A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 22 : Opération X00002

5527 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/10/2023 15:40

Le destin n’en ayant pas fini avec Bruce, il dû accuser un autre coup du sort qui le laissa aussi désarmé qu’un nouveau-né.

Kei avait écumé l’Arcadia à sa recherche et l’avait enfin déniché dans l’un des nombreux salons de détente.

Elle lui raconta l’appel de Promethium en euphémisant les moments les plus difficiles. Elle nota que son teint pâle se teinta légèrement de vert tandis que ses pupilles s’agitaient dans tous les sens.


- Le plan d’Harlock, c’est… ?

- Attaquer Râ-Metal pour forcer la reine à dévoiler son jeu.

- Et ça fonctionnera ?, demanda-t-il, dubitatif.

- J’ai confiance en notre Capitaine.


Kei se leva souplement.


- Libre à toi de décider quelle voie tu désires emprunter. Il y a toujours une place sur ce vaisseau pour ceux qui veulent se battre.


Il garda le silence.

Aussi compliqué que s’annonçait l’avenir, il savait que si cette station apparaissait dans sa ligne de mire, il reprendrait ses vieilles habitudes de mercenaire et marquerait sa cible au fer rouge.

“Oui, moi non plus je n’abandonnerai pas.”

Bruce s’était battu pour de multiples raisons au cours de sa vie.

Pour des dirigeants avides de pouvoir.

Pour des factions rebelles.

Pour le Galaxy Railways.

Aujourd’hui, ce serait pour elle.

Et uniquement pour elle.


À bord de l’Arcadia, la volonté de deux hommes s’apprêtait à ébranler l’une des civilisations les plus craintes de l’univers.


*** 


Recroquevillée dans un angle de sa prison étroite, Reiko craignait le retour des humanoïdes. Après l’expression, plus que significative, des intentions belliqueuses de la reine, elle avait attendu avec angoisse l’arrivée de son bourreau mécanisé, redoutant de perdre son intégrité humaine, physique comme morale.

Pourtant, depuis près de trois jours, rien ne s’était produit.

“Je croyais qu’ils allaient exiger que je leur révèle l’identité de l’âme qui habite l’ordinateur central mais peut-être qu’ils n’y accordent aucune importance. Et si, par miracle, je parviens à sortir d’ici, je ne pourrai plus jamais regarder Harlock, ou même Aniki, dans les yeux car je suis devenue tout ce qu’ils méprisent en ce monde.”

Elle songea ensuite à son peloton.

“J’espère que Manabu n’a aucune séquelle de son enlèvement et que Kanna a retrouvé le sourire. Et si cette mésaventure a le mérite de rapprocher Louise et Manabu, ça n’aura pas été inutile. Il est plus que temps que ces deux-là s’avouent leurs sentiments.”

Elle dessina des arabesques dans la poussière qui tapissait le sol.

“Je suis sûre que le Commandant se fait un sang d’encre malgré mon mensonge éhonté. Yûki ne doit plus savoir où donner de la tête. ”

Et Bruce…

“Est-ce que que je lui manque ne serait-ce qu’un peu ? Moi, il me manque à chaque seconde qui passe. Pourvu que David garde un œil sur lui et l’aide à s’affranchir de cette stupide malédiction. C’est tout ce que je souhaite pour lui.”

Des claquements secs de pas retentirent dans le couloir et Reiko sentit une sueur froide ruisseler dans son dos. Elle mordit ses lèvres asséchées et serra les poings. Très fort.

Une silhouette se planta devant la grille de sa cellule.


- Je t’ai manqué ?, l’interrogea le militaire robotisé avec un enthousiasme sadique.


*** 


- L’opération X00002 ?


Les paroles de Bruce se perdirent dans le vide.

Puisque ni Harlock ni Tadashi ne firent mine de répondre, c’est Yattaran qui se lança dans une explication.


- C’est le matricule non-officiel de Reiko.

- Le matricule ?

- De hors-la-loi.


Voyant que son interlocuteur ne comprenait pas, il poursuivit.


