A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 21 : Les humanoïdes

5167 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/10/2023 13:38

Hello c'est Naussicca ! J'espère que mon histoire vous plaît ! N'hésitez pas à me laisser un commentaire pour me donner votre avis !


Chap 21 : les humanoïdes


Les doigts crispés autour des commandes du chasseur, Louise effectua un virage acrobatique avant de se rétablir.

Par quel miracle était-elle parvenue à hisser Manabu dans le cockpit et à décoller sans qu’aucun d’entre eux ne soit atteint par les tirs laser ? Elle était incapable de se l’expliquer.

“Ils ne se battaient pas sérieusement. En plus de ça, l’appareil était intact. Ils nous ont laissés fuir, c’est évident. Mais… Pourquoi ? Et Reiko… Je ne me pardonnerai jamais de l’avoir abandonnée dans cet enfer. Comment… Comment annoncer ça à Bruce ? Il ne va pas sans remettre… Est-ce qu’elle est seulement encore en vie ?”

Louise se mordit la lèvre au sang tandis que le jet piquait du nez dans les profondeurs de la base ennemie.


- On va se ménager une porte de sortie, d’accord Manabu ?


Probablement inconscient, il ne lui répondit pas.

“Je suis toute seule sur ce coup. Je ne peux pas… Je ne peux pas échouer ! Pour Reiko… Kanna et tous les autres…”

Lorsque les détecteurs lui indiquèrent que la paroi donnant sur l’extérieur était proche, elle fit hurler ses canons.

“Pourvu qu’on ne s’écrase pas ! Pitié ! Pitié ! Pitié !”

À son grand soulagement, ils filèrent dans l’espace intersidéral.

“Nos armes étaient pourtant inefficaces tout à l’heure…”

Elle n’eut pas l’occasion de s’interroger davantage car elle repéra Big1, l’Iron Berger et l’Hiryu qui arrosaient l’ennemi avec toute leur puissance de feu disponible.

“Les renforts sont arrivés…”

Alors qu’elle virait de bord, une brusque aspiration lui fit perdre le contrôle de son eagle. Par réflexe, elle actionna les propulseurs à pleine puissance et, après un instant de lutte contre les éléments, ils furent projetés en avant et dépassèrent les trains de combat à pleine vitesse. Elle s’empressa de réduire son allure et de se retourner. 


- On a réussi…


Ses yeux s’écarquillèrent et elle hoqueta de surprise.

Il ne restait plus rien.


- La station a… Elle a disparu.


*** 


Depuis la “control room”, Bruce, Yûki, David et Bulge n’avaient rien manqué de l’évasion de Louise et de la téléportation de la sphère.


- Ces filles, siffla David. Elles sont… Épatantes.

- Saut Warp ?, marmonna le Commandant. L’Arcadia, le Yamato et maintenant eux… Cette technologie est plus répandue que je ne le croyais.

- Le chasseur s’approche de Big1, les informa Yûki.


Monté sur ressort, Bruce fit voler son siège en arrière et se rua vers la porte. L’angoisse suintait par tous ses pores et il se devait de vérifier qu’ils étaient tous sains et saufs.

Que Reiko était saine et sauve.

Il franchit les voitures au pas de course et pénétra hors d’haleine dans le hangar de lancement. De longues minutes, qui lui semblèrent durer une éternité, s'égrenèrent jusqu’à ce que le toit se rétracte et que l’appareil atterrisse.

La lumière était insuffisante pour qu’il puisse discerner autre chose que de vagues ombres mouvantes au sein de l’habitacle. 

Son instinct l’incita à demeurer sur ses gardes, au cas où les humanoïdes auraient pris possession de l’eagle en vue de leur tendre un piège. Il empoigna son cosmo-gun en piaffant d’impatience.

Le cockpit se déverrouilla enfin et il reconnut la silhouette gracile de Louise.


- J’ai besoin… D’aide !, bégaya-t-elle, le souffle court.

- Ne bouge pas.


Bruce attela la passerelle et l'enjamba en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Une fois parvenu à la hauteur de l'officière radar, il eut la sensation que son estomac était enfoncé par un uppercut et qu’on arrachait de sa poitrine son cœur sanguinolent.

Il remarqua à peine Manabu qui gisait, toujours inanimé, sur son siège.


- Où… Où… Où est Reiko ?


Le regard douloureux que lui renvoya Louise balaya les dernières miettes de son sang-froid.


