manabu. Elle est belle. Ils se ressemblent un peu.”


- Bonsoir, tu es Reiko, n’est-ce pas ?


La pilote hocha la tête, mal à l’aise.


- Je suis désolée de débarquer à l’improviste comme ça… J’étais… Je…

- Sois tranquille, je suis heureuse d’avoir un peu de compagnie. Je suis Kanna Yuuki. Tu veux boire un thé ?

- Avec plaisir, madame.

- Oh, pas de ça chez moi. Appelle-moi Kanna. Assieds-toi ici, dit-elle en désignant une banquette rouge au cuir usé.


En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, une tasse fumante apparut devant le nez de Reiko.


- Tu fais partie de l’unité Sirius aussi, c’est ça ?

- Oui, jusqu'à aujourd’hui… J’ai.. J’ai.. Commis une erreur qui m’a valu un renvoi immédiat.

- Mon fils est coutumier de la chose.

- C’est ce qui se raconte, répondit Reiko avec un léger sourire.

- Manabu m’a dit que ce n’était que provisoire.

- Il est trop optimiste.


Kanna posa une main maternelle sur le bras de Reiko.


- Reste ici aussi longtemps que nécessaire. Je t’ai préparé la chambre de Manabu.

- Je ne sais vraiment pas comment vous remercier…

- En me parlant un peu de mon fils. J’espère qu’il ne crée pas trop de problèmes.

- À côté de moi ? C’est un ange.

- Ça, j’ai du mal à le croire !, s’exclama-t-elle en riant.

- Je vous assure, je suis une catastrophe ambulante. Manabu… C’est quelqu’un de bien. J’imagine que vous devez être très fière de lui.

- Oh oui… Même s’il me cause bien des tracas.


Reiko avisa un cadre posé sur une commode.


- Est-ce que c’est… Mamoru et… Wata… Wataru ?

- Oui, mon aîné et mon mari. Ils me manquent chaque jour qui passe.

- Je peux comprendre ça, assura-t-elle en se remémorant le visage de sa mère.


Avec les années, l’image de celle-ci s’était altérée. Comme elle ne possédait aucune photographie pour entretenir son souvenir, certains traits étaient devenus flous. Toutefois, elle se rappelait de sa très longue chevelure noire, de ses yeux ambrés et de la résonance de son rire.


- Qui est-elle ? La personne que vous avez perdue.

- Ma mère, Nadeshiko Sakuramachi. Mon père est mort quand je n’étais qu’un bébé.


Une faible lueur s’alluma dans les prunelles de Reiko.


- Mais j’ai eu la chance de trouver le meilleur des pères adoptifs.

- C’est une bonne chose. Je ne sais pas ce que je ferais sans Manabu.


Elles poursuivirent leur discussion jusqu’à ce que les coups de minuit sonnent.


- Il se fait tard, je vais te montrer ton futon.

- Merci, Kanna, dit-elle en bâillant.

- Ta journée a dû être éprouvante, devina-t-elle en l’entraînant dans les escaliers.

- Cette semaine même, rectifia la jeune femme en songeant aux événements sur Hal’Wasa, à la déclaration de Bruce et à son faux-pas sur le Galaxy Express 999.

- J’espère que tu parviendras à dormir. C’est ici, dit-elle en désignant une porte. Je suis juste en face si tu as besoin.

- Je vous suis très reconnaissante, déclara Reiko en s’inclinant.

- C’est normal. À demain.


Seule dans la chambre d’adolescent de son équipier, elle se laissa tomber sur l’édredon moelleux.

Le plafond bas était recouvert de posters de joueurs de baseball et de photos de famille.

Un bureau, une armoire et une chaise.

Un équipement sommaire qui lui convenait parfaitement.

“Tu as dû vivre une belle enfance, Manabu. Je t’envie.”

L’épuisement ne tarda pas à avoir raison de Reiko et elle s’endormit presque instantanément.


***


- Un café sans sucre pour la quatre !

- Oui !