- Le Capitaine est fiché par les autorités sous le nom de code S00999. Son meilleur ami, Tôchiro, était connu comme le S00998. Et quant à Emeraldas, la femme pirate, son matricule est toujours le X00001. Enfant, Reiko était contrariée de ne pas avoir son propre nom de code alors Harlock lui en a attribué un fictif.

- Le X00002 ?

- Exactement.

- Je vois.


Bruce darda une œillade sur le pirate, qui n’avait pas quitté sa barre depuis soixante-douze heures.

“Je me demande quel genre de vie elle a vécu ici. J’imagine qu’après ses années de survie sur Terre, elle s’est constituée une famille aimante quoique disparate.”


- Comment on procède ?, insista-t-il.

- On tape dans le tas jusqu’à ce que le loup montre sa queue, énonça le Lieutenant.

- Ça me paraît hasardeux.

- T’as une meilleure idée peut-être ?, railla Tadashi depuis son poste.

- Vos radars surdéveloppés sont pas fichus de localiser cette base aussi grosse qu’un soleil ?

- Le Saut Warp les a laissés sur le carreau, concéda Kei.

- Donc votre plan c’est d’ouvrir le feu sur une planète, peuplée de civils au passage, pour attirer la reine des abeilles ?

- D’humanoïdes, rectifia Tadashi.

- Et ça fait quelle différence ?

- Toute la différence.

- Pas pour moi, grogna Bruce.

- T’es libre de t’en aller le pistolero, on te retient pas. Comme t’as fait avec ma sœur tiens, ça a l’air d’être ta spécialité.


Le sniper, qu’il était aisé de provoquer au vu de son état anxieux actuel, se dirigea vers Tadashi pour l'agripper par le col. La voix impérieuse d’Harlock s’éleva alors, le stoppant subitement.


- Je conçois que nos méthodes ne te conviennent pas. Ici, chacun est libre de penser ce qu’il veut mais sache simplement que le temps nous est compté. Soit nous frappons un gros coup soit nous patientons et donnons à Promethium l’opportunité de torturer davantage Reiko.


Le corps de Bruce se tendit comme un arc. 


- Vous êtes prêt à sacrifier toute une nation pour elle ?


Le pirate eut un sourire mauvais.


- Je serais prêt à sacrifier bien plus. Et toi ?


L’artilleur s’avança vers la barre.


- À votre avis ?


Harlock se tourna vers Kei.


- Nous sommes enfin sortis du champ d'astéroïdes et des zones d’attractions stellaires, où en est le calcul de l’itinéraire du saut Warp ?

- Il est presque terminé. Transition imminente.

- Va t’asseoir, intima le Capitaine. Il est presque impossible de ne pas s’évanouir la première fois.


Bruce s’exécuta et s’installa sur l’un des sièges disponibles de la passerelle.


- Nous sommes prêts, les informa la Seconde alors qu’il bouclait sa ceinture.


Le Capitaine attrapa son microphone.


- Que tout l’équipage se prépare à l’impact d’un saut intersidéral. Prochaine destination : Râ-Métal. Tout le monde à son poste de combat ! Yattaran.

- À tes ordres !


Une lumière éblouissante nimba la salle de Commandement et Bruce sentit une torpeur nauséeuse l’envahir. Il lutta contre l’inconscience pendant que le mobilier se désagrégait autour de lui dans une pluie de paillettes argentées et irisées.


- Arcadia, Saut Warp !


*** 


Reiko tremblait, plaquée contre le mur et, si elle avait pu fusionner avec celui-ci, elle ne s’en serait pas privé.

L’humanoïde avait apporté son poignard électrique et d’autres objets aussi peu réjouissants et il paraissait impatient de les utiliser.

“Si je ne fais rien, je vais mourir ici. De faim, de soif ou à cause de la brutalité de ce dégénéré.”

Cette vérité l’accabla durement.

Lors de sa première séance de torture, elle avait été aussi paralysée que la Reiko âgée de huit ans, incapable de riposter, priant pour que le supplice s’achève rapidement.

“Mais maintenant j’ai plus de ressources.”

Harlock lui avait appris à se battre à mains nues.

Tadashi, à tirer et à piloter.

