A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 24 : SSX - partie 1

5479 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/10/2023 19:59

Chap 24 :  SSX - partie 1


- Au.. Auto-Mail ?

- Oui, c’est exactement ça.

- C’est à dire une… Une main…

- Robotique.


De la bile acide remonta dans la gorge de Reiko tandis qu’elle assénait un vigoureux coup de poing sur son matelas.


- Je refuse, Doc.

- Je vous l’avais dit !, s’exaspéra Tadashi. C’est une tête de mule. La pire d’entre-toute.

- Parce que toi, non ?, s’agaça la pilote. Je ne veux pas ressembler de près ou de loin à ces boîtes de conserve inhumaines !

- Ça n'a aucun rapport, tu ne vas pas perdre ton âme !

- Qu’est-ce que tu en sais toi, d’abord ?

- Si ton âme se trouvait dans ton poignet, ce serait déjà foutu de toute façon.

- Très bonne vanne ça. Si j’avais deux mains, j'applaudirais, tiens, ironisa-t-elle en levant les yeux au ciel.

- Ben justement c’est ce qu’on te propose.


Une lueur mauvaise s’alluma dans les prunelles de Reiko et Harlock jugea qu’il était temps d’intervenir avant que la situation ne s’envenime.


- Lapin, considère encore la question…

- C’est déjà tout considéré ! C’est non ! Non ! Et non !


Des trépidations parcoururent son corps alors qu’elle froissait les draps entre ses doigts.


- Je ne veux pas… Je ne veux pas… Être comme eux.

- Reiko, commença Harlock, réfléchis…

- C’est au-dessus de mes forces !, cria-t-elle en enfouissant son nez dans le pull de Bruce, assis à côté d’elle.


Une fois n’est pas coutume, celui-ci avait gardé le silence tout au long de la conversation, ne désirant pas s’immiscer dans ces affaires de famille. Cependant, les pleurs qui mouillèrent sa veste le contraignirent à élever la voix.


- On va s’arrêter là pour aujourd’hui, lâcha-t-il sèchement.

- Mais de quoi tu te mêles…

- Il a raison, Tadashi. On en rediscutera plus tard.

- Si tu as des questions, je ferai mon possible pour y répondre, conclut le médecin.


Reiko ne réagit pas, même lorsque la porte claqua derrière eux.


- Ils sont partis.


Doucement mais fermement, il s’écarta de la jeune femme.

Depuis quinze jours sa condition physique s’était considérablement améliorée. Sa plaie à la cuisse était presque complètement cicatrisée, ne dessinant que quelques traits disgracieux. Quant à sa fracture, elle s’était résorbée et, depuis ce matin, Reiko utilisait de nouveau son bras gauche.

En ce qui concernait son membre amputé, c’était une autre histoire….


- J’aimerais me dégourdir les jambes.

- Le docteur a dit…

- Demain, je sais.


Bruce s’adossa dans le lit.

Ces deux dernières semaines, il n’avait pratiquement pas quitté l’infirmerie, passant presque tout son temps auprès de sa petite-amie, que le choc avait plongé dans un état apathique dont elle n’était sortie que récemment.

Il avait essuyé ses larmes, lui apportant tout le soutien dont il était capable.

Toutefois, il songea que ce n’était pas lui rendre service que de s’apitoyer sur son sort et d’aller dans son sens.

Elle ne devait pas oublier ce qui est important dans sa vie.


- Tu m’as raconté que tu avais eu une hallucination de moi sur la station, non ?

- Ouais, dit-elle en reniflant.

- Et qu’est-ce que mon double a fait ?


Reiko fit la moue.


- Hé bien… J’étais résolue à ne plus bouger et tu m’as dit que j’avais le choix… Le choix de monter dans un train ou de demeurer à quai pour attendre une mort certaine et probablement douloureuse.

- Et qu’est-ce que tu as répondu ?


Comprenant enfin où il voulait en venir, elle souffla bruyamment.


- Que le seul train dans lequel je souhaitais embarquer, c’était… Big1.

