A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 31 : [Interlude] Trêve de Noël

4916 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/12/2023 10:29

[Interlude] Chap 31 : Trêve de Noël


- Je vois. Je vous remercie. Oui, prenez soin de vous également.


Harlock raccrocha le combiné téléphonique, songeur.


- Qui c’était ?

- Une amie.


Tadashi se gratta le cuir chevelu, suspicieux.


- Ce n’est pas la première fois que cette mystérieuse amie appelle, je me trompe ?


Le pirate se détourna sans daigner répondre.


- Fidèle à sa réputation, Otto-san se la joue énigmatique, soupira le jeune homme en roulant des yeux.

- Dashi-kun.

- Hum ?, dit-il en haussant un sourcil intrigué.

- Une halte sur la terre ferme, ça te tente ?

- Sur Terre ?

- Pas exactement.


Le regard du Capitaine se perdit dans la mer d’étoiles s’étendant à perte de vue au-delà des vitres de l’Arcadia.


- Il s’est passé combien de temps depuis SSX ? Deux mois ?

- Ouais, à peu près.


Tadashi fixa le dos du hors-la-loi.


- Elle…

- Oui. Pas à toi ?

- Évidemment. À vrai dire, je commence à m’inquiéter. Elle ne nous laisse jamais sans nouvelle si longtemps.

- Son émetteur est cassé. Et son auto-mail n’est vraisemblablement pas dans un meilleur état.

- Le docteur Zero va être ravi…

- Oh, le sien il s’est brisé depuis un moment déjà.

- Hein ? Mais comment est-ce que tu en sais autant ? C’est d’autant plus suspect car, si j’en crois tes dires, elle n’a plus de communicateur.

- On me tient régulièrement au courant.

- Et il y a d’autres trucs importants que t’aurais oublié de me raconter ?

- Hum, possible.

- Hé ! Quoi par exemple ?! Oh ! Harlock !


Ce dernier quitta la passerelle dans une envolée de cape dont lui seul avait le secret.


- Tu verras. Prépare tes bagages. Préviens Kei aussi. Cap sur SSX et ensuite…

- Ensuite ?


La porte coulissante se referma derrière le Capitaine de l’Arcadia.


- Il me fatigue, Merlin l’Enchanteur avec tous ses mystères, bougonna Tadashi en s’affalant dans son siège.


*** 


- De la neige !


Reiko tendit les doigts pour capturer un flocon au creux de sa paume.


- Oui, ce sont des choses qui arrivent parfois en hiver. Hé ! Ne cours pas, tu vas trébucher ! Encore…

- C’est trop beau !


Bruce croisa les bras en arborant un air faussement contrarié.


- C’est juste de l’eau givrée. Finalement, c’était pas une si mauvaise idée qu’on t’achète un manteau, hein ?

- Je reconnais qu’il est joli, avoua-t-elle en virevoltant sur elle-même.

- À la bonne heure. Je ne te verrai plus dans cet affreux blouson qui fait saigner ma rétine.


Il ôta son écharpe grise et l’enroula autour du cou de sa compagne.


- Elle n’est pas assortie à ton manteau bleu de poupée russe, mais bon. On en trouvera une mieux plus tard. Avec une paire de gants.

- Hé ! Il ressemble à celui de Maetel !, s’offusqua-t-elle d’une voix étouffée par le tissu.

- Ça ne signifie pas qu’elle a du goût.

- Oh…


Face à la mine défaite de Reiko, le sniper ne put réprimer un petit rire.


- Je t’embête, t’es mignonne comme tout. Tu viens ?, dit-il en lui prenant la main.

- Oui… On va au QG ?

- On peut se promener en ville, qu’est-ce que tu en dis ?

- Tant qu’on est ensemble, ça me va.


Elle marqua un silence, humant les fragrances qui se dégageaient de la place principale de Destiny.


- Tu sens pas comme une odeur de cannelle ? Tu crois qu’Obaa-san a déjà fait des biscuits de Noël ?, le questionna-t-elle, les yeux brillants.

- Je sais pas, on n’a qu’à aller lui demander.

- Oui !

