A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 19 : Illusion

5606 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/09/2023 13:40

Chap 19 : Illusion


Dormant du sommeil du juste et la tête profondément enfouie dans son oreiller, la fillette se retourna en marmonnant des bribes de paroles incompréhensibles.

Puisqu'elle était plongée dans les bras de morphée, ses sens ne détectèrent pas la menace investissant son précieux sanctuaire.

Elle n’entendit pas la porte s’entrouvrir en grinçant.

Elle n’aperçut pas les silhouettes entourer son lit.

Elle ne sentit pas l’odeur prononcée d’huile de vidange. 

Elle ne prêta pas attention aux mains qui effleurèrent sa peau. 

Lorsque l’aigreur du chloroforme, mêlé à de puissants sédatifs, humecta ses lèvres et ses narines, il était déjà trop tard.

Puissamment maintenue sur son matelas par d’immenses membres mécaniques, elle n’eut pas d’autres choix que d’attendre que l’inconscience l’emporte. 

Les yeux écarquillés par l’effroi, elle ne put que détailler ses ravisseurs.

Créatures inhumaines aux corps recouverts de métal, elles possédaient un œil rose unique qui leur mangeait le visage. 

Pour Reiko, cette vision était plus terrifiante que l’apparition du croquemitaine en personne.


- …. Lock, murmura-t-elle avant de s’endormir. Ha…


***


Ses paupières se décollèrent difficilement.

Le souffle court, elle luttait pour respirer normalement.

Elle avait l’impression que son nez était encore obstrué par le chiffon imbibé de chloroforme. Du bout des doigts, elle chassa les larmes qui s’étaient accrochées à ses cils.

Cela faisait quelques jours que le Karyû et le Galaxy Express 999 avaient quitté Destiny, contrairement à ses mauvais rêves qui eux étaient revenus en force.

La prise de conscience du possible retour de la reine des humanoïdes avait redoublé ses terreurs nocturnes, qui s’étaient pourtant espacées ces derniers temps.

Au moins, elle n’avait pas crié.

Elle avisa Bruce qui ronflait doucement.

Nuit après nuit, il supportait sans broncher cauchemars et hurlements, caressant son dos jusqu’à ce qu’elle se tranquillise.

Elle se redressa, exténuée.


- Chaton… ?

- Tout va bien, rendors-toi.

- Hum…


Léthargique, le sniper roula sur le côté. Reiko lui lança un long regard amoureux tandis qu’elle passait une main dans ses cheveux blonds presque blancs.

Le départ de Maetel avait jeté un froid sur la Space Defence Force et chacun redoutait un nouvel attentat visant cette fois-ci les trains ou les gares de la Compagnie.

Reiko s’était efforcée d’esquiver toutes les interrogations de ses coéquipiers concernant Promethium et, si d’aucuns se montraient trop insistants, Bruce n’était jamais loin pour faire barrage.


- Je ne pourrai pas me cacher derrière lui toute ma vie, soupira-t-elle.

- Ça me dérange pas.

- Tu dors pas ?

- Non, mais c’est pas de ta faute. Viens là.


Sans se faire prier, Reiko se pelotonna contre son petit ami, ne cessant pas pour autant de cogiter.

Il fallait qu’elle prenne son courage à deux mains et qu’elle soit honnête avec ses partenaires.

Elle leur devait bien ça.


***


Chacun étant perdu dans ses pensées, la mission journalière se déroulait dans une ambiance particulièrement maussade, personne n’osant aborder de nouveau le sujet de Promethium et de ses velléités conquérantes.

Reiko enfonça ses ongles dans le cuir des accoudoirs du fauteuil, se sentant pour partie responsable de cette atmosphère pesante.


- Si vous avez des questions à propos d’elle, posez-les moi. J’y répondrai le plus honnêtement possible.

- Reiko, t’es pas obligée, commença Bruce.

- Non, c’est bon. Vous m’avez tous accueillie avec bienveillance et je sais que vous ne me jugerez pas.

- T’es sûre ?, demanda Louise.

- Oui. Je crois que ça me fera du bien d’en parler. Et puis, vous êtes déjà au courant d’une partie de mon histoire. 