Bruce, à ne jamais renoncer.

“Que diraient-ils de moi si je n’essaie même pas de me défendre ? Si je dois rendre mon dernier souffle ici, je ne leur ferai pas le plaisir de ramper à leurs pieds.”


- J’ai d’autres questions pour toi. Tu vas être une gentille fille ou il faut que je t’abîme encore un peu ?


La douleur qui irradiait de ses membres et plus particulièrement de sa cuisse et de son bras gauches faillit avoir raison de sa toute nouvelle détermination. 

“Si Bruce doit porter un coup fatal à sa malédiction, moi c’est à mes cauchemars, qui sont hantés depuis trop longtemps par ces boîtes de conserve.”

Elle inspira pour calmer son angoisse et banda ses muscles affaiblis par ces trois derniers jours de privation. 


- J’ai rien à dire à une saloperie de ton genre.


Le militaire sembla surpris que sa proie se rebelle mais cela lui procura une grande satisfaction puisqu’il allait pouvoir la charcuter à sa guise.


- Fort bien, je vais devoir te délier la langue.

- Fais toi plaisir.


L’humanoïde souleva Reiko par sa veste, la déchirant par la même occasion.


- Tu te rappelles de ça ?, dit-il en désignant sa lame bleutée.

- Et toi ?

- Quoi ?

- Tu te souviens de la volonté des humains ?


La jeune femme rassembla toutes les miettes de son courage et de son énergie et propulsa son poing fermé en avant.

Celui-ci heurta violemment l'œil rose de l’homme robot et le traversa de part en part.

Les tendons se dilacérèrent.

Les os se brisèrent.

Les ligaments se rompirent.

Un flot de sang se déversa par les multiples plaies tandis que des bouts d’un matériel ressemblant à du verre perforèrent la chair de Reiko.

Instantanément, elle sut que rien ne pourrait soigner cette blessure, pas même la technologie de l’Arcadia.

Elle poussa un hurlement de douleur et de défi en bondissant sur ses pieds.

Des arcs électriques parcoururent le visage de son tortionnaire.

Il n’était pas mort, loin de là, mais potentiellement hors service.

Sans demander son reste, elle fila de sa prison en boitant, emportant le cosmo-gun de son geôlier.

Elle arracha sa veste et l’enroula autour de son poignet en charpie pour éviter qu’on ne la suive à la trace.

La souffrance était abominable, certes.

Les doigts de sa main droite pendaient lamentablement, sa jambe avait été labourée par un coutelas et elle suspectait une ou plusieurs factures de son bras gauche.

Mais elle avait enfin quitté cette cellule infernale.


***


Le mugissement des canons réveilla Bruce.

Il lui fallut toutefois quelques instants pour se rappeler de l’endroit où il se trouvait et de ce qu’il était en train de faire.

Son regard se noya dans le vide et il contempla, hébété, le feu d’artifice qui embrasait l’espace.


- Concentrez-vous sur les satellites et les dispositifs militaires, ordonna Harlock.

- On épargne les civils ?

- Dans la mesure du possible, oui.


Une part sombre couvait en son for intérieur et, aujourd’hui, elle était prête à surgir à tout moment.


Bruce se leva en clopinant, serrant les dents pour ne pas vomir.

Le Saut Warp ne lui avait pas réussi et il avait la désagréable impression d’avoir été essoré par une machine à laver. Pourtant, d’ordinaire, il supportait très bien les sensations fortes, les loopings ou le pilotage nerveux de David. 

Tadashi l’avait devancé de peu et s’entretenait déjà avec le Capitaine.


- Les Space Wolves ?

- Oui. Ils vont bientôt déployer leurs chasseurs, j’en suis certain.

- D’accord, vas-y et emmène un bataillon avec toi.


L’artilleur toussota.


- J’en suis aussi.

- Non, refusa Tadashi.

- Je sais piloter. Et sûrement mieux que toi.

- Espèce de…


Harlock soupira.


- Accordé mais si tu te plantes, personne ne viendra te chercher.

- Compris.

- Aaaaa !, râla Tadashi en passant une main dans ses cheveux châtains déjà bien ébouriffés. 