- Hum, c’est bien ce dont je me rappelle.


Il joua avec l’une des mèches de cheveux de Reiko.


- Dommage que ce ne soit plus d’actualité.


Elle piqua un fard, démoralisée.


- Avec un membre en moins, ils t’affecteront peut-être à la paperasse. Quoi que… Tu risques d’avoir une dactylographie plutôt lente. 

- Bruce, c’est cruel.


“Oui, ma chérie, mais c’est pour ton bien.”

Il ne prenait aucun plaisir à la tourmenter. Au contraire, cela lui broyait les entrailles.

Mais c'était un mal nécessaire.

Si la méthode douce était inefficace, il devait employer les grands moyens car il ne la laisserait pas vivre avec des regrets.

Voilà, comment il voyait un amour sincère et véritable.

Le temps ne trahit pas les rêves et les rêves ne doivent pas trahir le temps*.

Il fallait qu’elle s’en souvienne.


- Non, réaliste, reprit-il. Si tu es dans l’incapacité de tenir une arme ou le manche d’un eagle, tu seras inutile.


Des sanglots roulèrent sur le visage de Reiko et il s’efforça d’insister malgré la souffrance que cela lui causait.


- Tu seras clouée au sol de Destiny à observer Big1 prendre son envol. Encore et encore.

- Arrête ! Arrête !, le supplia-t-elle en agrippant son habit avec désespoir.


“Si je me stoppe maintenant, tout ça n’aura servi à rien.”


- Désolé, il n’y a que la vérité qui blesse. Tu peux choisir d’être une victime, une estropiée ou quel que soit le nom que tu te donneras.


Il releva le menton tremblant de la jeune femme et l’obligea à le regarder droit dans les yeux.


- Ou tu peux choisir d’être toi et de continuer à faire ce que tu fais de mieux. Voler.


Le sniper marqua un silence.


- Tu pourras rester à mes côtés et poursuivre tes efforts pour devenir l’un des meilleurs agents de la SDF.

- Pourquoi pas le meilleur ?, demanda-t-elle, suspicieuse.

- Parce que cette place est déjà prise, dit-il en pointant son torse.

- Mais bien-sûr.


Sentant qu’il touchait au but, il persévéra.


- Tu es toujours dans cette gare, Reiko. Peu importe ce que tu décides de faire, j’accepterai ton choix, et je t’aiderai de mon mieux, mais ne rejette pas ton avenir seulement parce que tu en as peur.

- Bruce… Et si… Et si cette prothèse mécanisée me rendait…  

- Comme eux ?


Elle acquiesça.


- Ce que tu as là, dit-il en désignant son coeur, ça ne changera jamais. Et c’est pour ça que je t’aime tellement.


Hésitante, elle effleura la joue de l’artilleur.


- Tu me le promets ?

- Oui, dit-il en l’attirant contre lui. 


***


- Elle est d’accord ? 


Harlock croisa les bras, dubitatif.


- Pourquoi ce soudain revirement… ?


Bruce roula indolemment des épaules.


- Elle a réalisé qu’elle devait passer par là pour reprendre un jour son service.

- Aussi simplement que ça ?

- Ouais.


Le sniper tourna les talons pour quitter la passerelle.


- Je voulais juste que vous soyez au courant. Elle est déjà avec le Doc pour comparer les différents prototypes puisque sa cicatrisation est bien avancée. Elle doit être raccordée avant qu’elle ne soit totale pour que les nerfs se connectent correctement.

- Tu as l’air bien renseigné, nota le Capitaine.

- Contrairement à vous, j’avais préparé des arguments solides. 


Tadashi s’apprêtait à riposter mais Harlock le coupa net dans son élan.


- Pour cette fois, j’imagine que tu as raison. Je la couve sans doute un peu trop.

- Vous croyez ?, railla l’artilleur. J’avais pas remarqué.

- Sale conn…

- Yattaran ! Modifie notre cap, je crois qu’on a tous besoin d’un peu de vacances.

- Super ! Kei, tu sais où j’ai rangé mon maillot de bain ?

