A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 26 : Mission royale - partie 1

5280 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/11/2023 20:36

Chap 26 : Mission royale - partie 1


- Dignity… Je n’aurais jamais cru monter à bord un jour, s’extasia David.

- Le train des hauts dignitaires, renchérit Manabu. Impressionnant.


Bruce s’avança, morose.


- Et j’imagine que c’est la raison pour laquelle on nous a encore demandé de nous fringuer en pingouin ?

- Moi, j’aime bien ma tenue, lança Louise en virevoltant sur elle-même.

- C’est pas pratique pour se défendre, rétorqua Reiko.


Le sniper fut forcé d’admettre que le seul avantage de cette mission était la possibilité d’admirer le femme qu’il aimait dans une robe moulante noire qui lui seyait à merveille. 

“Qu’elle ne gardera pas longtemps une fois qu’on aura terminé, c’est certain.”


- Tu penses tellement fort que je t’entends, lui souffla l’ingénieur, taquin.

- Et alors ? Elle est belle et je sors avec.

- Ouais, on n’avait pas remarqué.

- Ça te va pas la jalousie. Aileen t’a planté ?

- M’en parle pas.


Les Commandants Bulge et Murase, suivis du peloton Vega, débouchèrent à leur tour sur le quai de départ.


- Ils sont de la partie aussi ?, s’étonna David.

- Putain, grogna Bruce. Manquait plus qu’eux.

- Pourquoi ils ont le droit de porter leur uniforme, eux ?, râla Manabu en tirant sur son col.


Reiko, qui avait senti le vent tourner, fit les gros yeux à son petit-ami qui saisit instinctivement le message : “Pas de vague, on est en service.”

Les lèvres pincées, il hocha la tête, se concentrant sur le dos dénudé de sa compagne pour éviter de fusiller du regard Silver et Schneider.

En ce qui concernait le premier, il n'avait pas digéré l’attaque au soda et le coup de poing dans le nez à leur retour de Tabito. Pour ce qui était du second, celui-ci lui avait franchement annoncé qu’il guettait le moment propice pour lui voler ce qu’il avait de plus précieux ; ce qui était loin de lui plaire.

En bref, rien de réjouissant en perspective.


- C’était donc vrai, siffla Silver en découvrant l’auto-mail de la pilote.


Cette dernière mordilla la muqueuse de sa joue, mal à l’aise.


- Salut les gars. Contente de vous revoir.


Schneider poussa son collègue pour se planter devant Reiko, visiblement inquiet. Un frisson mauvais parcourut l’échine de Bruce qui se préparait à lui sauter à la gorge avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la bouche.

Manabu, qui surveillait son partenaire depuis l’apparition de la section Vega, le retint par le bras. 


- Comment tu vas ?

- On fait aller, répondit Reiko, laconique. J’ai eu de la chance de sortir de cet enfer en vie.

- Je suis désolé pour toi. Est-ce que tu tolères la prothèse ? Ton poignet paraît gonflé.


Par réflexe, elle masqua sa main mécanisée contre son corsage.


- Il est capricieux et parfois mon corps le rejette comme un virus mais la douleur finit toujours par diminuer.

- Son bien-être, j’en fais mon affaire, intervint Bruce en écartant sèchement Manabu. On se passera de ta sollicitude.


Un air sombre se peignit sur le visage de Moritz tandis que l’artilleur de l’unité Sirius entourait les épaules de la jeune femme.


- Je te remercie de te soucier de moi, s’empressa d’enchaîner Reiko, mais tout ira bien. Je dois juste me ménager et ne pas négliger mes exercices de compatibilité.

- Je vois. Si t’as besoin d’un ami, je suis là.

- Elle a déjà un petit-ami. Si t’as tant envie de discuter, paie toi une psy ou mieux, rends visite aux vieux dans les maisons de retraite.

- Bruce, protesta-t-elle. Recommence pas ton…


Murase s’approcha, hilare, en assénant une claque monumentale entre les omoplates de Reiko.