Tout en grommelant, il l'invita à le suivre d’un geste du bras. Les deux hommes coururent à travers le dédale des corridors de l’Arcadia et bientôt une douzaine de pirates se joignit à eux.

Bruce fut impressionné par la rigueur dont pouvait faire preuve l’équipage de rebelles qui revêtit à la hâte des combinaisons cosmo noires, bardées d’une large tête de mort dans le dos.

Le sniper les imita et investit ensuite l’un des Space Wolf resté vacant. Son fonctionnement lui était étranger, mais les commandes s’apparentaient à celles d’un Eagle de la SDF.

Il parvint à activer les systèmes et décolla moins d’une minute après les autres pilotes.


- C’est parti, lança-t-il.


Les pirates avaient eu le nez fin puisque des chasseurs ne tardèrent pas à se détacher de Râ-Metal. 

Vue d’en haut, la planète était parée d’un manteau blanc preque immaculé. Il discerna néanmoins quelques tâches grises qu’il devina être les rares villes situées en surface. 

“Le voilà donc, le fameux berceau de la civilisation humanoïde.”

Puis, à l’instar de ses coéquipiers du jour, il entreprit de descendre méticuleusement les jets qui le confondaient avec une cible facile à abattre.

Il se paya même le luxe de tirer sur un appareil qui avait engagé le Space Wolf de la tête brûlée de l’Arcadia.


- Tu me remercieras plus tard, lâcha-t-il crânement dans son communicateur.

“- Même pas en rêve le pistolero.”, lui répondit la voix exaspérée du frère de Reiko.


De son côté, le vaisseau n’accordait aucun répit à ses pulsars mais, au grand soulagement de Bruce, ceux-ci ne visaient pas les habitants.

“Si on ne lui rend pas bientôt sa fille, il va vraiment devenir fou et exploser cette planète.” 

Au détour d’une manœuvre délicate, il remarqua que l’espace devant lui se troublait étrangement.


- Qu’est-ce que…


Harlock les alerta alors avec virulence par le canal commun.


“ - Dégagez tous de là, la base râ-métalienne va apparaître par Saut Warp !”

- Putain…


Bruce empoigna brutalement son manche et redressa le jet. Il enclencha ensuite ses propulseurs et effectua une manœuvre de retournement sans réduire sa vitesse. Alors qu’il s’était éloigné et qu’il survolait l’Arcadia, une immense sphère se matérialisa à proximité.


- Faut croire que ce vieux bandit avait vu juste, siffla-t-il. 


“Reiko est quelque part là dedans…”

Il serra ses commandes si fort que le cuir de ses gants craqua.


- J’arrive, chaton. Tiens le coup encore un moment, d’accord ?


***


Reiko se baissa pour esquiver un rayon laser et s’enfila dans une petite coursive. Elle jouait au chat et à la souris avec les humanoïdes depuis près d’une heure. Les munitions de son arme n’étant pas infinies, celle-ci risquait de se décharger d’un instant à l’autre.

Et elle perdait du sang, beaucoup de sang.

Elle s’était fabriquée un garrot de fortune pour contenir le flot rouge, mais son efficacité était tout à fait relative.

Et c’était sans compter la peur qui lui tordait le ventre et la douleur qui était cuisante.

Lorsque toutes deux menaçaient de la paralyser, elle se remémorait le visage de ceux qu’elle aimait.

Comme un leitmotiv pour l’obliger à avancer.

La souffrance lui faisait parfois mélanger les traits de ses proches.

Le regard de Tadashi.

Le sourire d’Harlock.

Les mèches blondes de Bruce.


- Je veux pas crever ici, ânonna-t-elle.


Elle n’ignorait pas que ses chances de rejoindre un hangar de lancement étaient minces.

“Et ça, même au mieux de ma forme.”


- Et pourtant… J’ai pas le droit de laisser tomber.


Elle avisa le canon d’un pistolet, brillant dans la lumière aseptisée de la station.

Reiko tendit son bras gauche et tira trois fois.

Puisque sa main directrice était endommagée et qu’elle n’était pas ambidextre, elle épuisait son chargeur deux fois plus vite.