- La salle des moteurs.

- Ah oui !


Bruce grimaça en écoutant cette conversation lunaire.

Un maillot de bain ? Des vacances ? 

“Ils ont définitivement craqué, je vois pas d’autre explication.”


- De quoi vous parlez ?

- Tu verras bien, argua mystérieusement le pirate.

- Je n’aime pas ça, grommela-t-il.

- Nous allons offrir à Reiko l’environnement idéal pour s’habituer à son auto-mail.

- Qui est… ?


Harlock prit place sur son siège, un sourire énigmatique flottant sur les lèvres. Face au mutisme de celui-ci, Bruce soupira sans essayer de dissimuler son agacement.


- Gardez donc vos foutus secrets, j’en ai rien à faire.


La porte coulissa derrière lui pendant que des cris de joie éclataient de part et d’autre du pont principal.


- Je viens d’avoir une idée.

- Captain ?

- Tadashi, il faut que tu fasses une course pour moi.


Harlock promena ses doigts sur l’accoudoir en bois massif.

Que cet homme ait autant d’influence sur sa fille l’inquiétait. Toutefois, il devait se rendre à l’évidence : à sa manière, il la tirait vers le haut.

Sa façon de faire, rude et abrupte, n’était pas toujours de son goût mais elle était indubitablement efficace. 

“J’ai quand même peur qu’il ne la malmène trop, qu’en croyant bien faire il la pousse dans ses retranchements jusqu’à leur extrême limite.”

Bruce était avant tout un soldat et, fidèle à ses convictions, il agissait en tant que tel.

Et, malgré tout ce que cela impliquait pour Reiko, c’était une qualité qu’il respectait foncièrement.


***


- C’est… C’est…

- Oui, beaucoup de gens ont cette impression la première fois. C’est épatant.

- Le ciel, la mer, la plage… Et même ces coquillages…

- Tout est artificiel, oui. Fabrication arcadienne.

- Tiens, j’ai déjà entendu cette expression, déclara Bruce en songeant à Tadashi et à son cosmo-dragoon surpuissant.

- … Aniki ?

- Hum.

- D’ailleurs, où est-ce qu’il se trouve cet idiot ? Je prends le pari qu’il boude dans son coin.


Bruce traça des sillons avec le bout de ses bottes dans le sable fin aux nuances ocre.


- On est dans un corps flottant stellaire.

- L’astéroïde SSX, confirma Reiko.

- SSX ?

- Ce sont les initiales des matricules de hors-la-loi de Tôchiro, Harlock et Emeraldas


L’artilleur eut un petit sourire. 


- Il manque un “X”, non ?


La jeune femme le dévisagea sans comprendre.


- Euh non, je suis certaine que c’est bien son nom.

- X00002 ?


Elle recracha le jus de fruit qu’elle était en train de siroter.


- Putain, comment est-ce que tu sais… ?

- C’était le nom de ton opération de sauvetage sur la base humanoïde.

- Pas vrai…  Je vais le tuer. Si c’est pas une idée de Wawa, ça vient forcément d’Harlock. Pas un pour rattraper l’autre, je te jure… Des siamois ces deux-là.

- C’était une histoire plutôt mignonne.

- Si on veut…


Reiko et Bruce se tenaient debout face à une immense étendue bleu turquoise. Une trentaine de pirates avait déjà investi les lieux et s’amusait dans les vagues.


- Harlock m’a appris à nager ici. Ça a été un calvaire pour lui comme pour moi.

- T’as peur de l’eau ?

- Disons qu’elle et moi, on est pas trop copines.

- D’où ta réaction sur la planète Frosted.

- Et te voir disparaître sous la glace n’a pas franchement aidé.

- Ouais c’était une sale erreur de jugement.

- À qui le dis-tu…


Bruce l’enlaça.


- En même temps, j’ai dû plonger dans un ravin pour tes beaux yeux.

- Y’a bien que ça qui est beau chez moi, marmonna-t-elle.

- Hé ! Recommence pas avec ces complexes injustifiés. 