Un lourd silence tomba sur la “control room” de Big1 et il fallut plusieurs secondes avant que quelqu’un n’ose le briser.


- Râ Andromeda Promethium a mécanisé son peuple pour le sauver du froid qui submergeait Râ-Métal, c’est exact ?

- “Sauver” n’est pas le mot que j’emploierais, Manabu. D’après Maetel, la volonté première de sa mère était bel et bien d’aider les habitants de sa planète à survivre aux températures extrêmes mais, d’une façon ou d’une autre, cette mécanisation a dégénéré après que la reine elle-même se soit soumise à ce processus. Ce n’était plus proposé aux habitants mais imposé. Tout refus entraînait une exécution en bonne et due forme par les sbires de l’armée royale. La monarchie s’était métamorphosée en une dictature répressive et violente.


Elle se râcla la gorge avant de poursuivre.


- Je n’ai pas tous les détails mais ses filles, Maetel et Emeraldas, alliées à Harlock, Tôchiro, et à la résistance de Râmétalienne, se seraient liguées contre elle et auraient réussi à la mettre hors d’état de nuire. Mais, c’est là que le bât blesse.

- C'est-à-dire ?, l’encouragea Schwanhelt Bulge.

- On ne tue pas si facilement Promethium. Elle avait plus d’un tour dans son sac et elle a multiplié les corps d’emprunts. En bref, elle s’en était tirée et ses envies de robotisations ne se limitaient plus à Râ-Metal. Elle s’est associée à d’autres gouvernements humanoïdes et la Terre est entrée dans sa ligne de mire.

- Une petite minute, tu as mentionné Emeraldas ? La femme pirate ?, intervint David.

- Hum, oui. C’est la sœur de Maetel. Enfin bref, j’ai été recueillie par Harlock sur le Death Shadow et j’y ai vécu une année tout au plus avant que la reine ne passe à l’attaque. La sécurité sur ce vaisseau n’était pas aussi pointue que sur l’Arcadia d'aujourd'hui et, une nuit, des soldats robots se sont introduits à bord. 


La voix de la jeune femme se tordit.


- Ils m’ont kidnappée, comme beaucoup d’enfants sur Terre avant moi. Ensuite, j’ai été emmenée sur cette planète aussi froide que la glace pour qu’on m’y fasse… Dieu sait quoi et je… Je…

- Chaton, ça t’as pas besoin de le raconter, la coupa Bruce en se levant.


Elle acquiesça alors qu’il appuyait une main réconfortante sur son épaule.


- En gros, plusieurs opérations de sauvetage ont été mises sur pied et c’est Maetel qui m’a ramenée saine et sauve à Harlock. Le reste de mes souvenirs est plutôt flou. Il y a eu une grande bataille spatiale autour de Râ-Métal et la reine a été vaincue mais, comme vous l’avez compris, ce n’était pas vraiment définitif.


David se gratta le menton.


- D’accord, je vois. Promethium tout ça… Mais pourquoi est-ce qu’elle s’en prend aux humains ?


Reiko serra les poings.


- La réponse est évidente. Elle juge que notre espèce est inférieure et indigne de vivre. D’après elle, deux choix s’offrent aux hommes : la mécanisation ou la mort. Après la guerre sur Terre, elle s’est “servie” dans les bas quartiers et a emporté un nombre incalculable d’enfants. Pour les réduire en escalavage ou les transformer en boîte de conserve sans âme. Je n’en sais pas plus, je ne les ai jamais revus. 


La pilote se retourna, le regard douloureux.


- Voilà, vous savez tout. Si aujourd’hui sa cible est le Galaxy Railways, comme l’a évoqué Maetel, c’est sans doute pour casser la résistance avant qu’elle n’ait une chance de s’organiser. Et si son objectif a longtemps été la Terre, j’imagine qu’elle a dû réviser ses ambitions à la hausse.

- Incroyable, souffla Louise.


Reiko s’adossa dans son siège, envahie par un intense sentiment de libération.


- Et, si elle est bien de retour…, reprit Manabu.

- Alors, nous devrons nous préparer à la guerre, conclut Bulge en fronçant les sourcils.


***


- Nous ne sommes plus qu’à une heure de la planète 4589 du cinquième système solaire.

- Parfait, Louise.