- Morte ?, demanda-t-il brutalement d’une voix blanche.

- Je… Je l’ignore. Elle a… Elle a couvert notre fuite.


Des larmes coulèrent sur les joues de Louise


- Je suis désolée. Je ne voulais pas partir sans elle, je t’assure.


Il agrippa la rambarde pour éviter de s’effondrer et de perdre pied.


- Elle était blessée ?

- Pas quand on s’est quittés. Bruce, Manabu… Il lui faut des soins urgents…


Le jeune homme acquiesça, se faisant violence pour ne pas crier de désespoir. Son équipier était de retour mais le prix à payer était pire que tout ce qu’il aurait pu imaginer.

Rien de moins que la femme qu’il aimait et qu’il s’était juré de protéger.

Le nom du monde était Souffrance.

Et Affliction.


***


Yûki ouvrit la porte du wagon-restaurant de Big1 et découvrit Bruce assis sur un tabouret, le menton baissé et le visage dissimulé entre ses mains.


- Bruce…


Le sniper ne réagit pas, complètement apathique. 

On ne réagit pas quand on est mort.

Et, à l’intérieur de lui, il n’y avait plus aucune once de vie.

L’infirmière s’agenouilla auprès de son ami.


- Rien n’est perdu. Louise…

- Louise a condamné sa coéquipière à une mort certaine, rétorqua-t-il froidement.

- Tu sais bien que ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Reiko ne lui a pas laissé le choix.


Les épaules de l’artilleur furent secouées de tremblements irrépressibles.


- Si tu savais à quel point je m’en veux. À quel point je suis en colère contre moi… Je suis responsable de tout ça.

- Tu te trompes, elle seule a décidé…

- Je l’ai quittée Yûki. Je l’ai quittée et, si je ne l’avais pas fait, j’aurais pu la dissuader de se livrer à une telle ânerie.

- Tu dois faire la paix avec “Bruce la Mort”. Tant que tu ne transcenderas pas ton vécu, tu reproduiras cette erreur encore et encore…

- Si elle meurt là-bas, je n’y survivrai pas.


Yûki enroula ses bras autour de la tête de Bruce.


- Les humanoïdes… Son pire cauchemar… Elle doit se sentir si isolée… Et si terrifiée… Je n’ai même pas répondu à son…


Sa voix se brisa.


- Je l’aime tellement… Si je pouvais revenir en arrière…


Ses sanglots devinrent incoercibles.


- Attends-moi… Je viendrai te chercher. Je t’en prie, ne pars pas sans moi…


*** 


Yûki sortit de l'infirmerie à pas feutrés et retrouva Schwanhelt Bulge qui patientait devant la grande vitre donnant sur le corridor.


- Verdict ?

- Il est fortement déshydraté et plusieurs de ses côtes sont fêlées. Rien de préoccupant physiquement parlant.

- Et moralement ?


L’androïde frotta son poignet gauche, visiblement soucieuse.


- Il est fragile. Extrêmement choqué. Je déconseille sa réintégration immédiate dans ses fonctions. Avez-vous prévenu… ?

- Sa mère devrait arriver plus tard dans la journée.


Le Commandant s’adossa contre le mur.


- Et concernant Bruce ?

- Il est… Son état mental est alarmant. Il serait dangereux qu’il participe à une mission. Il est instable, désorienté et imprévisible.

- Je m’en doutais. Où est-il ?

- En salle de repos.

- Je vais garder un oeil sur lui. Le connaissant, il serait capable de détourner Big1 pour l’utiliser comme bélier pour emboutir cette fichue station.


Yûki brossa machinalement sa tresse blonde.


- Pour Reiko, que fait-on ?


Il soupira.


- Pas le choix, j’ai averti Warrius Zero, étant donné que je n’ai aucun moyen de joindre le pirate.

- Et ?

- S’il n’a pas fait une syncope après mon appel, nous devons nous préparer à une visite musclée au Quartier Général.

- Que dit le Haut Commandement ?

- Rien, grogna Schwanhelt Bulge. Ils ne feront rien pour elle. Si des recherches avaient été entreprises pour sauver Manabu, c’est uniquement car son père et son frère sont considérés comme des héros de la Space Defence Force et qu’ils ne pouvaient décemment pas l’abandonner à son sort après les sacrifices faits par sa famille.


Il ébouriffa ses cheveux bruns avant de poursuivre.