- Déjà que j’avais pas grand chose pour moi, maintenant je suis carrément hideuse et mutilée.

- Tu racontes n’importe quoi. Pour moi tu es magnifique. Hélas, je suis pas le seul à le penser.


Elle ne répondit pas mais le sniper sentit que son mal-être n’était pas prêt de la quitter.

De son côté, Reiko avait le moral dans les chaussettes. Consentir à la pose d’un auto-mail lui avait coûté bien plus que ce qu’elle avait laissé sous-entendre à Bruce.

Rien de moins qu’une part de son humanité.

Et, à son plus grand déplaisir, les essais avec le Docteur Zero étaient prévus pour cette après-midi.

“Je sais bien que je n’ai pas le choix si je veux rester à la Space Defence Force mais je n’y arriverai peut-être pas.”

Même cette escapade sur l’îlot ne lui remontait guère le moral. Majestueuse invention de l’ingénieur de génie Tôchiro, cette planète était un véritable paradis. Un soleil aux rayons chauds et lumineux dorait même la peau des bienheureux allongés sur la plage.


- Ce n’est pas une vie d’avoir une petite amie comme moi.

- Loin de moi l’idée de plagier mon anarchiste de beau-père, mais je suis libre d’aimer qui j'ai envie.

- Si tu changes d’avis je ne t’en voudrais pas.  Et puis t’embêtes pas pour lui, t’es pas obligé de l’appeler comme ça.

- Si, malheureusement, puisque j’ai l’intention de t’épouser.


Interloquée, Reiko lui renvoya un regard suspicieux.


- C’est pas drôle.

- C’était pas le but.


Ne croyant pas une seconde à cette déclaration, elle enchaîna. 


- La seule demande que j’accepterai, ce sera à genoux dans la neige et un soir de Noël, dit-elle en plaisantant.


Le sniper la fixa avant de hocher la tête.


- Tes désirs sont des ordres.

- Bakana, soupira-t-elle en s’affalant sur une serviette.


Des bruits de moteurs lui firent alors lever le nez et elle reconnut le chasseur de Tadashi, entièrement customisé par ses soins durant sa période “Flamme Tuning”.


- Tiens ? Il était sorti ?


Le couple observa l’appareil se poser sur l’aire d’atterrissage dédiée et trois silhouettes assombries par le contre-jour en descendirent.

La jeune femme plissa les paupières pour tenter de discerner de qui il s’agissait.


- Je rêve, lâcha Bruce.  

- Hum ? Qu’est-ce-qu’il…


Reiko hoqueta lorsque le trio s’avança dans leur direction.


- Co… Comment…. Comment…, balbutia-t-elle, médusée.

- Koko !

- Mana… Mana…


C’est Kanna qui, la première, la happa dans ses bras.


- Grâce à Dieu, tu es en vie. Oh je suis tellement désolée… Tellement désolée pour tout.


Des larmes noyèrent le pull de la pilote et elle essaya de la consoler du mieux possible.


- Tu n’as rien fait… Je suis responsable…

- Non !


La mère de famille s’éloigna à regrets.


- Ma belle… J’ai cru que j'allais enterrer un autre enfant… Je n’oublierai pas ce que tu as fait pour nous.

- Kanna… , sanglota-t-elle. Je ne mérite même pas que tu me considères de cette…

- Tu racontes n’importe quoi.

- Je me tue à lui dire !, se plaignit Bruce.


Les effusions se prolongèrent encore plusieurs minutes et il fallut les interventions conjointes de Bruce et de Manabu pour arracher Reiko de l’emprise de la restauratrice.


- Harlock nous a avertis pour… Pour….

- Ouais, c’est moche, je sais. Mais c’est pas de votre faute. C’était ma décision. C’est aussi valable pour toi, Manabu, alors vire tout de suite cette tête de coupable. 

- Je te rappelle que tu as perdu ta main parce que tu es venue me sauver.

- Non, Manabu, tu te trompes, dit-elle en enfouissant plus profondément son moignon dans son sweat. J’ai gagné bien plus que je n’ai perdu.