Le soldat s’effondra et elle reprit sa course désespérée.

“Impossible pour moi de m’orienter. Je dois réfléchir… Réfléchir… Réfléchir…”

Elle repéra un groupe de militaires et fit demi-tour hâtivement.

“Je dois monter. Logiquement leurs chasseurs doivent se situer en hauteur.”

Tapie dans l’ombre d’un renfoncement, elle reprit son souffle.


- Je dois agir comme un membre de la Space Defence Force. Garder… Garder mon calme. Tant que je respire, c’est pas terminé, hein ?


***


Bruce fulmina en constatant à nouveau que l’artillerie des Eagles était inefficace contre la station.

L’Arcadia, comme prévu, se retrouvait prise entre deux feux, celui de la base humanoïde et celui de la planète Râ-Metal qui se défendait avec virulence.

“Aussi invincible que soit ce bâtiment, il a lui aussi ses propres limites.”


“- Capitaine, paré pour l’infiltration sur place”, avertit Tadashi dans le communicateur.

“- Nous allons river nos tourelles aux coordonnées que Yattaran est en train de vous transmettre. Que tous les pilotes disponibles débutent l’opération de secours X00002.”


Le plan d’Harlock se basait sur les performances de Big1 ainsi que sur les prouesses du binôme Louise-Reiko et se résumait en une phrase : concevoir une brèche pour que les pirates puissent eux aussi pénétrer les lieux.

L’artilleur n’eut pas à patienter longtemps avant que le vaisseau d’Harlock ne mitraille sa cible.

Il usa de chacun de ses talents de pilote pour se faufiler entre les rayons laser et atteindre le point de rendez-vous…

… Sur lequel il faillit se crasher puisque la trouée resta ouverte moins d’une demi-seconde.


- Putain de putain de merde !


Il repéra le Space Wolf de Tadashi qui monta en chandelle pour éviter de percuter la station.


- Ce plan était bien pourri, maugréa-t-il. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

“- La base a amélioré sa résistance depuis l’incursion des filles”, expliqua une voix qu’il reconnut comme étant celle de Yattaran. 

- Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ?


Un silence qui dura près d’une minute fut brisé par le Capitaine en personne.


“- On harponne. Que tout le monde s’écarte.”

- On harponne ?, répéta Bruce en obéissant à cet ordre énigmatique.


“Il se prend pour qui ? Le Capitaine Achab ?”

Quand une immense lame fendit la proue, les yeux de Bruce s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise.


- Bon dieu, c’est quoi ça ?

“- Le cauchemar de nos ennemis”, répondit le frère de Reiko en ricanant.


L'Arcadia fonça à toute vitesse sur son objectif, essuyant une pluie de tirs qui détruisit l’une de ses tourelles et une partie de son aile droite.

Harlock ficha le tranchoir dans la carlingue et des morceaux de métal aussi gros que la locomotive de Big1 volèrent en tous sens, éraflant le cockpit du Space Wolf de Bruce.


“- On se retire, que tous ceux qui le peuvent se tiennent prêts.”


Il actionna les propulseurs en sens inverse et extraya tant bien que mal le vaisseau de la sphère, y laissant quelques plumes au passage.

La station redoubla ses attaques et, malgré son expérience et ses réflexes, le sniper ne put esquiver plusieurs tirs qui endommagèrent le fuselage et le moteur.

Des gouttes de transpiration perlèrent sur son front alors qu’il se ruait vers l’ouverture béante.

Abandonnant toute prudence, il accéléra et fila en ligne droite sans chercher à échapper aux traits lumineux potentiellement mortels. 

Il s’introduisit à l’intérieur à l’instant où la brèche se refermait.

“Je suis entré. C’était moins une.”


“- T’es pas qu’un vantard en fait.”

- Je vais prendre ça comme un compliment, Manabu numéro deux.

“- Hé ho ! On se ressemble pas tant que ça !”

- Vous êtes des copies conformes.

“- Boucle la.”

- Qui d’autre a pu… ?

“- Nous sommes seuls alors ne merde pas.”