- D’après le conseil d’administration, Reiko n’est pas et ne sera jamais une priorité car elle s’est délibérément mise dans cette situation en prenant l’initiative de s’introduire dans la base.

- C’est insensé ! Même le Commandant suprême…

- Elle doit se soumettre à la volonté des actionnaires. Comme nous autres.

- Bruce ne l’acceptera pas.

- Je sais. J’aviserai de la suite avec Warrius Zero. Nous sommes étroitement surveillés et Big1 est cloué au sol jusqu’à nouvel ordre.


Louise, qui avait été exclue du chevet de Manabu par l’infirmière, déboula dans le couloir.


- Commandant ! Un vaisseau…

- Le Karyû est déjà là ?, s’étonna-t-il.

- Pas le Karyû.


Elle reprit son souffle.


- L’Arcadia. C’est l’Arcadia du Capitaine Harlock.


*** 


- Vieux, son daron est là.


Bruce leva les yeux de la rainure de la table qu’il fixait depuis maintenant près d’une demi-heure.

Aussi vide qu’une coquille d'œuf, il avait la sensation que son esprit avait définitivement quitté son corps.


- Qui ça ?

- Le père de Reiko. Harlock. Et de ce que j’en ai vu, il est à deux doigts d’exterminer la planète et tous ses habitants avec.


“Ce serait pas un mal.”


- Tu devrais aller le voir, continua David. Écoute, la SDF ne fera rien pour ta fiancée. J’ai entendu Tôdo le confirmer au Commandant. Elle s’est mise toute seule dans ce pétrin et ils ne risqueront pas une guerre ouverte avec une civilisation non-humaine pour la secourir.


Bruce serra les poings.


- Si tu veux partir à sa recherche, ce type c’est ta meilleure chance.

- Qu’est-ce qui te fait dire qu’il voudra bien de mon aide ? J’ai blessé sa fille adorée. Au mieux il me méprise, au pire il me descend.

- D’après moi, tu n’as pas de meilleurs atouts dans ton jeu.


Le sniper ne répondit pas, pesant le pour et le contre.

“Si la SDF nous laisse tomber, quel choix me reste-t-il ? S’il existe ne serait-ce qu’un espoir minime… Tant que je n’ai pas la certitude qu’elle est morte, je dois tout tenter.”


***


- Capitaine.


Les Commandants Bulge, Murase et Tôdo formaient à eux trois le comité d’accueil de l’équipage de l’Arcadia.

Une aura sombre nimbait Harlock alors qu’il s’avançait sur le pont suivi de sa seconde Kei Yuki, du Lieutenant Yattaran et de Tadashi Daiba.


- Résumez-moi ce désastre en quelques mots et je déciderai si j'explose ou non cette foutue gare.


Bien que piqué au vif, Schwanhelt Bulge s’exécuta et entama le récit des événements des dernières heures.


- Ce n’est pas vous qui l’avez envoyée là-bas ?

- Bien sûr que non. Pour qui me prenez-vous ?


Le hors-la-loi tapota distraitement son cosmo-dragoon.


- Warrius m’a dit que vous étiez responsable. Je vois à présent que ce n’est pas le cas. Je m’excuse de mon emportement. Reiko a malheureusement pris exemple sur son frère pour tout ce qui est décisions impulsives et irréfléchies.

- Harlock !

- Ose nier, imbécile, tempêta-t-il en lui frappant l’arrière du crâne.

- La Compagnie n’engagera aucun moyen pour la retrouver. Ils refusent que des tensions avec les humanoïdes contrarient le fonctionnement ou l’extension du Galaxy Railways.

- Et Zero est tenu pieds et poings liés par la Confédération terrienne. Peu importe, je vais m’en occuper. Transférez-moi toutes les données pouvant être utiles.


Considérant que tout avait été dit, il tourna les talons.


- Attendez !


Bruce courait dans leur direction à toute vitesse. Essoufflé, il s’immobilisa devant Harlock. Les mâchoires contractées et le regard menaçant, Tadashi s’approcha, prêt à en découdre. Il fut stoppé net dans son élan par le père de Reiko qui lui barra le passage.


- Qu’est-ce que tu veux ?, demanda-t-il sèchement à l’artilleur.

- Embarquer avec vous.


Un sourire dur étira les lèvres du Capitaine.


- Pourquoi j’accepterais que l’homme qui a fait du mal à mon poussin s’invite à bord de mon vaisseau ?