- T’es beaucoup trop joyeuse, aujourd’hui

- On n’a pas souvent quartier libre, alors…

- Quand t’en auras assez de marcher, on rentrera à la maison.


Un sourire mutin se dessina sur le visage de Reiko.


- Tu vas…

- Seulement si tu es sage !

- Des crêpes ! Des pancakes ! Des gaufres ! On invite Manabu et Louise ?

- T’as trois ans d’âge mental ma parole, pouffa-t-il en lui ébouriffant les cheveux.

- Le goûter, c’est sacré.

- Il est treize heures. 

- C’est tout comme.


*** 


Bruce reposa sa fourchette, excédé.


- Personne ne va vous voler votre dessert. Manabu. Reiko. 


Les deux équipiers partagèrent un regard entendu avant de replonger le nez dans leur assiette, engloutissant chacun l’équivalent d’une portion pour quatre adultes.


- Pas un pour rattraper l’autre, s’agaça Louise.

- Ouais, c’est clair, abonda David.

- Rappelle-moi pourquoi t’es ici, toi ?, l’interrogea l’artilleur.

- Parce que j’étais là quand Reiko a téléphoné à Louise-chan.

- Pas sûr que ce soit une raison suffisante.


Bruce se pencha vers sa fiancée et souleva tendrement son menton.


- De quoi avait-on convenu au juste ?


La pilote ingurgita une bouchée dégoulinante de confiture.


- Bien mâcher avant d’avaler.

- Combien de temps ?

- Cinq secondes, grogna-t-elle.

- Et pourquoi ?

- Pour pas que j’aie mal au ventre.

- Parfait.


Les yeux de l’ingénieur de l’unité Sirius s’écarquillèrent.


- Si on avait parié, j’aurais perdu.

- Quoi ?

- Non, rien.


Sur la table de la cuisine s’étalaient des piles entières de gaufres, crêpes et pancakes, cuisinées par Bruce, qui faisaient le régal de tous, en particulier de Manabu et de Reiko.

Cette dernière lâcha ses couverts pour s’essuyer la bouche.

Il n’avait pas fallu longtemps à son conjoint pour saisir l’étendue des rapports compliqués qu’elle entretenait avec la nourriture.

C’était à chaque fois la même chose : tout ou rien.

La famine avait laissé une empreinte indélébile sur Reiko et, aujourd’hui encore, elle peinait à retrouver des habitudes alimentaires correctes.

Ils avaient donc décidé de mettre en place des règles. Les mêmes qu’Harlock avait inventées quand elle était jeune et qu’elle avait totalement mises de côté depuis son arrivée à la SDF.

Et Bruce s’était donné pour mission de les lui faire respecter assidûment.

Aucune exception n’était tolérée.


- Désolée, je me suis emportée.

- Hum. 


Manabu s’enfonça dans son fauteuil, repu. 


- T’es un cordon bleu.

- Ouais, ben n’y prend pas trop goût.


Reiko, dont l’estomac émettait des borborygmes sonores, acquiesça.


- Oui, délicieux.

- Je t’en refais quand tu veux, chaton. 

- Je vois que t’as tes préférences, maugréa Manabu. 

- Et ça te surprend ?

- Pas vraiment.


Le jeune homme lorgna sur ses partenaires en se râclant la gorge.


- Il faut que je vous parle de quelque chose. Ma mère nous convie tous sur Tabito pour Noël.

- Même moi ?, s’étonna David.

- Oui. Je dois aussi le proposer au Commandant et à Yûki. Qu’est-ce que vous en pensez ?


Reiko baissa la tête en triturant nerveusement sa natte.

Depuis que son émetteur s’était noyé dans une mare de café, elle s’était résolue à passer les fêtes loin d’Harlock et de Tadashi. Elle avait bien songé contacter Warrius pour qu’il avertisse le pirate, même elle ne pouvait se résoudre à le déranger pour un motif aussi futile.


- C’est gentil de sa part !, lança Louise avec enthousiasme. Je n’avais pas très envie de voir mes parents de toute façon. 

- J’en suis, approuva David. Ta maman est bonne cuisinière ?

- Elle a un restaurant, patate. D’après toi ?