- Tu as gagné contre… Quoi ?

- Mes cauchemars, répondit-elle laconiquement.


*** 


Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, Manabu et Kanna ne furent pas les uniques personnes à être conviées sur SSX.

Alors que l’équipage de rebelles déjeunait dans la grande salle commune, un sifflement caractéristique retentit.


- J’ai des hallucinations auditives ou alors c’est…, commença Reiko.

- Big1 !, s’exclamèrent Bruce et Manabu de concert.


Pirates, militaires et civils se ruèrent à l’extérieur pour contempler l’atterrissage du “Chien de Garde de la Galaxie”. 


- Otto-san, t’as pas osé…

- Ça ne te fait pas plaisir, poussin ?

- Si… Si bien sûr.


“Mais je ne voulais pas que le Commandant ou Louise me voient dans cet état.”

Le premier car il allait probablement en déduire qu’elle était inapte, à la fois physiquement et mentalement, et la seconde car elle risquait de ne pas se remettre de cette vision de sa mutilation radicale.


- Ça va aller, te bile pas pour Bulge, devina Bruce. 

- Ça se voit que c’est pas ta carrière à toi qui est en jeu, souffla-t-elle.

- Raison de plus pour accélérer la prise en main de ton auto-mail.

- Question jeux de mots pourris, t’as pris des leçons auprès de David ?

- Hein ?

- Non, rien.


Peu de temps après, Louise, David, Yûki et le Commandant Bulge débarquèrent sur l’îlot. Ébahis, ils admirèrent le paysage de carte postale qui les entourait.


- J’ai pas emmené mon maillot, se désola Louise.

- Je t’en prêterai, y’a tout ce qui faut ici.


Le peloton Sirius se retourna aussi simultanément qu’un boys-band sur Terre dans les années 1990. 


- Reiko !


Les deux filles tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Incapables de mettre des mots sur leurs émotions, elles se contentèrent de s’étreindre longuement. Enfin, Louise se décida à rompre le silence.


- Je voulais pas t’abandonner.

- Je sais. Je t’ai mise au pied du mur.

- Si j’avais su…

- Tu aurais fait exactement pareil car tu étais déterminée à secourir l’homme que tu aimes, chuchota-t-elle.

- C’est pas… Je ne suis pas…

- Ne t’en fais pas pour moi, je serai muette comme une tombe. Mais toi tu devrais lui en toucher un mot parce qu’il ne va pas deviner tout seul.

- Oui… Est-ce que… Ta blessure… Tu as mal ?

- Trois fois rien, éluda-t-elle avant de saluer Yûki et David.


Schwanhelt Bulge, qui s’était tenu en retrait des retrouvailles, s’avança vers sa dernière recrue.


- Je vais avoir des problèmes pour avoir détourné et potentiellement détruit un jet de la SDF ?

- Pas sous mon commandement, signifia-t-il en lui serrant l’épaule.


Un poids s’ôta de l’estomac de Reiko.


- Ravi de te voir en forme. Harlock a eu la gentillesse de nous prévenir sitôt la bataille terminée. 

- Merci. Je… Je…


Elle prit une inspiration.


- Je… Je vais compenser mon handicap  par un auto-mail. Si… Si j’y parviens, vous… Si vous… Si le QG…

- Prends soin de toi et nous en discuterons. Tu fais partie de l’équipe. Et si je disais le contraire, Bruce ajouterait une nouvelle fissure à mon bureau.

- Une.. quoi ?

- Ouais longue histoire, les coupa le sniper, peu désireux de s’étendre davantage sur le sujet.


Le hors la loi adressa un signe désinvolte à Bulge.


- Je vois qu’on peut aussi prendre des congés à la SDF.

- On le découvre aussi, maugréa David.

- Joignez-vous à nous pour manger un morceau. Kei vous conduira à vos cabanes respectives tout à l’heure.


Manabu et Louise, qui ne s’étaient pas revus depuis près d’une semaine, savouraient un moment à deux que David était sur le point de briser sans vergogne.