- Vous ne pouvez pas comprendre, cracha Bruce.

- Vraiment ? Soit. Yattaran, on décolle.


Harlock fit demi-tour dans une envolée de cape. Il commençait à remonter la passerelle lorsqu’une voix désespérée l’interpella.


- Je voulais la protéger ! De moi… De mes ténèbres… Mais je.. Je suis… Ce n’est pas une question de sentiments… Car je…

- Fais comme tu veux, ça m’est égal.

- Harlock !, s’écria Tadashi, contrarié.


Le pirate l’ignora et, après un ultime salut à l’intention des Commandants de la SDF, il rejoignit l’Arcadia.


- Bruce, je n’ai pas autorisé cette absence.

- Parce que vous m’auriez laissé reprendre mon poste peut-être ?, railla-t-il.

- Ce n’est pas une raison…

- Considérez que je pose mes congés annuels.


Sans plus de cérémonie, il emboîta le pas aux rebelles.


- Bruce…

- Je serai prudent, je sais. Et je reviendrai avec Reiko.


La passerelle se rétracta derrière lui et, moins d’une minute plus tard, les propulseurs de l’Arcadia se mirent en marche en rugissant.


- T’es en veine avec ton peloton de têtes brûlées, commenta Murase. T’as pas fini de te faire du mouron pour eux.

- J’en ai bien peur.


*** 


Kanna Yuuki se fraya un chemin à travers le dédale de couloirs du Quartier Général. À l’instant où son téléphone avait sonné, elle avait cru que son cœur allait s’arrêter.

D’abord, Wataru.

Puis, Mamoru.

Non, personne n’avait le droit de lui enlever Manabu. 

Durant toutes ces années, elle avait payé un tribut plus que suffisant à la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques. Elle estimait avoir assez donné.

Elle reconnut David, assis sur un banc face à un distributeur de sodas. Elle se jeta littéralement sur lui, presque hystérique.


- Où est mon fils ?, lâcha-t-elle du tac-au-tac.


Pris en otage, l’ingénieur la conduisit jusqu’à l’infirmerie. Kanna aperçut Manabu de l'autre côté de la vitre et démolit presque le battant.


- Maman, dit-il d’une voix éraillée. Je suis content que tu sois là.


Elle le serra dans ses bras, peinant à réaliser qu'il était bien réel.


- J’étais morte d’inquiétude. J’ai cru que je ne te reverrai jamais. Tu es blessé ? Tu as mal quelque part ?

- Non, rien de méchant.


Kanna nota enfin la mine maussade du jeune homme.


- Que s’est-il passé ? Bulge est resté évasif.

- Je ne me souviens pas de tout. J’ai été kidnappé par les hommes-robots de Râ-Métal. Ils m’ont questionné… Sur Papa.

- Wataru ?, dit-elle, ébahie.

- Oui. Ils m’ont demandé si je savais ce qu’il était advenu de la première locomotive de Big1.

- La première locomotive ? Mais elle a explosé avec…


Elle inspira et reprit.


- Ton père à son bord.

- Oui, il s’est sacrifié pour empêcher l’invasion de l’empire d’Alfort, que nous avons affronté à nouveau l’an dernier. Et vaincu de justesse.

- Ces envahisseurs provenaient…

- D’un autre univers, oui. Et les humanoïdes sont très intéressés par les opportunités que présente ce monde inconnu jusqu’alors.

- Je vois. Tu as mentionné ça au Commandant ?


Manabu hocha la tête.


- C’est sans importance. Je suis heureuse que tu sois là, en vie. Est-ce que… Est-ce que Reiko est ici aussi ? Je lui dois… Des excuses. J’ai été injuste avec elle quand elle est venue me voir. J’ai dû lui faire beaucoup de peine.


Il froissa les draps entre ses doigts.


- Maman…


Des larmes impuissantes roulèrent sur les joues de Manabu.


- Elle n’est pas rentrée.

- Qu’est-ce que tu racontes ?, l'interrogea-t-elle, soudain affolée.


Il baissa les yeux et son menton trembla.


- Louise et Reiko ont désobéi aux ordres et ont profité d’une brèche pour entrer dans la station. Elles m’ont trouvé mais Reiko est restée en arrière pour couvrir notre fuite. Elle n’est pas revenue à temps.


Kanna eut l’impression qu’un immeuble s’effondrait au-dessus d’elle.