Reiko changea habilement le filtre de la cafetière avant de la remplir d’eau fraîche. Elle saisit ensuite l’un des plateaux rangé sous le comptoir et y déposa la tasse et un cookie, la marque de fabrique de Kanna.


- J’arrive !


Zigzaguant avec aisance entre les tables, elle servit sa commande au client, un homme âgé de la cinquantaine, dont les joues étaient mangées par une barbe brune hirsute.


- Tu t’es bien améliorée, Reiko.

- Merci, monsieur Roya.

- Tu devrais réfléchir à travailler ici à plein temps.

- On… verra.


Cela faisait déjà une semaine qu’elle s’était installée sur Tabito. En échange de son logement à titre gracieux et de ses frais de nourriture, Reiko avait proposé son aide à la mère de Manabu. Elle avait donc appris sur le tas le métier de serveuse-livreuse et, si ses débuts avaient été maladroits, elle commençait à l’apprécier.

Mais de là à faire ça toute sa vie…

Durant ces quelques jours, elle avait reçu des appels de Manabu, de Louise et même de David.

Cependant, que ce soit du côté de Bruce ou de celui du Commandant, c’était le silence radio.

“J’avais raison de ne rien espérer. Que ce soit pour ma carrière ou pour cette relation qui ne mérite même pas le qualificatif “amoureuse”.”

Elle avait hésité à reprendre contact à plusieurs reprises mais la peur d’affronter la réalité l’avait emporté à chaque fois.

Quant à Harlock… Il était inenvisageable qu’elle lui avoue son échec cuisant. Après tout, monsieur Roya n’avait peut-être pas tort. Elle n’avait aucun autre endroit où aller de toute façon. Si Kanna avait besoin de bras, elle ne serait pas inutile ici. En tout cas moins qu’elle ne l’avait été à la Space Defence Force.


- Les mineurs ne vont pas tarder. Je vais dresser les tables pour leur déjeuner.

- Je m’en occupe !

- Merci, Reiko.


La jeune femme se dirigea vers le chariot de desserte et y empila bols, baguettes, verres et tout un assortiment de serviettes. Puis, elle disposa le tout avec dextérité dans la salle.

Elle achevait de plier le dernier carré de tissu lorsque les ouvriers pénétrèrent à l’intérieur du restaurant.


- Bienvenue !, dit-elle en s’inclinant.

- Toujours aussi polie, miss Sakuramachi, lança un garçon aux cheveux courts coupés en brosse.


Elle s’empourpra et recula pour les laisser passer.


- Je vous en prie, prenez-place, ajouta-t-elle en désignant une grande tablée.

- Allez, avance Shiro ! Arrête d’embêter la demoiselle.

- Mais on faisait juste connai… Aïïïe !


Monsieur Roya asséna un coup de plateau à l’arrière du crâne de son employé et le fixa avec désapprobation.


- Tais-toi, sale garnement.


Shiro s’exécuta en se massant le cuir chevelu, la mine renfrognée.

Reiko tira un carnet et un stylo de son tablier.


- Le menu du jour comme d’habitude ? Et des boissons ?

- Du saké, demanda Shiro.

- Non, de l’eau, trancha son patron. Et va pour les plats du jour.


Elle eut un petit sourire en se souvenant du Commandant Bulge qui interdisait toutes les liqueurs alcoolisées durant le service.


- D’accord, je reviens !

- Dites, miss Sakuramachi est-ce que vous avez un fiancé là bas sur Destiny ?

- Shiro !, le rabroua Monsieur Roya. Tu n’as rien d’autre à faire ?


Reiko se figea, écrasant son bloc-notes entre ses mains. Elle se retourna lentement, le regard douloureux.


- Je ne sais pas. J’imagine que maintenant… Non.


Remarquant le trouble de son invitée, Kanna lui entoura les épaules.


- Et si je t’aidais à apporter toutes ces commandes ? 

- Désolé… Je ne voulais pas…

- Shiro, fiche lui la paix, l’admonesta le contremaître.


Une fois dans la cuisine, Reiko chargea les plats sur la desserte en tremblant.