- Même pas en rêve, le prévint Reiko en saisissant vivement sa veste. Tu leur fiches la paix.

- Mais…

- Y’a pas de mais, va te remplir la panse. Allez, hop, hop hop !, dit-elle en le poussant vers le réfectoire.


Reiko, dont l’anxiété avait été remplacée par un sensation de bien-être, se plaça entre ses acolytes, Manabu et Louise, qui les avaient finalement rejoints.


- Tu réussis à manger avec la main gauche ?

- Non… Pas vraiment. J’aurais presque besoin d’une bavette avec un récupérateur.

- Je t’aide, chaton ?, proposa Bruce en s’installant en face d’elle.

- N-non, bégaya-t-elle. On est pas… On est pas tous seuls…

- Ne te gêne pas pour nous, se moqua David.

- Tais-toi !, râla-t-elle en rougissant.


Bulge dardait un regard bienveillant sur son unité qui n’échappa pas à Harlock.


- Ils ne vous facilitent pas la vie, hein ?

- C’est le moins qu’on puisse dire, approuva le Commandant en portant une canette de jus de tomates à ses lèvres.

- Je vous la confierai bientôt mais laissez-moi en profiter encore un peu.

- C’est un bon élément même si elle est aussi imprévisible que vous.

- Qu’est-ce que vous voulez, les chiens ne font pas des chats.

- Je vais y réfléchir à deux fois avant de mettre Manabu et Reiko en binôme durant une mission.

- De vraies catastrophes quand ils sont réunis. C’est vous le vrai héros de l’histoire, vous avez tout mon respect.


Harlock happa son verre de red bourbon en riant et trinqua de bon cœur avec Bulge. 


*** 


- Prête ?


Acculée sur son lit, Reiko se força à acquiescer.


- Comment… Comment on procède ?

- Je fixe la prothèse mécanique et je connecte les nerfs. Ce sera rapide, énonça le praticien médical.

- O… Okay… Mais…


Elle se retourna vers Harlock, Tadashi et Bruce qui patientaient en rang d’oignons, figés comme des statues. Le stress dégoulinait par tous les pores de leur peau et ils rongeaient leur frein si difficilement que Reiko eut le sentiment d’être engloutie sous leurs attentes.


- Vous sortez tous les trois.

- Lapin…

- Chaton…

- Nee-san !

- Exécution ou je ne fais rien du tout.


À contrecœur, ils obéirent à sa volonté et se dirigèrent vers la sortie.

Kanna, qui était adossée contre la porte, s’apprêtait à suivre le mouvement mais fut stoppée dans son élan par la voix hésitante de Reiko.


- Okaa-s… Est-ce que… 

- Bien sûr.


Elle s’approcha en ignorant les regards jaloux, maussades ou contrariés, sur son passage.


- Faisons cela ensemble, déclara-t-elle tandis que le battant se refermait derrière le trio.

- Dans une… Minute.


La pilote se précipita au-dessus de l’évier pour vomir l’intégralité du contenu de son estomac pendant que Kanna lui frottait le dos.


- Tout va bien se passer.

- Ouais, dit-elle en essuyant sa bouche avec une serviette. 


Le médecin extirpa d’un placard un objet enveloppé dans un tissu blanc brillant. 


- Comme nous en avions parlé. Un appareillage sans ajout de gadget. Il ne t’offrira pas de perception supplémentaire et il n’aura aucun autre rôle que ne puisse remplir la main d’un humain.

- C’est ce que je souhaite. Je refuse que mon corps devienne une arme.

- Il sera plus résistant qu’un organe fait de chair et de sang mais je l’ai fragilisé pour respecter ta demande.

- Très bien.

- Tu es certaine qu’on conserve ce gris métallique ? Je peux teindre la prothèse de l’exacte couleur de ton grain de peau.

- Non, je la couvrirai d’un gant. Et le reste du temps, je veux la voir pour ne pas oublier.

- Pour ne pas oublier ?

- Que j’ai la force de me battre même dans les situations les plus désespérées.


Zero eut un léger sourire.