- C’est qu’on est coriace chez Sirius ! Heureux que tu aies survécu, fil de fer.

- Merci, Commandant, dit-elle en s’inclinant respectueusement pendant que Bruce et Schneider se fixaient sans aménité, n’attendant qu’une occasion pour s’étriper une bonne fois pour toute.

- J’espère que t’es prêt, parce qu’avec le retour de tes deux têtes brûlées en chef, t’as pas fini d’en baver, se gaussa Murase.


Bulge soupira, sachant pertinemment que Ryosaku avait raison.


- Bien. Le départ étant imminent, je vais vous expliquer le déroulement de la mission. Notre objectif est d’assurer la protection de la prétendante au trône de l’Empire d’Astoria de la huitième galaxie, Rosalie Rosenwald. Elle voyagera avec sa sœur, Énide.

- Rien que ça !, commenta Edwin Silver.


Le Commandant poursuivit son briefing sans se formaliser de l’interruption.

 

- Le train s’arrêtera dans les gares des cinq planètes constituant l’Empire. La princesse Rosalie prononcera un discours au peuple dans chacune d’entre-elles. L’Iron Berger se chargera de la couverture aérienne. Quant à nous, nous infiltrerons Dignity. La famille Rosenwald ne souhaite pas qu’un membre masculin de la SDF soit assigné à la garde rapprochée des princesses. Louise, je te fais donc confiance pour veiller sur l’héritière.

- Oui !

- Reiko, tu t’occuperas de la cadette. Il est prévu qu’elle accompagne son aînée lors de ses allocutions, donc elle reste une cible potentielle.

- Pour qui ?, questionna Manabu, confus.

- Les opposants au régime. Un groupuscule du nom de Freiheit. Inutile de vous préciser que le danger s’intensifiera à chaque escale. Bruce, David, Yûki et moi-même avons pour ordre de nous fondre dans la masse et de repérer tout agissement suspect. Soyez vigilants, la SDF ne peut pas se permettre qu’il arrive quoi que ce soit à ces invitées prestigieuses.

- Compris !


Alors que Reiko s’apprêtait à emboîter le pas à ses coéquipiers, des doigts se refermèrent autour de son poignet.

Elle se retourna vivement, déconcertée.


- Mo… Moritz ?, hoqueta-t-elle.


Schneider la détailla en arborant une mine préoccupée.


- Fais attention à toi.

- Je… Oui, toi aussi.


Troublée, elle se détacha de son emprise et disparut promptement à l’intérieur de Dignity.


- Tu faisais quoi ?, l’interrogea Bruce, suspicieux.

- Rien, dit-elle en s’empourprant, prise sur le fait.

- Ah ouais ?


Un tic nerveux agitait la commissure des lèvres du sniper. Elle nota avec surprise qu’il semblait anxieux. Eprouvant le besoin impérieux de le rassurer, elle se pressa contre lui.


- T’as pas à t’inquiéter, je t’aime.

- Ouais.


Il marqua un silence.


- Je suis bête. Viens, ils nous attendent.

- T’es jaloux ?

- Evidemment.

- C’est le monde à l’envers.

- Pas croyable d’être naïve à ce point, s’exaspéra-t-il au moment où ils pénétrèrent dans un wagon-restaurant luxueux.


Reiko pencha la tête sur le côté, intriguée, mais ils n’eurent pas l’opportunité d’approfondir le sujet puisque Bulge leur communiqua ses ultimes instructions.


- A tout à l’heure, dit-elle en l’étreignant brièvement.

- Ouais, sois prudente. Ton émetteur est activé ?

- Oui.

- Où es ton cosmo-gun ?

- Autour de ma jambe, l’informa-t-elle en tapotant sa cuisse gauche.

- Okay, n’agis pas de manière impulsive, t’es encore à l’essai.


Elle acquiesça avant de s’enfoncer dans une assemblée parée de somptueux atours.