- J’en ai pas l’intention, Daiba.


Bruce activa le détecteur organique de son chasseur et un point rouge clignota une trentaine d’étages en dessous de lui.


“- Speed, est-ce que…”

- J’ai vu.

“- Elle est toujours en vie.”


“Mais dans quel état ?”

Il n’eut pas l’occasion d’y réfléchir davantage car son moteur commença à fumer dangereusement.

“Si je me pose pas rapidement, je vais imploser en plein en vol.”


“- Tu vas pouvoir tenir encore un peu ?”, le questionna le pirate. 

- Ouais, amorce la descente, lui intima-t-il en zigzaguant entre les immenses colonnes.


***


Reiko claudiquait dans les escaliers, traînant son corps meurtri avec peine.

Elle n’avait plus de force.

Les sévices, les privations et les blessures avaient eu raison de sa condition physique.

L’isolement, la peur et l’angoisse, de son moral.

Même le souvenir des personnes qu’elle aimait ne lui permettait plus de s’ancrer dans la réalité. 

Se sentant complètement exsangue, elle glissa le long d’une paroi.


- Je suis désolée. J’ai fait de mon mieux.


Une clameur métallique résonna dans la cage d’escaliers.

“Les soldats sont là, c’est trop tard.”

Elle jeta un œil à son cosmo-gun


- Encore trois tirs pour le baroud d’honneur.

- Et après ça, quoi ? Tu vas attendre la mort ?


La jeune femme sursauta.

Assis à côté d’elle, Bruce nettoyait minutieusement son fusil.


- Si t’es là, ça signifie que l’hémorragie est sévère et que je suis déjà à la frontière du monde des vivants, non ?


L’artilleur eut un sourire en coin.


- Je dirais plutôt que tu es dans une gare de triage. Tu peux choisir de monter dans un train ou de rester à quai.

- Bouger, ça fait mal. Parler ça fait mal. Ma main…


Elle étouffa ses sanglots.


- Ouais, c’est le métier qui rentre.


Reiko essaya de tendre ses doigts vers l’homme qu’elle aimait mais il retombèrent mollement.


- Je suis contente que tu sois ici, avec moi, dit-elle en fermant les yeux.

- Je ne suis jamais vraiment parti.

- Pourtant, j’ai l’impression que tu ne m’as pas prise dans tes bras depuis une éternité.

- Le temps, c’est suggestif.

- Tu n’es pas réellement là, hein ? Tout ça, c’est dans ma tête.

- Je te l’ai déjà dit : je ne suis jamais vraiment parti.


La respiration saccadée de la pilote s’apaisa.


- Une gare, hein ? Le seul train dans lequel j’aimerais embarquer c’est…


À son grand étonnement, ses jambes se mirent en mouvement et ses fesses se décollèrent du sol.


- Big1. 

- À la bonne heure, approuva une voix lointaine.


***


Bruce sauta en bas de son jet au moment où les flammes surgirent du moteur. Il s’abrita derrière une colonne avant que la déflagration ne souffle violemment les alentours.

Lorsqu’il quitta son refuge, il vit que son appareil était en miettes et inutilisable.

Tadashi atterrit à son tour en manoeuvrant avec adresse. Il bondit ensuite souplement hors de son Space Wolf et fixa son partenaire sans aménité.


- Au moins t’as pu te poser. Je pensais pas que tu réussirais.


Une fois n’est pas coutume, le sniper ignora ces railleries, occupé à analyser le point rouge qui se déplaçait lentement sur le cadran de sa montre.


- Dépêchons-nous ou les soldats de cette satanée station seront bientôt tous à nos trousses.

Profondément concentré sur le calcul d’hypothétiques distances, il ne réagit pas lorsqu’un rayon laser brûla l’extrémité du col de son uniforme.


- Ils sont déjà là.


Bruce dégaina son fusil d’assaut et se retourna juste à temps pour voir l’humanoïde voler en éclat, littéralement pulvérisé par l’arme du pirate.


- Sacré puissance de feu.

- C’est autre chose que les pistolets à eau de la SDF, hein ?

- Je te l’accorde.