“Pourquoi est-ce que j’ai si mal, là ? J’ai l’impression d’étouffer.”

Elle arracha les boutons du col de sa chemise, luttant pour retenir ses larmes.


- Tu veux t’aérer ?, suggéra la mère de Manabu, soucieuse.

- Non, ça va. Je peux gérer ça.

- Si tu as envie de parler, je suis là, tu le sais ?

- Oui, bredouilla-t-elle.


“On n’était pas réellement ensemble. Prends un peu sur toi, bon sang.”


- J’emmène ça.


S’il fallait ne citer qu’une seule autre raison pour laquelle elle ne remettrait jamais les pieds sur Destiny, elle s’appellerait assurément “Bruce.”


***


- Je suis stable, c’est bon.


Reiko joua avec les pédales et les freins, concentrée.


- Il n’a pas servi depuis de nombreuses années. Il appartenait à Mamoru… Il est sûrement un peu rouillé.

- C’est parfait. Je n’ai jamais fait de vélo, mais je devrais m’en sortir. Je serai plus rapide en l’utilisant.

- D’accord, sois prudente.

- Oui, Okaa… Nna !, balbutia-t-elle.


La mère de Manabu fit mine de ne pas avoir compris.


- Suis la rue principale jusqu’au pont de pierres. Tourne ensuite à gauche, la carrière est au bout du chemin.

- J’ai déjà emballé les plats, répondit Reiko en désignant les besaces accrochées au-dessus des roues.

- Très bien. À toute à l’heure !

- Oui !


La pilote s’élança résolument sur la route. Kanna lui adressa un signe de la main hésitant en l’observant rouler gauchement sur les pavés irréguliers.


- Attention à la poubelle ! Tiens ton guidon droit ! Ne freine pas si brusquement !

- Tout va bien, cria Reiko.

- O… Oui…


La restauratrice croisa les bras en poussant un léger soupir. 

Une deuxième semaine s’était écoulée depuis l’arrivée de Reiko sur Tabito. Bien que le comportement de la jeune femme soit irréprochable et qu’elle donnait du coeur à l’ouvrage, Kanna ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter.

“Elle est profondément malheureuse et je ne sais pas quoi faire pour l’aider. Et si je téléphonais à Bulge ? Cette situation ne peut pas durer éternellement.”

La veille, elle l’avait entendue gémir dans son sommeil. Encore une fois.

“Elle fait des cauchemars presque toutes les nuits et elle appelle toujours la même personne… C’est peut-être elle que je devrais contacter…”


Reiko, qui avait trouvé son équilibre, pédalait de toutes ses forces jusqu’à la carrière. Les quelques jours qu’elle avait passés ici, lui avaient permis d’en apprendre plus sur la planète et ses habitants.

Tabito vivait principalement de l’exploitation minière. Des minerais rares émaillaient son sol et ceux-ci étaient notamment prisés pour la conception de vaisseaux spatiaux.

“Je me demande comment Kanna, qui a vécu ici toute sa vie, a pu rencontrer un Commandant de la Space Defence Force. Ah, voilà le fameux croisement…”

Reiko négocia difficilement son virage et la bicyclette tangua dangereusement.


- Oooh. C’était chaud. C’est plus facile de piloter un Space Wolf. Co… Comment je m’arrête déjà ?!


Elle provoqua une tempête de grains de sable en dérapant sur la piste, située juste à côté d’une cabane faite d’éléments disparates.


- Encore une mission réussie pour le peloton Yuuki.

- Tiens, mais qui voilà ?

- Bonjour monsieur Roya.


Reiko détacha les sacs de son vélo et les déposa sur une table de pique-nique.


- Je vais sonner la cloche du repas. Bouge pas.


Le contremaître tira sur une corde qui pendait à l’extérieur de l'une des fenêtres de la maisonnette.


- À la soupe, les gars !


Il invita Reiko à s’asseoir en tapotant sur l’un des bancs.