- Tu m’avais dit la même chose pour ta cicatrice au menton quand tu étais pas plus haute que ça, se remémora-t-il. Harlock non plus n’a jamais voulu se débarrasser de la sienne.

- Ce sont ces marques qui font ce que nous sommes, pourquoi est-ce qu’on voudrait les supprimer ? Ce serait comme effacer un bout de soi-même. De son histoire.

- Je l’entends à travers toi… Enfin bon, si nous sommes d’accord, allons-y.


Reiko quêta du soutien dans les prunelles de la mère de Manabu. Assise à sa droite, cette dernière lui insuffla tout le réconfort, la douceur et le courage dont elle disposait.


- Allez-y, dit-elle simplement.


Elle frissonna lorsque le matériau glacial entra en contact avec son moignon.


- Ca va ?, la questionna Kanna.

- Je crois.


En vérité, elle était proche de la crise de panique mais elle tâchait de faire bonne figure.


- Passons à la seconde étape. La connexion. Reiko, ça va faire mal. Vraiment très mal.

- J’ai l’habitude.

- Mords là-dedans, dit-il en lui donnant néanmoins une languette en cuir.


Il empoigna ensuite délicatement l’auto-mail.


- J’amorce dans quatre, trois…


Un déclic retentit et Reiko eut l’impression d’avoir agrippé un fil électrique agricole.

Le docteur n’avait pas menti. Une puissante décharge courut le long de ses nerfs avant de gagner son cerveau. Des étoiles dansèrent devant sa rétine alors qu’elle étouffait un hurlement rauque. Elle se courba, pliée en deux par la souffrance. Elle tendit le bras pour ne pas percuter le sol et une deuxième vague nerveuse, supportable cette fois-ci, traversa ses membres.

Sans attendre d’y être invités, Bruce, Harlock et Tadashi, ouvrirent le ventail à la volée.

La jeune femme lorgna sur sa main mécanique clouée au sol puis elle se releva lentement, vidée de son énergie.


- Alors ?, l’interrogea le Capitaine, angoissé.


Reiko fit jouer ses articulations, étonnée.


- Je… C’est… Bizarre.

- Tu te sens comment ?, insista-t-il.

- Mutante.


Harlock grimaça.


- T’inquiète pas Otto-san, je vais travailler là-dessus.

- Ne le sollicite pas trop pour l’instant. Il faut que ton organisme s'accommode de sa présence et ne le rejette pas. Si tu ressens des picotements, viens me voir de ce pas, l’avertit le docteur.

- Compris.


Reiko faisait montre de plus d’assurance qu’elle n’en possédait réellement et elle ne se retenait qu’à grand-peine d’arracher son tout nouvel auto-mail.

Elle franchit la porte de l’infirmerie en se pressant contre son petit-ami qui lui caressa doucement les cheveux.


- Je suis fier de toi.

- Je t’aime.

- Oui, ça aussi, dit-il en l’embrassant dans le cou.


***


Reiko effleura le verre du bout des doigts, surprise par le froid dégagé à son contact.


- Prends le, vas-y, l’encouragea Bruce.


Elle porta le gobelet à hauteur de son visage et avala la liqueur sucrée.


- Il faut progresser un pas après l’autre.

- Oui.


La soirée était déjà bien engagée et une musique festive se répandait par les enceintes de la salle commune. Les pirates buvaient plus que de raison, entraînant David et Louise dans leur sillage.


- On essaie avec une fourchette ?

- Plus… Plus tard.

- Comme tu veux.


Reiko s’appuya sur un piano en ébène qui prenait la poussière depuis des années, tout en laissant ses yeux vagabonder sur la foule.

“Mes deux familles adoptives réunies au même endroit en même temps. On se croirait de retour sur Heavy Melder.”


- Tu te souviens ?

- De la danse ?, répondit-il en captant le fil de ses pensées.

- Oui.

- On peut remettre ça, si t’en as envie.

- Plus tard peut-être, pouffa-t-elle.

- Pour faire rager Tadashi.

- Bruce…


Le sniper se resservit un verre de jus de fraises sans se préoccuper de l'œillade accusatrice de sa petite-amie.