Le sniper dévisagea sa petite-amie. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle était prise dans un dilemme qu’elle ne désirait pas évoquer en public.


- C’est une invitation très généreuse.

- Elle serait contente que tu viennes, Koko.

- Et pas moi ?, railla Bruce.

- Bah, j’imagine que si.


Reiko coula un regard vers l’artilleur qui haussa les épaules en réponse à sa question muette. 


- Hé bien, j’accepte avec joie. Et lui aussi, dit-elle en désignant Bruce.

- Ben voyons.

- Tu veux pas ?

- Je m’en fiche, tant que ça te fait plaisir.


Manabu hocha la tête, satisfait.


- Vendu !, s’exclama-t-il en remplissant son assiette de gaufres.


*** 


“Prochaine station : Tabito ! Prochaine station : Tabito ! ”


- On y est déjà ?

- Il semblerait, chaton.


Reiko plissa les paupières pour tenter de discerner la planète minière mais l’espace était impénétrable dans cette partie de l’univers.


- J’ai hâte de voir Kanna.


Louise se dandina sur son siège, mal à l’aise, ce qui tira un sourire à la pilote.


- Ça va bien se passer, lui souffla-t-elle. La dernière fois… C’était spécial.

- Oui, oui.

- Elle t’aime beaucoup.

- Tu crois ?

- Evidemment. C’est ce que j’ai constaté quand on était sur SSX.

- Oh… Tant mieux, dit-elle, un tant soit peu rassérénée.


Le Commandant Bulge, qui avait cédé face aux supplications de sa section, se mit debout.


- Nous ne sommes pas en service mais je compte sur vous pour vous comporter convenablement, vu ?

- Oui !


Le train entra en gare et Reiko fut heureuse de découvrir qu’un manteau neigeux recouvrait la ville, lui conférant un aspect digne d’un téléfilm de Noël.


- Ils ont même décoré avec des guirlandes ! Oh et là, il y a un sapin géant !

- C’est génial !, renchérit Manabu.

- Les enfants, on se calme et on ne s’éloigne pas des adultes, les morigéna Bruce en souriant.


Ils se dirigèrent vers le restaurant, se promettant de flâner dans le bourg central dès la tombée de la nuit pour contempler les illuminations.

La façade de la maison de Kanna se dessina et ils accélérèrent le pas. Reiko s’effaça pour laisser la place à Manabu et à Louise, profitant du fait que son amant soit de dos pour l’enlacer.


- Je ne vais pas m’enfuir, soupira-t-il.

- Je sais.


David, qui attendait derrière avec Yûki et le Commandant, haussa le ton.


- Vous faites quoi ? Avancez !


Le sniper s’exécuta en râlant, emprunté par l'étreinte de sa compagne. Il se figea alors qu’il s’apprêtait à traverser le shôji.


- Bon dieu. Vous êtes là aussi ?

- Ça te pose un problème, soldat ?

- Parce que ça changerait quelque chose ?


Reiko eut un hoquet de surprise. Elle se détacha de Bruce, le poussa sans ménagement sur le côté et se rua à l’intérieur.


- O… TTO… SAAAN !


Les réflexes du Capitaine lui permirent de ne pas se retrouver les quatre fer en l’air. Il raffermit sa prise sur le bar, écarta son verre de Brandit et ouvrit les bras pour accueillir sa fille adoptive qui lui fondit dessus comme un guépard sur une antilope.

Elle le pressa contre elle, manquant de lui broyer plusieurs côtes au passage.


- T’es là, t’es vraiment là…, bégaya-t-elle entre deux larmes.

- Mais oui, lapin. Je suis vraiment là, dit-il en lui caressant les cheveux.

- Je ne peux pas le croire.

- Pourtant, c’est la vérité. Et je ne suis pas venu seul.


La jeune femme leva les yeux et avisa Tadashi, qui était accoudé au bar en compagnie de Kei.


- Aniki… Ani…


Elle se décida à relâcher son père qui se massa discrètement l’abdomen. Ce dernier se tourna ensuite vers Bruce qui le fixait avec une grimace équivoque.


- Speed.

- Harlock.

- T’as fait pleurer mon poussin ?, lui demanda-t-il de but en blanc.