- On est surchargés de travail depuis la découverte de ce gros filon. Du coup, on n’avait pas le temps de venir au restaurant. Merci d’avoir fait le chemin.

- C’est normal.

- Ils mettent bien du temps à remonter. Je vais… 


Une détonation l’empêcha de terminer sa phrase. Une violente secousse agita le sol et Reiko aperçut de la fumée s’élever des différentes ouvertures de la mine.


- Par tous les dieux…


Il se précipita vers l’entrée la plus proche à l’instant où un groupe d’une quinzaine d’hommes s’en extirpait. Toussotant et crachotant, ils avaient le visage recouvert d’une suie grisâtre.


- Grisou ! C’était un coup de grisou.


Reiko s’approcha, hébétée.


- Un coup de grisou ?

- L'explosion d’une poche de gaz, traduisit monsieur Roya.

- L’équipe de Jeff est encore là-dessous, bloquée au troisième palier, continua le mineur en crachant.

- Que ceux qui sont valides descendent avec moi. Torches, cordes, grappin, prenez tout le matériel nécessaire.


La pilote darda une œillade dubitative sur les ouvriers. Certains étaient blessés, d’autres en état de choc et peu paraissaient à même de retourner à l’intérieur de la mine.


- Où est Shiro ?

- Avec Jeff.


Elle ôta son tablier et le jeta négligemment sur une chaise en plastique.

“C’est juste un gamin. Il doit être terrorisé.”


- J’en suis. Je suis formée pour ce genre de situations.


“Non, c’est pas vrai, t’as juste fait de la spéléo avec Tadashi sur l’îlot SSX et t’as eu une crise de panique.”


- Reiko, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

- Je fais encore partie de la Space Defence Force. Si j’ignorais des gens dans le besoin, je ne pourrais plus me regarder dans une glace. Je ne serai pas un poids.


“Enfin, j’espère.”

Elle attrapa une lampe à huile, vissa un casque sur sa tête avant de passer un cordage en travers de sa poitrine.


- Je suis un agent de terrain qualifié et vous manquez de main d'œuvre.

- Okay, mais je ne garantis pas ta sécurité. Les galeries peuvent s’effondrer à tout moment.

- Ne vous occupez pas de ça. Je sais ce que je fais.


“Non, tu sais pas.”

Trois autres personnes se joignirent à eux et, moins de cinq minutes plus tard, l’équipe de sauvetage était sur pied et parée à l’action.


- Allons-y.


Le chef d’exploitation s’engouffra le premier dans les mines, ses hommes à sa suite. Reiko ferma quant à elle la marche.

“C’est oppressant.”

Elle couvrit son nez avec l’une des serviettes de Kanna, transformée en foulard pour l’occasion. L’air était presque irrespirable et la poussière lui brûlait les yeux. Heureusement, le boyau, soutenu par d’immense poutres et arches en bois, était assez large pour qu'elle ne se sente pas claustrophobe.

Malgré la fumée, elle discerna la couleur bleutée de la pierre. Celle-ci était parsemée de milliers d’éclats dorés.

“On dirait l’espace. L’espace sous terre.”


- Le coup de Grisou vient sûrement du sixième sous-sol !

- Si c’est vrai, il reste une chance pour que leur galerie n’ait pas été détruite.

- Si le monte-charge est intact, on pourra les récupérer.

- Sauf si tout s’écroule.

- Ouais.


La peur broyait littéralement le ventre de Reiko. S’aventurer dans les profondeurs la rendait anxieuse. Qui plus est quand la probabilité de ressortir de celles-ci était incertaine.

“Si je meurs, j’aurai donné un sens à ma vie, hein Harlock ?.”


- Le terrain semble stable et je ne vois pas de fissures, c’est bon signe, les rassura monsieur Roya.

- L’ascenseur !, avertit un mineur en pointant du doigt une grande cage grillagée.


Le groupe l’inspecta pendant que Reiko serrait les dents. S’enfoncer encore plus loin sous la surface lui soulevait littéralement l’estomac.


- Il est fonctionnel, on peut l’utiliser.