- Cosmo-Dragoon. Fabrication arcadienne.


Le frère de Reiko s’engagea dans l’un des corridors adjacents.


- On est quitte pour tout à l’heure. J’aime pas avoir de dettes, dit-il en faisant allusion au chasseur dont l’avait débarassé Bruce un peu plus tôt.


Il s’immobilisa soudainement en rejetant sa tête en arrière.


- Même si ça ne change rien au fait que je ne t’apprécie pas, faisons équipe. Juste pour cette fois. Pour Nee-san.

- Entendu, accepta-t-il en ôtant la sécurité de son arme.


***


Reiko rampa hors de l’abri dans lequel elle s’était dissimulée.

“J’ai eu chaud.”

Elle s’était précipitée derrière une console quelques secondes avant que les militaires ne s’extirpent de la cage d'escaliers.


- Je suis même pas à mi-chemin, se désespéra-t-elle.


Du sang gouttait de son bandeau de fortune et elle était transie de froid. Pourtant, si elle en jugeait pas la température de son front, elle était bel et bien fiévreuse.


- Courage…


Elle utilisa les manettes toutes proches pour se hisser en position verticale, en ahanant sous l’effort. 


- Bruce, est-ce que tu es là ?


Personne ne lui répondit.

“Ce n’était qu’une hallucination… Mais je crois qu’elle m’a quand même sauvé la vie. Pour l’instant.”

Alors qu’elle avançait au ralenti, une forte secousse la catapulta à terre.

Elle poussa un cri aigu lorsque sa main heurta le métal dur. Des larmes mouillèrent son pull dont la couleur rose pâle avait viré au marron foncé par endroit.


- Qu’est-ce qui se passe ? On dirait qu’on a percuté quelque chose de gros…


Une alarme éclata dans toute la station, vrillant les oreilles de Reiko.

“Bordel, si je ne peux même pas entendre les ennemis arriver, ça va devenir compliqué…”

Elle sortit de la pièce étroite et entra dans un corridor dont la lumière blanche avait été remplacée par un spot rouge clignotant.

Elle écouta à s’en faire mal au crâne mais, hormis la sirène stridente, elle ne nota rien de suspect.


- J’y vais, déclara-t-elle à haute voix, comme pour se rassurer.


Apathique, elle ne remarqua par les traînées sanguinolentes qu’elle traçait sur les murs gris.


- Hé ! Toi là bas, ne bouge pas !


*** 


Bruce et Tadashi progressaient promptement et efficacement, éliminant sans difficulté ceux qui avaient le malheur de croiser leur route. À leur grande surprise, ils se rendirent compte qu’ils formaient une bonne équipe.


- Par ici !, intima le sniper.

- On est loin d’elle ?

- Moins d’un kilomètre.


Les deux hommes parcourent une série de couloirs au pas de course, qui les mena au pied d’un grand escalier. Ils avalèrent les marches en quatrième vitesse jusqu’à ce que Bruce ne se fige.


- Ici.


Tadashi s’approcha, les sourcils froncés.


- Du sang ?


Son équipier du jour posa un genou à terre.


- Il n’est pas coagulé. Elle n’est pas loin.

- Dépêchons-nous.


Son cœur battait si fort qu’il s’attendait à ce qu’il jaillisse hors de sa poitrine d’un moment à l’autre.

Bien qu’il s’y soit préparé, il redoutait que Reiko ne soit gravement blessée ou pire, mortellement mutilée.

À ses côtés, Tadashi était si tendu qu’une large ride barrait ses tempes. Son regard ombrageux lui rappela celui d’Harlock ou parfois même celui de Reiko lorsqu’elle était contrariée. 

“Quelle famille…”


***


La jeune femme se glaça.


- Tourne-toi lentement. Voilà, comme ça !


“Il est tout seul.”

Elle raffermit sa prise sur le cosmo-gun qu’elle tenait appuyé contre son ventre.

“Je dois l’avoir directement. Fais le ou ne fais pas mais il n’y a pas d’essai*.”


- Mon supérieur m’offrira une belle promotion pour ta capture.