- Dire qu’ils réquisitionnent la SDF pour des missions de surveillance sans intérêt, s’agaça David.

- De nombreuses personnalités politiques y transiteront et il faudra redoubler de vigilance surtout… Dans le contexte actuel. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

- Oui, Commandant.


Reiko pianota sur sa console, songeuse.

Elle avait la certitude qu’un élément important du puzzle “Promethium” lui échappait. Quelque chose qui devrait pourtant lui sauter aux yeux. Chaque fois qu’elle s’approchait de la réponse, celle-ci lui glissait entre les doigts comme du sable.

C’était rageant.

Passé, présent et futur formaient une boucle temporelle dans laquelle la reine se réincarnait encore et encore.

Malgré ce qu’elle avait affirmé à son unité, elle soupçonnait que l'éradication des hommes n’était pas le seul but de Râ-Metal.

Mécanisation. Extermination. Domination.

Quels étaient les chaînons manquants ?


Une onde électrique fusa alors à travers Big1 et la pilote eut la sensation qu’une aiguille lui transperçait le cerveau de part en part. Lorsqu’elle remarqua les volutes de fumée qui sortaient des aérations, elle voulut se mettre debout mais ses jambes demeurèrent immobiles tandis que les mots se bloquaient dans sa gorge.

À l’instar de ses équipiers, elle s’effondra, foudroyée par le gaz. 


***


Reiko détailla les alentours, étonnée.

“Je ne suis plus dans la “control room” de Big1. Comment… Comment je suis arrivée sur l’Arcadia ? Je ne me souviens pas.”


- Otto-san ? Aniki ?


Seul le silence lui fit écho.

Elle décida de gagner la passerelle sur laquelle Harlock passait le plus clair de son temps. Les couloirs étaient vides, ce qui inquiéta la jeune femme. Habituellement, les lieux grouillaient de vie ; les pirates jouant, buvant, mangeant ou dormant à même le sol. Elle atteignit enfin la vaste salle de Commandement et elle se tétanisa en y découvrant un spectacle insoutenable.


- N… Non !


Elle s’agenouilla devant le premier corps.


- Mort…


Elle poursuivit vers un second puis un troisième, sans que le verdict fatidique ne change.

Complètement paniquée, elle s’avança plus en avant, scrutant les environs. Soudain, ses pieds heurtèrent un obstacle et elle trébucha, se rétablissant in-extremis.

Elle baissa les yeux et poussa un hurlement d’horreur.


- Anikiiii !


Allongé sur Kei, son bras entourant le dos de cette dernière comme s’il avait tenté de la protéger, Tadashi Daiba ne bougeait plus. Renonçant à réprimer ses sanglots, elle renversa le cadavre glacé. Son regard fixait l’infini et sa peau devenue bleue se nécrosait déjà par endroit.


- Non… Non… C’est un cauchemar… Je… Veux me réveiller…


Elle serra le défunt contre sa poitrine, imbibant ses cheveux châtains de ses larmes. Alors qu’elle croyait que le pire s’était déjà produit, elle entendit de faibles toussotements. Elle reposa délicatement son frère adoptif et se dirigea en direction de ces maigres signes de vie. Elle contourna le fauteuil d'Harlock en se mordant l’intérieur de la joue au sang.


- Otto.. Otto.. Otto-san…


Du sang coulait le long du menton du Capitaine, tâchant le jolly roger blanc de son pull. Sa respiration était saccadée et de grosses gouttes de transpiration perlaient de son front. Reiko se précipita à son chevet.


- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je vais chercher le docteur Zero… Je ne te laisserai pas mourir ici.


Elle renifla.


- Accroche-toi.

-...A..En…

- Ne dis rien, garde tes forces !

- A-t-en…, articula-t-il avec difficulté.

- Harlock ?

- Va-t-en !


Elle hoqueta, déconcertée.


- Non, je ne t’abandonnerai jamais.

- Ta… Faute… C’est ta faute…

- Je… Je ne comprends pas.


“Il délire, je dois appeler à l’aide. Warrius… La SDF… N’importe qui !”


- Tu nous as… Tués… 

- Otto-san, tais-toi. Je vais…


Un poing solide lui percuta la mâchoire et elle s’écrasa contre la barre de navigation avec un gémissement étouffé.