- Elle m’a dit de vous dire qu’elle était désolée.


Louise se tenait dans l’encadrement de la porte, les traits tirés.


- Dé…Solée ?, balbutia Kanna. Mais… Pour…


“Je te promets que je le ramènerai, même si je dois échanger ma vie contre la sienne. Il reviendra à la maison.”, se remémora-t-elle.

Les dernières paroles de Reiko.

Elle avait entendu mais pas écouté.


- Oh non… C’est ma faute, murmura-t-elle. Je l’ai incitée à commettre cette folie.

- Elle est toujours en vie, assura Louise. Harlock est parti en croisade pour la sauver. Bruce est avec lui.


Manabu frappa son lit avec son poing.


- J’aurais dû en être aussi.

- Tu es en convalescence, lui rappela son amie.

- C’est ridicule, je vais bien.


Kanna planta ses ongles dans la paume de sa main.


- Je suis indigne d’être une mère…


De lourds sanglots secouèrent son buste. 


- Maman… Ne pleure pas…

- J’ai perdu un autre enfant, bégaya-t-elle, inconsolable.


***


Bruce se sentait comme un invité indésirable alors qu’il errait dans le vaisseau pirate. Si le regard de Tadashi était hostile, celui d’Harlock était aussi froid que la planète des glaces.

En résumé, chacun d’eux lui faisait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu.

Mais ça lui était égal, il était habitué à ce qu’on le déteste.

De plus, pour quelqu’un de familier avec la rigueur militaire, débarquer dans un tel endroit était dépaysant. Des bouteilles vides jonchaient le sol, le ménage était plus que douteux et des membres d’équipage dormaient ou jouaient aux cartes en plein milieu des couloirs…

“C’est donc dans cet environnement qu’elle a grandi. Son arrivée à la SDF a dû être un sacré choc.”

Le hors-la-loi, qu’il avait énormément de mal à imaginer en père de famille, marchait devant lui, Tadashi le suivant comme son ombre.

“On ne se demande pas qui est la relève…”


- Prends la passerelle, je te rejoins plus tard.


Celui-ci acquiesça, tendu, en lançant une oeillade agressive à l’ex petit ami de sa chère “Nee-san”.


- Speed.


“Ça va être ma fête. Je pensais bien qu’il n’en resterait pas là ce vieux bandit.”


- Comment comptes-tu te comporter avec ma fille ? Tu dis que tu veux te joindre à nous car tu te soucies d’elle, mais que va-t-il se passer quand tu la retrouveras ? Va-t-elle encore souffrir la prochaine fois que tu la rejetteras ? Mets-toi à ma place. Que ferais-tu si les rôles étaient inversés ?


Le sniper se mordit l’intérieur de la joue.

Il marquait un point.


- Je ne reproduirai plus cette erreur.

- C’est-à-dire ?, insista-t-il, impitoyable.


Bruce respira profondément. 

Il rechignait à l’idée de se confier mais, pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, il sentait qu’il n’avait pas le choix ou la jeune femme lui échapperait définitivement. 


- Si elle veut toujours de moi, je… Je ferai tout mon possible pour abattre les démons qui me pourchassent.

- C’est tout ?

- C’est tout ce que vous avez besoin de savoir, oui.

- Je ne pense pas que tu sois l’homme qu’elle mérite, asséna Harlock.


L’artilleur garda le silence.

Sur ce coup, il n’avait pas tort.


- Si elle m’accorde une seconde chance, je ne la lâcherai plus jamais. Je me marierai avec elle, si c’est ce qu’elle souhaite. Je…

- Se marier ? Toi ? Avec mon lapin ?


Le Capitaine ricana en se détournant.


- Prouve-moi déjà que tu n’es pas l’homme que je crois que tu es.

- Je risquerai tout pour la récupérer.

- Sache qu’ici aucune promesse n’est faite à la légère.


Pour la première fois, Harlock eut un sourire en coin.


- Visite l’Arcadia à ta guise. Les cabines libres sont au fond du pont numéro six.


Bruce l’observa disparaître à l’angle d’un corridor. 

“Il va me mettre à l’épreuve et quelque chose me dit que l’échec n’est pas permis.”


***


- Je ne me répéterai pas. Qui est le quarante-deuxième membre d’équipage ?


Reiko toussa en cherchant désespérément à reprendre son souffle.