L’artilleur contempla sa silhouette, hypnotisé par la natte qui battait nonchalamment dans son dos. Sa robe sirène effleurait le sol, lui conférant l'illusion qu’elle flottait au-dessus du plancher.

“J’aime pas être comme ça. C’est pas mon genre. Je suis ni possessif ni obsessionnel. Ce gars-là me fait perdre mon sang-froid.”


Un brin perturbée par le comportement des deux hommes, Reiko gagna l’estrade sur laquelle Louise était déjà plongée en grande conversation avec l'héritière de l’Empire. Elle la rejoignit en enfilant à la va-vite une paire de gants qu’elle avait cachée dans les plis de son corsage, recouvrant par là même son auto-mail.

Puis, elle reporta son attention sur les membres de la famille royale d’Astoria. 

Elle fut frappée par la ressemblance entre l’adolescente et la fillette. Un teint d’albâtre, une chevelure bouclée rousse presque rouge, des yeux verts en amande et un nez mangé par des tâches de rousseurs… Elles lui évoquaient des poupées de porcelaine. Reiko n’octroyait pas plus de seize ans à Rosalie. Quant à Énide…

“C’est la copie conforme de sa sœur avec des joues rebondies. Elle n’a pas huit ans, c’est certain.”

Vêtues de tenues simples mais élégantes dans les teintes pastels, elles se tenaient droites face à un parterre d’admirateurs.

Reiko avisa toutefois les traits renfrognés de la petite de laquelle irradiait une aura maussade.


- Bonjour Vos Majestés. Je suis Reiko. Je serai votre escorte aussi longtemps que durera ce voyage, Énide-sama.

- C’est “Votre Altesse Royale”, tu ne sais même pas ça ?, la reprit la cadette.


La pilote renifla, irritée par le ton condescendant de la gamine.

“La mission ne va pas être une sinécure.”

Censée durer trois jours, elle risquait de lui paraître bien plus longue surtout au vu des consignes de Bulge : ne pas lâcher princesse numéro deux d’une semelle.


- Non, effectivement.

- Et, c’est ça qui doit me protéger ?

- Ça ?, gronda Reiko.

- Énide !, la rabroua Rosalie. Tu arrêtes maintenant. 

- T’es pas mère. T’as pas à me donner d’ordres.

- On dit, “Tu n’es pas.” et “Tu n’as pas.”.

- Nanananana, marmonna-t-elle en faisant mine de se boucher les oreilles.


Rosalie coula un regard vers Reiko qui signifiait clairement “Bon courage avec elle.”. 

Puis, un sifflement retentit et Dignity s’élança dans les étoiles.

À l’instar de Louise, elle se posta donc en bas de l’estrade, scrutant chaque passager avec minutie, tentant de deviner si l’un d’entre-eux était un espion de Freheit. Au cours de cette surveillance, elle aperçut Yûki et Manabu à plusieurs reprises mais Bruce et le Commandant demeurèrent invisibles.

“Ils inspectent sans doute le train dans les moindres recoins.”

Les présentations durèrent encore une heure à l’issue de laquelle la patience de la fillette était épuisée. Elle tirait la langue aux invités dès qu’ils tournaient le dos et grimaçait à chacune des remontrances de son aînée. 

Louise, dont la famille était issue de l’aristocratie, se retenait difficilement de la réprimander.

Si le supplice s’acheva enfin pour Énide, on ne pouvait pas en dire autant concernant Reiko. Une fois libéré de ses engagements, l’enfant sauta hors de son promontoire et se faufila à travers la foule. 

La pilote se précipita à sa suite en pestant. Bridée dans ses mouvements par son habit étriqué, elle la perdit rapidement de vue. Se fiant à son instinct, elle se dirigea dans la voiture contiguë au wagon-restaurant, ses talons martelant contre le parquet ciré.


- Énide-sama ? Où êtes vous ? 