- Mais… mais….


Une lueur mauvaise brûlait au fond de la prunelle du pirate.


- Je ne suis pas ton père. Je regrette… Je regrette de t’avoir sauvée ce jour-là… C’est à cause de toi… Elle nous a retrouvés… À cause de tes agissements… Elle s’est vengée !


Il vomit du sang en émettant un râle d’agonie. 


- Otto-san… Qu’est-ce que tu racontes ?, l’interrogea-t-elle d’une voix blanche.

- Tu es la plus grosse erreur… La plus grosse erreur de ma vie.

- Tu… Tu ne le penses pas…


Reiko rampa jusqu’à Harlock.


- Si j’en avais la force… Je t'étranglerais de mes propres mains.


Elle se stoppa, tremblante. 


- Je peux… Je peux te sauver.


Elle tendit un bras suppliant vers son père pendant qu’un poids la tirait vers le sol, entravant inexorablement ses mouvements.


- Je te… Maudis, dit-il avant de rendre son dernier souffle.


Un mugissement guttural franchit les lèvres de Reiko.

La souffrance qu’elle ressentait en cet instant était sans commune mesure.

“Achevez-moi… Achevez-moi, je vous en conjure…”

Seule âme vivante sur ce vaisseau désormais peuplé de fantômes et de spectres, elle pria pour que la mort l’emmène elle aussi rapidement.


***


Une porte coulissa silencieusement et des silhouettes encapuchonnées enjambèrent l’un des marchepieds de Big1. Une vapeur piquante leur sauta au visage et se dispersa dans l’espace.


- Le gaz a été diffusé, ils doivent tous être inconscients.

- Il y a une androïde à bord.

- On va la neutraliser et exécuter le plan comme prévu.

- Compris !


Pressée dans un renfoncement du train, désarmée et seule face à ces assaillants, Yûki observait cet abordage avec effroi.


***


Bruce errait dans le cimetière comme une âme en peine. 

Il ne se rappelait plus comment il était arrivé ici ni pour quelle raison.

Ce lieu l’angoissait et il cherchait désespérément une issue mais les stèles s’étalaient à perte de vue.


- Commandant ? Reiko ? Manabu ?


Encore une fois, personne ne lui répondit.

“J’étais sur Big1… Ou peut-être que non… Mes idées ne sont plus claires.”

Sans trop savoir pourquoi, il parcourut distraitement les prénoms inscrits sur les sépultures.


- C’est quoi ce bordel ?, marmonna-t-il en se pétrifiant.


Son sang se glaça et une sueur froide ruissela dans son dos.

“Owen Smith”


- Non… Non..


Presque contre sa volonté, il déchiffra l’inscription de la pierre voisine.

“Hector Oswald”


- Ce n’est pas possible… Son corps a entièrement brûlé…


“Ulric Ericksson”

“Pedro Alvarez”

“Kang Seo-Jun”

“Antoine Larchet”

“Richard Hofman”


- Mes anciens partenaires… Tous… Tous… Morts.


Bruce courait maintenant dans l’allée, luttant contre la panique.

Son sang-froid de tireur d’élite n’était plus qu’un lointain souvenir.

“Elle est si longue. Dire que j’ai perdu… Autant d’équipiers…”

Hors d’haleine, il parvint enfin au bout du chemin.

Une dernière tombe. 

Un dernier nom.

“Manabu Yuuki”


- Non, il est encore en vie. Je sais qu’il est encore en vie.


“Vraiment ?”, lui demanda la petite voix . “Es-tu certain que tu ne l’as pas tué comme tous les autres, Bruce la Mort ?”


- Je… Je… Je ne suis pas sûr…


“Tu portes leurs cadavres sur ta conscience. Tu es responsable de leur sort”, asséna-t-elle.


- Je sais, dit-il en enfouissant son visage entre ses mains. Je ne le sais que trop bien.


“N’as-tu pas honte de profiter de ta liberté alors qu’ils sont tous six pieds sous terre ? Il est temps de rendre ce que tu as volé.”


- Rendre… Ce que j’ai volé ?, répéta-t-il, confus.


Un étau lui enserra la cheville et il bascula en arrière, heurtant durement le sol.