- Je peux enlever ma veste avant que vous ne tiriez à balles réelles ?, gronda-t-il, exaspéré.

- Je t’en prie.


Puis, il aperçut le Commandant qui dépassait tous les membres de son unité de deux têtes.


- Bulge. Vous avez évité le burn-out ?

- De justesse, dit-il en regardant tour à tour Bruce et Reiko.

- Je vous sers à boire ?

- C’est pas de refus, mais pas d’alcool pour moi.

- Du jus de tomates, c’est ça ?, intervint Kanna qui avait enfin daigné se séparer de son fils.

- Oui, madame.

- Pas de ça ici, appelez-moi Kanna.


Reiko s’était quant à elle rapprochée de Tadashi, hésitante.


- Tu es toujours en colère ?

- Tu sais bien que non.


Il pointa son auto-mail en cristal fissuré.


- Ça fonctionne encore ?

- Oui, mais j’ignore pour combien de temps.


Après un instant de flottement, frère et sœur tombèrent dans les bras l’un de l’autre.


- Nee-san, t’as l’air en forme, hein ?

- Oui. Toi aussi.

- Tu m’as manqué. Tout va bien sur Destiny ?, la questionna-t-il en adressant une oeillade peu amène à Bruce.

- Oui, ne t'inquiète pas et sois sympa avec lui. Il est super avec moi.

- Je te garantis rien, marmonna-t-il.


Elle choisit de remettre à plus tard l’annonce de son déménagement afin de ne pas déclencher les hostilités. Elle salua ensuite Kei et Kanna avant de tirer un tabouret pour s’installer à côté de son pirate de père.


- Otto-san, je suis ravie que tu sois ici. Mais comment… ?

- Je suis en contact avec Kanna. SSX est en orbite autour de Tabito et je n’ose même pas songer à l’état dans lequel se trouve la base de Tôchiro à l’heure actuelle. Les festivités sont sûrement déjà bien entamées…


Il passa une main dans ses cheveux bruns emmêlés.


- Ton travail te plaît toujours autant ?

- Oui ça va ! J’ai encore pas mal de progrès à faire.

- J’ai appris pour ta prothèse.


Il tira un paquet caché sous le bar.


- Mis au point par Zero en respectant tes souhaits. Il l’a néanmoins optimisé au niveau de la légèreté et de la maniabilité.

- Merci, dit-elle en posant sa tête sur son épaule.

- Usagi, tu dois tout me raconter.

- Promis, mais c’est toi qui commence. 


***


Assis dans un angle du restaurant, Bruce tapotait nerveusement une table en bois.

La venue des rebelles de l’Arcadia allait drastiquement lui compliquer la vie. L’humeur de Tadashi ne s’était guère améliorée depuis leur altercation sur SSX et Harlock ne paraissait guère dans de meilleures dispositions. 

Pour l’instant, ils s’étaient tous éclipsés à l’étage pour que Reiko essaie son nouvel auto-mail. Elle lui avait bien proposé de l’accompagner, mais il avait catégoriquement refusé, peu désireux de se retrouver confiné avec les deux dobermans qui lui tenaient lieu de père et de frère. 


- T’as l’air de quelqu’un qui a besoin d’air, nota David en prenant place en face du sniper. 

- T’imagines même pas.

- Ils ont pas l’air de t’apprécier.

- C’est réciproque, répondit-il, hargneux. 

- Ouais, j’ai pas de doutes là-dessus. 


Bruce remua les glaçons dans son verre.


- T’as l’air bizarre, continua son ami. Enfin, plus que d’habitude. 

- Mouais.

- Qu’est-ce que tu caches ?


Perdu dans les méandres de ses pensées, l’artilleur tritura la poche de sa veste.


- Un truc.

- Quel truc ?

- Le gros truc.


David ouvrit de grands yeux effarés.


- Le gros truc officiel ?

- Ouais t’as pigé.

- T’es pas sérieux.

- Et pourquoi pas ? 

- C’est pas… Prématuré ?

- Non. Et si ça peut calmer les ardeurs de certains, je ne vais pas m’en priver.