Comme personne ne lui répondit, elle examina l’espace sous les sièges avant de soulever les lourds rideaux en velours rouge carmin.

“Quelle plaie cette morveuse !”


- Vous avez égaré quelque chose, madame ?

- Hein ?


Reiko se releva en chancelant.

Un homme bedonnant d’un certain âge avec une calvitie prononcée et une moustache lissée la toisait de toute sa hauteur.


- Non, tout va bien.


Elle s’effaça sur le côté pour le laisser passer mais celui-ci ne bougea pas.


- Est-ce que je peux vous inviter à boire un verre ? Le champagne est excellent.

- Sans façon merci, dit-elle en le contournant.


Un bras lui bloqua le passage.


- J’insiste.


Une ride agacée se dessina sur le front de la jeune femme.


- Je suis occupée, excusez-moi.

- Allons donc, vous avez sûrement une petite minute à m’accorder. 

- Pardon ?


La porte du wagon coulissa alors et une silhouette massive s’avança dans leur direction.


- Monsieur, vous gênez la circulation.

- Oh, je… Toutes mes excuses.

- Reiko, suis-moi.

- Oui, Commandant.

- Co… Commandant… ?, répéta le vieil homme.

- Schwanhelt Bulge, unité Sirius de la Space Defence Force. Y’aurait-il un problème ?

- Négatif soldat, balbutia-t-il.

- À la bonne heure.


Bulge entraîna sa recrue dans la voiture suivante.


- Raconte.

- Elle s’est enfuie mais elle n’a pas pu aller bien loin.

- Dépêche-toi de la retrouver. Leur sécurité est primordiale. 

- À vos ordres !

- Et, Reiko ?

- Oui ?, dit-elle en faisant volte-face, stressée.

- Appelle-moi sur mon canal privé si tu rencontres d’autres… Déconvenues de ce genre.

- De ce genre ?

- Du genre de ce type, précisa-t-il.

- Je le ferai, accepta-t-elle en rougissant.


“Plutôt moi que Bruce si on veut éviter l’incident diplomatique.”

Sans tergiverser davantage et bien que quelque peu nauséeuse, elle abandonna son supérieur pour partir à la recherche d’Énide, 

Le cerveau en ébullition, elle vérifia chaque renfoncement dans lequel la fillette aurait pu se dissimuler. Les intentions du vieil aristocrate étaient évidentes et, sans l’intervention de Bulge, la situation aurait probablement dégénéré.


- Votre Altesse Royale ?


Reiko remarqua le battant d’un placard qui bâillait. Elle s’agenouilla et l’entrouvrit doucement.


- Énide-sama…

- Laisse-moi tranquille.


La pilote soupira.


- C’est impossible, ça.

- Va-t-en !, râla l’enfant.

- Allez, sortez d’ici.

- Non !

- Si !

- Non !

- Si.


Comprenant qu’elle était déterminée à se rebeller, Reiko employa les grands moyens. Elle agrippa la princesse par les froufrous de sa robe et la tira hors de son refuge.


- Hé ! Personne n’a le droit de me toucher ! Père va t’exécuter !

- Oui oui, il fera ça, répondit-elle avec lassitude, peu impressionnée par la menace. 


Activant le bouton de son communicateur, elle se régla sur la fréquence de Bulge.


- Reiko. Je l’ai trouvée.

“- Bien reçu. Nous sommes à la réception. L’arrêt sur la planète Améthyste est prévu dans cinq heures.”

- Cinq heures, souffla-t-elle.  


“Autant dire une éternité.”


- Bon travail, conclut-elle.

“- Toi aussi.”


Le temps s’écoula très lentement pour la jeune femme qui dû, à deux reprises, interdire à la princesse de se pendre aux rails suspensifs des bagages, ramasser la glace qu’elle avait sciemment renversée à terre et réussit de justesse par trois fois à l’empêcher de fuguer.