Quelque chose l’avait agrippé. Quelque chose de froid et de tranchant.

Il se redressa sur les coudes et avisa les doigts squelettiques qui emprisonnaient sa jambe. D’un mouvement brusque du pied, il envoya valser les membres diaphanes.

Horrifié, il ne pouvait détacher son regard de la créature qui s’extirpait lentement de l’humus en rampant tel un insecte.

Lorsque la tête émergea enfin, l’artilleur déglutit de travers.

Malgré ses traits déformés et ses orbites béantes, le doute n’était pas permis.


- Bruuuuuce.

- Mana.. Mana… Manabu…, bégaya-t-il, les yeux exorbités à la vue de cette abomination.

- Pourquoi, Bruce ?, se lamenta le mort-vivant. Tu nous as abandonnés…

- Je suis… Désolé…


La boue remua autour de lui et d’autres défunts se frayèrent un passage jusqu’à la surface. Son instinct reprenant le dessus, il dégaina son cosmo-gun et le pointa en avant en tremblotant.


- Tu veux nous tuer une seconde fois ?, susurra Owen.

- Meurtrier, l’accusa Manabu.

- Meurtriers, reprirent-ils tous en cœur.


Bruce recula, anéanti par cette vision épouvantable digne des tréfonds de l’enfer les plus sombres. Il abaissa son arme, incapable de s’en prendre à ses partenaires, même s’ils étaient réduits à l’état de zombies.


- Je ne peux pas…


Il posa le pistolet contre sa tempe.

“Je n’ai plus la force de continuer.”


- Je vais rendre ce que j’ai volé. Toutes ces années…


Ses ultimes pensées furent pour Reiko.

Il se la représenta, souriante et joyeuse.

“J’aurais aimé vivre avec toi jusqu'à la tout fin, chaton.”

Puis, il appuya sur la gâchette. 


*** 


- Où est-ce qu’elle se planque ? On a retourné ce foutu train et elle est nulle part.

- Chef, elle n’a peut-être pas embarqué avec eux.

- Peu importe, qu’on en finisse. On récupère le colis et on fiche le camp.

- Pourquoi est-ce qu’on ne les éliminerait pas directement ?

- Parce que les ordres sont les ordres.


Ils pénétrèrent dans le wagon de commandement et le meneur du groupe d’infiltration ricana.


- Ils sont plongés au pays des cauchemars.

- C’est lequel ?

- Celui-là. Il correspond à la description. Occupe toi de lui, X-1245.

- Oui, Commandant.


L’humanoïde se baissa et chargea leur cible sur ses épaules.


- On les laisse vraiment en vie ?

- Oui, ils serviront notre cause d’une façon ou d’une autre.


La porte coulissante s’ouvrit.


- L’infirmière n’est pas là.

- Tant pis, on dégage. La mission est accomplie. Tu peux les avertir.

- Bien reçu.


Ils se glissèrent hors de la voiture sans ajouter un mot, seul le grincement de leurs articulations mécaniques trahissant leur présence.

Tapie sous un porte-bagage, Yûki attendait, anxieuse. Elle n’avait pas pu récupérer son arme dans l’infirmerie et elle assistait, impuissante, à l’enlèvement de son équipier.

Quand ils eurent quitté le wagon, elle se précipita vers la “control room” dans laquelle elle trouva ses collègues profondément endormis.


*** 


Une odeur nauséabonde monta au nez de Reiko.

Ses cils papillonnèrent et elle s’arracha laborieusement à son sommeil embrumé. Du coin de l'œil, elle aperçut des ombres se mouvoir rapidement. Léthargique, elle voulut se lever, mais elle s’écroula dans les bras de l’infirmière.


- Harlock… Harlock…, balbutia-t-elle. Je suis… Je suis… Pardonne…

- Reiko, c’est fini. Réveille-toi !

- Q… Quoi ? L’Arcadia ? Où est… ?

- C’était pas réel. C’était pas réel, réitéra-t-elle pour que la pilote intègre le message.

- Pas… Réel ?


La jeune femme secoua la tête.


- Des gaz hallucinogènes. Tu es revenue à toi ?

- Oui… Je crois. 

- Très bien.