- Je… Sais pas… De quoi vous…


Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase qu’un second coup lui percuta l’estomac.


- Menteuse !


Le militaire mécanisé lui tira les cheveux, dévoilant sa gorge nue. Il approcha son œil rose à moins d’un centimètre du visage de la pilote.


- Je peux infliger les pires sévices à cette enveloppe charnelle humaine si fragile.


Elle déglutit avec difficulté, terrorisée.

Elle ne savait que trop bien de quoi ces êtres sans âme étaient capables.

Si elle en jugeait par la douleur qui irradiait son côté gauche, certains de ses os étaient sûrement brisés.

Quant à son ventre, il était recouvert de bleus et son corps regorgeait de multiples contusions.

“J’ai mal… Je voudrais que tout ça s’arrête. Qu’ils me tuent une bonne fois pour toute.”

Lorsqu’une lame perfora sa cuisse, elle hurla.

Une décharge électrique remonta ses nerfs et des étoiles dansèrent devant ses iris alors qu’elle était proche de l’évanouissement.

Quand son bourreau retira enfin cet instrument de torture de sa chair, elle se roula en boule en gémissant.


- Je recommencerai jusqu’à ce que tu craches le morceau. Tu n’en mourras pas mais tu le désireras de toutes tes forces.


La seconde décharge était insupportable.

La troisième, atroce.

À la quatrième, elle rampa pour s’éloigner de son tortionnaire. 


- Un insecte coriace. Un sale cafard.


Au moment où il pointa de nouveau le poignard électrifié, elle tendit les bras en avant.


- Ça… Suffit… Pitié…

- Son nom. Dis nous qui il est.


Elle avait atteint les limites de ce qu’elle pouvait endurer et un son étranglé franchit ses lèvres.


- L’ordinateur central. C’est lui.

- L’ordinateur ?

- Il est doté d’une conscience.

- Intéressant. Voilà pourquoi nous n’avions pas de signature organique. Tu vois que ce n’était pas si compliqué.


Il envoya valser Reiko avec un coup de pied bien placé au creux de ses reins.


- Je reviendrai, lui promit-il.


Le robot claqua la porte de la cellule. 


- Pa-Pardon Otto-san d’être si faible… Si inutile…


Déshydratée, aucune larme ne mouilla ses yeux.

Seul demeurait le supplice d’être en vie.


***


Après avoir inspecté les chasseurs, que les pirates nommaient “Space Wolves”, Bruce décida de gagner la passerelle de Commandement.


- Personne ne dort tant qu’on n’a pas localisé cette foutue base !

- À tes ordres, Captain !


Debout face aux immenses vitres, il dirigeait les opérations d’une main de fer.


- Yattaran, tu repères quelque chose avec nos radars longue portée ?

- Rien du tout. Leur saut Warp était parfait, indétectable.

- Continue. Je me moque du temps que ça prendra mais je veux des analyses en non-stop.

- Compris !


L’artilleur s’avança, fasciné par la technologie de pointe de l’Arcadia. À côté, Big1 faisait figure de jouet pour enfant.

“Pourquoi Reiko a-t-elle choisi de s’en aller ? C’est incompréhensible.”

Il admira la grande barre, digne des navires des flibustiers de jadis et remarqua un papier coincé au niveau de la tête de mort centrale, en face du large fauteuil du Capitaine. Instinctivement, il plissa les paupières pour mieux détailler l’image. Son cœur rata un battement et il arracha presque la photographie.

Vêtue d’un kimono blanc à motif automnal, Reiko souriait à l'objectif tandis qu’une mèche de cheveux rebelle s’était détachée de son chignon traditionnel. Une large épingle rouge et or était piquée dans sa coiffure et retombait négligemment sur son habit en une élégante cascade florale.

“C’était sur Robunte Roldo… Ce jour-là…”


- Tu reposes ça, cracha Tadashi.

- Daiba !, le recadra Harlock. C’est bon.


Bruce fixait le portrait de la femme qu’il aimait.

Il avait l’impression de se noyer.

“Je manque d’air…”


- Rends-nous la…

- Tadashi, ça ira.


Il passa deux doigts dans son col pour le desserrer. Puis, sans ajouter un mot, il quitta le pont principal, ignorant les regards ahuris que l’équipage dardait sur lui.


- C’est quoi son problème ?


Le hors-la-loi croisa les bras.