Complètement exténuée, elle profita d’un moment de répit durant lequel Énide était occupée à engloutir des petits fours. Elle s’adossa à une paroi molletonnée, fermant les yeux un bref instant. De ce fait, elle sursauta quand une main s’abattit à côté de son crâne.


- On se relâche la nouvelle ?


Elle se crispa avant de reconnaître celui qui lui faisait face.


- Bruce… Tu m’as fait peur.

- Rien de spécial ?, la questionna-t-il en prenant place à côté d’elle.

- Elle me fatigue, murmura-t-elle, déprimée.

- J’aurais pu le deviner. Cette gosse est mal élevée.

- Je pense plutôt qu’elle essaie d’attirer l’attention.

- Ouais, ben je suis pas doué en psychologie infantile.

- Moi non plus… Je serais une mère catastrophique.

- Je suis sûr que non.


Elle se détourna pour cacher son embarras.


- Hum, si tu le dis.


Le sniper garda le silence, s’imaginant pour la première fois fonder une famille avec Reiko. Contrairement à ce que ses équipiers auraient pu croire, il n’était pas contre l’idée de posséder son propre foyer, lui qui n’en avait jamais eu. Suite au décès de ses parents alors qu’il n’était qu’un bambin, il fut recueilli par sa grand-mère maternelle, une vieille femme acariâtre et sévère. Son décès survint lorsqu’il atteignit sa seizième année. Il vécut cela comme le signal de départ et il embrassa la profession très controversée de mercenaire pendant près de dix ans. La guerre de trop le poussa à changer de voie. Une affiche jaunie et délavée placardée dans une gare le convainquit de s’engager à la Space Defence Force. 

Protéger plutôt que tuer.

Ce serait sa rédemption.


- Au fil des années, les traits de ma mère sont devenus flous et de mon père, je n’ai aucun souvenir. J’ai eu de la chance qu’Harlock décide de veiller sur moi. Il m’a offert un toit, à manger, une famille. Je n’en espérais pas autant.

- J’ai pas connu mes parents. J’ai vécu avec ma grand-mère et à sa mort j’ai pris mon indépendance.

- Comme mercenaire ?

- Oui.

- Et puis la SDF, résuma-t-elle.

- Exact. C’est ici que j’ai vraiment trouvé ce qui se rapproche le plus d’une famille.


Reiko lui renvoya un sourire lumineux.


- C’est vrai que le Commandant a tout d’un papa poule.

- Et Manabu, le petit frère énervant.

- David, c’est l’oncle gênant.

- Et Louise, la cousine “première de la classe”.

- Quant à Yûki…

- C’est la maman de cette fratrie recomposée sans queue ni tête.


Le couple partagea un regard complice.


- Qu’est-ce que ça fait de nous ?

- À toi de me le dire, répondit Bruce avec un clin d'œil.


Il patienta quelques instants avant de poursuivre.


- T’es magnifique dans cette robe même si je te préfère sans.


Le feu monta aux joues de Reiko.


- Bruce !


Elle n’eut pas l’occasion de répliquer puisque Énide, qui avait terminé son repas, s’apprêtait à lui filer entre les doigts


- À tout à l'heure !

- Ouais, bon courage.


Songeur, il l’observa disparaître dans l’attroupement.

“Cette foutue malédiction… Rien ne me garantit qu’elle me laissera en paix. Malgré ce que j’ai affirmé au pirate, je ne sais pas… Je ne sais pas encore comment exorciser mes démons.”


***


Le moins que l’on puisse dire, c’est que la planète Améthyste portait bien son nom. Absolument tout, des pavés aux coupoles des immeubles, était constitué de cette pierre précieuse violette dans sa palette de couleur la plus étendue. Mauve, lavande, pourpre, bordeaux ou magenta, le nuancier semblait infini. Reiko eut l’impression d’avoir un filtre devant ses prunelles et ses paupières papillonnèrent, agressées par l’omniprésence des améthystes.


- C’est très…

- Unicolore, la coupa Manabu.