Ils s’entassèrent à l’intérieur et la pilote, tendue, s’agrippa aux barres métalliques tout en retenant sa respiration.


- J’enclenche le mécanisme.


Le monte-charge s’ébranla et entama son interminable descente.


- Le deuxième palier n’a pas été atteint, constata l’un des ouvriers.

- Tant mieux, on continue.


Une minute plus tard, l’un des hommes immobilisa l'ascenseur.


- Il y a des brèches mais ça me paraît praticable.


Ils avancèrent dans la galerie prudemment, veillant à vérifier la solidité de la roche à chacun de leurs pas.


- D’après le plan établi ce matin, ils devraient se trouver au bout de ce tunnel.

- Compris, affirma Reiko à voix basse.

- Monsieur Roya, c’est vous ? On est là en bas !


L’équipe de sauvetage accéléra le rythme et déboucha devant un trou profond d’environ quatre mètres.


- Des blessés ?, interrogea le contremaître en se penchant.

- Oui, mais rien de grave !


Reiko passa la tête à son tour. Le sol s’était visiblement effondré et ils avaient dégringolé d’un niveau.

“Des humanoïdes !”, nota-t-elle avec surprise. “Il y en a au moins trois !”


- On vous envoie des cordages ! Tenez-bon les gars.

- C’est toi, Reiko ?

- Ouais, t’inquiète pas Shiro, on va te tirer de là.


Bien qu’elle ne détienne pas l’adresse de ses compagnons, Reiko les imita sans trop de difficultés. Elle noua sa corde autour d’une poutre et la jeta ensuite dans le gouffre. Puis, elle joignit ses forces à celles des mineurs et un par un, ils réussirent à extraire tous ceux qui avaient été pris au piège. Alors qu’il n’y avait plus que deux personnes à hisser hors du trou, la galerie se mit à trembler.


- On se dépêche !


Le soulagement qu’avait ressenti Reiko s’éteignit aussi vite que la flamme d’une bougie.


- Tout le monde est là ? Que les plus forts soutiennent les autres et on décampe.


Elle s’approcha du garçon qui maintenait son bras contre son ventre.


- C’est cassé ?

- Ouais, j’en ai bien l’impression, confessa Shiro en grimaçant.


Ils traversèrent au pas de course le boyau et arrivèrent au pied du monte-charge.


- On est obligés de se séparer. Les blessés en premier. Et toi, ordonna monsieur Roya en fixant Reiko.

- Non. C’est mieux si je reste avec vous. Si j’y vais, on sera trop nombreux. Allez-y, c’est bon.

- À ta guise.

- Reiko !, l’interpella Shiro.


Elle lui adressa un pouce en l’air avec un sourire qui se voulait encourageant même si elle n’en menait pas large. N’ayant pas le temps de parlementer avec la jeune femme, le contremaître activa le mécanisme. Ils patientèrent de longues minutes durant lesquelles trois nouvelles secousses agitèrent le tunnel.


- Bon, à nous.


Reiko, deux humanoïdes et l’un des ouvriers de l’équipe de sauvetage, se faufilèrent dans l'ascenseur.

Une fois encore, elle retint son souffle jusqu’à ce que la porte se déverrouille devant le premier palier.

Du coin de l'œil, elle détailla les êtres mécanisés. En tout point similaire à ceux qu’elle avait déjà pu croiser, la face mangée par une ou plusieurs orbites, leurs corps s’apparentaient, comme le disait si bien Tetsuro, à “une boîte de conserve”.


- Sortez !


Une saccade vigoureuse les catapulta hors de la cage grillagée. Le nez dans les cailloux, Reiko retint un cri de douleur. Elle s’était mordue la langue et du sang coulait de son menton.


- Remuez-vous, on n’a pas le temps ! Tout va s’écrouler !


L’un des humanoïdes empoigna le col de Reiko et la força à se mettre debout. Sans trop comprendre, elle emboîta le pas aux autres membres du groupe. La fumée était plus dense et respirer se révéla être un véritable défi. Elle perdit de vue monsieur Roya et les deux hommes qui marchaient devant elle.