Yûki se dirigea alors vers Louise et entreprit de la réanimer. Décontenancée, Reiko balaya du regard la salle de commandement. David dormait à poing fermé, la tempe posée sur le manche de navigation.


- Où sont… Les autres ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?


Vacillante, elle s’agrippa à son siège. Elle avait la sensation de sortir d’une rêverie ayant duré plusieurs années.


- Bruce ? Commandant ?


Visiblement désorientés, les deux hommes firent irruption dans le wagon.


- Ils sont déjà partis, lâcha Schwanhelt Bulge, désemparé.

- Qui… Qui ça ?

- Les humanoïdes qui nous ont attaqués.

- Les… Les quoi ?, répondit Reiko, interdite. Je ne comprends pas. Bruce ?


Les mâchoires verrouillées, l’artilleur écrasa son poing sur la console la plus proche.


- Ils l’ont kidnappé.

- Qui ? Que…


L’information monta lentement jusqu’au cerveau de Reiko.


- Où est Manabu ?, demanda-t-elle sur un ton suraigu.


Cédant à l’affolement, elle attrapa Bruce par la veste.


- Manabu ?

- Disparu. Ils l’ont emmené avec eux.


Elle se laissa tomber dans un fauteuil, en état de choc.


- Non… Non… C’est impossible…


***


Lorsque le peloton Vega investit le train, il découvrit l’unité Sirius prostrée dans la “control room”. Reiko et Louise serrées l’une contre l’autre, la première essayant maladroitement de consoler la seconde, Bruce plus atrabilaire et morose que jamais, et le Commandant fermé comme une huître. Yûki était quant à elle assise près de David et tous deux étaient aussi figés que des statues.


- Bulge…, commença Murase. Où est la tête brûlée de service ?


Face au silence de son ami, il reprit.


- Bon dieu, que vous est-il arrivé ?

- Louise, chuchota Reiko. On va le retrouver.

- Co…mment ? Comment ?


Le Commandant de Vega et ses hommes partagèrent un regard soucieux. Schneider fit mine de s’avancer mais il fut stoppé net dans son élan par l’aura meurtrière de Bruce.


- La SDF va se mobiliser.

- Et si… Si ça suffit pas ?


La pilote frotta le dos de l’Officière radar, résolue. 


- On dégainera l’artillerie lourde.

- Ils vont lui faire du mal…

- Non… Non… Si c’était leur objectif, ils nous auraient tous assassinés… Ça va aller… Ne pleure pas… Je t’en prie… Ne pleure pas…


Les larmes trempèrent l’uniforme de Reiko.

“Quel enfer… Et Kanna… Elle ne supportera pas de perdre son dernier fils. Elle va être anéantie… Anéantie…”

Elle tenta de capter l’attention du sniper mais celui-ci gardait ses distances comme un animal blessé et acculé.

“Son illusion était probablement terrible.”


- On prend la relève, les gars. Allez-vous reposer. On ramène Big1 au bercail.

- Merci, Murase.


*** 


Partiellement réunie dans sa salle de pause, la section Sirius était maussade et silencieuse. Reiko fixait sa canette de thé de Tabito, incapable d’en avaler une seule gorgée.

Où était Manabu ? Détenu sur Râ-Metal ?

Malgré ce qu’elle avait affirmé, elle n’était pas certaine qu’il soit indemne.

“Et s’il était mécanisé par la force ? Je n’ose même pas y penser.”

Complètement abattue, Louise ne pipait mot. 

Bruce tournait en rond comme un lion en cage, David dessinait distraitement des arabesques avec son doigt dans le sable d’un jardin zen et Yûki s’était enfermée dans l’infirmerie.

Quant à Bulge, sitôt Big1 à quai, il avait gagné le Haut Commandement pour plaider la cause de Manabu et débuter des recherches au plus vite.


- Bruce…


L’artilleur s’était levé et avait rageusement quitté la pièce. Reiko le suivit, inquiète.


- Attends-moi !, l’interpella-t-elle alors qu’il s’enfonçait dans le couloir.


Elle courut et se glissa contre lui, quêtant du réconfort.


- Reiko, dit-il en s’immobilisant.