- Ouais.


Les princesses avaient elles aussi revêtu des robes violines qui grillèrent la rétine de Reiko.


- On dénote dans le paysage !, s’exclama David en faisant allusion à une large majorité de personnes couvertes d’étoffes aux teintes similaires.

- On aurait dû mieux anticiper l'infiltration, approuva Louise.

- Prenez-ça, c’est tout ce que j’ai pu trouver, intervint le Commandant en leur tendant une boule de tissus composée d’écharpes et de foulards.


Bruce attrapa une longue écharpe en soie et entoura habilement le cou et les épaules de sa petite-amie. Puis, il l’attira contre lui avec un mouvement sec.


- Pas d’imprudence.

- Je sais, dit-elle en faisant la moue.


À regrets, il la libéra et elle rejoignit son poste de surveillance derrière Énide qui avait louché sur la scène avec intérêt. Celle-ci se retourna, curieuse.


- C’est ton amoureux ?, l’interrogea-t-elle, perplexe.


Ne désirant pas lui mentir, la pilote hocha la tête.


- Oui, on peut dire ça.

- Il est beau.

- C’est vrai.

- Mais il a l’air pas content.


Reiko eut un petit sourire.


- C’est son expression faciale favorite.

- Lui aussi c’est un garde du corps ?

- Oui, c’est même l’un des meilleurs, avoua-t-elle, amusée. Il m’a appris beaucoup de choses.

- Alors, c’est lui que je veux !

- Hein ?

- Ben oui, pourquoi je te choisirais toi, si c’est lui le champion ?

- Énide-sama…


Elle empoigna le col de la petite avant qu’elle ne se rue en bas de son piédestal. Cette dernière ne se découragea pas pour autant et adressa de grands signes au sniper qui la dévisagea sans comprendre. 


- Qu’est-ce qu’elle me veut cette môme ?


Il voulut contacter Reiko mais il ne capta rien d’autre que des grésillements.


- Cette fichue pierre violette crée des interférences.

- En effet, abonda le Commandant. Cette information nous a également échappé.

- Ils sont bien renseignés au QG !, railla Bruce.

- Passez la foule au peigne fin. À la moindre suspicion de comportement anormal vous isolez le ou les individus. Vu ?

- Bien reçu.


***


Les discours des hauts dignitaires se succédèrent et s’achevèrent par celui de Rosalie Rosenwald. Éloquente, elle captivait un auditoire transporté par ses paroles. Énide se tenait quant à elle en retrait, morose.

“Cette gamine vit dans l’ombre de sa sœur. Littéralement.”

Elle fut prise d’une bouffée d’empathie à son égard. 

“Moi aussi j’avais le sentiment que mon existence s’effaçait derrière le charisme de quelqu’un de “plus grand” que moi.”, pensa-t-elle en se figurant les portraits de son père et de son frère. “Heureusement, depuis que j’ai intégré la SDF, cette désagréable sensation s’est évaporée.” 

La princesse intercepta son œillade et lui décocha une grimace équivoque.


- Bruce a raison. C’est quand même une mioche pourrie gâtée.


Une agitation fébrile s’empara brusquement du public. Sur ses gardes, elle bondit souplement et se plaça devant la fillette, la masquant entièrement aux yeux de l’assemblée. Louise fit de même avec l’héritière du trône alors que Manabu et Bruce faisaient des pieds et des mains pour appréhender une femme camouflée sous une ample cape pourpre.


- Reiko !, cria Louise en pointant un homme au troisième rang.

- À terre !


Elle se jeta sur la cadette à l’instant où des rayons laser volèrent dans leur direction. Énide poussa un cri aigu apeuré pendant que Reiko la propulsait hors de l’estrade, la faisant basculer dans l’herbe fraîche et humide.

“Il y a plusieurs tireurs.”


- Bouge pas, lui intima-t-elle, tendue, tout en actionnant son émetteur. Commandant, qu’est-ce qu’il se passe ? Vos ordres ?