- Et tu t'étonnes qu’il t’aime pas.

- C’est réciproque.

- J’aimerais que…


Bruce haussa un sourcil intrigué.


- Oui ?

- Que vous vous tolériez. Ce serait…

- Je le déteste pas, je te charrie.

- Oh, tant mieux, dit-elle, soulagée.


Un pirate frappa soudainement contre une casserole faisant sursauter par là même les convives.


- Captain ! C’est à vous, maintenant !

- Oh non, renâcla Reiko. Ils vont recommencer.

- De quoi ?

- Tu vas vite comprendre.


Harlock fendit l’assemblée en feignant un air gêné.


- Si vous insistez… Tadashi, tu en es ?


Le jeune homme sauta sur ses pieds en dégainant un harmonica de sa poche.


- J’y crois pas, dit Bruce, irrité.

- Vous avez ça en commun, je ne l’avais pas mentionné ?

- Non.


Le Capitaine de l’Arcadia avait quant à lui tiré un ocarina de sa cape et prenait déjà place sur le comptoir.

Reiko coula un regard goguenard vers son interlocuteur qui ne comprit que trop tard ses intentions.


- Bruce aussi sait jouer de l’harmonica !, s’écria-t-elle en levant le bras.

- Vraiment ? Viens donc par ici, l’exhorta Harlock.

- Je ne connais pas la musi…

- T’improviseras !, lui intima Reiko, moqueuse.

- Te sens pas obligé surtout, ronchonna Tadashi.

- Et si Mimeh se joint à vous avec sa harpe, vous pourrez fonder un orchestre, ajouta-t-elle en riant franchement.

- Je te remercie pas, grogna-t-il en grimpant sur le bar.


“Mais son sourire vaut bien ce sacrifice.”, songea-t-il avec tendresse.


- Si t’as pas le niveau, tu peux descendre.

- ANIKI.

- Tu peux rester.

- Trop aimable, bougonna Bruce.


Reiko tapa dans ses mains avec enthousiasme en oubliant presque son auto-mail.


- Tu chantes pour nous, poussin ?


Bruce pencha la tête sur le côté.


- Tu m’avais caché ça.

- Parce que j’ai aucun talent.

- Il n’y a pas que des fausses notes, railla Tadashi.

- Mais oui, lapin ! Et si le piano est accordé, on peut…

- Vous d’abord ! Allez !


Harlock lança donc les premières notes avec son ocarina, suivi par les harmonicistes.

La musique enveloppa l’auditoire et, contrairement à ce qu’il avait annoncé, Bruce s’était facilement adapté à la mélodie lente du pirate.

Le concert prit fin quelques minutes plus tard sous un tonnerre d’applaudissements.


- Bravo, t’étais super.

- Ouais si tu le dis.

- Les trois hommes de ma vie réunis par la musique, qui l’aurait cru !

- Ah tu vois que t’es pas contre l’idée !

- Évidemment, dit-elle en rougissant. Je rêve de passer toute mon existence à tes côtés. C’est juste que je ne veux pas être un poids.

- C’est pas le cas, chaton, lui assura-t-il en l’embrassant à pleine bouche.


Pelotonnée dans ses bras, elle profita de ce moment de bonheur absolu. 

“Sur la base humanoïde, je n’en espérais pas tant.”

Elle se défit de son emprise à regrets pour reprendre son souffle.


- Tu chanteras pour moi ?

- Je ne suis pas douée.

- On verra ça.


Reiko déposa un baiser dans son cou avant de se diriger vers le bar en quête d’une autre boisson sucrée.


- Je te ramène quelque chose ?

- Pas la peine.


Bruce la contempla tandis qu’elle disparaissait dans l’attroupement.

“Je l’aime tellement que je pourrais sacrifier chacune des personnes présentes ici pour la garder avec moi. Et sans aucun état d’âme.”

Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas immédiatement Harlock qui s’était planté devant lui.


- Et si on réglait nos comptes ?


* Leiji Matsumoto.



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