- Tu fais allusion à…

- Cet imbécile de Schneider, entre autres, mais c’est pas le seul. Quand ils croient que je ne suis pas là, je vois bien les regards de tous ces fils de… 

- D’après toi une alliance va les en empêcher ?

- Peut-être pas mais ça me donnera la légitimité pour leur faire ravaler leurs œillades lubriques.

- T’es dangereux comme gars.

- T’as pas idée. 

- Et si elle dit non ?


Bruce s’adossa sur sa chaise en se renfrognant.


- Et alors ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Si elle dit non, c’est non.

- Hum. T’accepterais d’en rester là ?

- Je vais pas la forcer, idiot. Maintenant mets la en veilleuse.


Reiko pénétra dans la salle de restaurant, les saluant avec sa prothèse flambant neuve.


- Elle est légère !, dit-elle en s'asseyant. Le doc s’est surpassé. De quoi vous discutiez ?

- Rien de spécial, lâcha Bruce entre ses dents.

- Je vois.

- Bon je vous abandonne, Kanna a dit que des gâteaux allaient bientôt sortir du four.

- Irrécupérable, pouffa Reiko. 


Une fois qu’il eut disparu dans la cuisine, elle se pelotonna contre le torse de son petit-ami.


- Je suis tellement contente qu’Harlock soit ici. Pour tout t’avouer, ça m’angoissait de fêter Noël loin de lui et d’Aniki.

- Je sais. Si t’es heureuse, moi aussi.

- T’en es sûr ? Je ne veux pas que tu subisses ces vacances…

- T’occupes pas de ça et profite d’eux tant que tu le peux.

- Je t’aime.

- Moi aussi… Et pas qu’un peu vu que je suis prêt à me coltiner Manabu en dehors de nos heures de service. 

- Tu exagères, Manabu est une bonne personne. Tout comme Kanna.

- Ça ne le rend pas moins pénible, dit-il en déposant un baiser sur son front.


***


Si Harlock et Kanna avaient décliné la virée en ville, ce ne fut pas le cas du reste des pirates et membres de la SDF.

Reiko et Manabu en tête des troupes, ils déambulèrent dans les ruelles enneigées, faisant halte devant les stands de décorations de Noël, de spécialités culinaires ou de bijoux colorés.

La pilote s’approcha de Manabu en catimini et lui désigna le collier que Louise avait admiré de longues minutes.


- Elle le trouve joli.

- Tu… Tu crois ?

- Ce serait un chouette cadeau, tu ne penses pas ?

- Elle… Aime ce genre de choses ?

- J’en ai l’impression. Après, je dis ça, je dis rien…


La jeune femme profita également de cette sortie pour faire le plein de présents : une boîte à musique pour Louise, de la liqueur pour Harlock et David, des biscuits pour Tadashi et Manabu, une boule à neige pour Yûki, un pull pour le Commandant et des ornements de Noël pour Kei et Kanna.

Quant à Bruce…


- Hé, te tracasse pas, dit-il en remarquant son errance parmi les étals. J’ai besoin de rien.

- Je n’allais pas…

- Mais bien sûr. Je te connais à force, hein.


Elle fit la moue mais n’insista pas.

Ils s’arrêtèrent devant l’échoppe d’un artisan et Reiko se pencha en avant, touchant du bout des doigts une broche à la pierre d’un bleu pâle presque transparent.

“On dirait… On dirait la même couleur que les yeux de Bruce.”

Elle se redressa avec un sourire.


- Et si on allait voir les lumières ?

- Ouais. D’ailleurs Louise te cherchait pour que vous assistiez ensemble à l’illumination du sapin sur la grand'place. Confie-moi tes sacs et vas-y, je vais vérifier que David n’a pas roulé sous la buvette.

- Compris ! À tout de suite, concéda-t-elle en l’embrassant. 

- Hum.


Il l’observa jusqu’à ce qu’elle rejoigne Louise et Yûki et reporta son attention sur la breloque argentée baroque, sertie du joyau ovale.


- Une aigue-marine, l’informa le vendeur. On la nomme aussi le “joyau des sirènes”. Elle est communément considérée comme la pierre des amoureux, ajouta-t-il avec un clin d'œil. Ça vous tente ?