Un tremblement suivi d’un craquement qui n’augurait rien de bon retentit derrière elle. Un hurlement inhumain lui vrilla alors les oreilles. Instinctivement, elle se retourna et, à travers les vapeurs sablonneuses, elle vit qu’une cavité s’était formée. Elle s’agenouilla au bord de celle-ci, s’étouffant à moitié malgré le tissu qui protégeait son nez.


- Y’a quelqu’un ?

- Juste là !


Elle baissa les yeux et aperçut que l’un des humanoïdes, peut-être celui qui l’avait aidée à se relever, était accroché à la paroi, environ un mètre en dessous d’elle.

Elle l’observa, les mâchoires contractées.

“C’est à cause de ses congénères que j’ai été renvoyée de la SDF. Ils ont tué Okaa-san et Sayuri. Ils pourchassent Otto-san sans lui accorder un seul moment de répit. S’il mourrait ici, personne ne le saurait.”


- Donne-moi ta main !, lui intima-t-il, affolé.


Une secousse fragilisa un peu plus la mine et des fragments rocheux se détachèrent du plafond, évitant Reiko d’un cheveu. 

“Chaque passager a la même importance et ce quelle que soit la race à laquelle il appartient.”

C’est vrai que le Commandant lui avait dit ça.

Elle ne pouvait plus être simplement Reiko. Il fallait qu’elle fasse tous les efforts possibles pour devenir un agent compétent de la Space Defence Force. 

“Il faut croire que j’ai pas renoncé à mon rêve.”

Contre toute attente, elle tendit son bras dans le vide et saisit le poignet du robot. Ils bataillèrent quelques instants avant qu’elle ne réussisse enfin à le hisser hors du trou. 


- Faut pas traîner.


L’humanoïde acquiesça et ils reprirent leur progression vaille que vaille.

Un grondement s’éleva des tréfonds de la montagne et, autour d’eux, tout oscilla dangereusement.

Lorsque des pierres se mirent à pleuvoir sur leurs crânes, Reiko se couvrit la tête en gémissant.

“On n’y arrivera pas.”


- Accroupis-toi !


Elle s’exécuta, terrifiée. L’être mécanisé lui entoura le corps, faisant barrage contre les éclats tranchants.

Lorsque le silence revint, Reiko n’avait plus les idées claires. Le manque d’oxygène troublait sa vue et ses membres ne répondaient plus à ses sollicitations.

“Tu vas pas crever là, bouge.”

Assistée par l’humanoïde, elle retrouva la position verticale.


- Oh non…


Ce qu’elle craignait le plus s’était produit. 

Le tunnel était bouché


- Il y a une autre sortie, l’informa-t-il. On doit rebrousser chemin.

- O.. Okay.


Se soutenant mutuellement, ils empruntèrent une ouverture adjacente, beaucoup plus étroite.


- Je vois de la lumière, marmonna-t-elle en se cognant contre une poutre.

- On y est presque.


Un frisson parcourut les murs, qui fit accélérer les deux compagnons d’infortune. Avec l’énergie du désespoir, ils plongèrent hors de la mine.

Reiko roula dans l’herbe en haletant. Des étoiles dansaient sur sa cornée alors qu’une migraine lui donnait des vertiges. Des bruits lointains d’explosion firent siffler ses tympans pendant qu’elle luttait pour inspirer et expirer.


- Tu tiens sur tes jambes, la pilote ?


Monsieur Roya passa un bras autour de la taille de la jeune femme tandis qu’un ouvrier remettait l’humanoïde sur pieds.


- Ouais…

- On a bien cru que vous alliez rester là-dessous.

- Nous… Aussi.


Vidée, elle s’affala sur un banc.


- Tout compte fait, vous avez de la ressource à la SDF.

- Pensez à le dire à mon Commandant, lâcha-t-elle, épuisée. 


“Cette histoire aura eu le mérite de me secouer. Maintenant, je sais ce qu’il me reste à faire.”

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