Seul un crépitement dense lui répondit.


- Putain d’interférences. Louise ?

- Mettons-nous à couvert.

- Jusqu’à ce qu’ils finissent de faire le ménage.

- Oui, conclut-elle en aidant Rosalie à se relever.


La princesse héritière s’ébroua, affolée, tandis que le sifflement des rayons lasers et les hurlements se mêlaient en un vacarme insoutenable. 


- Par là bas !, ordonna Louise en désignant une ruelle déserte. 


Courbé en deux, le groupe s’exécuta. Reiko fermait la marche à reculons, son cosmo-gun pointé devant elle.

Elle se positionna à l’angle de la venelle, cherchant les assaillants dans la masse compacte qui fuyait de toute part, sans pour autant réussir à les localiser. 


- On tente de rejoindre la gare ?, proposa la pilote.

- Dignity ?

- Le train est blindé, une fois à l’intérieur on ne risquerait plus rien.

- Et l’Iron Berger ?

- En stand by dans l’atmosphère. Ils ont dû capter le problème, je ne serais pas étonnée qu’ils soient déjà en chemin.


Rosalie griffa sa peau, angoissée. 


- Cette attaque… Ils sont plus déterminés qu’on ne le croyait. 

- J’ai… J’ai peur, bégaya Énide, en état de choc. 


Reiko s’agenouilla et posa une main qui se voulait rassurante sur l’épaule de sa protégée du jour. 


- Rappelle-toi que “le champion” et ses coéquipiers veillent sur nous. Tout ira bien. 

- C’est promis ?

- Oui. Et mon père m’a appris à ne jamais trahir une promesse, dit-elle en tendant son petit doigt à l’enfant.


Enide enroula son annulaire autour de celui de sa garde du corps.


- D’accord.


Louise, qui avait remplacé sa collègue à son poste de guet, les interpella, alarmée. 


- Il faut s’éloigner. On vient dans notre direction. 

- Ennemis ?

- Je ne sais pas. 


Reiko acquiesça.


- On y va.  


Louise, en sa qualité d’Officière, prit la tête des opérations et les guida à travers la ville en s’aidant du plan qu’affichait sa montre connectée. 


- Combien ?

- Huit-cents mètres à cause du détour.

- Bonne idée encore ça d’avoir tout organisé en plein air, maugréa Reiko. Ils auraient dû se contenter de la gare, comme ce qui était initialement prévu. 

- C’est moi qui ai insisté, plaida Rosalie. La SDF était contre.

- Vous auriez dû les écouter, asséna-t-elle, impitoyable. 

- Je vous l’accorde. 

- T’es bête, t’es trop bête !, s’énerva Énide. Mais comme t’es la chouchoute, père et mère ne se mettront pas en colère.

- Tiens ta langue, la rabroua sa sœur. Tu oublies ta place.

- Et vous, vous oubliez que nous avons actuellement des problèmes plus importants à gérer.

- Koko !

- Bah, j’ai tort ?

- Si tu veux mon avis, Bruce déteint un peu trop sur toi.


La pilote eut un sourire dur.


- Ce n’est pas un mal.


Les sourcils froncés, l’héritière du trône ne pipa mot.

Le quatuor hétéroclite remonta une avenue presque déserte. 


- Où sont-ils tous ?

- Cette ville est étrange, renchérit l’Officière radar.


Trouvant que le cliquetis de ses talons claquant au sol était trop bruyant, Reiko les ôta et les jeta négligemment dans une poubelle fabriquée en améthyste elle-aussi. Puis, pour faire bonne mesure, elle déchira sa robe de la cheville au genou. 

“C’est trop serré et ça entrave chacun de mes gestes.”


- On a le droit de faire ça ?

- Et pourquoi pas ?


Pour la première fois, Énide lui lança un long regard admiratif.


- T’es pas comme les autres.

- Hein ?