***


- Passe-moi la bleue !

- La rose c’est mieux, non ? 

- Et une dorée ?


David examina son jeu de cartes avant de lorgner sur celui de son adversaire.


- Tu joues oui ou non ?, s'énerva Bruce.

- Patience, ma déesse de la chance est en pleine réflexion. 

- Hé ben, dis-lui de se grouiller. On n’a pas la nuit devant nous.

- Pourquoi t’as autre chose à faire ?


Le sniper coula un regard vers leurs amis qui s’affairaient autour d’un immense épicéa ramené d’on ne sait où par Harlock et Tadashi.

Les filles et Manabu s’étaient donc donnés pour mission de décorer le restaurant de Kanna afin de lui insuffler l’esprit de Noël en ce jour de réveillon.


- Ça se pourrait bien. 

- Toi et tes mystères… Hé tu fais quoi ? Tu vas où ?

- Pas tes oignons.

- Hein ?


Au fil de la journée, l’attente était devenue insupportable. L’écrin dans sa poche se faisait de plus en plus lourd et, une fois n’est pas coutume, il piétinait sans parvenir à se concentrer sur quoi que ce soit.

Arracher le pansement pour de bon. Voilà ce qu’il voulait. Et ce, quelle que soit la réponse qu’elle lui offrirait.

Et tant pis si Noël n’avait lieu que demain matin.

Et tant pis si les dobermans décidaient de l’égorger dans son sommeil.

Il se leva et, tel un robot, se dirigea vers sa Reiko qui se démenait pour accrocher une guirlande électrique qu’elle avait emmêlée autour de sa taille et de ses épaules.


- Hé, on peut parler une minute ?

- Maintenant ?


Face au visage fermé de son compagnon, elle soupira.


- D’accord, je pose ça, se résigna-t-elle.

- Je vais dans le jardin.

- Hum. Je m’habille et j’arrive.


La jeune femme s’exécuta et se débarrassa de son encombrant attirail. Puis, elle enfila à la va-vite son manteau bleu et se glissa dehors.


- Les températures sont glaciales, dit-elle en s’avançant, ses pas laissant des empreintes dans la neige fraîche.

- Hum.

- Il y a un souci ? C’est Aniki ? Car si c’est le cas, je peux le recadrer.

- Non, rien à voir.

- Harlock ?

- Non plus.


Dubitative, elle s’approcha, ne pouvant résister à l’envie de se blottir contre lui.


- Je t’écoute, explique-moi.

- Je…


“Putain, ressaisis-toi. T’as pas peur d’affronter un ennemi en supériorité numérique alors c’est pas une fille qui va t’impressionner.”

La porte du shôji s’ouvrit en grand sur une Louise visiblement catastrophée.


- J’ai branché trop de guirlandes en même temps. La fumée, c’est… Pas normal, hein ?


Reiko secoua la tête.


- Non… Pas du tout. Je… Je viens ! Coupez le disjoncteur et débranchez tout !

- Bien reçu !


Elle se retourna vivement.


- Désolée, je dois… Qu’est… Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu… Fais ?, l’interrogea-t-elle d’une voix blanche.


Un genou posé à terre, Bruce patientait, jugulant difficilement son anxiété.

“T’as répété ton discours, t’as plus qu’à le recracher. Réveille-toi.”


- Je suis à genoux.

- Je…

- Il neige.

- Mais…

- C’est presque Noël.

- Tu…


Tremblant, il tira une petite boîte noire de sa poche.

“Vas-y vieux, y’a plus de retour en arrière possible.”


- Tu as dit que la seule demande que tu accepterais ce serait à genoux, dans la neige et un jour de Noël.


Il prit une profonde inspiration et ouvrit l’écrin, dévoilant un anneau argenté et brillant, surmonté d’un diamant irisé.


- J’ai accédé à cette requête alors… Reiko, me ferais-tu l’honneur de devenir ma femme ?


Complètement sonnée, elle l’observa sans comprendre, les mots se frayant laborieusement un chemin dans son esprit.

“Il n’est pas sérieux.”


- Tu veux… Te marier avec moi ?

- Oui.

- Malgré mes cauchemars ?