- On rentre à la maison ? Et ensuite… Il faudra… Il faudra qu’on aille voir Kanna. Tu viendras avec moi ? Louise aussi, je crois….

- Reiko. Tu as vu, non ?

- Hein ?


À contrecœur, Il se sépara d’elle doucement.

“Il est temps de mettre un terme à cette mascarade. Cette hallucination, c’était un avertissement. Si je ne le prends pas au sérieux, qui sait ce qu’il adviendra.”


- Voilà ce qu’il se produit quand quelqu’un est trop proche de moi.


Elle serra les dents, ne devinant que trop bien où il voulait en venir.


- Ça n'a rien à voir avec toi. S’il faut désigner un coupable, ce serait moi. J’ai remué tout ça. J’ai prévenu Harlock, Maetel… Et même… Warrius. J’ai allumé la mèche. Si j’étais restée à ma place…


Sa voix se cassa.


- Manabu serait toujours là. Je dois assumer ça et l’annoncer à Kanna. Et je ne lâcherai pas tant qu’il ne sera pas de retour. Pour une fois, malgré mes erreurs, je ne renoncerai pas. Mais j’ai besoin de ton aide. Et j’ai besoin de toi.


Bruce enfouit ses mains dans ses poches.


- Je suis maudit, c’est comme ça.

- Tu ne m’as pas écoutée, s’étouffa-t-elle.

- Reiko, t’as rien à te reprocher. 

- Toi non plus.


Il se détourna, le cœur battant la chamade.

“Je ne dois pas flancher.”

Aussi ardu que soit ce choix, il n’y avait plus aucune autre alternative.

“Dire que je me suis voilé la face si longtemps. Je n’ai pas droit au bonheur. Pour moi, il n’y a toujours eu que les ténèbres et la solitude. Quelle folie m’a fait croire que le contraire était envisageable ?”


- Aujourd’hui, c’est Manabu mais demain… Qui sait, ça pourrait être toi.

- Ne raconte pas n’importe quoi.

- Je ne te mettrai pas en danger délibérément.

- Tu… Tu… Sous-entends quoi par là ?, interrogea-t-elle, tremblante.

- Toi et moi, c’est fini.


Reiko eut l’impression qu’une avalanche la percutait de plein fouet.


- Non, hors de question.

- Je te demande pas ton avis.

- Tu as dit que… Que tu m’aimais…

- Ouais, ben parfois ça ne suffit pas. C’est mieux comme ça.

- C’est l’illusion, hein ?, s’exclama-t-elle. Qu’est-ce que tu as vu ?

- C’est pas ton problème.


Elle empoigna sa veste, déterminée.


- Je refuse. Je t’aime.


Bruce sentit ses résolutions fondre comme neige au soleil alors que les mots s’insinuaient dans ses veines.

“Raison de plus pour que je m’éloigne de toi.”


- Désolé, je ne peux pas te donner ce que tu souhaites.


Il la repoussa et la tristesse qu’il lut dans ses prunelles le poignarda plus violemment qu’une arme blanche.


- J’ai l’aval du Commandant, je vais voir Kanna. Si tu veux venir, je serai dans le prochain train à destination de Tabito. Sinon, on parlera à mon retour.

- C’est pas la peine, on s’est tout dit.

- Bruce James Speed, je n’accepte pas cette décision aberrante.


Tandis qu’il disparaissait au bout du corridor, des sanglots roulèrent sur les joues de la jeune femme.


- Imbécile… T’es qu’un imbécile…


Elle essuya ses larmes d’un revers de manche.


- Quand est-ce que tu vas arrêter de te cacher derrière cette malédiction idiote ?


***


Le trajet jusqu’à Tabito dura plusieurs heures. Plusieurs heures durant lesquelles Louise ne décrocha pas un mot et se contenta de pleurer en silence, sa tête nichée contre l’épaule de Reiko.

“Il n’est pas venu finalement.”

Le front appuyé sur la vitre, elle soupira.

En moins d’une demi-journée, elle avait perdu deux des personnes qu’elle aimait le plus au monde. Elle accusait difficilement le coup et, si elle ne s’effondrait pas, c’était uniquement par égard pour son amie.

“Les humanoïdes m’ont arraché Manabu et par extension, Bruce. Ce sniper de pacotille et ses idées fixes…”

Reiko ne pouvait se résoudre à ce que leur relation prenne fin à cause des ces peurs irrationnelles.