- Il est assez puni comme ça, fiche lui la paix. Yattaran, on en est où ?

- On élargit notre portée.

- Okay, au boulot les gars.


*** 


- À genoux… C’est la place de la vermine humaine.


Reiko voulut se redresser mais un soldat appuya fermement sur ses épaules.


- Et si on adressait un petit message à ton cher papa ?

- Je ne suis qu’un appât, hein ?, marmonna-t-elle.

- Qui me permettra de pêcher un plus gros poisson. Un poisson qui se faufile hors de mes filets depuis trop longtemps.

- Vous rêvez. Je ne fais plus partie de sa vie.

- C’est ce qu’on verra.


La reine, ou plutôt ce qu’il en restait, se leva de son trône.

Son visage immaculé était percé de deux orbites noires. Une fine arête marquait son nez et sa bouche était inexistante. Une immense robe noire couvrait son corps mécanisé.

Elle exhiba l’émetteur d’urgence de la pilote et celle-ci tressaillit.


- Une ligne directe, n’est-ce pas ? Tu es sûre que tu ne désires pas saluer ta famille ?

- N-non…


Promethium activa l’émetteur.


- Harlock, quelle bonne surprise !


L’hologramme du pirate se raidit.


- Relâche ma fille, c’est moi que tu veux, pas elle.

- Si seulement tout était si simple…


Reiko tenta de l’interpeller mais elle fut bâillonnée sans ménagement.  


- Nous allons la garder avec nous encore quelque temps. C’est impressionnant toutes les données qu’on peut récolter grâce à la torture.

- Si vous l’avez blessée, je vous traquerai et je vous exterminerai tous jusqu’au dernier, mugit-il en peinant à se contrôler.

- Vous avez déjà essayé et, comme tout ce qu’entreprennent les hommes, c’était voué à l’échec.

- Rends-moi Reiko, espèce de sorcière !

- Ce ton condescendant me déplaît. Oui, peut-être que je vous l’expédierai.


La reine ricana.


- En pièces détachées.


Elle coupa ensuite la communication et se tourna vers sa prisonnière, aussi pâle qu’un cadavre.

“Cette folle va me dépecer et extraire mon humanité goutte de sang après goutte de sang.”


- Le poisson est ferré et si nous remontions la ligne ? 


*** 


Tadashi aplatit son poing dans une console, explosant le cadrant en mille morceaux.


- Harlock !

- Je sais, répondit-il en grinçant des dents.

- Ils vont la tuer pour nous destabiliser, s’alarma le jeune homme.

- Pas tant qu’elle aura des informations à leur communiquer.


Le Capitaine empoigna la barre de l’Arcadia si fort qu’il faillit la briser.

Une.

C’était le nombre de fois où il avait perdu son sang-froid.

Il y a vingt ans.

Quand on lui avait enlevé la fillette qu’il avait prise sous son aile.

Ce jour-là, les canons de l’Arcadia n’avaient pas connu de repos et, civils comme soldats, nombreux étaient les humanoïdes à avoir succombé sous leurs rayons destructeurs.


- Yattaran.

- Oui, Captain ?

- Cap sur Râ-Metal.


Tadashi hoqueta.


- Mais la station…

- Je vais brûler cette planète et envoyer tous ceux qui y vivent en enfer. Promethium n’aura pas d’autres choix que de venir la défendre.


Il lança la barre et le vaisseau effectua un virage à cent quatre-vingt degrés. 

Que ce soit un piège lui importait peu. Un feu ardent le consumait et il s’apprêtait à le déverser sur son sillage.

L’équipage de l’Arcadia partagea un regard inquiet.

L’ennemi public numéro un s’apprêtait à enflammer l’univers et personne n’était en mesure de l’arrêter.


***


Bruce avait trouvé refuge dans un salon isolé.

La solitude pour unique compagne.

Pesante. Glaçante. Effrayante.

Ses doigts tremblaient et la photo lui échappa, se posant délicatement sur le sol.


- Chaton, je suis désolé…


Derrière les larges fenêtres, les étoiles brillaient, aussi lumineuses qu’elles pouvaient l’être.

Pourtant leur éclat n’avait rien d’émouvant aux yeux du sniper.

Elles paraissaient fades et indignes d’intérêt.


- Je prouverai à tous que je suis capable de t’aimer et de te protéger. Reiko… Même Harlock… Même Harlock devra se rendre à l’évidence.

Laisser un commentaire ?