- Oui.

- Mes problèmes récurrents avec la nourriture ?

- Oui.

- Et ma famille… Atypique ?

- Hélas, oui.


Il se releva, engourdi et un brin désemparé.


- Je ne t’oblige à rien et, quelle que soit ta réponse, elle ne changera pas les sentiments que j’éprouve pour toi. Sache simplement que ce n’est pas une décision que j’ai prise sur un coup de tête.


L’artilleur marqua une pause avant de poursuivre.


- J’ai renoncé à la mort et j’ai choisi la vie.


Il effleura du bout de ses gants la joue de Reiko.


- Et ma vie, c’est toi.


Des larmes embuèrent les yeux de la pilote.


- Comment veux-tu que je te dise non après une déclaration pareille ?, balbutia-t-elle, étourdie.

- C’est… Ça signifie que…

- Que je t’aime, bakana.


Elle tituba jusqu’à lui en essuyant sa peau humide d’un revers de manche.


- Et que j’accepte de t’épouser.


Submergé par l’émotion, Bruce ouvrit les bras et serra Reiko contre lui comme s’il craignait qu’elle ne s’envole.

“Je ne pensais pas avoir droit à un tel bonheur. À aucun moment de ma pitoyable existence.”


- Merci, murmura-t-il en glissant la bague autour de l’annulaire gauche de sa fiancée. Merci de rester aux côtés de quelqu’un comme moi.

- Tu l’annonceras à Otto-san.


Il se raidit, réalisant que la nouvelle risquait de déclencher une guerre sans précédent sur Tabito.


- Je plaisante, je me charge de lui. Et d’Aniki.

- Non, je le ferai, déclara-t-il, résolu. Je me fiche bien de leur avis mais je ne me défilerai pas.

- Ils ne s’y opposeront pas, tu sais.

- Ouais, si tu le dis. Hé, tu trembles. T’es gelée. Viens, on rentre. Un sapin crie au secours là-dedans.

- Hum. Oui !


Elle entrouvrit le vantail du shôji et se faufila dans le restaurant, Bruce sur ses talons. Louise écarta les branches de l’arbre, soulagée que son amie soit là pour l’aider à terminer les préparatifs.

Puis, elle plissa les paupières, suspicieuse.

Les larmes de Reiko.

L’air béat de Bruce.

Et…

Son œil affûté par des années de visionnage de films à l’eau de rose ne la trompa pas.


- C’est quoi… À ton doigt ? Tu ne l’avais pas tout à l’heure… Oh… Mon… DIEU !, hurla-t-elle.


Elle se jeta sur la pilote, la secouant comme un prunier.


- Est-ce-que c’est ce que je crois ?


Un sourire lumineux étira les lèvres de Reiko.


- On… On va se marier !

- Bordel de merde !

- Louise !, se formalisa Manabu. Un peu de tenue !

- Montre ! Montre-moi la bague !, s’écria-t-elle sans tenir compte de ces remontrances.


Les deux filles s’étreignirent, surexcitées par cet événement exceptionnel.


- C’est… Merveilleux !, s’enthousiasma Yûki.

- Je suis très heureuse pour toi, renchérit Kei. 

- Quelle surprise, railla David. On s’y attendait pas du tout.

- Se… Se Marier ?, répéta une voix étranglée.


Tadashi, qui sortait de la cuisine avec un plateau rempli de biscuits à ras bord, semblait avoir été percuté par un rhinocéros lancé à pleine vitesse. Il chancela, lâcha son plat et se rattrapa à l’arbre, le faisant basculer en arrière par la même occasion.

Le verre brisé des boules de Noël se répandit au sol, se mêlant aux gâteaux à la cannelle, et le jeune homme disparut temporairement au milieu des branches.

Il fut sauvé par l’intervention conjointe de David et de Manabu qui l’escortèrent jusqu’à une chaise sur laquelle il s’affala, en état de choc avancé.


- Oui, Aniki, entérina Reiko.


Bulge, Harlock et Kanna, attirés par le vacarme, débouchèrent à leur tour dans la salle de restaurant.


- Qu’est-ce qui se passe ici ? Quelle est la raison de tout ce raffût ?



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