“Il ne se débarrassera pas de moi aussi facilement, surtout pour un motif aussi invraisemblable que celui-là. Je suis sûre qu’il s’imagine qu’il me protège mais c’est tout l’opposé.”

Pour l’instant, elle avait des soucis plus importants à gérer. L’enlèvement de Manabu était sa priorité. Une petite voix lui soufflait qu’elle était en partie responsable de ce désastre.

“Si j’avais pas alerté Harlock, Maetel et compagnie, ils ne s’en seraient pas pris à nous. C’est comme-ci j’avais moi-même tracé la cible sur Big1.”

Cependant, elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne comprenait pas pourquoi Manabu, en particulier, avait été visé.

“Ils nous ont épargnés et ça aussi je ne me l’explique pas.”

Quant à ce gaz hallucinogène, il lui donnait encore des frissons. Bien qu’elle soit soulagée que tout cela n’ait été qu’un mauvais rêve, elle craignait de voir cette situation se produire un jour.

“Non… Harlock… Il ne me dirait jamais ce genre de choses… C’est ce poison qui a fait resurgir mes angoisses les plus noires.”

Le train pénétra enfin l’atmosphère de la planète minière et Reiko secoua délicatement

Louise. 


- On y est.


Le restaurant était situé à proximité de la gare et elles y parvinrent un peu trop rapidement au goût de la pilote.


- Allons-y, lança-t-elle, la bouche sèche.


Reiko frappa contre le battant du shôji et elles n’eurent pas à patienter longtemps avant que le visage souriant de Kanna ne se dévoile dans l’entrebâillement de la porte.


- Koko ? Et mademoiselle ? Où est Manabu ? Je n’ai pas été avertie de votre…


Elle nota l’air défait de ses visiteuses et une ride d’inquiétude barra son front.


- Comment va mon fils ? Reiko ?

- Il n’est pas… Il n’est pas… Et si on allait s’asseoir ?


Kanna acquiesça et s’empressa de fermer le restaurant. Elle désigna une table dans un coin de la salle autour de laquelle le trio prit place.

Reiko présenta Louise comme étant une proche amie de Manabu puis elle entreprit de résumer les derniers événements. La peau de Kanna pâlissait à mesure qu’elle déroulait son récit et, lorsqu’elle en vint à l’épisode du kidnapping, l’officière radar dû la retenir pour éviter qu’elle ne s’écroule.


- Il est en vie. On va tout mettre en œuvre pour le tirer de là.


Leur hôtesse garda les yeux baissés mais Reiko nota les tressautements qui agitaient ses bras.


- Pour quelle raison ces humanoïdes vous ont-ils attaqués ? Et pourquoi ont-ils… Pris mon petit garçon ?

- Je…


Elle déglutit péniblement, froissant le tissu de son uniforme entre ses doigts.


- Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi Manabu mais… Je suis tellement désolée… Je les ai peut-être involontairement poussés à un affrontement plus direct en révélant certains faits… C’est compliqué mais…

- Tu veux dire que s’il s’est fait enlevé, c’est de ta faute ?

- Non, ce n’est pas à cause de Reiko, intervint Louise. Ils nous pourchassaient depuis un moment déjà et ils seraient sans doute passés à l’action de toute façon.


Kanna se leva, à la fois furieuse et désespérée. Après son mari et son aîné, la Space Defence Force lui volait son cadet.

Elle ne pouvait le tolérer.


- Vous devriez vous en aller, lâcha-t-elle.

- Attends, okaa…


Le regard froid que lui adressa la mère de Manabu l’empêcha de terminer sa phrase.


- Je n’ai plus rien à vous dire. Laissez-moi tranquille.


Alors qu’elle s’apprêtait à disparaître à l’étage supérieur, Reiko se précipita dans les escaliers.


- Je te promets que je le ramènerai, s’écria-t-elle, même si je dois échanger ma vie contre la sienne. Il reviendra à la maison.


Kanna ne daigna pas répondre, trop affligée par le chagrin.


- Je le jure, marmonna Reiko. Sur tout ce que j’ai de plus précieux, je le jure.



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