La pilote avisa ses doigts tremblants et ordonna mentalement à son corps de résister encore un peu.

Elle expira et pivota aussi vite que ses jambes le lui permettaient.

Puis, elle pressa sur la détente.

Si son premier tir s’égara bien au-dessus de l’épaule de l’être mécanisé, le second lui perfora la poitrine.

Sitôt sa cible atteinte, elle récupéra son pistolet et poursuivit sa route vaille que vaille.


- Les membres de la SDF… Les membres de la SDF… N’ont pas le droit d’abandonner, répéta-t-elle pour se tenir éveillée.


***


- Speed, c’est….

- Ouais.


Le sang étalé sur les parois ne présageait rien de bon et une nouvelle vague d’inquiétude submergea le binôme masculin.

Ils décidèrent de ne pas s'appesantir sur le sujet puisque leur objectif n’était plus qu’à cinq-cents mètres de leur position actuelle.

D’ailleurs, ils ne tardèrent pas à tomber sur les restes du soldat robotisé.


- Reiko.

- Probable.


Ils filèrent plus en profondeur dans la station, animés par la même rage intérieure.


- Daiba !


Un petit groupe de militaires leur barra le passage. Alors même qu’ils se jetaient chacun de part et d’autre d’une large ouverture, Bruce empoigna son fusil et entreprit de faire le ménage.


- Elle est là bas, dit-il en désignant une coursive du menton. Je termine ici et je vous rejoins. J’en ai pas pour longtemps.


Le pirate acquiesça.


- Ouais, fais vite.


*** 


Des martèlements retentirent dans le dos de Reiko et cette dernière pesta silencieusement. En un peu plus de quinze minutes, elle avait franchi une distance tout à fait dérisoire.

“À ce rythme, je ne parviendrai pas aux hangars avant de nombreuses heures. Il faut que je déniche un ascenseur ou un truc automatique…”

Elle pointa son cosmo-gun devant elle, en s’embusquant dans la pénombre d’un amas de tuyaux qui serpentaient contre le mur.

“Dès que j’ai un peu de visibilité, j’ouvre le feu.”

Lorsqu’une silhouette se détacha du fond du couloir, elle s’exécuta.

Celle-ci esquiva le trait lumineux et roula au sol avec agilité. La pilote commença à paniquer car la Chose fusait à toute allure dans sa direction.

“Mais, qu’est-ce que…”

Quand son assaillant fit irruption dans la lumière blafarde, Reiko cligna plusieurs fois des paupières.

Des cheveux châtains en pagaille.

Une veste verte et noire.

Des iris brunes farouches.

Elle recula brusquement, en proie à un affolement sans précédent.

“C’est un piège des humanoïdes. Un piège vicieux comme ils en ont l’habitude.”

Elle voulut tirer mais ses doigts ne répondirent plus à ses sollicitations.


- Nee-san !

- Non… Non… Allez-vous-en !

- Nee-san, c’est moi !


Tadashi la rattrapa facilement, sans se préoccuper de l’arme qu’elle tenait rivée sur lui.


- Non… Ce n’est pas toi, bégaya-t-elle.


“J’hallucine encore…”


- Mais si, regarde.


Il saisit délicatement la main gauche de sa sœur et la porta à son visage.


- Tu vois bien que je suis réel. Et humain.

- Aniki ?

- Oui.

- Aniki !, s'écria-t-elle en sanglotant, ne croyant toujours pas à cette apparition miraculeuse.


Elle se réfugia dans ses bras, toute fatigue et douleur oubliées.


- Tu es venu…

- Evidemment, patate. Mon dieu dans quel état tu es…


Il détailla rapidement la cuisse et le buste de Reiko qui ne lui inspiraient rien de rassurant.


- On va te sortir de cet enfer.

- On ? Otto-san… Est avec toi ?

- J’aurais préféré, railla-t-il.


Une seconde silhouette émergea alors de l’obscurité.

Hors d’haleine, elle s’arrêta nette en apercevant les deux jeunes gens.

Reiko se libéra doucement de l’étreinte protectrice, le souffle coupé par le choc.


- Bruce ?

Laisser un commentaire ?