Elle baissa d’un ton pour éviter que son aînée ne saisisse le sens de ses propos.


- Chiante.

- Oh quel vilain mot, la charria-t-elle.


L’enfant eut une moue satisfaite qui fit pouffer Reiko.


- Moi, j’aime pas les protocoles et les bonnes manières. J’aimerais qu’on m’oblige plus.

- Dans ce cas, vous n’avez qu’à faire entendre votre voix.

- Faire entendre… Ma voix ?

- Oui. Ce n’est pas toujours facile de s’affirmer. Pour moi aussi… Ce n’est pas évident. Mais j’ai la chance d’avoir quelqu’un qui m’y aide tous les jours.

- Le Champion ?

- Lui-même.


Enide réfléchit un instant.


- Tu as un rêve ?, la questionna–t-elle subitement.

- Un… Rêve ?


Elle n’eut pas le temps de répondre car un groupe composé d’hommes et de femmes de tous âges fit irruption au bout de l’artère principale. Sans tergiverser une seule seconde, elle happa la fillette et la catapulta vers le porche d’un magasin.

De l’autre côté de la route, le second binôme s’était réfugié dans une ruelle attenante. Des traits lumineux volèrent au-dessus de leurs têtes, se perdant en l’air.

Depuis leurs abris, les équipières de la Space Defence Force ripostèrent et leurs assaillants furent forcés de battre en retraite.

Le cosmo-gun de Louise fit mouche à plusieurs reprises contrairement à celui de sa partenaire qui était moins précise.


- Fais chier, grogna Reiko. 


“Si on reste là, on va être submergées. Traverser est trop dangereux. Ce n’est donc plus une option.”

Utilisant le code gestuel de la SDF, elle suggéra à Louise de s’échapper par la rue qui s’étirait dans son dos.


“- Et toi ?”


Reiko désigna le magasin derrière elle.


“- Fuite par la porte de service.”

“- Piège ?”

“- Pas le choix.”


Si effectivement il n’existait aucune autre issue, elle allait entraîner la princesse dans une souricière. 

“Et ce serait une terrible erreur de jugement.”


“- Une idée ?”


L’Officière radar secoua la tête négativement.


“- RDV à la gare.”

“- Reçu.”


Sans cesser de tirer pour maintenir leurs ennemis à distance, elle ôta ses gants avec les dents dévoilant auto-mail et poignet enflé.

Recroquevillée dans un coin, Énide tremblait, en proie à une crise de panique.


- J’ai dit que j’allais vous ramener saine et sauve et je compte bien m’y tenir. Soyez courageuse, les renforts ne vont pas tarder, dit-elle en songeant à la section Vega.

- Je… Veux pas… Mourir.


La jeune femme s’appliqua à sourire malgré la tension qui irradiait de son corps.


- Personne ne meurt lorsqu’un si beau soleil brille dans le ciel.

- Vrai… Vraiment ?, demanda-t-elle naïvement.

- Oui, surtout quand on est protégé par le peloton Sirius.


La petite ouvrit les paupières et riva son regard sur Reiko.


- C’est quoi… Sirius ?

- Mon unité. Et l’étoile la plus brillante de l’univers, expliqua-t-elle au moment où l'un de ses tirs perfora enfin le torse d’un homme.


Elle se courba pour esquiver un trait rouge qui roussit ses boucles brunes.


- Reiko !, s’épouvanta à nouveau Énide.

- Gardez votre calme. Je suis là et je vous abandonnerai pas, certifia-elle en posant un genou à terre.


L’enfant se pelotonna contre sa poitrine, terrorisé.

À court de solutions pour la tranquilliser, elle décida d’accélérer la cadence.


“- Maintenant.”


Louise acquiesça, les mâchoires crispées, pendant que le poing mécanique de Reiko se serrait. Cette dernière retint un gémissement de souffrance en bandant les muscles de son bras, une impression de déjà-vu s’imposant dans son esprit.

“Pas de retour en arrière.”

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